.

À la base, ce n'était qu'un brouillon rapide (et j'insiste) pour tester les paramètres permettant de changer la couleur d'arrière-fond sur Pages.

Et puis, résultat : voilà. Personne n'est surpris.


Hermione cliqua sur l'icône et attendit que quelque chose se passe. Une action, un mouvement, un miracle. Rien de tel ne se produisit. Et tout autour d'elle, les élèves quittaient toujours la pièce en bavardant, indifférents à son supplice informatique. La brune prit une longue et profonde inspiration. Cliqua encore. Aucun changement. L'écran restait encore et toujours figé sur la fenêtre des paramètres, comme si refuser d'obtempérer une fois le cours terminé était l'ultime acte de rébellion.

Remarque, il valait mieux après que pendant. Hermione avait suffisamment perdu de temps à essayer de configurer un partage d'écran en septembre devant une classe plus mutique qu'un cadavre éventré sur une scène de crime. Nul besoin de revivre un tel malaise. Surtout que le technicien lui avait appris juste après la manipulation exacte à effectuer, quelque chose de si bête et méchant qu'elle en eut presque honte. Mais au moins, la chose était retenue. Allez donc savoir pourquoi l'effectuer posait actuellement pro…

« Vous pouvez juste le débrancher. »

« Hhh. » sursauta Hermione, la main sur son petit coeur.

Elle ferma brièvement les yeux. Inspiration, expiration, zen. Lorsqu'elle les rouvrit, Draco Malfoy — col roulé noir, toujours au premier rang, montre Apple, cheveux trop blonds pour ne pas être teints — se trouvait planté devant son bureau.

« Vous pouvez juste débrancher le fil. » répéta-t-il.

Hermione haussa des sourcils. Fixa l'ordinateur puis le cordon en question.

« Vous êtes sûr de vous ? » douta-t-elle. « Ça ne va pas faire dysfonctionner quelque chose dans l'unité centrale ou… »

« Du tout. »

Hermione esquissa une petite grimace appréhensive mais tira sur le fil, en l'attente d'une apocalypse. Au lieu de ça, la fenêtre de paramètres s'éclipsa et le bug disparut aussitôt.

« Wow. Effectivement. Merci beaucoup ! » s'exclama-t-elle, extrêmement soulagée, juste avant de blaguer : « Par contre, si l'ordinateur explose entre les mains de mon prochain collègue, je vous citerai comme coupable. »

« Sans problème. »

L'incident clos, Hermione s'empressa de ranger ses dernières affaires pour quitter les lieux. Elle avait la méchante habitude de s'étaler sur les quatre points cardinaux de son bureau durant le cours — ce qui était peut-être le reflet de ses connexions neuronales chaotiques lui faisant penser à vingt-trois choses différentes par tranches de trente secondes — et s'en trouvait désavantagée à chaque fin de cours. Même en ayant fermé son sac, enfilé son manteau et vérifié une dernière fois que rien ne traîne, elle se voyait déjà revenir deux ou trois heures plus tard pour un stylo égaré.

Ou un élève. La salle était à présent vide mais face à son bureau, Draco se tenait toujours debout.

« Vous… étiez venu me voir ? » comprit bien en retard Hermione.

« Oui. » acquiesça-t-il.

« Oh ! Pardonnez-moi. C'était pour une question de cours ? »

« Entre autres. Vous êtes occupée ? » demanda-t-il.

« Non, du tout. Mais il me semble qu'il y aura cours juste ici dans quelques minutes donc ce que l'on pourrait faire… » réfléchit Hermione et elle tapota trois fois sur son menton, pensive, avant de déclarer : « Tenez, je m'en vais en salle des profs mais venez avec moi. Vous pourrez me poser votre question sur le trajet. »

Draco hocha la tête une seule fois puis lui emboîta le pas. Ils sortirent de la salle, longèrent le long couloir menant aux ascenseurs et Hermione attendit que la fameuse question lui soit posée sans que le moment précis n'arrive.

« Je vous écoute. » l'incita-t-elle alors.

« C'était pour des cours particuliers. » dit-il aussitôt.

« Des cours particuliers. » répéta Hermione, abasourdie.

« Des cours particuliers. » soutint Draco, imperturbable.

Hermione ralentit le pas. Des cours particuliers. Pour Draco Malfoy. Des cours particuliers pour Draco Malfoy. Premier de sa classe. Troisième de sa promo. Brillant au point de l'avoir corrigée au tout premier cours sur un sujet qui avait pourtant fait l'objet de son mémoire. Et il lui demandait à présent des cours particuliers. Des cours particuliers.

« Pour… quoi faire ? » bégaya presque Hermione. « J'avoue avoir un peu de mal à comprendre. »

Le blond cligna des yeux.

Au fil des semaines, il était intéressant de remarquer le trait particulier caractérisant chaque élève. Ce petit quelque chose qui le rendait unique parmi ses pairs. Parvati Patil, par exemple, vérifiait au moins sept fois par heure que ses mines de crayons soient taillées exactement à la même hauteur. Draco Malfoy clignait quant à lui des yeux avec lenteur pour vous fixer comme si vous étiez né demeuré. Hermione ne pensait même pas qu'il le fasse exprès. Ce degré de condescendance ne pouvait que résider dans les chromosomes.

« M'améliorer ? » articula-t-il, énonçant apparemment là une évidence.

« Vous êtes déjà très proche de l'excellence, pour être tout à fait honnête. » lui fit savoir Hermione, ses sourcils progressivement haussés.

Cette conversation était tout simplement… absurde. Il fallait qu'elle en parle à Ginny dès que possible.

« Mais je n'y suis pas encore. » insista encore Draco.

« Vos notes parlent d'elles-mêmes. » poursuivit Hermione. « Vous n'avez jamais eu en-dessous de 95% à mon cours. »

« Nott m'a battu au dernier examen. » insista encore Draco. « De 1,9 point. »

Et là, Hermione s'autorisa trois longues secondes de stupéfaction. Mon Dieu. Il fallait vraiment qu'elle raconte tout ceci à Ginny ce soir même, et dans les moindres détails. Face à elle, Draco n'avait pas bougé d'un seul petit iota, visiblement déterminé dans sa requête.

« Monsieur Malfoy. » reprit Hermione d'une voix ferme. « J'aide ceux qui sont en véritable situation de lacune et gagnerait à bénéficier d'une aide plus personnalisée pour réussir. Vous êtes, et de très loin, au-dessus de tous ces critères. »

« Et si je préparais un concours nécessitant un entraînement plus intensif ? Un volume de connaissances plus conséquent ? »

« Êtes-vous actuellement en préparation pour un tel concours ? »

« Non. » eut-il l'audace d'admettre. « Mais je pourrais l'être. »

« Mais vous ne l'êtes pas. Alors c'est non. » coupa court Hermione. « J'ai même du mal à comprendre qu'une telle idée ait pu faire son chemin dans votre esprit. »

Beaucoup de choses se déroulèrent sur le visage de Draco. Contraction de la mâchoire, pincement de lèvres, frustration dans le regard, vague air de challenge. Puis tout retomba brusquement. De nouveau impassible.

« Très bien. » accepta-t-il.

Le connaissant borné, Hermione attendit patiemment qu'il revienne à la charge. Silence total. Ni 'mais', ni début de complainte, ni vague chantage — rien.

Soit.

« Gardez en tout cas cette ambition. » ajouta-t-elle, plus pour meubler l'absence de conversation qu'autre chose. « Elle vous mènera loin. »

Et pour une première fois historique, Draco eut ce qui, à l'échelle microscopique, pouvait peut-être s'apparenter à un sourire.

« Je sais. » dit-il.

Et, après une brève salutation, il repartit dans l'autre sens.

« Mon Dieu mais pas ici ! » cria Hermione en soulevant in-extremis son paquet de copies.

Un jet de sauce eut le temps d'atterrir sur la toile cirée avant que Ginny n'inverse rapidement la bouteille et plaque une main contre sa bouche.

« Pardon, pardon, pardon. » s'excusa-t-elle. « Ça a coulé sur tes feuilles ? »

« Non et heureusement. » bougonna Hermione.

Elle se leva pour relocaliser son bureau de fortune sur la chaise voisine et ajouta :

« Certains seraient capables d'essayer de marchander leurs notes à la hausse pour une infime goutte de sriracha. »

Ginny passa son index sur la nappe, cueillant la sauce égarée pour la porter à sa bouche. Trois de ses ongles n'étaient plus vernis en bleu.

« Vraiment ? » s'étonna-t-elle.

« On a voulu me racketter trois points pour une rature dans la marge, une fois. »

« Eh beh. Y'en a qui ne manquent pas d'air. »

« Ils savent que je suis nouvelle. » expliqua Hermione et elle pointa le bout de son nez, les paupières plissées. « Alors ils veulent flairer une faille. »

« Je les aurais tous envoyé chier, personnellement. » offrit Ginny, diplomate.

« Ce n'est pas l'envie qui manque mais j'ai hélas un loyer à payer et une thèse à finir. »

Lorsqu'elle tendit la main vers les chips de maïs que sa voisine démolissait en solo depuis un bon quart d'heure, la rousse poussa le bol vers elle, lui faisant gagner de la distance.

« Combien est-ce qu'ils te paient déjà ? » demanda Ginny.

Bouche pleine, Hermione pouffa sans joie.

« Pas assez pour une enseignante-chercheuse en léger surmenage et juste assez pour me faire surélever le seuil de pauvreté d'un millimètre cinq. » résuma-t-elle avant de secouer hargneusement la copie que ses pauvres yeux subissaient depuis maintenant vingt minutes. « Lui, par contre, je ne me gênerai pas pour verser un pot entier de sauce sur son torchon. »

« Ouh ! Quelle est la perle du jour ? » jubila Ginny en se rapprochant aussitôt.

C'était leur petit rituel, depuis qu'Hermione avait débuté sa récente carrière dans l'enseignement. Dès qu'elle tombait sur une pépite — et par 'pépite', il ne fallait pas comprendre les élèves en réelle difficulté scolaire mais ceux qui se payaient ouvertement sa tête —, les deux colocataires se concertaient afin d'établir un palmarès de l'audace. Et comme celle-ci promettait d'être costaude, la brune prit le temps d'inspirer une dose oxygénée de courage avant de la prononcer à voix haute.

« La question est : 'À l'aide d'exemples concrets, décrivez les caractéristiques du concept de situation-problème développé par Alvaro Pires'. Une question bateau sur un thème vu et revu en cours depuis le début de l'année. Jusqu'ici, tout va bien. » introduisit-elle.

« Oui, oui, ok, ensuite. » s'impatienta Ginny.

« La réponse, et alors là tiens toi bien : 'Ce concept décrit une situation et un problème.' » lut Hermione. « Point. À la ligne. »

Elle se retourna vers sa voisine au moment où celle-ci entrouvrait silencieusement la bouche.

« Non. » souffla-t-elle.

« Je te jure, Ginny. »

« Non. »

« Je ne mens pas. » soutint Hermione en lui présentant la copie.

« Bon sang. » souffla la rousse après constat.

« Cinquième semestre universitaire de criminologie. Six mois avant la remise des diplômes de bachelor. Et on ose me décrire le concept de 'situation-problème' comme étant 'une situation et un problème.' » hallucina Hermione. « Mais c'est fini. C'est terminé. J'abandonne. »

« Je la vois bien faire sa petite entrée fracassante dans notre Top 3, cette réponse. » suggéra Ginny.

« Non, ça, c'est une médaille d'or instantanée. » décréta Hermione.

« Et détrôner la nana qui avait plagié 'Smooth Criminal' à ta deuxième interro de cours ? Hors de question. » refusa catégoriquement sa voisine, les sourcils froncés.

« Remarque, c'est peut-être encore elle. Il y a beaucoup de… » s'interrompit brutalement Hermione pour ouvrir grand les yeux.

Relire le nom inscrit sur le haut de la copie. Deux fois, six fois. Écarquiller des yeux de plus belle. Ramasser un à un ses globes oculaires au sol.

« Mais alors là, je rêve. »

Et lorsqu'elle rendit le mardi après-midi suivant les copies d'examen une à une, Hermione observa scrupuleusement le visage de Draco à la réception de la sienne. Un outrageux '53%' suivi de trois points d'interrogations ornait le haut de la feuille. Il regarda sa note, balaya d'un regard distrait ses réponses criblées de rouge puis s'en retourna à son ordinateur, indifférent.

Hermione crut tout d'abord à un clone. Une version alternative de Draco Malfoy qui n'en avait soudainement plus rien à faire de ses notes, de son dossier scolaire et prévoyait même d'arrêter les études pour devenir trapéziste. Elle pensa ensuite à un cas de folie aiguë et foudroyante mais le trouva assez calme pour cela. Étrangement serein. Un peu trop, même.

Et puis elle comprit.

Elle comprit lorsqu'une fois le cours fini et la moitié des élèves partis, Draco attendit patiemment qu'elle range toutes ses affaires pour se pointer devant son bureau, copie d'examen en main.

Figure neutre et regard de défi.

« Vous êtes occupée ? »


Oui alors, oui, ok, la prémisse est bateau mais j'espère que vous avez tout de même aimé. Merci d'avoir lu et la suite est en préparation ! xo (et bon confinement).