Note: Pour une fois, je vais commencer par le plus important : MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI, si je devais montrer ma reconnaissance, cela prendrait encore plus de mots que ce chapitre (qui est actuellement à 55'000 mots – je vais essayer de descendre cette aberration(spoiler: j'ai pas réussi). Je suis TELLEMENT reconnaissante du soutien complétement FOU que vous avez déployé pour le chapitre précédent. Je vous aime, je vous remercie du FOND DU CŒUR et j'espère sincèrement que ce chapitre ne vous décevra pas.
Je suis vraiment désolée pour ce chapitre. J'ai vraiment essayé de faire au mieux mais un truc si long ça prend des plombes à corriger – et comme c'est en plus très mauvais, c'était difficile d'avoir le courage de m'y mettre. Ça fait quelques semaines qu'il traîne dans mes dossiers et j'arrive pas à l'améliorer. Je devrais sans doute le recommencer de 0 mais j'ai vraiment pas le courage.
Je confesse que c'est assez décourageant de ne pas être à la hauteur de ce que j'aimerais fournir. Surtout que ça fait littéralement des mois que je « travailler » sur ce chapitre. Mais bon. Au moins, j'ai essayé.
Je suis désolée, je suis très très très reconnaissante pour votre soutien. J'aurais aimé en être digne. J'espère que vous aurez quand même un minimum de plaisir à lire cette connerie.
Acte 1, scène 1
Pendant quelques longs instants, il a l'impression que la fumée lui brûle toujours la poitrine. Chacune de ses inspiration est hésitante, précipitée. Sa trachée, ses poumons et son cerveau ne réalisent pas tout de suite que c'est terminé. Qu'il peut respirer normalement, qu'il n'est plus en train de mourir dans la chambre d'un miteux motel.
Puisqu'il est mort.
À peine l'a-t-il compris qu'il se redresse. Il est encore une fois à Kings Cross - cet entremonde où il semble être voué à s'échouer. Pour repartir inlassablement en arrière comme une vieille cassette vidéo qu'on rembobine.
Il n'y a plus aucun doute en lui, pas la moindre hésitation dans son geste. Il se redresse complètement - se retourne, prêt à rejoindre la forme dont il sait qu'elle est allongée sous le banc.
Il se retrouve, bien sûr, face à la Mort. Elle a l'apparence de Tom Riddle. Tom Riddle adolescent, tel qu'il vient de le laisser dans la chambre. Leurs deux corps sont-ils consumés par les flammes en ce moment même ? L'univers dans lequel ils évoluaient vient-il de se refermer maintenant qu'ils l'ont quitté ? Ou est-ce que, quelque part, dans ces infinités d'univers, Lily et James Potter devront essuyer le deuil de leur fils unique ?
La vie continuait-elle une fois que l'on était mort ?
Autrefois cette interrogation lui aurait paru égocentrique à l'extrême. Comment pouvait-on même se poser cette question ? Bien sûr que la vie continuait - la Vie était née bien avant sa naissance, évidemment qu'elle le précéderait aussi.
Mais pouvait-on réellement arriver à la même conclusion lorsqu'on était le Maître de la mort ? Était-il réellement projeté dans des univers qui avaient tous une continuité qui leur était propre ?
-Est-ce que c'est réel ? demanda Harry, sans réaliser qu'il avait posé la même question à Dumbledore.
D'ailleurs, maintenant qu'il voyait cette parodie de Tom Riddle devant lui - il lui apparut que peut-être… Peut-être qu'il n'avait pas été face à son professeur, la première fois qu'il avait visité cette version inerte de King's cross. Peut-être que c'était la Mort depuis le début.
-Réel ? lui répondit la Mort.
Harry grimaça en entendant les centaines de voix qui s'unissaient pour former ce mot. C'était tellement contre-nature que son esprit ne pouvait que refuser catégoriquement une telle chose. Il n'ajouta rien. Comme si Elle attendait qu'Harry précise sa question.
Il lui apparût qu'il n'en avait pas la moindre envie. Au final, ça n'avait pas d'importance - réel ou pas réel, ces vies n'avaient pas d'autre but que d'épargner à Voldemort la torture éternelle qui lui semblait promise.
-Même si c'est au prix de vies ?
La question le prit de court.
Ron et Hermione étaient morts. Il pouvait imaginer que c'était de sa faute, d'une certaine manière. S'il n'avait pas débarqué dans cet univers, ils seraient encore vraisemblablement en vie - merde, la version de lui-même dans cet univers coulerait des jours heureux.
Finalement, le choix qu'il devait faire c'était - qu'est-ce qui était pire entre souffrir dans une vie mortelle ou souffrir pour l'éternité ? Il avait la preuve formelle qu'il existait quelque chose après la mort.
Le choix était facile à faire. D'autant plus que ce n'était pas sa faute si ses proches étaient condamnés à mourir. Ce n'était pas lui qui les assassinait froidement. Harry aurait été parfaitement content de vivre des vies banales - sans fuite, sans douleur -
Il contourna la Mort. Qui s'interposa. Dans ce corps, elle était plus grande que lui, lui bloquant l'accès
-Tu es un idiot, Harry Potter. Il est des choses qui ne peuvent pas changer. Comme ta crédulité, par exemple. Tu lui donnes tout ce qu'il veut, le salut, le plaisir de pouvoir t'humilier, et en plus - maintenant - tu t'offres tout entier ?
Un rire sinistre résonna. Peut-être bien que la Mort avait raison - Harry pouvait-il prouver que Voldemort était sincère ? Et en même temps, sincère vis-à-vis de quoi ? il ne lui avait rien dit, rien promis, Harry l'avait déjà pensé, peut-être se contentait-il de lui rendre les vies aussi faciles que possible. Et n'était-ce déjà pas assez ?
L'était-ce s'il condamnait ses amis - innocents - à mourir ?
Il ne pouvait pas y penser. Pas alors qu'il était résolu. Sa révélation, celle qu'il avait eu à la fin de sa dernière vie lui saisit gorge. Était-il encore digne de faire un choix ? Faire un choix suppose être capable de voir les deux possibilités avec clarté. Le pouvait-il quand - comme un imbécile - il était tombé amoureux -
Dans l'urgence, alors que leur mort à tous les deux était imminente, ça lui avait paru une constatation naturelle. Elle lui semblait grotesque, maintenant. Un doute s'insinua en lui. Voldemort se serait-il comporté autrement avec lui s'il avait voulu obtenir un autre résultat ?
Non, il faisait tout pour l'attirer à lui. La question c'était est-ce que c'était un plan machiavélique ou naturel ?
-Enfin des pensées sensées, déclara tranquillement la mort : Ne vois-tu pas que -
Harry écarta brusquement le corps condescendant de Tom Riddle. Il était certes en train de se faire manipuler par quelqu'un. Voldemort ou la Mort ? Il n'en savait rien - mais l'un des deux mentait. Et il avait plutôt tendance à accorder sa confiance à ceux qui n'avaient pas assassiné ses amis devant lui, pensa-t-il en repensant à Hermione et Ron.
(Cédric, lui souffla son esprit). (Il était mort devant lui-)
Des centaines d'années plus tôt, trancha Harry.
Ses yeux cherchèrent le banc. Et le corps qui gisait en dessous - Son cœur (si tant est qu'il en avait un) s'arrêta dans sa poitrine. Il comprit pourquoi la mort lui avait bloqué le passage, avait urgemment essayé de le convaincre de la bêtise de ses actions.
Sous le banc, il y avait bien une créature difforme. Mais ce n'était plus exactement un fœtus. La forme était toujours petite et recroquevillée - mais les membres étaient plus longs. Plus épais.
Il y avait de l'espoir.
Et dans cet espoir, le choix d'Harry était donc évident.
Acte 2, scène 1
Harry Potter ouvrit les yeux brusquement. Le rêve - ou plutôt le cauchemar - responsable de son réveil était déjà en train de se désagréger dans son esprit. Il ne parvenait même pas à en saisir les derniers lambeaux. Il resta un instant immobile, une bouffée d'air bloquée dans les poumons. Une dizaine de seconde d'immobilité totale - si ce n'était pour la goutte de transpiration qui glissa le long de son front, s'écrasa sur son oreille puis tomba plus bas, sur son drap. Comme ça, allongé, il pouvait presque prétendre être mort.
Pas le moindre bruit autour de lui. La maison était silencieuse. Enfin, la partie de la maison dans laquelle il dormait était silencieuse. Il expira puis tourna la tête en direction de la fenêtre. Les rideaux étaient tirés, bien sûr. Mais ils étaient encadrés par de légers traits lumineux. Il faisait déjà jour. Il se maudit immédiatement : c'était la troisième fois cette semaine qu'il se réveillait si tard. Il pouvait déjà imaginer la façon dont il serait accueilli, en bas, lorsqu'il parviendrait finalement à rejoindre les salles de vie.
Il se redressa. Une tâche difficile. Pas la peine de retenir une grimace de douleur, puisqu'il était seul. Aucun regard désapprobateur pour lui indiquer qu'il fallait qu'il prenne sur lui, qu'il était moins qu'un homme de faire des singeries pareilles.
Le matin était sans conteste le moment le plus pénible de la journée. Sa jambe était froide. Les muscles crispés et endormis - si tant est qu'il y eut encore des muscles dans son organe inutile. Les premiers mouvements étaient grinçants, ceux d'une machine cassée qui n'a plus de raison d'être. Il plaqua sa main au-dessus de son genou, inspira et expira répétitivement essayant de tenir la douleur en échec. Au moins, il vivait cette torture seul.
Personne ne savait qu'elle était parfois si vive qu'il en pleurait.
Heureusement pour lui, ce matin-là, il pouvait la supporter. Il balaya la pièce du regard. Le feu, dans l'âtre, était complètement éteint. Il était probablement plus de dix heures. En tremblant, il repoussa la lourde couverture qui avait au moins le mérite de le garder immobile pendant la nuit.
Puis, comme de coutume, il lança un regard courroucé à la sonnette qui se trouvait contre le mur, au-dessus de sa table de nuit. Il était supposé sonner, supposé indiquer aux domestiques qu'il était debout et qu'il avait l'intention de descendre. Mais la venue d'Hermione, la femme de chambre de sa mère, serait la même insulte que la veille.
Son père était un homme cruel à l'imagination débordante. Toutes les manières de tourmenter Harry était bonnes, même si elles étaient purement symboliques. Un homme dont une femme de chambre prend soin. C'était humiliant une façon de souligner une bonne fois pour toute qu'il n'était pas un homme, qu'il ne valait pas mieux que s'il était né femme. L'insulte était cuisante. Et son retour journalier ne faisait qu'attiser les braises de sa honte.
Et pourtant, Harry ne parviendrait pas à descendre les escaliers seuls. Il le savait aussi bien que tous les occupants du manoir. Cette lutte contre la sonnette était aussi vaine que ridicule. Il tira sur le cordon. Le quartier des domestiques était situé au sous-sol. Il imagina le trajet de la domestique. À cette heure, aucun doute qu'ils étaient tous en train de s'affairer à la préparation du déjeuner. Hermione avait d'autres choses à faire qu'abandonner ses tâches pour se rendre dans l'aile ouest, et aider l'héritier de la famille à s'habiller convenablement.
Harry avait honte. Honte de sa faiblesse, de son corps, de son accident. De son besoin d'aide pour quelque chose d'aussi simple que de descendre des escaliers. Et qu'en plus, une jeune fille de son âge ait la tâche de s'en charger. Lui qui, s'il était quelqu'un d'autre, si son genou et sa cheville n'étaient pas définitivement brisés, serait déjà marié. Ce simulacre d'intimité avec une domestique n'était qu'une injure de plus.
Un mariage semblait peu probable. Harry savait qu'il n'était considéré qu'avec mépris. La fortune familiale et le titre des Potter était enviable, certes, mais pas lui. Harry savait pertinemment que son père avait reçu des demandes - ou plutôt que des pères s'étaient discrètement approchés de lui pour former une alliance. Mais, apparemment, c'était toujours dans le but de sauver leur famille d'une situation inconfortable (de graves problèmes financiers, en d'autres termes).
Et vu la situation d'Harry, ils devaient probablement se dire que James Potter serait reconnaissant de partager sa fortune avec quiconque aurait la magnanimité d'accepter leur fils infirme. James finirait probablement pas capituler et autoriser un mariage de ce type. Il suffisait probablement à ce que la jeune fille en question soit aussi à son goût.
L'attente était longue. Le temps pour Hermione de s'extirper des étages inférieurs - puis d'avancer jusqu'au hall principal, de s'engager dans les couloirs étroits puis de prendre les escaliers en colimaçon qui menaient à sa chambre, il y en avait bien pour une dizaine de minutes. Il attrapa le livre qu'il avait abandonné sur sa table de chevet. Il l'ouvrit là où il s'était arrêté la veille, peu de temps avant de s'endormir.
Ses yeux glissèrent le long des mots sans réellement les comprendre. Agacé, il remonta le long de la page, se remit à lire. Peine perdue, son esprit était ailleurs. Où ? se demanda-t-il avec impatience. Bien sûr, il était déjà dans la salle à manger. Elle était sans doute vide. Sa mère devait être dans l'un des salons, en train de coudre un quelconque motif. Son père, lui… Ah. Harry préférait ne pas imaginer ce qu'il était en train de faire.
Des bruits de pas - rapides et légers, d'abord, avant de devenir plus forts. L'escalier en colimaçon était en pierre brute. Il était de bon goût, dans l'air du temps, de recouvrir les escaliers bruts de tapis somptueux. Mais Lord Potter ne voyait sans doute pas l'intérêt de décorer les appartements de son "fils".
Tant d'amertume alors qu'il était à peine levé. Chaque jour, Harry s'avançait plus encore dans la mer de désillusion qui enserrait sa vie. Il était une île déconnecté de ses pairs, déconnecté de leurs vies et de leurs problèmes. Il n'allait pas au bal ni aux réceptions. Il ne participait pas aux chasses, n'allait pas à Londres ou à Bath passer du temps pendant l'été. Il ne rencontrait pas ses pairs et n'essayait pas de séduire les jeunes anglaises de son rang.
Non, il restait dans sa tour. Enfermé chez lui, coupé du monde, un peu comme les princesses qui peuplaient les contes.
Et voilà que lui aussi se comparait à une jeune fille.
Si son père avait vent de ses pensées… Il se rembrunit alors que la poignée tournait dans un grincement lugubre.
Il essaya de maîtriser son expression. Hermione ne méritait pas de le voir de mauvaise humeur. La pauvre, elle ne faisait que son métier. Et dieu savait qu'elle était compréhensive envers lui. Ironiquement, Harry ne la connaissait pas si bien. Et d'ailleurs, pourquoi serait-ce le cas ? Elle n'était qu'une domestique. C'était son métier que de prendre soin de lui, de préparer son lit lorsqu'il vaquait à ses occupations (c'est à dire lorsqu'il était en train de lire), de s'assurer que le feu de sa chambre était bien allumé lorsqu'il se mettait au lit.
Qui plus est, être domestique dans le manoir Potter, c'était une position enviée. Et elle n'était pas maltraitée. Harry savait que son père ne lui accordait aucune importance. Elle était jolie, il supposait, mais elle n'avait pas la beauté classique qui lui aurait valu les avances du Lord en titre.
Heureusement pour elle.
Son visage était rouge, probablement dû à la traversée du manoir. Elle lui sourit et aplatit son tablier. Le point commun de tous les domestiques : la perfection de leur livrée. Sa robe, le tablier d'office, sa coiffe – à se demander si c'était millimétré.
En somme, Hermione… quelque chose, Harry ne connaissait pas son nom de famille, était une femme de chambre tout à fait respectable. Si ce n'était qu'elle devait aussi s'occuper d'un homme. Si elle venait à quitter leur service, Harry espérait sincèrement que son père ne mentionnerait pas ce fâcheux incident.
C'était déshonorable. Même s'il ne s'agissait que de lui : Harry Potter l'infirme.
-Bonjour Monseigneur.
Elle s'avança vers lui et lui tendit la main. Avec reconnaissance mais de mauvaise volonté, Harry la lui saisit. Il s'appuya sur elle pour se redresser puisqu'il ne pouvait en aucun cas poser le moindre poids sur sa jambe gauche.
-Bonjour Hermione. Comment allez-vous ?
L'effort de relever un homme de vingt-cinq ans - tout juste après avoir fait une telle distance au pas de course avait rendu son visage pivoine.
-Je vous remercie, je vais très bien. Avez-vous bien dormi ?
Harry lui adressa un sourire ironique :
-Un peu trop, je crois. Père et mère sont déjà levés, je présume ?
Elle hocha vivement de la tête et lui tendit sa canne. Harry s'y agrippa soulagé de ne pas devoir dépendre de quelqu'un d'autre pour se tenir debout. Une fois qu'il était sur ses deux jambes (enfin, sur sa jambe valide et appuyé sur une jambe de bois), il lui était plus facile d'être mobile. C'était se lever qui était problématique. Pour ne pas dire impossible, selon les jours.
-Oui, répondit-il elle simplement.
Mais Harry savait que dans cette réponse, se trouvaient masqués l'air désapprobateur de Lord Potter et la tristesse de Lady Potter. Sa mère. Elle était de naissance beaucoup plus modeste que la sienne. Comment et pourquoi un homme à ce point obsédé par le statut l'avait épousée ? Harry n'en savait rien. Il supposait qu'il avait voulu se rebeller contre ses propres parents.
Il ne connaissait pas grand-chose, en fait, des états d'âmes de son père. Si ce n'était qu'il l'horripilait et que James Potter souhaitait parfois tout haut qu'il ne soit jamais venu au monde.
Harry partageait ces pensées, évidemment. Mais l'idée que son père l'ait forcé à prendre la chambre la plus haute du château, en sachant pertinemment que les fenêtres étaient accessibles et la chute mortelle - eh bien, ça forçait Harry à affronter chaque jour. Mourir serait une libération, bien sûr, mais imaginer donner cette satisfaction à son père, qui ensuite trouverait bien une raison pour divorcer de Lady Potter et de recommencer une nouvelle vie… Le persuadait d'affronter chaque minute. Même si elles devaient toutes être plus difficiles à vivre que les précédentes.
Être un bâton dans les roues de son propre père… Ce n'étaient pas un destin ni une raison de vivre très glorieuse. Mais, au moins, il en avait une. Et Harry avait l'intuition, de toute façon, que son calvaire finirait par se terminer. Las, son père accepterait une proposition de mariage quelconque. Et peut-être qu'il finirait par être heureux - quel idiot d'avoir des idées pareilles. Il risquait plutôt de perdre la vie dans un "accident" orchestré par son père, lassé de voir son domaine, l'œuvre de sa vie, partir entre les mains d'un fils dont il était si peu fier.
Hermione l'aida à s'habiller. Il préférait se baigner le soir, trouvait moins humiliant d'être éclairé par la flamme des bougies plutôt que par la lumière du jour. Se faire habiller était commun pour les gens de son rang. Remus aidait quotidiennement son père à enfiler ses vestes, enfilait ses boutons de manche pour lui, lui brossait les épaules. Mais Harry n'était pas sûr qu'il l'aide à mettre son pantalon.
Et c'était si long, bon dieu c'était si long ! Il avait de vagues souvenirs de son enfance, lorsque lever sa jambe était facile, lorsqu'il pouvait encore courir dans les couloirs et explorer le domaine à sa guise. (Le regard de son père, autrefois fier, était évidemment aussi gravé dans ses souvenirs à jamais). Quelle malédiction, un cerveau, particulièrement quand une vie est marquée par un "avant" et un "après". Péniblement il laissa Hermione lui passer sa chemise, son surchemise et sa veste.
Malgré tout, il s'habillait toujours comme un gentleman. Un homme de son rang - supposément héritier d'un titre et d'un domaine. Et y penser dès le matin était son quotidien. Tout le lui rappelait, après tout. La richesse et la taille de sa chambre. Son incapacité à vivre seul, les convenances sociales sous lesquelles il était obligé de ployer - il n'avait pas un instant de répit. Chaque détail de sa vie lui rappelant à chaque instant qui il était.
Et surtout, qui il aurait dû être.
Une fois habillé, Hermione le guida doucement vers la porte. Sa jambe lui donnait envie d'hurler, bien sûr. Il essaya de rester digne et stoïque. Flegmatique, comme on l'avait éduqué. Il y parvenait difficilement - pas assez bien, selon son père. Harry savait qu'au fond de lui, son père était persuadé que lui aurait pu s'accommoder d'une telle blessure. Que lui n'aurait pas laissé un bête genou et une simple cheville se mettre en travers de son chemin.
Harry rêvait parfois lui infliger les mêmes lésions. Ce qui resterait un fantasme à jamais, puisqu'il ne pourrait jamais y parvenir seul (et c'était ce qu'il était seul). Il passa la porte de sa chambre et - les voilà. Les escaliers. Il les haïssait plus que tout. Et pourtant il n'y avait pas moyen de les contourner. Les cent-vingt-quatre marches devaient être descendues. Puis devraient être remontées. Il ne pouvait ni plier la jambe ni, d'ailleurs, mettre le moindre poids dessus.
Pendant longtemps, il s'était escrimé à essayer de descendre ces escaliers seuls. Il était tombé à chaque fois, se faisant mal ailleurs. Il avait accepté que sa vie ne changerait jamais.
Une main fermement crispée contre sa canne, l'autre agrippée au bras d'Hermione il descendit la première marche. Même en faisant son possible pour ne pas utiliser sa jambe gauche, chaque pas lui envoyait des échos de douleur. Ils partaient de la cheville et du genou et se réverbéraient dans tout son corps. Il serra des dents. Montre la moindre faiblesse, particulièrement alors qu'il s'apprêtait à voir ses parents, c'était le meilleur moyen pour condamner sa journée à une suite de railleries toutes plus cruelles les unes que les autres. Harry était parfaitement content de rester dans sa chambre et de faire comme s'il n'existait pas. Qu'on le force pareillement à contempler quelle était sa place dans le foyer - sa gorge se noua, bien sûr. Il fallait qu'il pense à autre chose, que son esprit arrête d'osciller entre sa famille et son corps.
Mais était-on autre chose que sa famille et son corps ? Non, on était que la somme de ces deux éléments. Prisonniers de deux choses qu'on ne pouvait pas choisir.
Chaque pas était un enfer, chaque marche plus difficile que la précédente. Ce calvaire pouvait durer vingt minutes. Il lui semblait qu'il venait de quitter la première marche mais il reconnut bientôt le flambeau qui marquait le milieu des escaliers. Il retint un gémissement de douleur. Tomber devant Hermione - ce serait une chute sociale en plus d'être physique. Une simple femme de chambre n'était pas supposée voir ses maîtres autrement que sous leur meilleur jour.
Ah. C'était ce qu'on disait mais Harry doutait sincèrement que ce fut réellement le cas. C'était de notoriété publique que le mariage des Potter était une vaste blague depuis sa naissance. Harry était si souvent immobile que les domestiques qui venaient d'être engagés, ceux qui n'avaient pas l'habitude de regarder convenablement autour d'eux, osaient souvent parler entre eux alors qu'il était simplement dissimulé par une bibliothèque. C'était comme ça qu'il avait appris que Lady Potter pleurait chaque soir, comme ça qu'il avait appris que son père prenait pour maîtresse à peu près toutes les femmes qui étaient à son goût. Et il n'était apparemment pas très difficile.
Pas qu'il soit particulièrement discret, Harry s'en serait fatalement rendu compte. Les gloussements accompagnaient son père où qu'il se rende dans le manoir. Il sortait souvent des pièces, un air particulièrement satisfait, les habits à peine remis en ordre. Honnêtement, il s'enorgueillissait sans doute de ses exploits. Lord James Potter. Un bel homme, indéniablement.
Le genre d'homme qu'Harry aurait été dans une autre vie. (ou aurait pu être. Il aimait penser qu'il se serait comporté différemment, qu'il serait resté fidèle, qu'il aurait accepté sa descendance telle qu'elle naissait et non pas telle qu'il l'avait espérée).
Ils parvinrent finalement aux pieds des escaliers. Abruti par la douleur, Harry tira sur le bras d'Hermione. Elle était rompue à l'exercice et comprit sa demande. Harry reprit son souffle, appuyé contre le mur du couloir. En face de lui, un de ses aïeux le contemplait de haut. Il détourna le regard. Toutes ces lignées de Potter, tous ces hommes et ces femmes dignes de leur rang et lui - replié, cassé, les membres tordus comme ceux des insectes -
Il inspira. Sa jambe valide tremblait de l'effort d'avoir dû le soutenir pendant de si longues minutes. Mais c'était fait. Plus d'escaliers avant la nuit. Ils ne recevaient pas aujourd'hui, il n'aurait pas de raison d'aller se changer pour le repas du soir. C'était la coutume, normalement, mais c'était bien la seule chose qu'on lui épargnait. Enfin, on ne lui épargnait pas les diverses moqueries.
Il se redressa. S'appuya sur sa canne. Fit un premier pas. Le problème, c'était que les escaliers étaient un tel supplice qu'ils laissaient des séquelles pour toute la matinée. Mais son siège l'attendait, dans la première salle à manger. Il pourrait s'y assoir et y passer une bonne heure. Ensuite, de la chaise jusqu'à la bibliothèque, il n'y avait que quelques dizaines de mètres. Harry avait réussi à en venir à bout la veille, il parviendrait aussi à en venir à bout ce jour-là.
Son seul moyen de motivation : réussir à se persuader que ce qu'il avait déjà réussi à faire une fois, il pourrait le faire une seconde. Il se décolla du mur et avança lentement le long du couloir. Il n'y avait pas de fenêtre dans ces longs espaces qui serpentaient dans le manoir. Cela donnait une apparence terriblement lugubre aux couloirs qui n'étaient éclairés que par les lustres. Mais ça lui correspondait assez bien, Harry le lugubre. Il s'arrêta à quelques mètres de la porte. Elle était ouverte. Son père se trouvait vraisemblablement à l'intérieur.
Harry inspira. Il essaya vainement de rassembler le courage qui lui faisait cruellement défaut. Faire face à son père, c'était un supplice quotidien. Comme une punition divine qu'on lui aurait infligée pour un crime dont il n'avait pas connaissance. Il se demandait bien en quoi il avait fauté, dans une autre vie, pour qu'on le punisse aussi allégrement. Enfin. Il était quand même maître de sa vie, rien ne l'empêchait d'y mettre fin si c'était ce qu'il choisissait. Après tout - la fenêtre de sa chambre… - pour la deuxième fois de la journée, il balaya cette perspective.
N'empêche qu'elle devenait plus tentante tous les jours, même s'il prétendait l'inverse. N'empêche que c'était probablement la seule façon de rester digne.
Que dirait-on de lui, sinon ? Qu'il avait accepté d'être un poids pour toute sa famille qu'il s'était agrippé à la vie comme un vulgaire mollusque agrippé à son coquillage ? Mais si par miracle Lady Potter était enceinte à nouveau et qu'il s'agisse d'un autre garçon… Harry serait heureux et soulagé d'aller s'exiler dans n'importe quelle maison de leur domaine. Ou à Londres d'ailleurs ou - même dans les terres qu'ils avaient en Ecosse.
Il ne ressentirait aucune jalousie si ce poids échouait ailleurs que sur ses épaules. Mais ce poids était bien sur les siennes. Il les redressa tout de même, avança de quelques pas et pénétra dans la salle à manger familiale. Comme il se l'était imaginé, James Potter était assis sur son fauteuil favori. Il remplissait parfaitement l'image que l'on se faisait d'un noble. Assis droit, habillé d'une façon impeccable dont Harry savait que Remus méritait les honneurs, il lisait le journal. Cette pose aurait pu être détendue ou régale.
Mais elle était menaçante.
Harry était bien incapable de dire d'où lui venait cette impression. La crispation de la mâchoire ? celle des bras, évidente ? Le léger tremblement du journal ?
À son âge, il ne risquait plus que Lord Potter s'en prenne à lui physiquement. On corrigeait les enfants, pas les jeunes adultes - mêmes infirmes.
-Bonjour père, essaya-t-il.
Sa voix : maîtrisée son dos : aussi droit que possible. Il ne pourrait jamais convaincre James qu'il avait la moindre valeur. Mais il pouvait essayer de limiter les dégâts. Son père ne lui répondit pas. Il ne lui jeta même pas un regard. Cette attitude le blessait plus qu'une insulte. Au moins, il existait dans l'insulte. Là, il était transparent - inexistant - un meuble inutile dont on s'est déjà lassé.
Mais il y avait une certaine forme de paix dans l'indifférence. Même si Harry connaissait les insultes de son père par cœur, même si ça faisait longtemps qu'il n'avait pas réussi à innover, l'ignorer était une façon encore plus évidente de marquer son mépris.
Harry s'avança lentement vers l'une des chaises. L'un des domestiques, jusqu'à présent le dos collé contre l'un des murs de la pièce, s'avança à grand pas pour la reculer. Être un noble avait quand même ses avantages : il n'aurait sans doute jamais survécu aussi longtemps dans d'autres circonstances. Il serait mort de faim, faute de pouvoir travailler. (Mais peut-être que s'il était né sous d'autres hospices… alors peut-être que l'accident ne serait jamais arrivé).
Le domestique poussa la chaise derrière lui et, reconnaissant, Harry s'assit. Comme à chaque fois, une douleur lancinante remonta le long de sa jambe. Dans sa hâte de s'asseoir, il l'avait légèrement pliée. Il se mordit l'intérieur de la joue Maîtriser sa douleur et la garder au fond de sa poitrine.
Des pas feutrés dans le couloir. Un autre domestique ouvrit la porte. Dans l'embrasure, Lily Potter. Elle était diaphane. Dans une longue robe bleue aux multiples couches. Sa mère était indéniablement une belle femme. Ses longs cheveux roux étaient retenus dans une coiffure à la mode. Ses grands yeux verts explosaient sur ce teint pâle et ses lèvres rouges attiraient le regard.
Elle avait eu beaucoup de succès, à l'époque, et Harry savait que son père n'avait pas été le seul à la courtiser. On disait d'elle qu'elle était « pleine de vie ». Malheureusement pour elle, la cohabitation avec son époux avait petit à petit aspiré tout ce qui, autrefois, animait ses traits. Il y avait la Lily de ses souvenirs d'enfant, toujours prompte à rire, les yeux malicieux, la bouche toujours incurvée dans un sourire - et la Lily qu'il voyait désormais. Abattue, défaite, cocue. Toute joie avait quitté son corps et n'y reviendrait probablement pas. C'était une triste constatation mais Harry ne voyait pas comment elle pourrait se soustraire à ce destin.
À moins que, comme il le craignait parfois, James décide de les assassiner pour tenter sa chance une seconde fois avec une seconde épouse. Il était encore jeune, du haut de ses quarante-six ans, et au vu de sa fortune et de son titre, nul doute que foule de prétendante se pousseraient au portillon. Si seulement elles savaient quel genre d'homme il était réellement, Harry doutait qu'elles soient si enthousiastes à l'idée de partager son toit.
C'était vrai que le mariage de ses parents était supposé être un mariage d'amour. Ce qui ne faisait que rendre la situation plus difficile pour Lily.
-Bonjour mère, tenta-t-il.
Peut-être parviendrait-il à la faire sourire. Mais elle ne leva même pas les yeux sur lui. Glués au parquet, la tête penchée, elle s'avançait sans voir, un peu comme un fantôme. En sachant qu'ils étaient supposés hanter ce genre de demeure, c'était étonnamment à propos.
-Bonjour Harry, répondit-elle en s'asseyant en face de lui.
Le domestique qui l'avait suivie rejoint sa place près du mur.
Un silence s'installa. Ils ne commenceraient pas à manger tant que James Potter ne les avait pas rejoints à table. Et il prenait sciemment son temps, se repaissant probablement de son pouvoir sur eux. Cela convenait parfaitement à Harry, contrairement à ce que croyait son père. Rester immobile, assis, c'était une sinécure. Il avait l'habitude d'être seul avec ses pensées. Habitué à devoir se divertir par la seule force de son esprit. Quant à sa mère, elle aussi semblait rompue à l'exercice. Les minutes s'étirèrent sans qu'aucun des occupants de la pièce ne bouge.
Les domestiques étaient obligés de se tenir immobile, eux-aussi. Harry se demanda s'ils haïssaient son père autant que lui. Après tout, n'importe quelle personne ayant une touche de compassion ne laisserait pas ses employés dans une telle position et pendant des heures simplement pour assouvir un égo démesuré. Car c'était bien ça, Harry avait eu l'outrecuidance de les faire attendre en ne se réveillant pas - ah, il allait voir ce que ça faisait ! Et lui aussi devrait attendre comme un sot !
Finalement, Lord Potter ferma son journal d'un geste sec. Il se releva. C'était l'annonce non-verbale qu'attendait leur majordome pour faire signe aux valets de pied d'apporter leur déjeuner. Il s'assit en bout de table, sans un mot.
-Des nouvelles intéressantes ? demanda Harry en faisant un geste vague en direction du journal, abandonné sur le fauteuil.
On ne lui répondit pas. Pourquoi essayait-il encore ? était-il donc pathétique à ce point pour chercher encore et encore l'attention de son père qui pourtant le-
-Nous avons de la visite, ce soir, déclara-t-il à Lily, ignorant la demande de son fils.
Son expression ne changea pas. En fait, c'était un peu comme si elle ne l'entendait pas elle n'était plus réellement avec eux, elle et l'air hanté de son visage se trouvaient déjà au-delà de leur monde.
-J'espère que tu seras présentable, ajouta sèchement James.
Cette remarque n'était pas réellement destinée à Lily. Parce que la seule personne qui n'était pas toujours présentable, dans la pièce, c'était évidemment Harry. Il savait probablement depuis longtemps que cette réception aurait lieu, pourquoi n'en avait-il pas informé Hermione afin qu'elle en profite pour lui descendre des habits ? Enfin, elle pouvait toujours le faire maintenant.
Peut-être qu'Harry arriverait à la convaincre à faire abstraction au protocole et à l'habiller dans l'une des chambres d'amis. Mais cela serait contraire aux ordres de James Potter. Et aucun des domestiques n'osait enfreindre ses ordres, qui avait le poids d'une parole sacrée. En plus, certains des domestiques lui étaient d'une fidélité absolue. C'était, à l'échelle d'une maison, des espions. Hermione risquait sa place et son avenir. Personne n'engageait une femme de chambre qui avait une mauvaise recommandation. Et tout se savait, dans leur milieu.
Elle n'accepterait probablement pas de l'aider.
Lily n'avait réagi à aucune de ces informations. Harry se sentait curieux, évidemment, de savoir qui les rejoindraient pour le repas. Au fond de lui, il espérait que ce serait la famille Weasley. Ils habitaient relativement loin mais la saison à Londres était sur le point de commencer. Peut-être s'arrêteraient-ils en route pour les voir ? Ce n'était probablement pas le cas. James avait remarqué que Ronald et lui s'entendaient bien - il avait aussi vu que la petite dernière de la famille, Ginevra, appréciait Harry. Et ainsi ils n'étaient plus les bienvenus dans le manoir.
Si la famille Weasley avait été plus riche… Ah, il aurait sûrement encouragé cette relation. Mais si les Weasley faisaient indubitablement partie de leur monde, s'ils étaient l'une de ces vieilles familles aristocratiques, leurs fonds rapetissaient chaque année. Ce n'était un secret pour personne qu'ils avaient dû vendre l'antique maison familiale pour se contenter d'un domaine plus modeste. Hors de question, donc, d'allier leurs deux familles.
Harry hésita à demander directement à son père quels seraient les invités. Mais il se ravisa. Il n'obtiendrait aucune réponse : de toute manière, si son père pouvait faire en sorte qu'il n'apparaisse pas pour la soirée, il le ferait sans la moindre hésitation. Avoir son fils infirme à la table, c'était une insulte pour lui et ses invités.
Harry avala un morceau de son toast. Son estomac était noué. Vivre avec ses parents était une torture. Mais devoir en plus se présenter devant des invités, essayer de garder un minimum de dignité alors que son père faisait tout pour montrer au monde à quel point il était infortuné d'avoir écopé d'un descendant pareil - c'était pire. Infiniment pire que de se taire et subir l'indifférence teintée de haine auquel il faisait face tous les jours.
Avec humeur, Lord Potter lança sa serviette sur son assiette, signifiant qu'il avait terminé. Il se releva sans un regard ni pour sa femme ni pour son fils et quitta la pièce. Pour aller où ? faire quoi ? Impossible à déterminer. Même si la journée d'un aristocrate était oisive, il avait quand même un domaine à gérer. Le village qui se trouvait à quelques kilomètres dépendait entièrement d'eux.
À son âge, Harry aurait dû connaître les rouages de cet emploi. Mais Lord Potter avait à ce point tiré une croix sur lui qu'il ne lui avait jamais expliqué comment faire les comptes, comment distribuer l'argent, et à qui déléguer certaines tâches. À bien des égards, Harry était traité comme s'il n'avait jamais dépassé l'âge de son accident.
Harry prit son temps pour finir son petit déjeuner. Il ne mangeait pas beaucoup - son manque d'activité n'était pas propice à la faim. En face de lui, toujours perdue dans ses pensées même s'il n'était pas sûr qu'il y en eût réellement, Lily faisait comme lui. Il y avait un pauvre bout de toast dans son assiette, elle n'en avait pris qu'une bouchée. Elle maigrissait à vue d'œil. Cela peinait énormément Harry, évidemment. Il n'était pas proche de ses parents (ce qui aurait été beaucoup trop bourgeois pour sa famille) mais quand même. Il leur avait toujours voué une admiration sans limite. Celle pour son père s'était transformée en rancune, celle pour sa mère en peine.
-Qu'allez-vous faire aujourd'hui ? lui demanda-t-il.
Les activités d'une femme mariée n'étaient pas nombreuses, et ce d'autant plus lorsque la femme mariée en question était parquée dans le manoir de son mari, coupée de tout. Mais si Lily se décidait à lire, alors ils pourraient sans doute passer une partie de la journée ensemble.
Elle leva lentement ses yeux vers lui. La même couleur que les siens – et la même lueur triste.
-Je ne sais pas encore.
Même sa voix n'était plus qu'un murmure spectral. Il se souvenait de ses rires, de son ton enjoué, de ses discours animés. Lily Potter était une femme brillante, nul doute qu'elle aurait eu un avenir bien différent si elle était née homme. Harry savait que personne ne pouvait rivaliser avec elle aux échecs, pas même Ronald, et que son père, autrefois, lui demandait parfois de vérifier les comptes du domaine. C'était - d'après ce qu'Harry en avait déduit - le rôle du Lord mais puisque Lily était si douée avec les mathématiques, il lui avait volontiers confié cette tâche.
Bien sûr, c'était avant que leur mariage ne s'effile douloureusement. Peut-être le lien était-il même définitivement rompu, Harry n'était pas sûr que son père visite encore la chambre de sa mère.
Elle ne lui retourna pas la question. Harry aurait aimé que sa présence et son amitié ait assez de valeur pour la faire sortir de cette dépression. Mais il était cruellement évident que son fils n'était pas suffisant.
Harry inspira, prit appui sur la table et se redressa maladroitement. Lui savait ce qu'il ferait de sa journée. La bibliothèque familiale était gigantesque et il y avait un coin, dissimulé par un paravent, le souvenir d'un aïeul qui s'était rendu en orient, où il aimait s'asseoir. On ne le dérangeait jamais, lorsqu'il était là, et il pouvait lire tout ce qui lui tombait sous la main sans être dérangé. C'était à cet endroit, et à cet endroit uniquement, qu'il pouvait prétendre être quelqu'un d'autre. Un Harry dont les deux jambes seraient valides, un Harry aventurier, pirate - pourquoi pas. Un héros qui avait sur ses épaules la destinée de tout un peuple.
C'était idiot, bien sûr, mais - mais c'étaient les seuls moments - lorsqu'il oubliait sa vie, qu'il pouvait réellement être... heureux. Une illusion de bonheur qui se brisait dès qu'il levait les yeux des pages, bien sûr. Mais il avait au moins le luxe d'avoir accès à un nombre quasiment illimité de roman.
Ce n'était pas le cas de tous les infirmes d'Angleterre.
Acte 2, scène 2
Le trajet jusqu'à la bibliothèque fut pénible. Les domestiques avaient un air affairé. Ils portaient des fleurs, des boîtes. Les femmes de chambres transportaient du linge. Harry vit même deux valets de pieds déplacer un tapis. Son espoir que la visite du soir soit celle de la famille Weasley s'évapora aussitôt. Certes, ses parents leurs faisaient les honneurs correspondant à leur rang, mais ils ne préparaient pas ainsi la maison. Non, clairement, c'était une réception des grands jours. Harry remercia son sens de l'observation. Sans ça, il aurait pu se rendre au repas dans une tenue de soirée inadaptée. Après tout, elles aussi étaient savamment échelonnée selon la formalité.
Harry vit le majordome se presser dans les couloirs, un calepin à la main. Son visage était rubicond. Il soufflait fort - il devait parcourir la maison en long et en large. Il ne lui adressa pas un regard. Sa fidélité, après tout, était entièrement vouée à son père. Parfois, Harry espérait devenir le Lord en bonne et due forme - il pourrait ainsi le remercier. C'était une pensée cruelle, séparer cet homme de cette maison serait la pire humiliation qu'on pourrait lui infliger. Peut-être serait-ce même une condamnation à mort. On ne renvoyait pas (sauf cas exceptionnel) les majordomes.
C'était épuisant, de voir cette fourmilière s'activer de la sorte. Harry préférait les jours ordinaires, où il était presque impossible de deviner que des dizaines de domestiques travaillaient dans l'ombre. Et il était effectivement très facile de les oublier. Cela faisait partie intégrante de leur travail, après tout. Aussi invisible qu'indispensables.
Il traversa la bibliothèque. Elle était chaleureuse, comme le reste du château. Car le domaine des Potter était indéniablement chaleureux. Les couleurs familiales étaient, après tout, le rouge et l'or. Le blason, un cerf dressé sur ses pattes arrière.
Il y avait pire, comme blason. Plus menaçant ou plus inintéressant. Il n'y avait pas de quoi avoir honte du leur. Et pourtant, Harry se surprenait à détester ces animaux de plus en plus. Il n'avait rien contre les biches mais les cerfs éveillaient en lui une crainte mêlée d'amertume qu'il savait peu rationnelle. Il s'assit à son coin favori. Le livre qu'il était en train de lire (et qui n'était pas le même que celui qu'il avait laissé dans sa chambre) était un livre historique. C'était dommage que ses parents aient renoncé à l'envoyer dans une université traditionnelle. Harry était à peu près sûr qu'il y aurait brillé. Il s'ennuyait tellement que les sciences, la littérature, l'histoire et la géographie étaient sincèrement devenus des sujets attrayants. En voyant à quel point Ronald se plaignait de ces mêmes sujets -
Oui, peut-être Harry aurait-il pu devenir un érudit respecté. Encore une occasion ratée, supposait-il. Il s'assit difficilement, ouvrit son livre et - plutôt que de se plonger dedans, observa la fenêtre qui était juste en face de lui. Son petit bureau était collé contre celle-ci. Lorsqu'il faisait beau, ce qui n'était manifestement pas le cas au vu des gouttelettes qui s'écrasaient contre la vitre, il aimait l'ouvrir. Souvent, c'était le seul aperçu qu'il avait du "dehors".
Le paysage était charmant, bucolique. Il ne pouvait pas le distinguer à cause de l'angle mais au pied des fenêtre se trouvaient les jardins du domaine. Sa mère aimait particulièrement les fleurs, comme son prénom semblait l'y avoir prédisposée. Mais Harry n'aimait pas l'ordre stratégique et réfléchi des buissons et des rosiers. Non, il se sentait infiniment plus attiré par le paysage qu'il voyait sans effort, dès lors qu'il relevait légèrement la tête.
Des vagues et des vagues de collines vertes - particulièrement au printemps. En automne, elles perdaient cette fraîcheur pour devenir usée. Il y avait quelques fermes, quelques moutons qui paissaient tranquillement sur ces collines. Ce n'était que de petits points blancs, depuis là où il se tenait. Mais c'était si- c'était si apaisant, si tranquille ; il pouvait se perdre dans cette verdure, dans cette illusion de simplicité.
Bien sûr, voir des fermes et des bergers de loin, ça évoquait en lui la littérature qu'il lisait, la simplicité, le côté bucolique d'une vie simple où il n'était pas question d'argent, de succession, de titres et d'héritage. Mais ce n'était qu'illusion. Dieu savait quelles étaient les préoccupations de ces bergers et des habitants de ces fermes.
Il détourna les yeux. La pluie donnait un côté mystique au paysage. Une brume épaisse coulait paresseusement sur les collines. Si Harry avait été plus jeune et plus facilement impressionnable, il aurait éprouvé de la crainte pour les Hommes obligés sillonner le pays dans cette atmosphère. Cela semblait être le moment privilégié des esprits et des fées. Celui où ils pourraient enlever les humains trop téméraires. Harry méprisait ces pensées. Les farfadets, les lutins, ce n'était que des histoires de bonnes femmes. Des histoires pour les enfants. Il y avait bien d'autres choses plus intéressantes dans le livre qu'il tenait entre ses mains que dans les travers de son imagination.
Le début d'après-midi passa vite, absorbé comme il l'était dans son livre. Les minutes rythmées par le froissement des pages. Ce n'était pas un livre foncièrement intéressant, en fait. il avait certes un petit quelque chose d'intriguant, des idées nouvelles concernant les guerres avec l'empereur français mais rien qui ne l'impressionnât outre mesure. Mais il faisait passer le temps, et Harry considérait que c'était une qualité suffisante.
Le soleil était invisible derrière l'épaisse couche de nuage mais la luminosité changea. L'après-midi entama paresseusement sa part puis les ombres commencèrent leur assaut contre les collines. Bientôt, les premières étaient noires.
Le bruit de pas des domestiques se faisait plus insistant. Il s'agissait sans doute de faire les derniers préparatifs en vue de la réception. Instinctivement, Harry comprit qu'il était temps. Il fallait qu'il aille se changer. Pour quelqu'un de valide, ou du moins quelqu'un dont on n'avait pas placé la chambre dans une tour, cela ne prendrait pas plus d'une demi-heure. Le temps de discuter avec son valet, de s'assurer d'être présentable avant de redescendre. Mais pour Harry, ah, il devait fatalement viser large, et prendre en compte la possibilité que - que cela lui prenne en tout cas deux heures.
Découragé, il aurait cent fois préféré rester dans sa chambre pendant la réception, prétendre ne pas exister, laisser son père briller en société … tout plutôt que l'humiliation qu'il savait imminente- mais il se leva. Difficilement, il s'avança vers la sonnette qui était au fond de la bibliothèque. Il aurait évidemment besoin de l'assistance d'Hermione. La montée lui serait si pénible qu'il n'arriverait pas à enfiler ses habits tout seul. C'était réellement le comble de l'ignominie.
Evidemment, ce ne fut pas Hermione qui se présenta à lui mais un jeune homme (Colin ? Calvin ?) qui était valet de pied depuis peu. Assez petit, Harry avait remarqué qu'il semblait particulièrement enthousiaste.
-Vous avez appelé, Monseigneur ?
Harry hocha distraitement de la tête. Toute sa concentration était mobilisée pour lui donner un air digne plutôt que souffrant. Qu'Hermione connaisse l'étendue de sa souffrance il pouvait le tolérer - que de vulgaires valets en soient aussi conscients -
Enfin, ils devaient probablement discuter entre eux, tous les domestiques étaient probablement au courant de sa peine et de sa souffrance. Cette pensée était très loin d'être joyeuse, très loin d'être réconfortante. Il était une blague dans sa propre maison, que ce soit aux étages supérieurs comme aux étages inférieurs.
-Pourriez-vous prévenir Hermione que je vais me changer ?
Le jeune homme hocha vivement de la tête et s'éloigna à grand pas. Comme Harry enviait ces enjambées. La liberté de pouvoir se rendre sans réfléchir d'un endroit à un autre. Il lui apparût qu'il aurait volontairement changé sa place, si c'était pour pouvoir faire ce qu'il voulait, se rendre où il le désirait sans aide. Il aurait volontiers échangé sa place, sa fortune, sa classe sociale avec le domestique, si cela lui eut été possible.
Bien sûr, ça ne l'était pas. Le voilà qui se remettait à penser à une vie qui n'était pas la sienne et ne le serait jamais. Il ne pouvait changer ni sa cheville ni son genou. Espérer que cela fut différent tous les quarts d'heure n'améliorerait pas sa situation, bien au contraire. Et pourtant, même en se sermonnant de ne pas pouvoir penser à autre chose, Harry savait pertinemment que ces pensées fugaces l'assailliraient à nouveau.
En voyant ses invités, sans doute. En voyant leur aisance, la fierté qu'ils tiraient de leur rang. Qu'ils soient jeunes ou vieux - ils auraient tous la satisfaction de savoir qu'ils avaient réellement eu de la chance et qu'il serait criminel de ne pas en profiter.
Harry se mit en route. Hermione le rattraperait sans doute avant qu'il ne parvienne au pied des escaliers. Elle était vive, après tout.
Il ne s'était pas trompé Hermione le rejoignit alors qu'il entamait le dernier couloir. Par égard pour lui, pour préserver le peu de dignité qu'il lui restait, elle se contenta de rester derrière lui. Puis, une fois qu'ils furent les deux devant les marches, elle lui proposa son bras. Harry se fit la réflexion que c'était au final peut être moins humiliant d'être aidé par une femme plutôt que par un homme. Il restait homme, face à quelqu'un du sexe faible. Face à un homme… C'était lui qui serait devenu … plus faible que nature. Une aberration. Et Harry l'était déjà bien assez.
Des gouttes de transpirations maculaient son corps lorsqu'ils arrivèrent dans sa chambre. Il retenait ses larmes avec peine. Son cœur se réverbérait dans son genou - avec la force d'une massue. Son premier réflexe aurait été de tenir ce membre fourbu mais - mais c'était complètement stupide - il ne se ferait que plus mal. Il s'assit sur le fauteuil qui faisait face à son lit. Hermione se plaça contre le mur, le visage baissé. Harry se disait parfois qu'elle ne devait pas être bien brillante - mais elle savait au moins parfaitement lire les situations. Il avait besoin de quelques minutes. Quelques minutes pour se ressaisir, pour que le rythme de son sang soit moins assourdissant dans ses membres brisés.
Lorsqu'il se sentit prêt à affronter la vague de douleur suivante, il fit un geste de la main. Hermione s'approcha aussitôt.
-Est-ce que par hasard tu sais qui nous recevons ce soir ?
Elle fronça des sourcils :
-Votre père ne vous en a pas informé, monseigneur ? Il s'agit de la famille Malfoy et de leurs cousins.
Harry retint péniblement un gémissement. La famille Malfoy. De toute les familles les plus riches et les plus méprisantes, elle était sans aucun doute la représentation la plus fidèle. Ils étaient affreusement fiers, affreusement imbus de leur fortune et Harry - qui heureusement ne les connaissait pas très bien - se souvenait parfaitement du regard de l'hériter quand ils s'étaient rencontrés. Cela faisait quelques années, maintenant. Drago Malfoy - c'était son nom, le vrai nom d'un aristocrate pompeux, l'avait regardé avec un mélange de mépris et de pitié. Harry ne s'était que rarement senti si insulté.
Et pourquoi, que pouvait-il faire ? l'insulter ? le provoquer en duel ? Ah, quelle excellente blague. Jamais Drago Malfoy ne daignerait risquer son honneur en se battant avec un infirme. Non il se contentait de le regarder avec dégoût, surement parce qu'Harry était un rappel à chacun d'entre eux qu'ils n'étaient pas au-dessus de tout. Que les accidents, aussi improbables et horribles soient-ils, n'étaient pas que le lot des pauvres.
Il était leur Memento Mori.
En tout cas, cela expliquait pourquoi son père tenait absolument à ce que leur domaine soit présenté sous son meilleur jour. Bien sûr. Il voulait montrer aux Malfoy que la famille Potter n'était pas en reste. Et il devait secrètement jubiler - même si Lord Malfoy et lui n'étaient pas réellement des amis plutôt que des adversaires - que cette illustre famille daigne leur rendre visite. C'était un honneur rare - et on s'attendrait d'Harry qu'il soit digne et présentable.
-Il me faut mon frac, Hermione, déclara-t-il dans un soupir.
Les tenues de soirées étaient évidemment peu confortables mais il n'avait réellement pas le choix. Hermione s'affairait derrière lui. Il pouvait l'imaginer, les bras dans la gigantesque armoire qui prenait tout un mur. Il n'avait évidemment pas souvent l'occasion de sortir ses vêtements de soirée. Sans doute que cela aurait été différent s'il les séjours à Londres étaient plus courant. Quelques minutes plus tard, après des expirations très marquées - preuve qu'Hermione devait pratiquement grimper à l'armoire pour atteindre certains de ses habits, elle lui présenta sa tenue.
C'était sobre, tout en noir si ce n'était pour la chemise, bien sûr, et le nœud papillon blanc. Une tenue de soirée appropriée à la famille Malfoy. Harry hocha brièvement de la tête, prêt à revivre l'humiliation pour la seconde fois de la journée. Il retira sa veste, la chemise qu'il portait en dessous. Il ne lui restait plus que son sous-vêtement. Qu'une femme le voie ainsi - alors qu'elle n'était ni une amante ni une proche parente… C'était réellement - atteindre le fond d'un gouffre dont Harry ne connaissait sincèrement pas le fond. Mais bon, que pouvait-il y faire ? Comment était-il supposé s'habiller seul quand il ne pouvait pas se tenir debout sans aide ? Qui plus est, s'habiller seul pour quelqu'un de son monde, c'était faire preuve d'une décadence que son père ne lui autoriserait jamais. L'héritier Potter s'habiller seul ? hors de question.
Il laissa Hermione lui tendre la chemise. Difficilement, il plaça son bras dans la première manche puis la deuxième. Il boutonna les boutons précipitamment, impatient de mettre fin à ce calvaire. Le pire restait à venir, évidemment : son pire ennemi, le pantalon Mais bon. Sa chemise passée, il répéta la même manœuvre pour mettre la veste. Puisqu'il était assis, il risquait de froisser le bas en queue de pie de la chemise. Mais c'était inévitable. De toute manière, ce n'était pas comme s'il allait se tenir debout. Personne ne remarquerait - vraisemblablement – que ce qu'il portait était imparfait. Personne ne ferait suffisamment attention à lui non plus, en fait.
Hermione attacha ensuite son nœud papillon. A gestes rapides, adroits, elle le rendit présentable. Il ne restait que son pire ennemi. Il glissa le bouton hors de son trou. Se déshabiller devant une domestique - il grimaça. C'était une affaire quotidienne qui ne finissait pourtant pas de le traumatiser. Comment survivre à ça, comment tolérer une telle ignominie ? Il s'appuya sur ses bras - qui reposaient sur les accoudoirs de son fauteuil - et se redressa. Hermione fit glisser son pantalon. Il avait l'impression d'être un enfant. Et c'était sans doute comme ça qu'elle le considérait. Comme un être asexué - qui a besoin d'aide pour une tâche simple, une tâche pour laquelle on ne devrait pas demander de l'aide.
Ses cuisses étaient exposées. Elles étaient maigres - son manque d'activité était cruellement visible dans ses jambes. Il avait tant l'habitude d'utiliser ses bras pour s'aider que ceux-ci avaient au moins un contour respectable. Peut-être même auraient-ils été moins musclés s'il avait été valide. Mais ses jambes - ces bouts de bois chétifs et malingres. Elles le dégoutaient. Il détourna le regard. Essaya de se soustraire mentalement à cette torture. C'en était une.
Une douleur physique aurait été préférable à cette humiliation. Les membres avaient au moins l'espoir de guérir… Sauf sa jambe, bien sûr. Mais son cœur, son esprit - ils étaient marqués à jamais par les touches de disgrâce quotidiennes. Même si, par un miracle, il récupérait la jambe qu'il aurait dû avoir, il ne pourrait jamais totalement se défaire des tentacules de honte qui enserraient son cœur. Il ne se penserait probablement jamais comme quelqu'un de légitime. Même s'il redevenait soudainement digne dans les faits, surmonterait-il ces années d'esseulement ? De l'empreinte que sa honte de chaque instant laissait sur son esprit et son âme ?
Non. Il était condamné, et ce même si la médecine faisait soudainement des progrès prodigieux.
Il se souleva avec ses avants bras. Hermione, qui s'était placée derrière lui, releva son pantalon. Il s'empressa de le boutonner, honteux. Et le pire, c'était qu'il ne pouvait même pas la congédier, il devait maintenant entreprendre de descendre les escaliers. Il retournerait dans la bibliothèque avant que le majordome ne lui fasse signe de venir. Normalement, il était coutume d'attendre les invités devant la maison. Tous domestiques sortis (enfin, les femmes de chambre, les valets de pied et le majordome) afin de faire honneur à ceux que l'on recevait en plus de se faire honneur à soi en présentant sa richesse.
Mais Harry supposait que son père ferait une syncope s'il lui venait l'idée de se présenter ainsi, en tant qu'héritier, devant la famille Malfoy. Quel déshonneur cela serait pour sa famille… Ils ne lui pardonneraient jamais un tel écart. Enfin, sa mère n'en avait probablement rien à faire. Mais Lord Potter ne s'en remettrait pas. Et plus humiliant encore, leur majordome seraient outrés qu'il vienne ainsi entacher le portrait familial.
Il se releva et laissa Hermione le guider auprès des escaliers. Ce n'était qu'une journée atroce dans une suite de journée atroce. Harry y survivrait assurément.
Acte 2, scène 3
Harry n'eut pas besoin qu'on le prévienne pour apprendre que les invités étaient arrivés. Pendant une dizaine de minute, ce fut un branle-bas de combat dans toute la maison. Qui plus est, le carrosse des Malfoy était visible sur l'une des collines. Leur arrivée était imminente.
Et, bien sûr, comme il est coutume, rien n'était tout à fait prêt. Des pieds affairés avaient parcouru les couloirs qui entouraient la bibliothèque. Des bottines de femmes, des chaussures d'homme. C'était bien le seul avantage de sa situation, maintenant qu'il était en tenue de soirée, Harry pouvait simplement attendre. Personne n'attendait de lui qu'il participe d'une façon ou d'une autre à cette réception. Si ce n'était prendre le repas avec eux, les saluer et disparaître à la seconde où les femmes iraient dans le petit salon et que les hommes se retrouveraient pour fumer le cigare dans le grand.
Il n'était jamais convié à ces "après-repas": Qu'y aurait-il fait de toute façon ? il imaginait très bien de quoi il était question : de femmes, des affaires, des situations des autres familles - que des sujets à propos desquels il n'avait strictement - strictement rien à dire.
Pour être juste, Harry n'avaient rien à dire tout court. Si ce n'était sur celui de la douleur - où il était tout simplement devenu expert. Mais, mais tout ce qui faisait partie de la vie - cela lui était refusé. Il ne vivait pas, en fait. Il était… juste là.
Les pas se turent finalement. Ils devaient être arrivés. Harry soupira, il fallait qu'il se prépare à ce qui allait suivre. Se faire ignorer, ce n'était pas le pire. Il avait l'habitude, essaya-t-il de se convaincre. Ça ne changeait rien, ça ne sortait pas de l'ordinaire.
Et pourtant, si, puisqu'il y avait des invités - et des invités de marque qui plus est. Il se surprit à imaginer s'évader - partir, trouver une calèche, et ne plus jamais revenir. Eviter le regard moqueur et glacial de Drago. Le haussement de sourcil et le même-pas-regard de Lucius Malfoy. Seule Narcissa le considérait. Peut-être éprouvait-elle une pitié maternelle en voyant cet ersatz d'homme.
Ses yeux cherchaient - contre sa volonté- le cadran de l'horloge. Il priait les aiguilles de s'arrêter, d'interrompre leur marche inéluctable. Ce qui n'avait strictement aucun sens, bien sûr. Personne ne pouvait dompter le temps - tout le monde était condamné à le subir.
Cinq heures sonnèrent. Harry supposait que les invités avaient investis leurs chambres, qu'ils se reposaient avant le fameux repas. Peut-être faisaient-ils un tour du propriétaire accompagné par son père ? Les jardins étaient agréables, en automne. Les fleurs qui subsistaient encore étaient presque fanées. Oniriques. Rien à voir avec l'ostentation de l'été. Les villages qui étaient sous leur tutelle étaient aussi charmants. Les rues, pavées, faisaient agréablement raisonner les sabots des chevaux. Enfin, dans les lointains souvenirs d'Harry. Cela faisait longtemps qu'il n'avait ni entendu les sabots d'un cheval, ni passé du temps dans ces petits villages.
Il y avait un pub, dans le plus grand, et peut-être s'étaient-ils arrêtés pour honorer le patron Avoir le Lord et ses égaux prendre une collation dans son établissement, c'était rare et mémorable. Lord Potter voudrait montrer par là qu'il était proche de ses gens, que ceux-ci l'appréciaient et - en résumé, qu'il était un "souverain" magnanime.
Ce n'était évidemment pas lui qui faisait les lois ni qui jugeait les gens résidant sur ses terres - mais, mais il était toujours plus avantageux de se faire bien voir par le Lord du coin que de s'en faire un ennemi. Plusieurs hommes en avaient fait l'expérience.
Ou alors avaient-ils décidé d'entamer une partie improvisée de chasse ? Ce n'était pas impossible. Lord Potter avait tous les droits sur ses forêts.
Le temps, donc, avançait lentement. Trop pour Harry qui sentait son anxiété grandir au point où, lorsqu'Hermione vint discrètement le chercher, il avait l'impression que ses organes, ses muscles, ses os, tout avait été remplacé par la sensation désagréable que cette soirée finirait de broyer son âme.
Péniblement, en essayant de garder un air digne et tranquille, il sortit de la bibliothèque où il s'était à nouveau réfugié. Ses ancêtres, le long des murs, lui lançaient des regards désapprobateurs. Harry les ignora - bien assez de désapprobation l'attendait dans la salle à manger. Son allure lente le rendait ridicule, il le savait. Il transpirait d'angoisse, sa canne était humide et manquait de lui glisser entre les mains.
Ce serait vite terminé. Dans quelques heures - au maximum, il serait congédié. Viendrait l'ascension des escaliers et, ensuite, il serait enfin tranquille. La porte de la salle à manger était ouverte. Il entendait le bruit des voix. Les voix traînantes des Malfoy pères et fils étaient particulièrement reconnaissables.
La voix railleuse de son père. L'ironie, la moquerie étaient ses armes les plus aiguisées et nul doute que les Malfoy étaient des adversaires dignes de lui. Il y avait d'autres voix. Elles n'étaient pas féminines. Les épouses étaient supposées se taire en présence d'une si auguste compagnie. Il arriva sur le pas de la porte.
La tête baissée, marmonnant un "bonsoir" auquel son père répondit par un rire méprisant, il s'avança dans la pièce. Concentré sur ses jambes, il ne se sentait pas encore le courage d'affronter les regards de pitié ou de mépris frontalement. Ce n'était probablement pas une bonne stratégie. ça lui donnait l'air impuissant. Cela leur montrait à tous qu'il savait parfaitement qu'il n'avait pas sa place auprès d'eux. Qu'il était une tâche, une tare qu'on devait accepter mais que l'on ferait bien d'oublier. Ou de prétendre dignement qu'elle n'existe pas. Il s'assit à sa place, posa sa canne le long de sa chaise, par terre. Il avait fait une fois l'erreur de la glisser au milieu des quatre pieds.
Cela avait manqué de faire tomber Ginevra, assise à côté de lui, lorsqu'elle avait essayé de se relever. Heureusement, elle en avait ri. Mais si un regard avait pu annihiler son existence, celui de son père aurait admirablement réussi. Il ne ferait pas l'erreur deux fois, et encore moins face à la famille Malfoy.
Son assiette était en argent. Parfaitement polie, elle faisait presque office de miroir. Un miroir un peu déformant qui le rendait encore plus laid qu'il ne l'était déjà. Qui donnait un tour à son visage qui s'accordait bien avec sa jambe. Peut-être serait-elle droite, s'il lui présentait ce miroir ? Cette pensée amusante fut de courte durée. Il devait lever la tête et affronter le regard des invités. Trop de temps s'était déjà écoulé, il devenait plus pathétique de minutes en minutes.
Rassemblant son courage, il leva les yeux. L'acier du regard Malfoy lui répondit. C'était un aristocrate du meilleur cru en plus d'être un Anglais. Il était inébranlable. Aucune émotion ne transpirait de son expression - pas même de l'ironie. Mais Harry n'était pas dupe, évidemment qu'il en ressentait, de l'ironie. Ou de la fierté à avoir un fils comme le sien.
Fils sur lequel il dirigea ensuite son regard. Drago Malfoy. Dans d'autres circonstances, ils auraient pu être rivaux. Se seraient sans doute cordialement détestés. Mais Harry était si infiniment inférieur au jeune homme que la rivalité ne pouvait exister. Elle serait indigne de l'héritier Malfoy. Il hocha légèrement de la tête, mouvement auquel Drago répondit par habitude.
Son regard glissa ensuite plus loin le long de la table. Il y avait trois autres convives. Narcissa Malfoy, bien sûr, toujours aussi belle et fière. Elle était directement assise à côté de lui. Elle aussi lui rendit son regard. Comme à l'accoutumée, il y avait une certaine dose de pitié, de compassion dans le sien. C'était une bonne mère - peut-être un peu trop indulgente mais… aimante. C'était de notoriété publique.
Est-ce qu'elle aussi deviendrait l'ombre d'elle-même si Lucius venait à l'abandonner ? Non, probablement pas. Son sang de la famille Black lui assurait cette valeur intrinsèque. Ce n'était pas le cas de Lily Evans qui, sans son mari, n'était rien.
À côté d'elle, et en face de Drago, Théodore Nott. Le meilleur ami de Drago Malfoy, lui aussi d'une excellente famille. Peut-être même était-il celui qui aurait le titre le plus prestigieux, une fois que son vieux père serait mort. Harry croyait savoir qu'il s'agissait d'un marquis. Cela devrait être une certitude absolue. Ce n'était pas le genre d'informations que l'on ignorait. Et pourtant.
Et, face à son père, en bout de table, un inconnu. Harry se pencha légèrement. Il s'agissait d'un très bel homme. Contrairement aux autres invités qui lui avaient tout de même accordé un minimum d'attention - du moins suffisamment pour croiser son regard une fois assis -, ce dernier fixait son verre ostensiblement. Il semblait en admirer la gravure.
Harry sentit une vague d'antipathie déferler en lui. Certes il savait, il savait, qu'il n'était rien, mais de là à ce que cet inconnu - qui ne pouvait par principe - pas être quelqu'un d'important puisqu'il ne connaissait pas déjà son identité, puisse se comporter de la sorte ? Peut-être était-il un étranger ?
Prétendant admirer la table, Harry risqua un autre regard dans sa direction. Cheveux bruns bouclés dans une coiffure à la mode, pas de moustache qui trahirait une affiliation à l'armée… Oui, peut-être était-il français. Dieu savait que depuis la fin de la guerre le tourisme se développait entre les deux pays.
Dans d'autres circonstances, il n'aurait pas hésité à lui demander de se présenter. Après tout, cela se faisait - et en tant qu'héritier Potter, il n'avait pas à attendre une introduction formelle. Un simple : «Je ne crois pas que nous nous connaissions déjà" aurait forcé l'inconnu à arrêter la contemplation absurde de son verre pour lui révéler son identité.
Mais dans son état, Harry ne pouvait pas prétendre exiger d'un invité des Malfoy qu'il se présente. Il finirait probablement par apprendre son identité au cours de la conversation.
Son père, d'un geste, fit signe au majordome que le repas pouvait commencer. Cela n'allait pas durer plus de deux heures. Harry essayait de se rassurer, priant pour qu'aucun des convives ne décide de lui poser une question. Il n'avait rien d'intéressant à dire, pas assez d'esprit pour partager une anecdote ou ironiser sur sa condition - et parler littérature dans ces circonstances - c'était tout simplement de mauvais goût. De surcroît, il était un homme. Et les hommes, ça n'était pas censé s'intéresser aux romans.
La conversation, interrompue par son arrivée, reprit timidement. Sa présence, apparemment, mettait tous les convives mal à l'aise. Il imaginait, sans le voir, le regard agacé de son père. Les autres devaient avoir le même, il supposait. Pourquoi les rejoindre si c'était pour faire office de meuble ?
-Comment vous acclimatez-vous à votre nouvelle vie, Lord Gaunt ? demanda James dont le ton était tendu - sa voix une corde prête à rompre entre chaque syllabe.
Harry faillit lever les yeux en direction de l'inconnu. Le nom ne lui était pas étranger, au contraire. Il s'agissait d'une famille déchue dont il ne restait rien - alors qu'elle descendait directement de l'une des quatre familles les plus prestigieuses d'Angleterre. Mais les descendants de Salazar Serpentard avaient abâtardi leur sang, disait-on. Et les derniers Gaunt encore vivant se terraient dans le château ancestral, tombé en ruine, dans un obscur coin de l'Angleterre.
Il y avait beaucoup de légendes à leur sujet. Ils étaient tous monstrueux, disait-on. Consanguins à l'extrême. Les reliques de pratiques douteuses dont on n'évoquait plus le nom. Ils avaient poussé l'idéal de pureté sanguine dans les confins du raisonnable. Lily lui racontait leur histoire, quand il était petit. Sûrement dans le but de le consoler à propos de sa jambe (il y avait pire sur terre) tout en lui inculquant une crainte de cette famille (nous t'enverrons là-bas pour les vacances si tu n'es pas sage).
Mais Harry ne savait pas qu'il y avait un héritier. Et de ce qu'il avait aperçu de l'homme, brièvement, son apparence de gentilhomme et son comportement tout aussi digne ne correspondait absolument pas à l'idée qu'il se faisait de la famille.
Le silence se prolongea. Si c'était vrai, si l'homme qui occupait la place d'honneur - à l'autre bout de la table en face de son père - était effectivement "Lord Gaunt", alors il était celui avec le titre le plus prestigieux d'eux tous. Sauf, bien évidemment, qu'un titre sans fortune n'est rien. Son obstination à garder le silence ne faisait qu'accroitre la tension.
Allant contre son instinct qui lui suppliait de rester discret, Harry leva discrètement les yeux. Il observait toujours le verre, l'air terriblement ennuyé. C'était impoli à l'extrême. À un tel point qu'il se sentit presque vexé pour son père, sentiment qui ne l'avait jamais traversé jusqu'alors. Mais il ressentit également un certain triomphe de voir que James Potter ne maîtrisait pas tout, n'avait pas un droit de cité sur tous les êtres qui se trouvaient à l'intérieur de son château.
-Je m'y acclimate très bien, je vous remercie.
La voix était chaude, engageante. Et pourtant Harry y décelait une pointe de sarcasme mordante qui le transperça.
-Bien entendu, le plus difficile, reprit Lord Gaunt : c'est de subir les inanités de ce genre.
Harry faillit recracher l'eau qu'il venait de boire. C'était une insulte. Pas même voilée - directement adressée à son père ainsi, en fait, qu'à tous les convives. Harry n'en revenait pas. Pour la seconde fois, il leva les yeux vers l'autre homme. Qui regardait son père d'un air ostensiblement méprisant.
C'était du jamais vu - qui était cet homme et comment pouvait-il se permettre d'insulter de cette façon les personnes les plus puissantes d'Angleterre ?
Lucius Malfoy fixait son assiette d'un air terriblement gêné. Lui qui était connu pour être intransigeant, méprisant et fier - il laissait un homme de l'âge de son fils l'insulter publiquement comme cela ?
Harry s'attendait à être humilié. Mais il ne s'était absolument pas attendu à ce que ce soit une humiliation collective.
Son père était rouge. Jamais il ne l'avait vu arborer une telle couleur. Une veine était visible sur sa tempe. Harry la connaissait intimement, elle était toujours là lorsque James était particulièrement furieux contre lui. Qui que soit réellement Lord Gaunt, il n'allait pas tarder à essuyer l'une des remarques acerbes de son père. Personne ne l'insultait impunément. Ou en tout cas, c'était quelque chose que son parrain Sirius aimait dire. Sirius. Probablement la seule personne au monde qui s'intéressait un tant soit peu à lui. Il aurait aimé qu'il soit là, d'ailleurs. Nul doute qu'il aurait réussi à faire baisser la tension. Qui mieux que lui pour faire une blague à l'esprit saisissant ?
-Je suis navré si cette soirée n'est pas à votre goût, déclara finalement James.
Harry, qui s'était pourtant juré de ne pas relever la tête pour la totalité du repas ne put s'en empêcher. Son père venait de plier l'échine devant un inconnu. Un homme dont Harry ne savait rien, qui avait probablement une parenté douteuse, et qui se trouvait soudainement non seulement à leur table mais qui, en plus, avait une influence suffisamment grande pour faire taire son père. C'était du jamais vu.
Surpris, et même un peu impressionné, Harry tourna le visage en direction de l'inconnu. La façon dont il avait si complètement humilié son père…il ne pouvait s'empêcher, en fait, de ressentir une certaine admiration. Combien de fois avait-il fantasmé faire de même ?
Lord Gaunt dut se sentir observer. Il leva les yeux sur Harry. Ses yeux noisette croisèrent les siens. Harry eut à peine le temps de penser qu'il était définitivement très beau lorsque-
Lorsque le flot de souvenir l'emporta. Comme une vague, il l'asphyxia quelques instants. Les successions de ses vies, leurs vies, en fait, lui revinrent toutes en mémoire. Ou, comme il le supposait, vinrent pousser les souvenirs qu'il avait jusqu'à présent. En face de lui Lord Gaunt, Tom, arborait aussi un visage atterré. Il ne dura qu'une fraction de seconde, ce visage qui était de toute évidence chamboulé, avant de laisser place à la même indifférence.
Harry, lui, n'était pas si doué pour étouffer ses sentiments. Il sentait encore le poids de l'horcruxe entre ses mains, le corps de Voldemort derrière lui, dans la chambre de cet hôtel miteux. Il sentit son sang remonter le long de son cou et s'arrêter dans son visage. Sa tête lui parût subitement plus lourde, brûlante. Si quelqu'un s'apercevait qu'il rougissait à ce point, ils se demanderaient probablement s'il n'était pas en train de faire un malaise.
Il devait retenir ses instincts, qui lui dictaient tous de se lever et courir - non, il n'en était pas capable dans ce corps - de claudiquer jusqu'à Voldemort pour le serrer contre lui. Il n'avait qu'une seule envie, sentir le torse de l'autre contre sa joue, ses mains dans son dos - depuis combien de temps ne s'étaient-ils pas vus ?
Il releva la tête malgré les injonctions de son cerveau qui le suppliait de rester de marbre. Si son père - son père, quel énorme connard, quelle déception de s'apercevoir que James Potter n'avait strictement rien de bon - réalisait qu'il y avait quelque chose … d'étrange entre Voldemort et lui - le pire arriverait certainement. Harry retint un grognement - mais il croisa une seconde fois le regard de Voldemort.
Les sentiments auxquels il évitait désespérément de penser (il avait été vulnérable, il s'attachait toujours trop rapidement aux gens qui lui témoignaient la moindre affection, ce n'était pas sincère - juste une illusion, un espèce de syndrome de Stockholm provoqué par sa solitude -) l'étouffèrent. Sa main droite se leva, prête à agripper son cœur tant la vue de Voldemort le remplissait de - de joie, de désespoir, d'espoir aussi (l'horcruxe se portait mieux, c'était indéniable), d'envie, d'amour.)
C'était trop - trop douloureux, trop impossible, trop étouffant - il avait non seulement besoin d'air mais aussi besoin d'être seul pour se ressaisir et pour réaliser calmement l'étendue de l'horrible situation dans laquelle ils étaient les deux.
Jamais Harry ne pourrait quitter ce foutu château. Son père ne le laisserait jamais partir pour Londres ou Bath ou peu importe où Voldemort traînait lorsqu'il n'était pas reçu par ses pairs. Et Voldemort ? il ne pourrait pas rester là indéfiniment. Ils étaient condamnés à se croiser - à ne passer qu'un laps de temps futile dans la proximité l'un de l'autre.
Cette perspective, Harry fut navré de le constater, lui arracha le cœur. Il n'avait qu'une envie, se lever, retrouver l'autre homme - probablement se jeter à son cou, il ne prétendait pas vouloir rester digne. Son assiette. Se focaliser sur les choses tangibles qui n'avaient aucun lien avec son cœur. La proximité était une torture - il ne pouvait pas rester impassible - elle avait des motifs sur les bords. Des fleurs entrelacées. Un cerf au centre de celle-ci. Des assiettes de goût. Onéreuses.
Si Harry avait craint ce repas plus que tout parce qu'il craignait d'y être humilié - c'était - c'était mille fois pire maintenant qu'il réalisait qui il était. Au moins, il ne culpabilisait pas d'avoir "remplacé" (si c'était bien ce qui arrivait) le Harry Potter de cette vie. Quelle vie vivait-il, en effet ? Cloîtré entre les murs d'un château dont l'accès lui était difficile - abandonné par ses parents, seul et sans perspective d'avenir ?
Et c'était désormais la vie qu'il devrait lui-même subir. Mais c'était tout simplement hors de question, décida Harry. Il ne se laisserait pas faire. Ne laisserait pas James le torturer de la même manière qu'il l'avait fait jusqu'à présent. Mais comment - comment était-il supposé se rebeller ? Il ne pouvait rien faire - s'enfuir serait impossible, il était si lent que quelqu'un le remarquerait de toute façon. Dire à son père ce qu'il pensait de son éducation et qu'il préférait être officiellement renié et vivre seul plutôt que de continuer à vivre une vie aussi pathétique ? Aussi dénuée de sens ?
Impossible aussi, son père l'emmurerait probablement avant de le laisser s'échapper. Il n'y avait pas de solution, constata-t-il avec résignation. Mais au moins, maintenant, il avait les souvenirs des vies précédentes, et la certitude que celle-ci n'était que temporaire. Si c'était ça, la torture qu'avait envisagée la Mort pour le dissuader de continuer à aider Voldemort, elle manquait cruellement d'imagination.
Et la distance qui ne manquerait pas de s'installer entre Voldemort et lui - elle était bénéfique, au final. C'était de cette proximité malsaine qu'étaient nés ces sentiments aberrants et contre-nature. Loin des yeux, loin du cœur, peut-être qu'Harry réussirait à se ressaisir.
-Je ne voulais pas vous insulter. Cette soirée est tout à fait à mon goût.
Voldemort avait la voix nouée. C'était complètement fou, complètement inédit. Curieux, Harry leva les yeux. Le haut de ses pommettes étaient rouges - ce n'était pas la première fois qu'il voyait ce rougissement étrange. Comme si les veines ne traversaient que certaines parties de son visage. Le reste était blafard, le teint habituel de sa peau.
Harry tressaillit en entendant la phrase. Est-ce que Voldemort faisait explicitement référence à lui ? Non. Il était ridicule. Harry ne niait pas - ne pouvait pas nier qu'il avait manifestement… Une attirance ? envers lui.
Et encore, peut-être que l'homme n'avait fait que tirer avantage de sa présence parce qu'il s'était subitement senti excité et qu'il avait profité qu'il soit là, parce que c'était pratique, et que leur brève étreinte n'avait pas plus de signification que celle-là. Un côté pratique.
Harry était décidément un imbécile s'il pensait que cela pouvait être quoique ce soit d'autre. Il fallait vraiment qu'il se ressaisisse. La seule issue de cette situation ne se profilait que d'une seule manière : lui avec un cœur brisé.
Harry Potter se faire briser le cœur par Voldemort. C'était risible. Un sourire amer lui échappa. Bien entendu, son père - très vraisemblablement vexé de voir que tous ses efforts avaient été en vain, ne manqua pas de le relever.
-Quelque chose te faire rire, Harry ?
Oui, il imaginait sans doute qu'Harry était en train de se moquer de lui. Oh mais Harry n'en avait strictement plus rien à faire, de son père. S'il savait à quel point sa mesquinerie et ses tentatives d'intimidation étaient futiles - il aurait même honte d'essayer de l'humilier publiquement.
Au fond de lui. Harry se fit la réflexion qu'il ne pouvait plus vraiment reprocher à Rogue la haine qu'il vouait à son père. Il était indéniable que James était un être abject. Dire qu'il avait passé sa première vie à l'idéaliser…
-Je suis juste content de voir que je ne suis pas le seul à trouver cette réception terriblement ennuyeuse.
Un silence horrifié épousa sa déclaration. Même Lily leva la tête pour le contempler. Il soutint le regard de son père qui passa successivement de blême à rouge, d'un air choqué à un air furieux. Qu'il soit furieux, pensa Harry, De toutes les choses qui n'arriveraient pas dans cette vie - même s'il était largement puni, il ne laisserait pas (plus) son père le maltraiter. Et encore moins devant Voldemort. L'idée même le mettait mal à l'aise - qu'il ait des souvenirs de son entrée dans la salle - des rumeurs qu'on avait sûrement dû lui conter avant qu'il n'arrive - c'était déjà, c'était déjà trop pour Harry. S'il ne devait lui rester que sa dignité, soit. Il pouvait supporter ça pour le temps que durerait cette vie.
Le pire, c'est qu'il imaginait bien - vu l'impasse dans laquelle il se trouvait - que la mort ferait tout pour les séparer et les laisser en vie le plus longtemps possible. Peut-être serait-ce pour la première fois depuis des années qu'Harry deviendrait âgé.
Il s'imaginait bien en train d'écrire des lettres désespérées à Tom. Il se voyait bien mourir bêtement juste après la mort de son père qui, théoriquement, le libérerait de ses lubies.
-Cela ne te va pas, d'essayer de faire de l'esprit, répondit froidement James qui tentait de contenir (tant bien que mal) sa colère : tu ne fais que te rendre plus ridicule que tu ne l'es déjà.
Harry sentit son sang lui monter au visage. Aucune réplique bien sentie ne vint au secours de sa dignité. Son esprit était vide.
À l'autre bout de la table, Voldemort émit un rire. Il n'avait rien de charmant, ni même de particulièrement humoristique. Harry essayait toujours fébrilement de trouver une façon de reprendre le dessus, de ne pas subir ce cauchemar -
-J'ai entendu bien des choses sur votre comportement Lord Potter, je m'attendais à ce que vous soyez un triste personnage mais - mais les gens ne vous font pas crédit - vous êtes pathétique.
Quel scandale, pensa Harry alors que son père se levait d'un geste brusque. Voldemort allait à l'encontre de toutes les règles de la courtoisie. Lucius Malfoy le contemplait avec horreur - Narcissa faisait de même. Seul Drago semblait trouver la situation amusante. Il y avait de quoi, ce n'était pas tous les jours qu'on Lord se faisait insulter à sa propre table et de cette manière.
-Je ne vous permets pas -
-Et comment pouvez-vous penser que votre autorisation - ou manque d'autorisation en l'occurrence, à la moindre influence sur ma vie ?
Harry n'en revenait pas. Bon, une chose était sûre, Voldemort ne serait plus jamais le bienvenu dans le château des Potter avant la mort de James. Tout ça pour le défendre. Parce qu'Harry n'était pas dupe, c'était bien ce que l'autre faisait. Dans un sens - dans un sens ça le touchait ; mais c'était tellement peu stratégique –
À moins, bien sûr, que Voldemort ne saisisse l'occasion pour passer une vie libre de lui.
C'était possible. Ça faisait quand même deux vies qu'Harry ne faisait que le coller. Il comprenait que cela puisse devenir pénible, à la longue. Surtout si Voldemort avait réussi à se munir d'une telle position. Lord Gaunt. Il ne croyait pas qu'il l'avait fait dans leur première vie, se dévoiler explicitement comme l'héritier de Serpentard. Si ça avait été un de ses regrets, celui-ci n'avait plus lieu d'être. Ils ne pouvaient pas être plus différents -
Le brillant héritier d'une famille prestigieuse (même si tombée en ruine) et le pathétique héritier d'une famille respectée et respectable mais dont la vie même n'était que le sujet des plaisanteries.
Son père était toujours debout, plus furieux encore. Il avait sa serviette dans une main et sa main tremblait. Harry espérait sincèrement que cette situation ne se terminerait pas en un duel. Dire que Voldemort avait essayé de calmer le jeu avant, il était complètement revenu sur sa décision. Probablement parce qu'il mesurait la situation d'Harry.
Oui, c'était sûrement ça : il pourrait vaquer à ses occupations, vivre sa vie de Lord - les mêmes pensées tournoyaient en boucle. À chaque fois que cette boucle infernale reprenait, la violence de leur supposition augmentait. Est-ce que c'était parce qu'il venait d'une vie qui confirmait que même ses parents ne voulaient pas de lui ?
Il en avait toujours voulu au Dursley - bien sûr, mais Harry avait passé sa vie à se consoler en se disant que si ses parents avaient survécus… Alors il n'aurait jamais vécu un tel calvaire. Et voilà qu'on lui prouvait on ne pouvait plus explicitement que même eux, même eux auraient préféré qu'il ne vienne pas au monde. Qui avait voulu de lui, dans sa vie ? Personne, en fait. Ginny, pendant un temps, et même - leur relation s'était vite écroulée. Nul doute qu'elle s'était sentie obligée de rester avec lui.
Et ses aventures par la suite - elles ne s'étaient jamais concrétisées en quelque chose de sérieux -
Harry pouvait sincèrement se poser la question - qui, dans sa vie, l'avait sincèrement aimé ? (personne, bien sûr). On avait eu de l'affection (de la pitié) pour lui. La famille Weasley, Hermione - Hagrid, même ses enfants n'étaient plus que rarement venu le voir peu avant son premier (enfin deuxième, si on comptait la forêt interdite) décès et -
-Pour la deuxième fois, je vous prie de m'excuser, Monsieur, déclara tranquillement Voldemort.
Cette phrase eut au moins le mérite de faire sortir Harry de ses tristes pensées. Le silence était pesant, particulièrement après ces deuxièmes excuses qui semblaient encore plus vides de sens que les premières. Les autres invités fixaient leur assiette comme si, eux aussi, trouvaient leur contenu palpitant.
-Ma réaction était tout à fait indigne. Je ne vous cache pas que certains de mes amis sont revenus de la guerre - dans un état plus terrible que celui de votre fils. C'est un sujet sensible.
Est-ce que Voldemort avait vraiment des amis qui étaient partis à la guerre ? Cela semblait très peu probable à Harry - mais au final, il n'en savait rien. Au moins, le visage rouge de son père passa à un blanc embarrassé. Harry n'y avait évidemment pas pensé mais c'était sûr qu'avec cette série de guerre contre l'empereur français - un bon nombre de jeunes hommes avaient soit péri, soit avaient aussi subi les séquelles d'une guerre presque moderne.
-Je - commença James.
-Avant que je n'oublie, commença Narcissa : je dois absolument vous complimenter sur votre jardin, Lily, il est absolument exquis.
Lily répondit par un sourire embarrassé à la tentative de Lady Malfoy.
-Dites-moi, Monsieur, surenchérit Lord Malfoy à qui sa femme venait d'envoyer un regard très significatif : j'ai entendu de fameuses choses sur la dernière partie de chasse que vous avez menée et je suis anxieux d'entendre ces aventures.
Narcissa n'avait pas joué la bonne carte en essayant de flatter Lily - elle n'était là que physiquement. Son esprit tourné vers tout autre chose. En revanche, donner à l'occasion à James Potter de s'illustrer en contant une de ses aventures - c'était une idée brillante. Et, en effet, Lucius n'eut pas à lui demander deux fois - James s'était lancé dans une tirade animée concernant ses hauts fait ainsi que ceux de ses amis.
Et, si l'on pouvait accorder un compliment à Lord Potter, c'était qu'il savait raconter ses histoires. Même Théodore Nott semblait pendu à ses lèvres. Tout comme Drago, par ailleurs. Seul Voldemort semblait totalement indifférent à ses paroles. Harry l'observait d'une façon qu'il espérait discrète. Il était tiraillé - cette vie était si horrible et si claustrophobique qu'il en était tenté de s'en défaire aussi vite que possible. Les murs en bois l'étouffaient, l'abondance de meuble - de détails sociaux dont il fallait se souvenir, ces choses que sa condition rendait encore plus difficile à supporter… et le tout en étant cloîtré dans ce château - oui, succomber à la tentation de la fenêtre de sa chambre ne serait peut-être pas aussi difficile qu'escompté.
Mais il y avait Voldemort. Voldemort qui, s'il en croyait les apparences, était tout à fait heureux. Jamais Harry n'oserait lui ôter ce plaisir, jamais il n'oserait faire passer ses sentiments - surtout qu'ils étaient… éphémères et qu'il ne souffrait pas réellement - au-dessus de la seule chance de Voldemort d'avoir une place dans ce monde-là. Une place qui, Harry l'espérait sincèrement, il avait obtenu légalement.
Il n'était même pas sûr qu'il oserait lui poser la question s'il en avait l'occasion. Il craignait trop la réponse, celle qui lui indiquerait que malgré tout, chaque itération condamnait Voldemort à être un meurtrier. Espérer l'inverse était idiot.
Les plats arrivèrent. James était toujours en train de parler. Tous l'écoutaient avidement. Il y avait sûrement une part d'eux qui étaient soulagés que l'échange entre les deux Lords ne se soit pas soldé par un duel. Un règlement de compte aurait fait scandale, et Harry savait que les Malfoy ne détestaient rien de plus que le scandale.
Lorsque James acheva de raconter sa longue histoire, c'est Théodore qui - avec diplomatie et finesse - réussit à le mener sur une autre anecdote. Et, James, heureux et fier qu'on ait oublié son faux pas - ne se fit pas prier pour se lancer dans des fastidieuses explications sur la gestion de son domaine.
Le repas passa ainsi. Chaque invité menant tour à tour leur hôte sur un sujet qui lui conviendrait. Le dessert arriva puis disparût rapidement. Harry regardait fixement soit son père, soit la fenêtre qui se trouvait dos à sa mère. Il avait sans doute déjà trop attiré l'attention sur lui, inutile d'en rajouter. Nul doute qu'il serait sévèrement puni pour son comportement. Il ne voulait surtout pas que son père puisse se douter que quelque chose était arrivé.
C'était vrai que, finalement, James le laissait relativement tranquille… Du moment qu'on ne lui rappelait pas qu'il avait un fils (donc tant qu'Harry parvenait à l'éviter).
-Voulez-vous passer dans le salon ?
Le cri de ralliement des hommes, pensa Harry avec ironie. Là où s'échangeraient les secrets, les cigares et les dernières nouvelles.
Enfin, c'est ce qu'Harry supposait puisqu'il n'avait jamais eu l'occasion d'y participer.
-Quelle excellente initiative, James, répondit facilement Lucius en se levant.
Tous les hommes firent de même, sauf Harry. Pour lui, se lever était un acte bien moins anodin que pour le reste du monde. Il se prépara psychologiquement à appuyer un tant soit peu sur sa jambe. Les mains fermement agrippées à sa chaise, il se redressa. Tous les hommes étaient en train de quitter la pièce en discutant, il était tout simplement oublié.
Ils ne remarqueraient probablement même pas son absence dans le salon.
Peut-être que Drago aurait une semi-pensée pour lui, qui serait bien vite oubliée au profit de quelque chose de plus intéressant. Quant à Voldemort - Harry supposait qu'il remarquerait son absence (qu'il l'aurait fait même s'ils n'étaient pas - eux, si cette vie avait poursuivi son cours sans qu'ils ne réalisent qu'ils se connaissaient déjà et intimement) (ce n'était pas un sous-entendu mais cette réalisation le fit frissonner.) Il essayait de garder ce souvenir-là aussi loin que possible de son conscient. Pas la peine de se torturer pour quelque chose qui pouvait parfaitement s'expliquer rationnellement. Peu importe à quel point c'était douloureux, tergiverser sur un bref échange physique qui, au final, n'avait même pas été si intime que ça -
-Vous venez, Lord Potter ?
Harry n'accorda absolument aucune attention à cette phrase malgré la voix qui l'avait énoncée. C'était rare que son père se fasse prier. D'habitude il était le premier à entrer dans la pièce.
Il posa sa canne sur le sol et fit un premier pas en direction de la porte. Celle qui se trouvait derrière lui et qui le mènerait au couloir puis à sa chambre, au contraire de la porte qui menait au salon où tous les hommes se trouvaient déjà. Lily et Narcissa, elles, se dirigeaient ailleurs dans une autre pièce où on leur servirait le thé. Les deux groupes se rejoindraient pour un dernier verre d'ici une heure.
-Monsieur Potter ?
Cette fois, curieux, Harry ne put se retenir. Il se retourna. Il n'y avait plus personne dans la salle à manger. Juste Voldemort, qui était près de la porte et qui le regardait sincèrement comme s'il ne le connaissait pas et qu'il attendait, par politesse, que le fils de son hôte quitte également la pièce.
-Je- commença Harry, qui ne trouva pas une façon convenable de terminer sa phrase : je pensais aller me coucher.
-Hors de question, répondit facilement Voldemort : je vous prie de ne pas m'insulter.
C'était la première fois - la première fois qu'ils devaient jouer un rôle alors qu'ils s'étaient retrouvés. Bon, il y avait eu la fois où Harry était un esclave, probablement, mais ils n'avaient jamais eu à se parler d'une telle façon. Et Voldemort avait raison, que l'héritier décide qu'il était trop bien pour eux (si on retirait le contexte qu'il s'agissait de lui et que tout le monde savait que son père ne voulait surtout pas qu'il participe à n'importe laquelle de ces activités mondaines…) c'était effectivement une insulte.
Et le visage de Voldemort était totalement composé. Un chef d'œuvre de maîtrise. Harry n'était pas sûr de pouvoir jouer son rôle aussi parfaitement. Il se demanda comment il aurait réagi dans d'autres circonstances (s'il n'avait pas retrouvé la mémoire / s'il n'était pas apparu dans ce corps comme un parasite). C'était facile de deviner quel aurait été son chemin de pensée : qu'est-ce qui mettrait son père le plus en colère. Son absence totale de politesse en disant "non" à un personnage important ou sa présence malvenue dans le fumoir ?
Harry savait qu'il aurait choisi de suivre Lord Gaunt plutôt que de risquer le déshonneur de son père.
Il hocha donc de la tête et se dirigea vers la figure imposante de Lord Voldemort. Parce qu'il était imposant. Cela était évidemment dû d'une part à ses habits, ceux-ci lui allaient particulièrement bien. Comme s'il était fait pour évoluer au sein de l'aristocratie. Mais il y avait aussi le contraste saisissant entre la figure qu'il avait eue la vie précédente et celle-là.
Il n'y avait plus aucune trace de l'adolescence. Ses longs membres s'étaient épaissis - ses larges épaules ne paraissaient plus dépasser comiquement des hanches. Il était plus séduisant que jamais - et Harry en sentit la cruelle morsure.
Il était bien incapable de lui résister en temps normal - et sous n'importe quelle itération - celle-ci serait probablement la plus implacable.
Lentement, le corps engourdi d'être resté immobile si longtemps, il parcourut la distance qui les séparait. Voldemort lui tenait la porte - l'observait les yeux légèrement plissés.
La bonne nouvelle, c'était que la douleur lui paraissait un peu moins atroce, maintenant qu'il avait d'autres points de comparaison. Ce n'était pas un endoloris, ce n'était pas la même douleur que de se faire assassiner par une balle - mais elle était plus mordante que la sourde douleur de la maladie.
-Merci, marmonna-t-il en passant à côté du plus grand.
Être un poids lui était insupportable. Il préférait s'effacer, laisser Voldemort profiter de sa vie telle qu'il l'entendait - en espérant que cela n'impliqua pas de meurtres, et vivre tranquillement dans ce château. Il y avait Hermione, avec qui il pouvait… Il supposait qu'il pouvait essayer d'améliorer leur relation.
Il avait un peu honte, maintenant qu'il considérait la chose, de l'avoir à ce point dédaignée. Pourtant elle l'aidait, était un trésor de patience et de compréhension discrète - et lui n'avait eu de cesse de cultiver le ressentiment qu'il éprouvait à son égard.
Un ressentiment qui n'était même pas sa faute à elle. Elle aurait probablement préféré s'occuper exclusivement de Lily, plutôt que de devoir aussi se préoccuper d'un jeune homme maussade et ingrat. Ingrat. Voilà donc ce qu'il était lorsqu'il était élevé par ses parents. Un jeune homme de bonne famille - le regard résolument dirigé contre lui-même, assez peu sensible aux besoins des autres. De gens qui, dans d'autres vies, étaient ses amis les plus proches.
Était-ce ça, ce que la Mort voulait lui montrer ? Qu'il ferait mieux de tout arrêter pendant qu'il était encore quelqu'un de bien ? Avant que - lentement mais sûrement - ces vies ne le transforme et l'égarent sur une voie égocentrique et classiste ?
Encore une fois, c'était brillant - brillant d'horreur. Parviendrait-il à ne pas se haïr quand il devenait petit à petit le genre de personnes qu'il avait toujours méprisé ?
-Puis-je vous aider ?
Voldemort lui tendait le bras. Sa main s'était placée devant lui au moment où il le dépassait - pour entrer dans le fameux fumoir où tous étaient déjà installés.
-Je vous remercie mais je peux me débrouiller, répondit Harry en grimaçant.
Était-ce de la pitié ? C'était une chose de s'occuper de quelqu'un qui tombe malade, c'était une autre de prendre soin de quelqu'un de traumatisé par la mort violente de ses amis -
Et ces deux choses étaient bien, bien différentes de s'occuper d'un infirme méprisé par son père qui subit une vie plutôt que de la vivre. Il ne voulait pas entrer dans ce salon aidé, même si une partie de lui (particulièrement vocale au demeurant) n'aurait rien désiré de plus que de saisir cette main tendue, de sentir la chaleur de la paume de Voldemort contre son bras, de sentir le long de son épaule sa forme rassurante.
Mais quel homme qui se respecte accepterait d'être aidé par un pair ?
Harry réalisa, trop tard, bien sûr, il s'avançait déjà dans la pièce sous l'air courroucé de son père, que le jeu en aurait valu la chandelle. Il n'aurait sans doute plus l'occasion de sentir la présence rassurante de l'autre homme. Combien de temps avant que ça soit à nouveau le cas ? Ou serait-il désormais à jamais dans des situations comme celle-là ? Mais c'était une question de destin, de Destin avec une majuscule. Dans quelle mesure étaient-ils libres ?
Rien n'empêchait Harry de s'enfuir - de demander de l'aide à Hermione - il refusait de croire au déterminisme et à la fatalité sinon - rien n'aurait de sens, ni ces vaines tentatives de vivre des vies absurdes et cruelles, ni d'essayer d'extirper Voldemort de son tourment.
Il s'assit sur le premier fauteuil libre qu'il aperçut. Théodore lui lança un sourire hésitant :
-Je suis content que vous nous rejoignez, Harry.
C'était un peu insultant qu'il l'appelle par son prénom, mais il n'y avait ni ironie ni insulte dans le regard de Théodore. Juste, de la compassion, peut-être. C'était dingue, Harry n'avait strictement aucune idée de la personnalité de ce garçon. Son père avait été un Mangemort, ça il le savait, il savait aussi qu'il n'avait jamais acheté le badge de Malfoy, en quatrième année.
Il avait aussi entendu qu'il avait disparu après la guerre et on disait qu'il s'était établi en France avec une moldue. Personne, bien sûr, n'avait confirmé ou nié ces rumeurs. Et, à vrai dire, Harry n'en avait eu strictement rien à faire. Il était trop occupé à essayer de tenir sa vie entre ses mains.
Elle s'était tout de même échappée d'entre ses doigts - coulant entre les interstices jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Qu'une légère humidité témoignant qu'il y avait effectivement eu un temps où il avait bien tenu quelque chose. C'était fou, cette façon dont sa première vie avait eu de l'importance. Avait, de l'importance, se corrigea-t-il. C'était elle qui l'avait façonné. Et ces vies consécutives ne pourraient jamais supplanter la somme de toutes ces premières expériences.
À moins que ces pensées ne soient que des leurres. Peut-être que sa personnalité était moins figée qu'il ne l'imaginait.
-Merci, répondit-il à Théodore.
Lucius Malfoy baissa la tête dans sa direction. Son fils fit de même. Ils avaient déjà chacun un verre de cognac ou de whisky dans la main. Un peu emprunté, l'un des valets de pied s'approcha de lui, plateau brandi devant lui. D'habitude, on ne proposait jamais d'alcool à Harry, qui était plus un moine qu'un homme.
Mais ce soir, le décorum l'imposait, apparemment. Et bon sang, Harry avait bien besoin de ce verre. Il en saisit un au hasard, ne se préoccupant pas de la forme du verre qui indiquait pourtant ce qu'il contenait. Les arômes d'un whisky de qualité lui emplirent les narines avant même qu'il ne le porte à la bouche.
Voldemort s'assit un peu plus loin, à son côté droit. Il accepta lui aussi un verre et s'appuya sur sa chaise, l'air parfaitement décontracté. Comment pouvait-il en être autrement, il était dans son élément. Les Malfoy et Nott lui accordaient de toute évidence une estime si grande qu'ils passaient ses caprices. Quant à son père, il ne faisait apparemment que très peu fi de son estime.
Tous se taisaient. On pouvait interpréter ce silence comme le silence satisfait de gens repus et confortable. Ce n'était pas le cas d'Harry qui y voyait plutôt le calme annonciateur d'une catastrophe d'envergure.
-Quand descendez-vous sur Londres, Lord Potter ?
C'était Voldemort. Harry fixa son père qui se cala lui aussi dans son fauteuil, probablement pour imiter l'air décontracté de son vis-à-vis :
-La semaine prochaine, j'imagine. Je n'aime pas m'y rendre pour les premiers jours de la saison. Les gens sont trop fébriles à mon goût.
Lucius inclina de la tête pour marquer son accord, bien qu'Harry supposât qu'ils s'y rendraient tous le lendemain.
-Je vous prie de m'excuser, je m'adressais à votre fils. Il me semble que nous avons le même âge ?
Le whisky, dans son verre, tangua. Une mer agitée. Il se redressa. Il ne s'était pas attendu à une attaque aussi frontale - et, surtout, aussi explicite. Il se racla la gorge, gêné. Ce n'était un secret pour personne qu'il n'allait jamais à Londres. Puisqu'il n'y serait qu'une gêne pour son père.
-Je ne pensais pas m'y rendre, répondit-il tranquillement.
Il prit une gorgée. La chaleur de l'alcool descendit le long de la trachée puis dans son abdomen et finalement, réchauffa son ventre. Il ne fallait pas qu'il exagère, ce corps n'était pas habitué aux excès.
-Pourquoi donc ? répondit immédiatement Voldemort.
Son langage corporel marquait la surprise. Il s'était même penché en avant pour parfaire l'illusion. Harry croisa son regard. Et, contre toute attente, contre tous les films qu'il s'était fait depuis qu'il avait "retrouvé" ou "reçu" ou peu importait, les souvenirs de toutes ses vies précédentes - il crut lire une sorte d'urgence dans son regard. Quelque chose qui lui intimait clairement de suivre son jeu.
Peut-être, après tout, que Voldemort ne souhaitait pas totalement se débarrasser de lui. Ou alors, pour la troisième fois, il se positionnait en sauveur.
-Je - commença-t-il, ne sachant pas comment continuer sa phrase.
Son père vint à sa rescousse. Si c'est ainsi que l'on pouvait qualifier sa déclaration :
-Voyons, répondit-il dans un faux rire : Harry n'a rien à faire à Londres, je doute qu'il trouve la ville plaisante - ou que celle-ci puisse être la source du moindre amusement.
Un silence embarrassé accompagna sa déclaration :
-Vous partagez ce sentiment, Harry ? demanda tranquillement Voldemort qui semblait toujours absolument vivifié par cette charmante conversation.
Et voilà, c'était à lui de jouer, la balle était dans son camp. Il fallait qu'il trouve une réponse qui forcerait son père à revenir sur sa décision. C'était plus facile à dire qu'à faire -surtout que tous le regardaient –
-A vrai dire, répondit-il lentement pour se donner une chance de penser à la suite de sa phrase : je n'en sais que trop rien, je n'ai – pour l'instant – jamais eu l'occasion de m'y rendre.
Un silence étonné. Ah. Harry supposait que James n'avait jamais dit clairement que c'était lui qui interdisait à son fils de quitter la demeure familiale. Peut-être leur avait-il tous dit qu'Harry préférait rester cloîtré, que c'était là qu'il se sentait le mieux et le plus en sécurité. Enfermé entre quatre murs – alors que la vie suivait son cours. Cela, par ailleurs, expliquait aussi pourquoi il avait toujours formellement interdit à Harry de se joindre à ces moments « entre hommes ». Précisément pour que l'amplitude de son incarcération n'éclate pas au grand jour.
-Comment cela se fait-il ?
James le foudroya du regard. Bien sûr, le message à comprendre, c'était qu'il ne fallait surtout pas – surtout pas que les invités apprennent qu'Harry n'avait pas le droit d'aller à Londres. Que ce n'était pas de sa propre volition qu'il restait emmuré dans un château trop grand, majoritairement seul, entouré de gens qui le méprisaient ou l'ignoraient.
-Je – Je n'ai malheureusement pas beaucoup de connaissances. Je me suis toujours dit que je m'y sentirais seul.
Voilà qui permettait de sauver l'honneur et l'estime que l'on vouait à son père. Il sauvait un peu sa dignité -parce que même s'il serait scandaleux d'apprendre que James Potter ne laissait pas son fils sortir de chez lui, les gens ne le verraient plus qu'avec pitié.
En fait, ironiquement, Harry se faisait un peu penser à une de ces princesses de contes qui restent cloîtrées dans une chambre à cause de leur marâtre.
De là à considérer Voldemort comme son prince charmant venu le délivrer… C'était absurde mais l'idée de le voir en armure – ça éveillait indéniablement quelque chose en lui.
-Balivernes, répondit facilement Voldemort : vous nous connaissez désormais.
Harry fut touché, sincèrement, de voir que Théodore hochait vigoureusement de la tête. Était-ce parce qu'il avait compris les intentions de Voldemort ? ou parce qu'il – parce qu'il éprouvait sincèrement de la compassion pour Harry ?
Harry sourit. Il fallait impérativement qu'il fasse taire cette fameuse voix, celle qui n'hésitait pas à imaginer que Voldemort l'abhorrait plus que tout et ferait tout pour ne pas à subir sa présence. De toute évidence, il était prêt à le secourir manu militari si le besoin s'en faisait sentir. Et bon dieu, Harry n'avait pas osé espérer – l'idée lui paraissait trop belle pouvoir sortir, rencontrer des gens – au diable sa jambe –
-Je vous remercie, Lord Gaunt.
-C'est décidé, donc, déclara Drago en tapant dans ses mains : nous accompagnerez-vous demain ? Nous allons passer la nuit dans une auberge en chemin, cela devrait se montrer fort divertissant.
Théodore et lui échangèrent un sourire. Bien sûr, c'était tout à fait scandaleux et déplacé pour des jeunes nobles d'aller dans une vulgaire auberge. Mais bon, Harry supposait que de tous temps, les jeunes avaient besoin de se rebeller. Et d'autant plus lorsqu'ils vivaient dans une vie aussi codifiée que la-leur.
Il évita sciemment le regard de son père. Il supposait qu'il était prêt à l'immoler sur place, que son seul souhait était qu'Harry s'affaisse – mort- sur son fauteuil. Il ne devait pas supporter l'idée qu'Harry puisse se faire des amis voire – pire, comble de l'ignominie – le supplanter aux yeux de personnages importants. Tels que Malfoy et Voldemort.
-Je suis sûr que vous allez apprécier Londres, Monsieur Potter, aimez-vous le théâtre ? Lucius Malfoy n'en avait très probablement rien à cirer de ses goûts mais il faisait la conversation, suivant lui aussi l'impulsion de Voldemort.
Comment avait-il fait pour tous les mettre dans sa poche en si peu de temps ? C'était… Impressionnant – et un peu inquiétant, Harry supposait. Peut-être leur faisait-il du chantage ? En tout cas, c'était évident qu'ils s'étaient tous accordés pour suivre la direction qu'il donnait à la conversation. Comme un mécanisme bien huilé, il avait suffi que Voldemort indique qu'il souhaitait soustraire Harry à son père pour que cela devienne leur but à tous.
-C'est-à-dire que je n'ai jamais eu l'occasion d'en voir un en vrai – mais, ajouta-t-il précipitamment en voyant les regards ronds des invités : j'en lis beaucoup et j'aime particulièrement les pièces comiques françaises.
Drago Malfoy sourit tranquillement :
-Ah, vous allez être servi alors. Un théâtre a ouvert la saison passée, « le grand guignol », ils se spécialisent dans les pièces françaises au goût douteux.
-J'en suis persuadé, répondit agréablement Harry.
Et, voilà. La discussion évolua sur le théâtre, sur les endroits qu'il était de bon ton de fréquenter à Londres pendant la saison mondaine, quelles étaient les familles chez qui il ne fallait surtout pas se rendre (quelques scandales avaient apparemment éclatés ces dernières semaines) et voilà. Pour la première fois de cette vie, Harry était admis dans ce cercle restreint des gens d'excellent goût.
C'était fade, bien sûr. Fade parce qu'inauthentique – son père, Lucius Malfoy, Drago et Théodore aussi – ils jouaient un rôle, ils ne faisaient que réciter des phrases toutes faites – prononcées sûrement déjà des centaines de fois et qui n'avaient aucun autre intérêt que de s'inscrire en permanence, comme un pendule voué à répéter inlassablement les mêmes mouvements, dans leur statut social.
Il n'y avait aucune franchise et, ainsi, aucune façon de créer de véritables liens. Harry savait que ces relations n'étaient qu'à un seul scandale d'un effritement catégorique. Il n'y avait pas d'amitié, pas d'amour, simplement la coutume et les traditions. C'était triste et Harry était d'autant plus triste d'avoir souhaité – avant de croiser le regard de Voldemort – faire partie de cette société.
Mieux valait être seul que d'être perpétuellement dans une représentation théâtrale vaine et déprimante. Une demi-heure plus tard, alors que Drago masquait difficilement un dernier bâillement, Lord Potter se leva, indiquant à tous qu'ils étaient désormais libres de vaquer à leurs occupations. Ils pouvaient retourner auprès des femmes et partager un dernier verre en leur compagnie ou aller se coucher.
Vu les cernes de Drago et l'air positivement ennuyé de Théodore, nul doute qu'ils choisiraient de se retirer prestement plutôt que d'accompagner Lucius Malfoy. Celui-ci était un peu obligé de James, puisque sa femme était avec Lily.
Quant à Voldemort et Harry – ah, c'était la question – Harry ne voyait sincèrement pas comment lui parler sans que cela ne se remarque. Entre les domestiques, les convenances et sa jambe, un conciliabule privé était impossible.
-Je vous remercie encore pour votre accueil, Monsieur. Je pense qu'il est plus sage si je me retire pour la nuit. La journée sera longue, demain.
Voldemort s'était levé et n'avait apparemment pas l'intention de demander à son père si cela lui convenait. Il énonçait simplement sa décision. James fut obligé d'obtempérer d'un signe de tête.
-Je vais faire la même chose, déclara simplement Harry qui se redressa avec peine : Un réveil aux aurores sera nécessaire si je veux préparer mes bagages.
-Oublier quelque chose ne serait pas dramatique, plaisanta Théodore : il y a suffisamment de boutiques à Londres pour ne manquer de rien.
Harry inclina de la tête, saluant le trait d'esprit. Si on pouvait qualifier cela comme tel. C'était oppressant, ces formules de politesses, ce besoin de commenter chaque phrase. Il aurait infiniment préféré pouvoir lâcher un « je suis crevé je vais me pieuter » plutôt que de suivre ce pantomime.
La perspective de se retrouver dans un asile n'était pas séduisante. Il savait que les « thérapies » de l'époque n'étaient pas tout à fait agréables pour les patients – mieux valait donc se plier aux convenances.
Les quatre jeunes gens sortirent donc en même temps dans le couloir. Harry constata, évidemment, qu'il les ralentissait. Par politesse, ils avaient calqué leur allure à la sienne. C'était un peu gênant, Harry aurait préféré qu'ils agissent comme son père et les domestiques : qu'ils ignorent totalement sa présence et qu'ils vivent leur vie sans se soucier de la sienne.
Ils s'arrêtèrent devant l'escalier qui menait aux chambres d'amis. Elles étaient toutes dans la même aile – ils n'auraient pas de problème pour se repérer.
-Vous ne montez pas ? demanda plaisamment Voldemort, comme s'il était surpris qu'Harry n'aille pas dans la même direction qu'eux.
-Ma chambre se trouve dans l'aile ouest, répondit Harry, priant malgré lui qu'ils n'en déduisent pas que sa chambre puisse se trouver en haut d'une tour. C'était tellement ridicule et cliché – et l'idée de devoir gravir ses escaliers en s'appuyant sur Hermione c'était – c'était atroce et humiliant.
Voldemort plissa des yeux. Harry comprit qu'il essayait de se représenter le manoir Potter. C'était peine perdue pour lui, pensa-t-il avec regret : il n'en avait probablement pas vu le quart.
Sans aucune raison, il hocha brièvement de la tête. Ce n'était pas comme si Voldemort risquait de comprendre ce qu'il voulait dire. Ah, si Harry avait pu dire ce dont il avait envie – sans craindre que ses invités, les domestiques ou ses parents n'entendent – il aurait pu commencer par lui demander s'il allait bien. C'était idiot, bien sûr, c'était une question basique mais le plus important était d'abord de s'assurer que cette vie – qui pour lui se déroulait si mal – soit au moins plus agréable pour Voldemort. Ça lui donnerait une raison de se débattre contre les différents obstacles qui avaient été placés entre lui une forme de bonheur, aussi insignifiante puisse-t-elle être.
Est-ce qu'il était heureux ? Est-ce qu'il faisait du mal aux gens ? Les Malfoy le craignait-il ou leur fidélité était due à leur besoin de s'accrocher à quelqu'un de puissant pour garantir leur place ? Oui, toutes ces questions étaient les plus pressantes. Et comment était sa vie ? Les journées lui étaient-elles agréables ou tout n'était qu'un lourd poids qui l'asphyxiait ?
Et ensuite, une fois qu'il serait rassuré quant à l'état mental de Voldemort, peut-être qu'il oserait lui demander – la signification de l'événement du motel. Est-ce qu'il en avait réellement eu envie ? Ou était-ce par dépit ? Est-ce que c'était parce que c'était lui ou n'importe qui s'étant trouvé à ses côtés aurait fait l'affaire ?
C'était bête, bien sûr, Harry était à peu près certain qu'il ressortirait de cette conversation avec le cœur en miette. Mais il fallait parfois savoir se faire violence. Surtout qu'au final, même s'il souffrait un moment – ça serait pour le mieux, il pourrait passer à autre chose, éteindre les braises qui consumaient son cœur.
Mais Harry – Harry n'était pas sûr qu'ils puissent avoir cette fameuse conversation dans cette vie. S'il allait à Londres chez son père – peut-être qu'il n'aurait pas le droit de sortir non plus. Quant à vivre en collocation… En fait, Harry ne savait pas si c'était quelque chose qui se faisait, quelque chose d'admissible ou s'ils auraient la police sur le dos à la seconde où l'idée serait émise. La seule chose qu'il savait avec certitude, c'est que ses désirs et ses sentiments étaient criminels.
Ça avait été si simple dans la vie précédente. Et ça l'avait aussi été dans la petite ville, là où la maladie l'avait brisé. D'ailleurs les itérations de Ron et d'Hermione avaient pris la relation entre Voldemort et lui pour celle d'un couple. Et personne n'avait rien trouvé à y redire – si ce n'était qu'elle semblait faire du mal à Harry.
Quelle horreur, quand même, quand il y repensait.
Parce que peut-être en viendrait-il à regretter cette vie-là aussi, même avec sa jambe, même avec ces conventions sociales étouffantes. Il y avait quand même… une marge de manœuvre, il supposait.
À laquelle ils n'auraient peut-être pas droit la vie suivante (s'il était à nouveau un esclave, s'ils étaient séparés physiquement, s'ils étaient dans les camps opposés d'une guerre).
Voldemort inclina de la tête. Il y avait quelque chose dans ce regard mais Harry n'était pas en mesure de le comprendre. Se sachant observé par Théodore et Drago, il hocha une nouvelle fois de la tête, leur adressa un petit geste de la main et s'enfonça dans le couloir.
Maintenant, les escaliers. Bientôt il serait au lit – et peut-être que le lendemain se montrerait plus clément envers lui.
Acte 3, scène 1
Harry dormit d'un sommeil agité. Des visions se succédèrent dans sa tête, parfois apocalyptique – la fin de tout, la mort de tous ceux qui lui étaient ou lui avaient été proche. Et dans ces clichés d'horreur, la figure de Voldemort était toujours en contrepoint. Jusqu'à transpercer le feu, la mort et le sang. Son rêve prit une autre tournure, tout aussi dérangeante. Le corps couvert de sang – les longues mains de Voldemort touchant sa peau –
Il se réveilla pris de nausée. Ce rêve était sans aucun doute la manifestation des craintes de son inconscient. Il semait la Mort dans chaque vie où il se rendait – lui qui était censé en être le maître il lui semblait qu'il en était plutôt l'esclave. Il faisait sa besogne – lui présentant des victimes innocentes qui ne réalisaient même pas leur place futile dans des mondes multiples et – et potentiellement creux.
Il étouffait, le poids du monde sur les épaules, les poumons. Harry était-il suffisamment fort pour résister à une telle chose, pour ne pas devenir fou alors qu'il condamnait l'humanité à vivre des itérations absurdes ? Parce que… il n'y avait pas que sa famille et ses amis dans ces vies. Il y avait aussi quantité d'inconnus, des gens qui se trouvaient -quoi. Happés par hasard ?
Parce qu'Harry avait pitié d'un homme qui n'en avait jamais eu pour les autres ?
Il se redressa. Sa jambe lui fit mal mais la douleur était nettement plus supportable que la veille. Il parvint à se lever seul (ce qu'il n'avait jamais réussi à faire jusqu'à présent) et s'approcha de la fenêtre. Pensif, il ouvrit le volet. Il avait besoin d'air - quelque chose qui dissiperait ses pensées.
Il faisait encore nuit mais le ciel était un camaïeux de bleu. Il devenait de plus en plus clair. Un halo au-dessus des collines.
Malgré lui son regard glissa vers le sol. Une quinzaine de mètres. Impossible d'y survivre, il me ressentirait même pas la douleur. Mais à quoi bon se tuer ? Arriverait-il, dans Kings Cross, à tourner le dos à Voldemort ?
Bien sûr que non. Il n'y était pas parvenu alors qu'il le détestait-putain il n'y était pas parvenu alors que Voldemort venait de l'assassiner-
Comment le pourrait-il maintenant ?
Mais combien d'âmes Harry condamnait-il par égoïsme ? Pas amour ? C'était tellement égoïste- tellement mesquin-
Une douleur impossible, inconcevable, dans sa poitrine. Courbé en deux, il se laissa glisser à terre. Sa jambe lui arracha un gémissement-un miroir à la douleur de son âme.
De quel droit imposait-il ça aux gens ? C'était un crime qu'il commettait, un crime infiniment plus grave que tous ceux de Voldemort. Ses épaules secouées de sanglot, sa gorge nouée à lui faire mal-aveuglé par ses larmes-
Voilà ce qu'était Harry Potter. Un moins que rien. Un égoïste. Un criminel.
On toqua à la porte. Horrifié, Harry essaya de se redresser, mais sa poitrine déchirée lui faisait si mal, il en retomba contre le sol.
Hermione pénétra dans la pièce :
-Je me suis permis d'entrer pour vous aider à faire votre baga-
La fin de sa phrase resta en suspens. Harry n'osait même pas la regarder.
C'était tout de même l'un des fondements de son éducation, de souffrir sans le montrer. Rester stoïque, placide, faire honneur au flegme de ses ancêtres. Et il ne s'en était pas si mal sorti, en fait. Harry pouvait s'en targuer. Il ne s'en était pas si mal sorti jusqu'à présent.
Il devrait se sentir terriblement humilié, d'avoir été trouvé dans une position telle que celle-là. C'était le parachèvement de son indignité. Non seulement il était infirme, efféminé (une pensée qui venait de cette vie-là, qu'il n'aurait jamais pensé avant) mais en plus, il se laissait aller à un point tel qu'une domestique de sexe féminin le trouvait en train de pleurer par terre ?
Bien entendu, Harry s'en foutait royalement. Il aurait pu être nu (ce qui aurait été censé être pire) cela n'aurait rien changé. Il partageait sa pièce avec une âme dont il avait forcé l'existence. Est-ce que ces poches d'univers se refermaient sur elles-mêmes lorsqu'Harry et Tom mourraient ? Est-ce qu'il plongeait les âmes de ses amis dans le néant, le vide ? Il n'aurait probablement jamais de réponse à ça.
-Je vous prie de m'excuser, déclara-t-il.
Il avait essayé de persuader ses cordes vocales de parler calmement. Mais sa voix rauque, brisée, n'était qu'un témoignage de plus de sa ruine.
-Je ne me sentais pas très bien. Mais ça va mieux.
Il adressa un petit sourire à Hermione. Hermione, cent fois plus intelligente que lui, cent fois plus capable, cent fois plus empathique Hermione qui était courageuse mais sans merci – dans une vulgaire tenue de femme de chambre. Quelle horreur. Elle méritait mieux que d'être reléguée à une vie de service à cause de son sang et de sa naissance. Et pourtant. C'était ça qu'Harry lui offrait après une amitié si longue et si fidèle.
Et cette empathie qu'Harry avait souvent admiré (particulièrement lorsqu'ils étaient adolescents et qu'Hermione le comprenait si facilement alors même que Ron et lui semblaient voué à se heurter au mur de leurs propres conceptions) était visible sur son visage. Elle s'approcha et lui tendit la main.
Le pire, c'était qu'Harry l'avait – un peu mal traitée en soi. Avait ignoré son existence aussi souvent que possible – préférant prétendre être seul. Bien sûr, il avait joué le jeu de son père. S'il avait été moins aveugle et moins affecté par cette humiliation, il était sûr qu'il s'en serait fait une amie. Et avec l'intelligence d'Hermione de son côté – peut-être que sa vie aurait été moins difficile.
-Je doute que vous réussissiez à me relever avec une seule main, dit-il en plaisantant.
Hermione lui sourit. Un sourire doux, amical, engageant. Harry voulait la prendre dans ses bras mais elle interpréterait probablement ce geste comme une avance malvenue. Elle lui tendit son autre main. Harry les saisit et péniblement – en limitant le poids sur sa jambe gauche, il se redressa.
-Monseigneur, pardonnez-moi d'être indiscrète mais est-ce que votre voyage à Londres vous angoisse ?
Une interprétation assez logique de son comportement. Son regard glissa du visage de son ancienne amie à la fenêtre. Le jour se levait. Des teintes orangées dans le ciel – les arbres fruitiers, sur les collines, des ombres chinoises sur un ciel de braise.
-J'aimerais que ma vie soit plus simple. J'ai bien peur qu'ils ne se lassent de moi bien vite.
Mensonge, bien sûr, mais c'était probablement ce qu'aurait pensé le Harry qui vivait dans cette maison avant qu'il ne retrouve la mémoire (prenne sa place). On lui avait tant de fois répété qu'il n'était rien d'autre qu'un poids qu'il lui aurait été difficile de ne pas se considérer comme tel.
-Je suis sûre que ce ne sera pas le cas. Et je suis sûre aussi que vous allez bien vous amuser ! elle rougit subitement : pardon si ce n'est pas ma place de vous dire ce genre de choses.
Harry laissa échapper un rire amer :
-Au contraire, Hermione, je vous en suis très reconnaissant. Dieu sait que peu de personnes seront enthousiasmées par mon départ.
Son regard devint triste. Bien sûr. Connaissant Hermione elle était parfaitement au fait quant aux différentes dynamiques de la maison. Lord Potter trompait sa femme, enfermait son fils dont il avait honte et ne rêvait que de s'émanciper pour avoir une seconde chance à une descendance. Lily Potter, ombre d'elle-même, jamais présente au même endroit physiquement et mentalement et Harry… qui, à bien des égards, était juste Harry.
-Bon, y a-t-il des choses que vous avez envie de prendre, spécifiquement ?
Harry réfléchit : en fait, cela n'avait aucune importance. La seule chose qui en avait, c'était Voldemort. Sa présence, ses conversation, son soutien. Le reste, les habits, les soirées, les rencontres mondaines – tout ça n'était qu'en second plan.
-Je fais confiance à votre œil féminin, répondit Harry en s'assaillant sur une chaise qui se trouvait face à son armoire. Hermione, les poings sur les hanches, toisait le meuble massif. Un adversaire à sa taille, apparemment.
Et Harry lui faisait entière confiance pour venir à bout de cette tâche. Il était persuadé qu'il pourrait partir, en début d'après-midi, sa malle remplie d'habits tout à fait convenable pour une saison à Londres. Qui risquait d'être courte, de toute façon.
Acte 3, scène 2
S'il avait été plus mobile, Harry savait qu'il aurait fait les cent pas. Il n'était pas descendu déjeuner auprès de sa famille et des invités. La raison était simple, il ne voulait surtout pas donner de prétexte à son père pour l'empêcher de se joindre à Voldemort, Nott et Malfoy. Nul doute qu'il trouverait n'importe quel défaut dans son habillement ou dans son apparence pour leur signifier qu'Harry était malade et qu'il ferait mieux de rester un jour supplémentaire et qu'il les rejoindrait en cours de route.
Bien entendu, il ne s'y rendrait tout simplement jamais. Harry donc, anxieux d'éviter un tel désastre, était dans sa chambre. Sa malle était bouclée. Ses affaires toutes emballées. Hermione lui avait même proposé de rédiger une liste de livres qu'elle irait ensuite chercher dans la bibliothèque. Mais il ne fallait pas qu'il rate le départ non plus. Son père les laisserait partir avant de prévenir Harry, il en était sûr.
Le passage du temps était un mystère. Celui-ci se dilatait à chaque fois qu'Harry le pressait d'avancer plus vite. Et perdu entre ces anneaux distendus – il regardait fixement par la fenêtre. Dans la cour du château, deux calèches étaient déjà sorties et quelques domestiques entreprenaient de les charger. Les Malfoy ne voyageaient pas léger, constata-t-il lorsqu'une gigantesque malle fut transportée sur le gravier. Les deux valets ployaient sous la taille démesurée de l'objet.
C'était amusant, dans un sens, parce qu'il imaginait parfaitement Lucius et Narcissa Malfoy partir en vacances avec un tel attirail. Mais bon. C'était le signe qu'il attendait, décida-t-il. Le départ n'était sans doute pas imminent mais en tout cas il se profilait.
Il sonna à la clochette qui avertirait Hermione, dans les boyaux de la maison, qu'il était prêt à descendre. Elle apparut une dizaine de minutes plus tard. Sans un mot elle lui tendit le bras mais Harry voyait que son regard était heureux. Touché. Elle se réjouissait presqu'autant que lui à ce qu'il puisse enfin vivre quelque chose de son âge.
Ah, il avait passablement de retard. D'habitudes, c'était dès dix-sept ans que l'on était introduit dans la société Londonienne.
À pas lents, ils descendirent les escaliers qui étaient sa torture quotidienne. Etrangement – ou pas, en fait, peut-être que c'était justement parce qu'il savait qu'il ne les reverrait plus pendant des mois, (ou plus jamais, selon quand ils mourraient) ceux-ci lui parurent moins terribles qu'avant.
Une fois en bas, il se dirigea, sa canne tapant fébrilement contre les pierres vers le salon.
Tous assis dans divers degré de détente, ils étaient réunis dans la même pièce. Narcissa le gratifia d'un sourire :
-Je suis contente de vous voir, Harry.
-Au moins, vous voilà reposé d'une façon appropriée, ajouta Drago avec un sourire ironique : je crains que la nuit de ce soir soit moins confortable.
Le visage de James se plia dans une grimace repoussante. Il devait détester ne pas être le centre de l'attention et surtout, ne pas être le compagnon de choix de ces jeunes gens à la mode.
-C'est bien ce que je me suis dit, répondit tranquillement Harry en s'asseyant à côté de sa mère, sur une liseuse rose : c'est pour cela que je ne me suis pas dépêché ce matin.
-Un choix stratégique, répondit Voldemort.
Et cette voix – Harry pourrait en rougir, elle pénétrait ses oreilles et enserraient son corps dans le même mouvement souple. Il inclina de la tête dans sa direction, priant pour que ses joues soient moins rouges que le sang qui circulait brutalement dans son corps.
Un domestique se pencha vers lui. Une tasse de café sur un plateau en argent. Harry la saisit avec grâce. Ils n'allaient pas partir avant qu'ils n'aient discutés du voyage d'une façon appropriée et polie.
Acte 3, scène 3
Son père lui tendit plusieurs pièges. Harry qui s'y était préparé et, surtout, qui ne lui faisait absolument pas confiance, réfléchit systématiquement avant de répondre. Harry décida que la meilleure stratégie était de prendre les remarques de son père avec humour, comme s'il était trop protecteur. Il se trouvait à nouveau à devoir le protéger.
Alors qu'il devenait de plus en plus évident qu'il étaient sur le point de partir, James déclara en soupirant :
-Je n'y ai pas pensé plus tôt mais, Harry, la maison ne sera pas prête à temps. J'ai envoyé ce matin un message qui informait de ton arrivée. Je crains que tu n'aies meilleur temps d'attendre et de descendre à Londres en ma compagnie.
Harry savait que s'il acceptait, il ne mettrait jamais les pieds dans la capitale. Pourquoi son père avait-il gardé cette munition jusqu'à la fin du séjour de ses invités ? Probablement parce qu'il misait sur leur précipitation. Pris dans l'élan du voyage, ils n'imagineraient pas de solution.
Mais James n'avait pas toutes les cartes en main – loin de là. Et inconcevable pour lui d'imaginer que son fils et Lord Gaunt conspiraient ensemble pour leur permettre de quitter la maison familiale de concert. Il fut donc terriblement surpris – du moins c'est ce qu'Harry imagina – lorsque Voldemort s'interposa.
Il avait un sourire facile – quoiqu'un peu ironique.
-C'est un peu tard pour s'en rappeler, non ? D'autant plus que Monsieur Potter, il désigna respectueusement Harry : a déjà préparé ses valises. Que diriez-vous de rester chez moi le temps que votre père arrive en ville ? Ma maison est grande, agréable, et j'ai bien assez de pièces et de personnel pour vous loger. Qui plus est, cela me permettra de m'acquitter de ma dette, après un séjour aussi agréable dans ce beau domaine.
Cela tenait du miracle. Sans le savoir, les manigances de leur père venait de leur donner le prétexte idéal pour une cohabitation rapprochée. Certes, ils ne seraient jamais totalement libres. Les conventions, les lois et leur statut étaient autant de chaînes qui leur liaient étroitement les membres. À chaque fois qu'il levait les yeux sur Voldemort – il sentait ces liens métaphoriques lui tordre la nuque. Mais c'était mieux que de devoir s'envoyer des invitations – attendre une réponse positive et se voir – devant témoin, pendant le temps de la saison.
Ou jusqu'à ce que la mort ne leur dévoile ce qu'elle avait prévu pour eux.
-Je ne voudrais pas m'imposer, répondit poliment Harry.
Bien entendu, c'était une formulation vide de sens, vide d'envie. Mais répondre oui immédiatement, cela aurait été terriblement cavalier – et l'héritier Potter n'était certainement pas cavalier. Et l'était encore moins depuis son accident.
-Vous ne me dérangeriez pas le moins du monde, Harry, après avoir passé autant de temps en agréable compagnie, je m'ennuierais à mourir seul chez moi. Acceptez mon invitation, je vous prie.
Harry sourit, prétendit réfléchir à ce que venait de lui dire Voldemort et répondit :
-Dans ce cas, je vous remercie et j'accepte votre invitation avec plaisir.
Il épargna un regard à son père qui était blanc de rage.
C'était donc fini. Réglé. Aussi vite qu'une simple proposition acceptée entre deux tasses de thé. C'était l'avantage d'être si riche et d'avoir des domestiques dans toutes les pièces.
Ses aurevoirs avec ses parents furent brefs, bien sûr. Il se demanda même si Lily avait compris qu'il était en train de quitter la demeure familiale pour la première fois en bientôt vingt ans. Trois calèches les attendaient dehors. Il était évident que Lord et Lady Malfoy feraient le voyage ensemble, sans s'encombrer de ces jeunes gens qui pouvaient s'avérer si impétueux.
Juste avant de prendre place, Lucius se tourna vers Harry :
-Nous ne nous recroiserons pas avant Londres, je le crains. Narcissa et moi allons séjourner chez une cousine pour la nuit. Les auberges et leurs fréquentations ne sont pas le genre d'attractions qui nous plaisent.
Il en profita pour lancer un regard désapprobateur à son fils. Puis, levant légèrement les yeux au ciel il reprit :
-Je suis néanmoins ravi que vous vous joigniez à nous pour la saison. Je n'hésiterai pas à vous écrire. Bon voyage.
Et, sans laisser le temps à Harry de répondre – ce qui lui donnait une bonne raison de douter de la véracité de ses promesses, il tourna les talons et s'engouffra dans la calèche où Narcissa l'attendait déjà.
Harry se tourna vers les trois jeunes gens. Il espérait, évidemment, il espérait plus que tout, d'une façon qui lui serrait le ventre – que Voldemort trouverait une manière de voyager avec lui. En même temps, c'était la solution la plus simple : Harry allait passer quelques jours chez lui, avoir la possibilité de faire connaissance dans une calèche semblait évident. Mais la politesse, cette maudite politesse, forcerait à tous ces hommes à proposer leur compagnie.
-Drago, Théodore, prenez donc cette calèche, déclara tranquillement Voldemort : Harry, vous joignez-vous à moi ? Nous pourrons discuter plus facilement de votre séjour. Je ne sais pas si votre jambe requiert des attentions particulières.
Il admirait comme chaque phrase sortait de sa bouche avec facilité. Comme s'il n'y avait effectivement rien d'autre entre eux qu'une franche camaraderie sur le point de naître. Comme si Harry ne rêvait pas de lui ardemment depuis qu'il avait – depuis qu'il savait qui il était. Comme si Voldemort n'avait pas dormi contre lui à plusieurs reprises, comme s'ils n'avaient pas partagé un moment si intime qu'il les conduirait tout droit en prison à cette époque.
-Cela me semble tout simplement parfait.
Théodore et Drago hochèrent de la tête, un peu soulagés. Ils échangèrent des banalités, se promirent de se retrouver plus tard. Une minute et leur calèche partait. Il ne restait plus que Voldemort et ses parents. Une pensée fugace pour la dernière vie, où James et Lily s'étaient farouchement opposés à l'amitié entre eux. Amitié. Était-ce le bon terme pour qualifier les sentiments d'Harry, lui qui ne pouvait pas regarder l'autre homme sans ressentir un savant mélange de désir, d'envie, d'amour ?
Il était vraiment stupide. Et il se mordrait bientôt les doigts d'être si sentimental. Il le pressentait.
-A bientôt, essaya Harry.
Il serrait sa canne dans sa main à s'en faire pâlir les doigts. Il redoutait une dernière idée de son père, un dernier prétexte qui serait plus efficace que les derniers.
Son père hocha sèchement de la tête. Il contemplait Voldemort avec haine. Pas surprenant. Un jeune homme, plus beau, plus éloquent, plus apprécié, apparemment, qui débarquait dans leur monde – alors même qu'il était vraisemblablement un bâtard ça avait de quoi le faire rager. Ironique que son comportement soit exactement le même que celui des sang-purs. James Potter était peut-être moins indulgent et moins ouvert d'esprit qu'il ne le croyait.
Il ne répondit pas. Tendit une main sèche et ferme à Voldemort qui la serra sans conviction. Harry ouvrit la bouche, pour adresser un aurevoir à sa mère mais – son regard perdu l'en dissuada.
-Allons-y, voulez-vous ? proposa Voldemort en se retournant.
Un dernier regard. Les yeux marrons de son père qui le foudroyaient, espérant sans doute qu'il tombe mort. L'odeur des chevaux, une odeur dont il s'était tenu à l'écart depuis son accident une première goutte de pluie qui tomba sur son crâne, le faisant frissonner.
Il se retourna et s'avança, lentement, péniblement, la jambe tendue à l'extrême, en direction de la calèche. Voldemort s'écarta pour le laisser monter. Cette galanterie était déplacée. Harry le savait, Voldemort aussi – et ses parents aussi. Probablement une insulte discrète envers James. Une façon de lui signaler que lui aussi ne voyait pas son fils comme un homme. Mais comme un être fragile qu'on laissait monter en premier.
Bêtement, le cœur d'Harry se serra.
Il s'assit sur le siège en cuir de bonne facture. Il s'agissait évidemment des calèches de première qualité. Il y avait de l'espace, les sièges étaient confortables. Mais elles l'étaient moins que celles de Poudlard, celles qui emmenaient les élèves au château. Il n'aurait jamais imaginé emprunter ce moyen de transport avec Voldemort. C'était – amusant, dans un sens, ce miroir d'une autre vie. Ces touches troubles qui dévoilaient ce qu'ils avaient été jadis.
Voldemort s'assit en face de lui. Il ferma la petite porte. Harry accorda une dernière fois un regard à ses parents. James remontait déjà le long de l'allée – à quelques mètres des marches qui menaient à la porte du château. Lily était seule, immobile. Elle ressemblait à un fantôme.
Il détourna les yeux.
Il les garda quelques instants sur ses mains, jointes, devant lui. Il se sentait un peu comme un enfant qui, pour préserver son plaisir, fait exprès de ne pas regarder trop fixement un cadeau. C'était le cas – n'est-ce pas ? Il était enfin, enfin, seul avec Voldemort après des heures de torture. Imaginer que cela faisait moins de vingt-quatre heures relevait du délire. Mais, en soi, ça ne faisait pas vingt-quatre heures. Ça faisait environ vingt-cinq ans.
La calèche se mit en route. Il leva les yeux.
Et – oh, tout ce qu'il avait pu imaginer, ses rêves et espoirs, rien n'était à la hauteur. Son cœur se serra dans sa poitrine. À la dérobée, discrètement, il avait évidemment déjà regardé Voldemort. Mais c'était autre chose que de l'avoir en face de lui, seul. Enfin… « seul ». Derrière Voldemort, grâce à l'une des vitres, il voyait les deux jambes du cocher. Nul doute qu'il pourrait entendre leur conversation si celle-ci devenait trop animée.
Voldemort était habillé de la même manière, évidemment, que dans la cour. Mais son expression s'était métamorphosée. Il avait l'air ouvert – triste – ses yeux reflétaient une myriade d'émotion qu'Harry était bien incapable d'interpréter.
Il tendit une main dans sa direction, la paume ouverte. Harry la contempla un instant. Il leva ensuite son bras, lentement, et glissa la sienne contre les doigts chauds de l'autre homme. Voldemort la serra et vint poser sa deuxième main sur leurs mains jointes. Par réflexe, Harry fit de même. Il avait le souffle bloqué dans sa bouche – l'amour qu'il ressentait, qu'il aurait préféré inexistant, (une chimère) l'étouffait. Il avait envie de pleurer, de rire – mais par-dessus tout de franchir les quelques centimètres qui les séparaient et laisser le plus grand l'enlacer.
-Je suis sincèrement – si heureux de te voir, Harry
Harry se pinça les lèvres. Des larmes montaient et menaçaient de déborder. Entendre Voldemort lui dire explicitement qu'il était content de le voir, qu'il ne faisait pas que subir la présence d'Harry - ses épaules se courbèrent.
Le savant mélange entre le comportement de son père, son esseulement, la douleur liée à sa jambe – c'était trop.
Des larmes le long de ses joues. Sillons de désespoir – et d'impuissance. Enfin, jusqu'à ce que Voldemort ne vienne le sauver. C'était la deuxième fois déjà. En fait, dans les deux vies où Harry avait été profondément malheureux, celle-ci et celle où il avait été un esclave, Voldemort était intervenu pour le retirer des griffes du désespoir.
Voldemort lâcha ses mains et le prit par les épaules :
-Je suis désolé si j'ai dit quelque chose de blessant, dit-il d'une voix précipitée.
Harry savait que c'était une mauvaise idée, particulièrement dans une calèche où on pouvait les entendre. Mais d'avoir l'autre homme si proche, penché sur lui, de sentir l'étreinte de ses mains même si ce n'était que sur ses bras – il s'effondra volontairement.
La tête appuyée contre l'épaule de Voldemort, les bras entourant sa taille – il était à la fois l'homme le plus malheureux de la terre et le plus heureux. Une large main vint se poser sur son dos. Harry se fit la réflexion que c'était comme ça qu'il voulait passer ce long voyage. Entre les mains réconfortantes de Voldemort.
Mais c'était impossible. Il suffisait que le cocher leur pose une question ou qu'il se penche pour voir si tout se passait bien, et ils seraient les deux perdus.
Harry se redressa. Maladroitement, très embarrassé, il essuya les larmes qui constellaient ses joues.
-Désolé, déclara-t-il.
-J'imagine que cette vie n'est pas très indulgente avec toi, chuchota Voldemort dont les mains avaient glissé de son dos à la taille.
Harry émit un rire amer :
-C'est le moins que l'on puisse dire. Tom, essaya-t-il : merci, je-
D'avoir exprimé un début de remerciement (qui aurait dû être suivi par une explication de sa crise de larme) fit remonter les sentiments qui l'avaient assailli. Il écrasa son visage entre ses mains essayant de contrôler les sanglots qui tentaient de s'échapper de sa poitrine. Chaque seconde les renforçait. Son dos se mit à tressauter.
-Harry.
Voldemort avait aussi la voix nouée :
-Harry, essaya-t-il une nouvelle fois.
Il caressait maladroitement ses épaules. Harry inspira en tremblant. Pourquoi n'avait-il pas pleuré le soir précédent, seul à l'abri dans sa chambre ? Il était pathétique. Quelle brillante vision de réunification, pensa-t-il amèrement.
Il releva la tête. Essaya une nouvelle fois de sourire tout en sachant pertinemment que ce serait un bien piètre sourire :
-Je suis vraiment désolé. C'est juste –
Il haussa des épaules, impuissant. Voldemort lui offrit un sourire brillant d'amertume :
-ne t'excuse pas. Je suis juste heureux que tu sois avec moi plutôt que…là-bas.
Il fit un mouvement d'épaule en direction du château qu'ils venaient de quitter. Il était toujours visible, au loin. C'était d'ailleurs la première fois qu'Harry le voyait depuis l'extérieur. La première fois depuis des année. C'était surprenant à quel point il était beau, en fait. Accueillant. Les briques gris clair, les tours, le gigantesque parc vert, c'était une vision féérique, il supposait.
Combien de personnes tueraient pour habiter dans un lieu pareil ? se demanda-t-il.
Ce qui ne pouvait amener qu'à une seule conclusion. La taille, la forme, le prestige d'un bâtiment n'avait de valeur que si l'on pouvait s'en faire un foyer. Et qu'était-ce qu'un foyer ? Une petite maison dans une ville tout aussi petite. Une voiture volée à une jeune maman trop crédule.
C'est là où l'on peut être… sincèrement, indubitablement heureux.
Heureux. C'était la deuxième fois que Voldemort employait ce mot en l'espace de quelques minutes. Était-ce réel ? sincère ? La mort n'avait de cesse de sous-entendre qu'il n'essayait que de le manipuler pour être « ressuscité » encore et encore. Voldemort pouvait-il être heureux ? c'était la première fois qu'il entendait ce mot sortir de sa bouche – dans un contexte sérieux, en tout cas. Était-ce vraiment ce qu'il était, ce qu'il ressentait ?
-Est-ce que tu es heureux, Tom ?
Un silence. Voldemort rougit. Harry vit avec surprise la vague cramoisie naitre dans le bas de son cou et se propager sur son visage.
-Je – commença Voldemort
-Tout va bien ? demanda la voix du cocher.
Harry ne savait pas qui c'était – n'avait même pas entraperçu son visage. C'était drôle parce que ça ne lui avait même pas traversé l'esprit mais – peut-être étaient-ils condamnés à mourir dans un accident stupide de calèche ? C'était dingue qu'il n'y ait même pas pensé.
Voldemort sembla se ressaisir. Il secoua de la tête et se retourna :
-Très bien, merci.
-N'hésitez pas à me dire, Monsieur le Duc.
-Duc ? Harry forma le mot de sa bouche sans émettre le moindre son : Duc ?
Voldemort lui répondit par un sourire plein d'ironie :
-La très respectable et ancienne famille Gaunt est effectivement la famille qui gouverne le duché de Serpentard –
-C'est ridicule, commenta Harry : le duché de Serpentard ?
-C'est étrange, n'est-ce pas ? J'ai pourtant réellement l'impression d'être en Angleterre mais – la famille royale, les aristocrates, tout à un lien avec Poudlard.
-Je n'aime pas ça, déclara Harry : je n'aime pas ça du tout –
Voldemort haussa des épaules. Son expression prit un tour songeur. Son regard se voila. Harry essaya de s'en détacher pour observer autre chose, le paysage, l'intérieur de la calèche, mais – impossible. Il était obnubilé (attiré) par l'homme qu'il avait en face de lui. Il hésita, il avait terriblement envie de renouer un contact physique – aussi léger fut-il. Il essaya de se convaincre qu'après tout, Voldemort avait initié les contacts physiques sans retenue - mais cela n'empêcha pas Harry de s'en sentit affreusement gêné. Sans aucune raison, se morigéna-t-il : l'autre lui avait donné tous les feux verts du monde, mais de le voir dans cette apparence de jeune homme, fier, magnifique, il n'avait pas l'impression d'en être digne.
Harry Potter pas digne de Voldemort. Oui. Ces vies étaient définitivement en train de le réduire en miette. Bientôt, il serait balayé par le vent et il ne resterait rien d'autre... que cette attirance malsaine et toute puissante pour l'autre homme. Mais qui il était et ce qu'il avait été, il n'en resterait rien. Pas même de frêles ossements –
Cela ne servait à rien de se torturer comme ça.
Le paysage, donc. Des champs verts, des clôtures en bois – maladroites, bien loin de l'efficacité du monde industriel. Des moutons, quelques vaches. Ils passèrent dans un village. Ils étaient silencieux – contrairement aux habitants dont Harry pouvait entendre les voix. Hommes et femmes se poussaient pour laisser passer la calèche. Ils étaient curieux – essayaient d'apercevoir qui se trouvait à l'intérieur. Des gens qui étaient sous la responsabilité de Lord Potter. Qui seraient peut-être un jour sous celle d'Harry. C'était aberrant et ridicule.
-Je suis désolé si ma curiosité est mal placée mais –
Harry se tourna pour faire face à Voldemort. Il regardait sa jambe avec curiosité. Ah, les fameuses questions. Il ne savait pas à quel point ce qui lui était arrivé était de notoriété publique. En tout cas pas assez pour que Lord Gaunt n'ait été mis au courant. En même temps, qu'est-ce qu'un jeune homme brillant, plein de succès et à l'avenir prometteur comme lui pourrait en avoir à faire de l'héritier Potter et de ses blessures ?
Harry lui servi un sourire en coin :
-Un accident idiot, je suis tombé de cheval et, (son sourire se transforma en grimace) : le cheval m'a piétiné.
Voldemort grimaça :
-Et personne n'a rien pu faire pour soigner ton genou ? ton tibia ?
-Genou et cheville, répondit Harry avec une légèreté feinte : les os ont été broyés – on a immobilisé ma jambe pendant des mois mais ça n'a servi à rien. Je pense que tout s'est soudé n'importe comment.
Il soupira. Il n'avait pas très envie de raconter les détails. Parce que c'était arrivé alors qu'il était terriblement jeune. Un âge où il n'aurait certainement pas dû se trouver sur le dos d'un étalon. Mais bon, que pouvait-on faire Lord Potter trouvait ça très drôle, son minuscule héritier sur la croupe de l'étalon le plus imposant de son écurie. Contraste amusant.
Le pire, c'était que James ne jugeait pas que c'était sa faute. Ou alors, toutes les façons dont il s'en prenait à son fils était une manière de se punir lui-même. Mais si c'était effectivement le cas, c'était encore pire que tout le reste – si égoïste et égocentrique…
-Je suis sûr qu'avec un bon médecin –
-J'en ai vu des tonnes, je pense que ma jambe est condamnée à rester comme ça pour cette vie.
Il la tapota légèrement comme pour compatir envers cette partie de son corps. Il regretta immédiatement son geste, évidemment, la douleur lui fendit le tibia.
-Ou un massage ? ou des bains ?
-Je te promets que ma mère a tout essayé. Probablement que dans cinquante ans on aurait pu réparer ça avec une opération mais là – c'est déjà un miracle que ça ne se soit pas infecté.
Voldemort hocha de la tête, songeur. Il ne quittait pas des yeux le genou d'Harry. Il s'en sentit presque gêné. Lorsqu'il était découvert, il était évident qu'il y avait un problème. L'os formait une bosse – qu'il n'y avait pas sur les genoux sains. Même quand il était immobile, impossible de prétendre qu'il était autre chose qu'infirme.
Il aurait aimé, d'ailleurs, pouvoir plier sa jambe pour la soustraire au regard de Voldemort. Mais dans l'espace restreint, c'était trop d'efforts – et trop douloureux.
Il se remit à contempler l'extérieur. Ses questions devraient attendre qu'ils se trouvent dans un lieu totalement privé.
Des paysages défilèrent. Remarquables par leur similitude. À l'allure à laquelle ils allaient – celle de deux chevaux au pas – il aurait aimé pouvoir s'enthousiasmer d'une nature belle et enivrante. Mais elle était simple, presque quelconque. Des champs. Il voyait des bois, au loin. Les nuages étaient haut dans le ciel, le soleil venait caresser timidement les épis de blés.
Il y avait sans doute un plaisir bucolique dont il aurait pu tirer des pensées agréables. Mais ce n'était ni dépaysant ni suffisamment hors du commun pour que cette vision ne parvienne à le distraire. Il était las.
Le soleil poursuivit sa course, ce long arc à moitié invisible puisque des nuages ne tardèrent pas à le voiler. Lourds, gris, ils menaçaient les créatures qui vivaient sous leur ombre. Ils étaient la promesse d'une averse, dès lors qu'ils auraient décidé de relâcher leur fardeau, leur trop plein sur la terre. Harry ne s'en préoccupait, pas bien sûr. Qu'il y ait de la pluie, du vent, une tempête, ça lui était bien égal, en fait.
Il n'arrivait même pas à convoquer une impatience quant à la perspective d'atteindre l'auberge et, qui sait, peut-être un semblant d'intimité. Bercé par les pierres qui jalonnaient la route, le tressautement des roues, des vagues sèches qui se réverbéraient dans sa jambe.
Immobile, il n'avait pas mal, d'habitude. C'était sans compter ce mouvement perpétuel qui se transformait en supplice. Mais un supplice dont il ne pouvait pas s'extirper. Il le subissait en silence, égarant parfois un regard en direction de Voldemort qui ne bougeait pas.
Lui aussi était absorbé dans la contemplation du paysage. Mais il regardait par l'autre fenêtre, son corps tourné à l'opposé de celui d'Harry. Un miroir, encore une fois. Deux hommes qui ne faisaient que se refléter l'un l'autre.
Cette constatation effraya Harry qui hésita un instant à interrompre ce silence contemplatif. Mais que pouvait-il dire ? Les banalités – qui auraient eu leur place dans ce paysage soporifique – lui tordaient la gorge.
Mais cette attente, ce poids des non-dits, de cette distance (obligée ou désirée) entre eux, lui devint subitement plus douloureuse encore que sa jambe. Distraitement, sa main tapait contre sa cuisse valide. Il réalisa qu'il se mordillait la lèvre inférieure.
Aborder un sujet quelconque lui était insupportable mais cette gêne aussi. Il se décida à s'enquérir de leur destination :
-On arrive bientôt ? demanda-t-il finalement, la gorge nouée.
Le frayement de ses mots entre ses dents, pire que d'arracher l'une d'entre elle. Voldemort feignit de se pencher plus en avant vers la fenêtre, le regard toujours tourné résolument dans la direction opposée à celle d'Harry. Il étudia le paysage qui défilait lentement et se tourna finalement vers lui.
-Il me semble que nous n'allons pas tarder à arriver.
Je suis heureux de te voir, convoqua Harry désespérément dans sa tête. C'était plus ou moins les mots de l'autre homme, non ? Plus tôt. Il avait senti dans la voix une proximité, une complicité – quelque chose qui l'accueillait – mais depuis, Voldemort s'était terré sur lui-même. Était-ce pour parfaire l'illusion ou Harry avait-il fait quelque chose de mal ? Il aurait donné beaucoup pour ne serait-ce qu'oser poser la question.
Mais c'était impossible.
Il rumina ces sombres pensées un moment encore. Jusqu'à, finalement, ce qu'il entende distinctement des voix humaines. Tonitruantes – alors même qu'elles semblaient lointaines – elles parasitaient le silence qui, jusqu'à présent, n'avait été interrompu que par les chevaux.
-On arrive, déclara platement Voldemort qui se pencha encore plus pour observer ce qui lui faisait dos.
Effectivement, le bruit des voix s'intensifia. Des rires, une chanson, de la vie. Des vies libres, désinhibées, qui n'étaient pas retenues par des conventions sociales rigides. Curieux (et peut-être un peu enthousiasmé, lui aussi), Harry se pencha.
Il s'agissait d'une bâtisse de taille respectable. Il y avait manifestement trois étages. Dehors, des tables posées pèles mêles étaient manifestement le rassemblement des hôtes qui tentaient de profiter de la soirée avant que la pluie ne les chasse de la terrasse improvisée.
Acte 3, scène 4
Leur calèche fendit la foule. Harry s'en sentit presque gêné. Il savait qu'il était coutume, pour les nobles, de se faire amener devant les portes. Quelle idée farfelue cela serait que de leur demander de marcher ? Pire, de devoir se mêler à la populace ? Il se sentait loin d'être légitime, pourtant. Les curieux se rassemblèrent. Nul doute que Malfoy et Nott les avaient devancés et se trouvaient déjà dans l'établissement.
Ils s'arrêtèrent. Les chevaux marquèrent leur contentement de deux hennissements qui voilèrent les bruits de la foule. Le cocher sauta de son siège et ouvrit prestement la porte en s'inclinant.
-Nous y voilà, déclara-t-il laconiquement, comme si ce n'était pas une évidence.
-Merci, répondit Harry qui regretta immédiatement ses paroles.
Un véritable noble n'avait pas à remercier son employé d'effectuer son travail. C'était en-dessous de lui et pire, le cocher risquait de perdre son respect s'il s'adressait à lui de cette façon-là. C'était le plus grand paradoxe montrer de la familiarité avec son personnel risquait de les vexer. Le sourire amusé de Voldemort ne lui échappa pas.
Harry se releva en s'appuyant sur sa bonne jambe. Il grimaça. Même en ne la bougeant que très peu, sa mauvaise le faisait atrocement souffrir.
Il s'accrocha au toit de la calèche. Il n'avait pas réalisé que ce confinement dans l'habitacle l'avait fait transpirer. Une goutte glissa le long de son dos. Ses jambes tremblaient. Il y avait foule de part et d'autre de la porte de l'auberge.
Les curieux venaient sans doute voir qui étaient les nobles qui se joignaient à eux pour la soirée. Ce n'était pas forcément une occurrence rare, les jeunes hommes célibataires étaient certainement moins regardant sur la qualité des hébergements que leurs parents – mais c'était tout de même suffisamment inhabituel pour que cela éveille leur intérêt.
Harry se concentra sur le petit marche pied qui fractionnait la distance entre le fond de la calèche et le sol. C'était deux marches, il pouvait le faire. Il essaya de s'accrocher au maximum, prenant appui sur ses bras pour ne pas trop en demander à sa jambe blessée.
La douleur lui transperça le genou. Il sentit qu'il se pliait malgré lui – Son visage se tordit dans une grimace de douleur – il allait tomber, s'étaler devant tous ces badauds qui ne risquaient pas d'oublier l'humiliation de l'héritier de l'honorable et estimée famille Potter.
Il ne lui resterait plus qu'à fuir. Fuir et potentiellement mourir ce qu'il ne souhaitait pas vu que Voldemort semblait parfaitement heureux mais franchement, quel espoir avait-il lui qui ne pouvait pas marcher un kilomètre sans s'affaisser ? Il se ferait assassiner en moins de vingt-quatre heures et –
Une main saisit son bras et le redressa. Le sol de la calèche pencha vers l'avant. Elle n'était pas conçue pour que deux hommes adultes se tiennent si proches l'un de l'autre du même côté. Il retrouva son équilibre, la douleur aveuglante se replia.
Voldemort l'avait attrapé et le soutenait – littéralement. Harry inspira et profita de ce soutien pour descendre le marchepied. Il était à terre. Voldemort le lâcha et s'avança naturellement vers la porte. Harry se doutait bien que les gens avaient remarqué la scène mais aucun rire ni surprise ne semblait émaner de la foule. Finalement, peut-être que sa presque-chute était passée inaperçue.
Harry décida de ne pas s'arrêter physiquement sur ce miracle. Il s'avança lui aussi, aidé de sa canne, à l'intérieur de l'auberge.
Elle était mal éclairée. Il y régnait une vieille odeur d'alcool et de tabac. En fait, elle ressemblait en tout point aux établissements à la fréquentation assez peu honorable de sa première vie. Un pub anglais tout ce qu'il y avait de plus traditionnel. Des gens éméchés s'époumonaient à l'autre bout de l'établissement. Des vestes diverses étaient accrochées dans l'entrée. Un long couloir sombre qui se terminait par une porte battante. Elle était encore légèrement en mouvement, preuve que Voldemort venait à peine de la passer. Harry pressa le pas. Aucune chambre ne serait au rez-de-chaussée, car c'était là que se trouvait la taverne et le restaurant (si le lieu méritait ce titre). Mais peut-être parviendrait-il à se procurer une chambre au premier étage. Elles étaient plus miteuses que celles aux étages supérieurs – la qualité augmentait en même temps que la hauteur - mais il parviendrait peut-être à gravir seul les escaliers. Sans Hermione pour le seconder secrètement, pas sûr qu'il parvienne à se débrouiller.
Il passa donc la porte. L'intérieur de l'auberge n'était pas mieux éclairé. Il aperçut immédiatement les cheveux blonds de Malfoy. Lui et Théodore étaient déjà installés à une table. La posture de leur corps était celle de jeunes gens qui se savent tout permis. Presqu'affalés, le visage fendu de deux sourires méprisants – Harry imaginait que ce séjour était pour eux un divertissement tout ce qu'il y avait de plus intéressant. Pas sûr que les clients habituels apprécient cette manière éhontée de souligner leur supériorité.
Ses yeux s'arrêtèrent ensuite sur Voldemort – qui lui aussi était facilement repérable, n'était-ce que par sa taille imposante. Il était penché sur le bar où, derrière celui-ci, le patron étudiait son registre. Harry s'approcha, essayant d'adopter la même attitude que celle de ses camarades. Il était tout à fait légitime dans cet établissement. Lui aussi avait un porte-monnaie quasiment sans fond, lui aussi avait un carnet d'adresse à faire pâlir d'envie les bourgeois les mieux nés –
-Bonjour, déclara-t-il d'une façon qu'il espérait assurée.
L'aubergiste (qui d'ailleurs était en fait Tom le barman, Harry ne l'avait pas reconnu de loin) et Voldemort levèrent la tête pour lui adresser un petit signe.
-Voilà mon compagnon de route, déclara tranquillement Voldemort en désignant Harry d'un geste : pouvez-vous lui répéter ce que vous venez de m'apprendre ?
-Bien sûr, répondit Tom en s'inclinant légèrement : nos meilleures chambres sont disponibles, Lord Malfoy et Lord Nott en ont déjà réservé deux, je proposais à Lord Gaunt de prendre la troisième ce qui vous laisserait la dernière, Lord Potter.
Ainsi, donc il connaissait son nom. Pas étonnant. Harry se redressa au maximum. Sa jambe le lança – cela n'avait pas d'importance :
-Pouvez-vous m'indiquer à quel étage se trouvent ces fameuses chambres ? je crains que ma jambe ne m'interdise un exercice trop périlleux, et ce particulièrement après un voyage de plusieurs heures.
Tom parût terriblement embarrassé :
-Je – je suis sincèrement navré, bien entendu, ces chambres se trouvent au troisième étage. Il y en a tout de même une autre libre au deuxième, ajouta-t-il précipitamment en feuilletant son registre : elle est moins confortable mais tout de même, je l'espère, parfaitement acceptable selon vos goûts et –
-Et au premier ? l'interrompit Harry en grimaçant : est-ce que vous avez des chambres privatives ?
-Je crains que non, monseigneur : Au premier nous avons surtout des dortoirs et toutes les pièces sont occupées par une personne au minimum et –
Harry fit un geste du bras. Son but était d'apaiser Voldemort, après tout ce n'était pas de la faute de Tom le barman si l'auberge n'était pas conçue pour quelqu'un comme lui. La façon dont il s'était soudainement penché sur le pauvre aubergiste était infiniment explicite.
-Je suis sûr que l'une des personnes occupant une de ces pièces sera ravi d'échanger avec moi, non ? Je payerai la chambre du troisième –
-C'est hors de question, trancha Voldemort dans un sourire (faux bien sûr) : Harry, vous n'y pensez pas, échanger votre chambre avec –
-Je ne vois pourtant pas d'autre solution, le coupa Harry en essayant d'imiter le même sourire : je ne suis malheureusement pas capable d'escalader ces escaliers – même si je le souhaite ardemment –
Tom l'aubergiste suivait la conversation, la main tremblante.
-Pensez-vous pouvoir reprendre la route ? Je suis persuadé qu'une autre auberge –
-Non, c'est tout simplement hors de question –
-Veuillez nous excuser.
Et sans prévenir Harry, il l'attrapa par le bras et le traîna délicatement à l'autre bout de la pièce. Harry serra des dents, constatant quand même que Voldemort essayait de supporter son poids au maximum. Il pouvait au moins lui être reconnaissant de ça, même si c'était clairement la seule chose.
-Harry, cracha-t-il en gardant une façade parfaitement avenante : tu ne peux pas dormir dans une de ces chambres, tu vas te faire assassiner.
-Tu es un peu trop dramatique, rétorqua Harry qui n'avait évidemment pas pensé au fait que c'était effectivement un risque.
La médecine forensique n'était pas suffisamment évoluée pour qu'on retrouve le coupable si, appâté par ses richesses (prétendues, Harry n'avait rien de valeur sur lui) décide de s'introduire dans sa chambre pour le détrousser. Il y avait forcément un garde au troisième étage. Quelqu'un de confiance de l'auberge (en plus des valets de Malfoy, Nott et de Voldemort qui feraient probablement le guet pendant la nuit). Personne ne pourrait s'assurer qu'il survivrait à la nuit s'il dormait au premier étage.
-Je ne suis pas capable de monter, ajouta Harry en rougissant malgré lui. Certes, ce n'était pas le même nombre d'étage que chez lui. Certes, ce ne serait pas aussi horrible que les longues minutes qu'il passait régulièrement accroché à Hermione. Mais seul, impossible.
-Je peux t'aider, ajouta précipitamment Voldemort : pas la peine d'en faire un spectacle, je suis sûr –
Harry eut un geste d'impatience. Oui, encore une fois, Voldemort pourrait sans doute l'aider. Il était même probablement suffisamment fort pour réussir à le porter. Ça prendrait moins d'une minute il supposait. Et il serait en haut. Dans une chambre sécurisée et adaptée à son rang.
-Je sais que ça paraît ridicule, surtout avec tout ce que tu as déjà fait pour moi mais ça me gêne.
Voldemort émit un rire sans joie :
-Parce que tu crois que ça ne me gêne pas, de savoir que tu m'aides à chaque fois qu'on meure ? Je ne sais pas exactement ce qu'il se passe, comment tu vois les choses, à vrai dire ça me paraît toujours complètement insensé mais tu crois que j'en suis content ?
Il dut déceler un air blessé sur le visage d'Harry :
-Bien sûr que je suis heureux que tu m'aides, Harry, ce n'était pas ce que je voulais dire ce que je voulais dire c'est que si je peux t'aider d'une quelconque manière – en plus d'une façon aussi idiote que de t'aider à monter des escaliers je trouve aberrant, insultant en fait, que tu puisses avoir l'impression que ce n'est pas ton dû.
Son dû.
Bien sûr. Harry avait eu la bonne intuition. Voldemort se comportait comme ça avec lui depuis le début parce que – parce que c'était son dû. Parce qu'Harry le soustrayait à une punition dont la douleur n'avait pas de commune mesure. C'était pour ça qu'il l'avait aidé quand il avait été malade, pour ça qu'il – comment dire – qu'il se prêtait au jeu en prétendant – avoir une attirance pour lui ? Voldemort avait dû comprendre les sentiments qui tiraillaient Harry et il en tirait parti, bien sûr. Harry ne pouvait même pas lui en vouloir.
Mais si c'était vraiment ça, alors pourquoi est-ce qu'Harry avait des scrupules à réclamer son dû ? Voldemort venait de lui faire comprendre qu'il était littéralement son obligé – bon sang à quel point Harry pouvait-il être bête ? Qu'est-ce qu'il avait cru ? Que LORD VOLDEMORT pouvait éprouver le moindre sentiment ? Non, il s'emportait, il ne pensait pas ces bribes de colère et de tristesse. Voldemort ressentait manifestement de la gratitude. Et de la compassion.
-Très bien, capitula Harry la gorge nouée. D'ailleurs, reprit-il : je ne me sens pas très bien. Je pense que c'est bien si je vais directement me coucher.
Voldemort fronça des sourcils. Un de ses bras tressauta. Un geste avorté.
-Très bien, répéta-t-il : alors allons-y.
Ils retournèrent auprès de Tom qui s'était évertué à faire semblant de ne pas épier leur conversation. Il ne s'en était pas si mal sorti. Mais Harry n'en avait sincèrement rien à secouer. Tout ce qui l'importait, c'était de trouver une chambre un lit, dans lequel il pourrait s'oublier. Son cœur s'était ouvert dans sa poitrine. Une hémorrage de peine et de tristesse qui contaminait ses veines et ses artères, propulsés dans son corps à chaque battement. Son rythme s'accélérait, ses tempes lui faisaient mal. Il se savait rouge, une pression désagréable derrière ses yeux. Voilà, il allait se remettre à pleurer comme le dernier des imbéciles.
Ça avait été tellement facile, avant, tellement facile de se persuader – de s'aveugler que leur relation avait un minimum de sens… Du moins qu'il y avait une certaine réciprocité dans leur rapport. Il ne voyait désormais plus que l'abime qu'elle était réellement. La Mort avait raison. Il n'était qu'un imbécile.
Voldemort se chargea d'expliquer qu'ils prenaient finalement la quatrième chambre du troisième étage. Ravi de voir que son établissement ne faisait pas défaut à des gens pareils, Tom leur tendit la clé dans un sourire affable. Il s'inclina révélant la bosse qui lui déformait le dos.
Harry s'en détourna. Il s'avança vers les escaliers sans accorder le moindre regard à leurs deux compagnons qui étaient toujours assis. Ils n'avaient sans doute même pas remarqué la scène. Et quand bien même, qu'est-ce que ça changeait ? Ici ou dans une autre vie, dans cette époque ou dans une autre, libres ou contraints comme ils l'étaient – qu'est-ce que ça changeait ? Rien. Il valait mieux que cette parodie cesse au plus vite.
Dire que c'était Harry qui avait provoqué tout ça c'était lui qui s'était pointé chez Voldemort – lui qui lui avait ensuite proposé de faire une collocation. Était-il vraiment si stupide ? Qu'avait-il espéré si ce n'était – oui. Qu'avait-il espéré ?
Il s'arrêta devant les escaliers. Saisit la rampe de fer d'une main. Froide sous sa paume, elle lui fit un bien fou. Voldemort le saisit littéralement par le dos. La majeure partie du poids d'Harry était entièrement soutenu par ses épaules.
Je me hais, pensa-t-il alors qu'il se laissait aller dans les bras du plus grand, que son corps réclamait la chaleur réconfortante – la densité organique qui lui rappelait la sensation de sécurité qu'il éprouvait depuis peu à chacun de ses contacts
Son envie de pleurer lui brulait les yeux. Les marches défilaient – il se concentrait sur elle pour retenir ses larmes. Un tapis rouge sale. On voyait le bois, parfois, entre le tissu élimé. Des fils blancs bordaient les plaies. Premier étage. Deuxième. Le porter semblait ne coûter aucun effort à Voldemort.
Pas étonnant. Si Harry avait d'habitude une forme physique tout à fait respectable, il se savait malingre. Une ombre – un reflet distordu de qui il était. Distorsion après distorsion que restait-il de l'image ? Que restait-il du sujet ?
-C'est cette porte, déclara laconiquement Voldemort en introduisant la clé dans la serrure.
Il laissa Harry reprendre appui contre le sol. Harry ne put retenir un bruit de douleur. Il s'appuya contre le mur alors que Voldemort s'affairait.
La dernière fois qu'ils s'étaient introduits les deux dans une chambre d'hôtel – ah, ils étaient morts. Mais avant ça – Harry avait connu le genre de bonheur transcendant qu'il n'avait jamais ressenti jusque-là. C'était peut-être ça, le plus triste. L'espace d'un quart d'heure, il avait été plus heureux que dans toutes les autres vies cumulées.
Y compris la première. Comment pouvait-il être infidèle envers lui-même à ce point ? Et ses enfants ? Dieu merci, ils n'avaient existé dans aucune de ces parodies de vie. Il ne pourrait jamais se le pardonner si ça avait été le cas.
Et entre ses enfants et Voldemort, même si ça lui brisait le cœur – il savait que son choix serait vite fait. Etonnant, d'ailleurs, que la Mort ne les ait pas utilisés comme chantage.
La porte s'ouvrit dans un grincement qui, bien que parfaitement à sa place dans une auberge pareille, n'augurait rien de bon quant à la qualité de sa chambre. Harry se redressa et, sans attendre que Voldemort ne tente de l'aider à nouveau, pénétra dans la pièce.
Un énorme lit. Une grande fenêtre. Un tapis rongé par les mites. Un petit bureau où ne se tenaient qu'une chandelle et de quoi écrire. En d'autres termes, pour le lieu, c'était une véritable suite. Il se retourna – Voldemort était resté sur le pas de la porte – un canapé complétait la chambre.
-Merci, je peux me débrouiller maintenant, déclara-t-il.
Voldemort fronça des sourcils. Son expression était étrange – surtout sur son visage. Un tiraillement, une incompréhension, tout semblait se bousculer. Ses traits se figèrent dans une expression agacée. Pas très étonnant, pensa sèchement Harry.
-Est-ce que tu-
Silence. Une rougeur assez peu caractéristique rampa le long de sa gorge pour s'arrêter sur le haut de ses pommettes. Voldemort se racla la gorge et reprit :
-Je ne sais pas – Harry je te présente des excuses si j'ai franchi des limites que je n'aurais pas dû franchir – j'ai sûrement mal interprété la situation. Si tu veux que je m'en aille parce que ma présence t'est insupportable je le respecte.
-Pardon ? demanda Harry qui, sincèrement, n'avait aucune idée de là où voulait en venir l'autre homme.
Il ne l'aurait pas cru possible. Et pourtant, le visage de Voldemort devint encore plus rouge. Il sembla hésiter quant à la meilleure chose à dire, ouvrit la bouche deux fois sans pour autant que le moindre son n'en sorte avant de déglutir :
-Est-ce que tu as l'impression que je t'ai forcé ?
-à quitter le manoir de mes parents ?
Il ne l'avait pas forcé – au contraire. Il avait carrément l'impression d'être le prince d'un conte de fée moderne qui aurait été coincé en haut d'une tour. C'était vraiment l'inverse. Il lui en était reconnaissant – même si cette abnégation ne venait apparemment que d'un sens du devoir.
-Non. Est-ce que tu le fais exprès ?
C'était réellement très étrange de voir Voldemort dans une telle position de vulnérabilité. Debout, ses mains oscillaient entre deux postures : le long de son corps et croisées devant lui. Les épaules légèrement voutées, c'était vraiment une vision –
-Non, répondit à Harry qui exténué commençait à en avoir un peu marre de ces non-dits : honnêtement je ne comprends vraiment pas ce que tu essayes de me dire et ça commence à –
-Je fais allusion au motel, Harry.
Ce fut au tour d'Harry de rougir. Son cœur rata un battement.
-Je vois, ajouta sobrement Voldemort : je ne peux que te présenter des excuses. Evidemment cela ne se reproduira pas –
Harry fit un pas malgré lui – son corps avait agi sans consulter sa volonté. Ou sa raison. Un réflexe qui émanait de la personne qu'il était au fond et non pas de la personne qu'il était – devenue. Ou était actuellement. Sinon bien sûr qu'il se serait servi de sa canne, bien sûr qu'il aurait pris appui sur sa bonne jambe plutôt que de se précipiter – comme un imbécile – sa jambe blessée en premier.
Elle se déroba sous lui dans un horrible craquement. Un cri de douleur ou d'épouvante quitta sa gorge alors qu'il tombait sur le plancher.
Il entendit vaguement une exclamation horrifiée un « Harry » remplit de désarroi. Oui, c'était probablement ce qu'il ressentirait, du désarroi, si la douleur ne transperçait pas chaque molécule de son corps – si son cerveau n'était pas qu'un flot de souffrance.
Il était ridicule.
-Putain, geignit-il. Il sentait littéralement son cœur frapper contre son genou – son tibia semblait avoir déchiré sa chaire. Ce ne serait pas le cas, bien sûr. il le savait.
Il était ridicule. Il suffisait que Voldemort fasse le moindre mouvement de recul – qu'il lui indique qu'il avait l'intention de le laisser - pour qu'il se laisse totalement emporter par ses sentiments. Une vulgaire branche pourrie emportée par le cours d'un torrent. Alors qu'il venait de se dire, à peine quelques secondes plus tôt, qu'on ne l'y reprendrait plus jamais – que c'était terminé qu'il vivrait sa vie et laisserait Voldemort vivre la sienne – mais l'avait-il réellement pensé ?
À terre, plié en deux, au supplice, l'idée même lui semblait absurde.
Des mains contre ses épaules.
-Harry, est-ce que ça va ?
Il savait que la douleur le faisait pleurer. C'était purement physique – ou psychologique, plutôt. Son cerveau essayait de calmer les terribles assauts par une expression concrète de douleur. Bon sang. Pouvait-on être si stupide ? Comment avait-il pu oublier sa jambe ?
Ah, parce qu'après tout… finalement, il était quand même Harry Potter.
Il n'avait donc pas totalement disparu.
Comment il se retrouva dans son lit, en sous-vêtement, alors qu'un médecin s'occupait de sa jambe ? Ce n'était pas un mystère. Voldemort l'avait porté, l'avait déshabillé – Harry se souvenait avoir entendu des mots d'excuses, comme si, après l'avoir littéralement masturbé dans un lit, le soulager des contraintes de tissus qui frottait contre sa jambe méritait des excuses, et était parti en trombe – d'une façon très peu caractéristique – chercher quelqu'un capable de l'aider.
Ce n'était pas un médecin de campagne qui parviendrait à soulager sa jambe, Harry le savait. Mais il n'avait pas la force de le congédier. Son énergie s'était évaporée de son corps en même temps que ses larmes. Il était terriblement fourbu – dormir lui ferait le plus grand bien…jusqu'à ce qu'il soit l'heure de reprendre la route. Arriver à Londres. Et quoi ? Attendre dans une chambre que Voldemort ne daigne lui accorder son attention ? Parce qu'il était loin d'être naïf. Il était le premier à savoir ce que c'était, que d'être entraîné dans des réceptions, des galas, des événements qui font partie intégrante de la société londonienne.
Il était Harry Potter le survivant, après tout.
Une fois le médecin parti et les médicaments supposés soulager sa douleur avalés, il ne resta – encore une fois – plus qu'eux. Nott et Malfoy se présentèrent dans la chambre, leur inquiétude parfaitement polie et feinte. En fait, ils devaient probablement se demander pourquoi ils avaient emmené un tel éclopé si c'était comme cela qu'allaient se passer la majorité de leurs soirées.
Harry n'était qu'un poids et il en avait parfaitement conscience.
Leur visite fut courte – juste de quoi être poli, s'assurer qu'Harry ne risquait pas de clamser pendant la nuit ce qui serait un scandale auquel aucun des deux ne voulait être mêlé. Il les rassura, s'excusa de sa maladresse, lâcha un « ça ne m'était pas arrivé depuis des années » pathétique, parce que c'était pour les rassurer, pour qu'ils ne l'abandonnent pas dès qu'ils mettraient les pieds à Londres.
S'ils n'étaient plus là pour faire barrage entre son père et lui, James le ramènerait dans leur domaine à la seconde où il poserait un pied dans la capitale. Mais pourquoi voulait-il rester, au final. Il ne gagnait rien dans la situation, ne gagnerait rien, d'ailleurs. Voldemort, qui était resté en retrait pendant la visite des deux autres garçons, leur assura qu'il descendrait bientôt mais qu'il avait la sensation d'être un peu responsable de l'accident, il avait après tout, tiré Harry vers la fenêtre pour qu'il puisse contempler le spectacle amusant de ces gens sans manières.
Mensonge. Mais un mensonge amusant qui dissipa quelque peu l'air embarrassé de Drago et Théodore qui les laissèrent sans un regard ni la moindre culpabilité.
-Je ne comprends pas, déclara Voldemort une fois qu'ils furent définitivement sortis de la chambre et que le bruit de leurs semelles contre les marches en bois se soit évanoui.
-Il n'y a rien à comprendre, maugréa Harry, la bouche pâteuse du semblant de médicament qu'il avait avalé. Il n'avait aucune illusion quant à l'efficacité des remèdes de cette époque. Il allait juste s'endormir – passer une lourde nuit et il aurait aussi mal le lendemain que la veille.
Mais alors même que ces mots quittaient sa bouche, il se détesta de les avoir prononcés. Il y avait tout à comprendre, cette distance, cette formalité entre eux, d'où venait-elle ? ils avaient été si proches pendant leur fuite – et même avant chez ses parents alors qu'ils regardaient un film, et même dans la vie précédente, alors qu'il tombait malade – pourquoi avaient-ils reculés à ce point ? Devait-il comprendre que ça n'avait été que la lubie d'adolescents ? étaient-ils donc à ce point modelés par les corps qu'ils habitaient ?
Voldemort s'approcha. Debout, alors qu'Harry était allongé, il était encore plus imposant. Il était si fatigué, si terriblement épuisé
Il ne désirait qu'une seule chose : que l'autre homme se décide à s'allonger à côté de lui. Pas forcément dans l'idée que quelque chose se passe entre eux, Harry était bien trop fatigué pour ça mais juste – juste retrouver le confort de ses longs bras, de son torse – c'était si cruel qu'il ait pu en profiter dans l'autre vie pour que cela lui soit ensuite retiré sans cérémonie –
Même si c'était un peu le propre d'une vie. On ne sait jamais quand les choses vont se terminer, quand on voit une personne pour la dernière fois, on ne sait jamais quand une relation s'avilit pour ne laisser qu'une gêne. Harry avait été assez bête pour croire qu'il y avait une continuité entre les vies. Que s'ils se quittaient d'une manière ils se retrouveraient forcément aussi de cette façon-là que les années qu'ils avaient passé à être Lord Harry James Potter et Lord Gaunt ne comptaient pas.
Mais elles comptaient, bien sûr qu'elles comptaient. Harry ne pouvait plus marcher, Harry savait maintenant avec certitude qu'il était une déception pour ses parents – et c'était des choses qui resteraient avec lui pour toutes les prochaines vies –
S'il avait le courage, bien sûr, de continuer cette mascarade. Le terme était mal choisi. Lors d'une mascarade, on peut retirer le masque et être à nouveau la personne que l'on était avant de le porter. Mais lui – et Voldemort – étaient en métamorphose constante, de nouveaux souvenirs, de nouvelles expériences – l'âme humaine n'était sûrement pas faite pour ces renaissances cycliques.
Ils allaient devenir fous.
-Ce n'est peut-être pas le moment d'aborder le sujet. Mais je t'ai présenté des excuses, j'allais m'en aller et –, Voldemort se pinça l'arête du nez : et tu te mets dans un état pareil je ne comprends pas ce que tu veux, ni ce que tu attends de moi – est-ce que tu veux que je m'en aille ?
Pathétique, pensa Harry. Grotesque. Son corps en entier s'était rebellé – tous ses muscles s'étaient tendus, probablement dans l'espoir de retenir Voldemort au moment où il avait émis cette idée. C'était une réponse en tant que telle. Même si son esprit ne désirait rien de plus que de se libérer de cette terrible prison… Son cœur et son corps s'y refusaient physiquement, au point de raviver la douleur de sa jambe – au point de combler, l'espace d'un instant, les plaies ouvertes qui suintaient de son cœur.
-Non, bien sûr que non, répondit Harry, dont le ton avait clairement une teinte affolée : Tom – je- pourquoi c'est comme ça ?
Et il était si content, si heureux que Voldemort le comprenne – qu'il ait vu le spasme qui avait saisi son corps et qu'il comprenne son intention… Parce qu'il s'assit sur le bord du lit et attrapa une des mains d'Harry. C'était la deuxième fois de la journée.
Ils restèrent en silence. Bercés (soulagés) par cette compréhension mutuelle.
Si ce n'était pour la chaleur de sa main contre la sienne, Voldemort ne le touchait pas. Il était bêtement assis au bord du lit, dans une position inconfortable et franchement un peu ridicule. Il essaya de résister à l'appel du sommeil. Cette trêve – ou non, il n'y avait pas eu de « guerre » entre eux depuis des années, cette… intime compréhension de leur besoin mutuel à rester l'un avec l'autre – était sereine.
Et Harry s'endormit.
Il se réveilla alors que sa chambre était plongée dans une obscurité si opaque qu'il en fut, pendant de longs instants, complètement désorienté.
Il se redressa vainement. Bien entendu, modifier la position de son corps ne changeait strictement rien au fait que ses yeux étaient incapables de percevoir le moindre contour. Ses souvenirs maitrisèrent ses instincts. Il était dans l'auberge. Dans une chambre au dernier étage. Si un incendie se propageait, il serait incapable de descendre sans aide.
Mourir deux fois de la même manière… Bon, au moins, ça avait été indolore. Il s'était simplement endormi – il y avait eu pire (balle, chute, presse-papier, maladie) tout compte fait, ce n'était probablement pas la pire façon de quitter un monde. Pour autant que les flammes ne l'atteignent pas – et vu que l'auberge était en bois – il se somma d'arrêter. La mort viendrait de toute façon à un moment où à un autre, il ne pouvait rien faire pour s'y soustraire.
Quelque chose d'autre le frappa. Il était entièrement seul. Il se laissa retomber – même s'il ne s'était pas complètement relevé, bien sûr, trop fatigué pour un tel mouvement – contre son oreiller. Voldemort n'était pas dans la pièce. L'auberge était silencieuse si ce n'était le bruit d'une conversation qui venait de sa fenêtre. Les voix étaient déformées par la distance mais elles étaient joyeuses, ivres. Dieu savait qu'elle heure il était.
Voldemort devait s'être couché dans sa chambre. Et Harry aurait été stupide d'imaginer qu'il eut pu en être autrement. Un ronflement le fit presque sursauter. Il chercha une lampe, à tâtons, avant de se rappeler que les lampes n'existaient pas encore. Le même bruit retentit. Et Harry comprit qu'il s'agissait probablement d'un domestique, dans le couloir, qui était supposé les surveiller.
Enfin, même en dormant, il supposait qu'il serait difficile pour un criminel de réussir à s'immiscer dans l'une de leurs quatre chambres. Et ça expliquait aussi pourquoi Voldemort n'était pas là. Il ne pouvait pas rejoindre Harry sans réveiller l'homme de Malfoy ou Nott, ou même le sien. Et se rendre dans la chambre de quelqu'un au beau milieu de la nuit c'était… scandaleux.
Si tant est qu'il ait envie de le rejoindre. Il n'en avait aucune certitude mais – mais maintenant qu'il était seul il essaya de se remémorer les différentes phrases de l'autre homme. Il lui avait dit qu'il était heureux de le voir. Pourquoi mentir ? Il ne lui avait jamais dit quelque chose comme ça, avant. À défaut de pouvoir le vivre réellement, Harry imagina la porte grincer, les pas feutrés de Voldemort dans sa chambre, les longs bras l'entourant, cette sensation frappante qu'il n'y ait nulle part, dans ce monde comme dans tous les autres, où Harry n'ait plus sa place.
C'était dingue, quand même. S'il avait su, il aurait probablement fait un commentaire désobligeant à Voldemort, au moment de la bataille de Poudlard. « On se voit bientôt, pour dormir ensemble ! » nul doute que Voldemort n'aurait pas du tout apprécié ce genre de plaisanteries mais – ça ne les rendait que plus savoureuse, d'une certaine manière.
Il sourit dans son oreiller. Peut-être qu'à Londres les choses seraient différentes ? Il fallait qu'il se libère des pensées d'Harry malheureux et maltraité. Elle pourrissait insidieusement les pensées qu'il aurait dû avoir.
Mais là où Tom Riddle était concerné, Harry avait toujours été vulnérable.
Acte 4, scène 1
On le réveilla à l'aube, le lendemain. Il lui fut terriblement difficile d'ouvrir les yeux et encore plus de les garder ouverts. C'était un domestique dont il ne connaissait pas le nom et qu'il n'avait jamais vu dans l'une des autres vies. Grand, roux, il émanait un tel professionnalisme qu'Harry n'osa même pas lui demander de le « laisser tranquille ».
Il se redressa difficilement. Il avait mal, bien sûr. C'était prévisible. Le valet – c'en était manifestement un – l'aida à s'habiller sans commentaire. Oui, un professionnalisme vraiment à toute épreuve, même lorsqu'il s'agissait d'aider un homme adulte à s'habiller.
Harry se décida à lui laisser un pourboire généreux. Il fallait juste qu'il apprenne à qui ce domestique « appartenait ». Ou pour qui il travaillait, plutôt. C'était une façon plus moderne de tourner les faits. Une fois habillé, il congédia l'homme qui s'inclinât légèrement avant de quitter la pièce. Il avait prétexté vouloir écrire une lettre mais, en réalité, il voulait surtout quelques minutes pour se composer.
Il avait essayé de faire bonne figure pendant que l'homme l'habillait. En réalité, chaque mouvement lui aurait arraché un cri s'il avait eu la liberté de le faire. Maudit flegme anglais, pensa-t-il.
On toqua contre sa porte. Ce manque d'intimité était insupportable. On sollicitait toujours les gens de son rang pour s'assurer qu'ils ne manquaient de rien, pour vérifier que tout allait selon leur bon plaisir – un défilement ininterrompu de questions.
-Entrez, maugréa-t-il entre ses dents serrées.
La porte s'entrouvrit laissant apparaître Voldemort. Il était déjà habillé et il considéra Harry avec circonspection :
-J'ai pris la liberté d'appeler la calèche. Je propose que nous partions immédiatement pour Londres. Je ne pense pas que tu pourras te reposer tant que nous serons en route.
Son regard glissa manifestement sur la jambe d'Harry qu'il avait tendue devant lui.
-Et Malfoy et Nott ? répondit Harry qui, secrètement, était soulagé d'apprendre une telle nouvelle.
Certes le réveil était difficile et c'était une véritable torture qui l'attendait pour les heures de voyage qui les séparaient de Londres mais – mais il préférait infiniment mettre ça derrière lui au plus vite plutôt que de passer la journée dans l'auberge (ou dans ses alentours) pour faire…dieu savait ce que faisaient des jeunes gens célibataires et oisifs dans ce genre de circonstances.
-Ils ne risquent pas de se réveiller de sitôt. Je suis sûr qu'ils comprendront notre départ. J'ai laissé un mot.
Harry hocha de la tête. Certes, encore une fois, c'était terriblement humiliant mais il devait laisser sa dignité de côté. Vouloir la sauvegarder avait un prix trop élevé. Celui d'être probablement alité pendant une semaine, le corps torturé par des élans de douleur.
-Merci, j'apprécie, grimaça Harry en tentant de se lever.
Une seconde après, Voldemort le soutenait maladroitement. Le premier réflexe d'Harry aurait été de lui demander de le lâcher : il n'était pas un enfant il pouvait très bien se débrouiller seul, que Voldemort l'aide quand il était au seuil de la mort, d'accord, mais quand il était encore en pleine santé – mais le soulagement de sa jambe lorsqu'elle ne dut plus supporter son poids coinça les mots dans sa bouche. Il se laissa aller contre l'autre homme qui raffermit sa prise sur sa taille.
Et Harry pourrait en pleurer, n'avait qu'une envie passer ses bras autour de son cou pour que cette parodie d'étreinte en soi réellement une mais – c'était impossible dans cette chambre où n'importe qui pouvait entrer, impossible dans cette auberge où suffisamment de témoins pouvaient briser leur vie –
-La calèche est prête. On descend ?
Harry acquiesça sans un mot. Il ne faisait pas confiance à sa voix.
Ils prirent un petit déjeuner frugal. Tom le Barman essayait désespérément de cacher son mécontentement d'avoir été réveillé si tôt. Mais sa jovialité ne trompait pas Harry qui voyait la tension de sa mâchoire et la brusquerie de ses gestes. Il ressentait de l'empathie. Mais la nécessité était trop grande pour qu'il éprouve la moindre culpabilité. Derrière lui, dans le couloir, le valet de Voldemort était en train de charger leurs valises dans la calèche.
-Tu penses qu'on a combien d'heures de route ?
-Cinq heures, plus ou moins.
Ça aurait pu être pire, supposait Harry même s'il n'arrivait pas réellement à le concevoir. Cinq heures, dans une calèche bancale avec Voldemort. Plus vite ils commenceraient leur périple, plus vite ils arriveraient à leur destination. C'était au moins le point positif.
Voldemort semblait partager cette opinion. Ils ne s'éternisèrent pas dans l'auberge. Payèrent Tom qui les remercia abondement et, sans plus de cérémonie, montèrent dans la calèche qui les attendait devant l'entrée.
Et, alors que l'aube commençait à peine à poindre à l'horizon, leur cocher pressa les chevaux.
Le voyage se passa aussi mal qu'Harry le craignait. Chaque aspérité du chemin lui envoyait des ondes de douleurs. Et il y en avait, des aspérités, le long de ces chemins de campagne à peine entretenus. La campagne anglaise, à son avantage dans les lueurs matinales, ne parvint même pas à le divertir. Il n'avait qu'une envie : arriver et pouvoir – pouvoir quoi. Au moins être fixé sur l'apparence que la relation entre Voldemort et lui allait prendre ? Pourraient-ils avoir des moment seuls ou étaient-ils condamnés à vivre cette éternelle pièce composée pour eux ?
Devraient-ils jouer le jeu de deux artistocrates se connaissant à peine et lié par… l'envie de grimper les échelons de la société ? Harry craignait par-dessus tout que ce fusse le cas.
Après des heures interminables la campagne fut remplacée par des fermes. Qui, à leur tour, laissèrent la place à des maisons dont l'espacement rapetissa à mesure qu'ils avançaient. Harry, qui essayait de dormir sans y parvenir, se redressa.
Cela ne pouvait dire qu'une seule chose : ils se rapprochaient de la ville. La campagne était en train de se métamorphoser progressivement pour devenir l'enchevêtrement complexe d'une cité. Il osa jeter un œil sur Voldemort qui regardait, lui aussi, par la fenêtre.
Une partie de lui avait réellement hâte de découvrir la ville. À quoi ressemblait Londres plus de deux-cents ans avant sa naissance ? Est-ce qu'il reconnaitrait des lieux ? Certains pubs se targuaient d'exister depuis le dix-septième, il pourrait mettre ces affirmations à l'épreuve.
Il y avait tant de choses dont ils avaient hérité de cette période. Tant d'écrivains, de pièce de théâtre, tant de choses qu'il pourrait voir de ses propres yeux ! Oui, maintenant qu'il se trouvait dans la capitale, il pouvait résolument voir le bon côté des choses. Certes la médecine ne pouvait pas soulager sa jambe mais – mais combien d'homme auraient été prêts à subir cet « inconfort » si c'était pour avoir la chance de vivre dans le passé ?
Il sourit malgré lui alors que la calèche s'engageait dans une rue. Il vit un panneau qui lui indiqua que c'était bien celle de ses souvenirs.
-Tu as une maison ou un appartement ? demanda Harry, curieux.
-Je suppose que l'on peut considérer cela comme une maison même si c'est en plein centre-ville.
-Comme la maison de Drago ? je veux dire – dans l'autre vie ?
-C'est amusant, lui répondit Voldemort dans un sourire : en fait, sa famille et lui habitent précisément dans celle-là lorsqu'ils sont à Londres.
-Amusant, répéta Harry qui ne savait pas réellement si ce mot convenait à la situation.
Le sol de la capitale, bien que pavé, était bien plus régulier que les routes qu'ils avaient empruntées jusqu'à présent. C'était un véritable soulagement pour Harry qui voyait sa jambe soulagée des chocs qui l'avaient fait tant souffrir. L'écho était toujours là, le serait pour encore quelques jours, mais de constater qu'il était… presque agréable de rouler sur des pierres, ça lui laissait entrevoir une possibilité de vivre plutôt que de ne simplement exister.
-Tu as beaucoup d'étages ? demanda ensuite Harry dont l'esprit était obnubilé par sa jambe.
-En soi, oui, mais les chambres sont au premier. Je pense que ta jambe devrait pouvoir s'y accommoder.
-Je l'espère, répondit Harry qui se corrigea : j'espère.
Ce genre de réflexe lui donnait l'impression d'habiter le corps de quelqu'un qui n'était pas lui. Quelqu'un qui aurait vécu au début du dix-neuvième et qui formulait ses phrases d'une façon terriblement guindée. Comme si le Harry dont il avait « pris la place » se débattait en lui et essayait de prouver qu'il existait encore –
Il soupira.
Voldemort émit un bruit vaguement amusé. Voyant qu'Harry l'interrogeait du regard, il déclara :
-Tes soupirs dramatiques m'avaient manqué.
Harry sourit malgré lui :
-je ne soupire jamais.
Ils échangèrent le même sourire amusé. Et juste comme ça, avec un échange complètement banal où ni l'un ni l'autre n'avaient prononcé plus de dix mots, une sensation de bonheur naissait dans la poitrine d'Harry. Soudainement, les rues lui parurent plus belles, les gens plus accueillants, la ville plus familière. Soudainement il eut l'impression que tout valait la peine d'être expérimenté, que cette vie apporterait elle aussi son lot de plaisir, de bonheur et, qu'une fois à nouveau dans la gare de Kings cross, il n'hésiterait pas un instant avant de retourner une énième fois auprès de cette douce torture.
Mais ce n'était pas réellement une sensation de bonheur, non. C'était tout simplement ce qu'Harry avait compris comme étant de l'amour.
Et une partie de lui, réaliste, le haïssait d'y succomber si facilement.
Mais pouvait-il résister lorsque Voldemort lui souriait d'un visage si ouvert ? Lorsqu'il était tangible, face à lui – lorsqu'il (la gorge d'Harry se noua) était la personne qui, d'une façon ou d'une autre, lui avait accordé le plus d'attention dans sa vie ? Personne, jamais, n'avait pris soin de lui comme ça. Personne n'avait été si prévenant, si aimant (même si ce n'était pas le bon terme, même si ce n'était pas ce qu'il ressentait), personne n'avait voulu de lui aussi totalement…
Il eut été impossible qu'Harry puisse ressentir autre chose.
La calèche s'arrêta finalement dans une large cour. Une porte s'ouvrit et une ribambelle de domestique se poussèrent hors du bâtiment principal pour s'étaler, en file, devant la maison. Ce n'était pas étonnant qu'une cohorte de domestique habite chez Voldemort mais de les voir… de réaliser pleinement qu'ils étaient si nombreux, que tous pouvaient éventuellement surprendre Harry dans une position de faiblesse (secrètement il espérait que le risque principal serait qu'ils les surprennent dans une position compromettante car cela voudrait dire… que l'esquisse de ce qui s'était dessiné dans le motel n'était pas qu'une brève lubie adolescente) –
La légèreté de son cœur se transforma en plomb.
La calèche s'arrêta. D'un geste fluide qu'Harry ne put voir qu'à moitié, le cocher descendit et ouvrit la porte en s'inclinant. Harry se redressa, ignora sa jambe et tenta de descendre de leur modeste moyen de transport (qui était bien évidemment très onéreux pour l'époque). Derrière lui, il sentait instinctivement la présence de Voldemort. Il savait que l'autre était prêt à le retenir si, comme devant l'auberge, son pied devait flancher.
Il posa son pied, s'accrocha à la barre de fer –
Et se précipita en bas. Il était debout mais la douleur était telle qu'il sentit des larmes monter dans ses yeux. Il haïssait ses glandes lacrymales. Les chevaux s'impatientaient derrière lui, ils piaffaient, impatients de trouve leur écurie. Harry ne pouvait que les comprendre, lui aussi avait hâte de se reposer.
-Vous avez préparé la chambre ? demanda Voldemort en s'avançant vers le domestique qui avait l'habit coutumier du majordome. Celui-ci s'inclina avec déférence.
Voldemort n'avait pas quitté Harry des yeux. C'était manifeste, il était prêt, dans le cas où la jambe d'Harry décidait de lui fausser compagnie, même maintenant qu'il était parvenu à descendre (seul !) de la calèche – il serait là. C'était rassurant – était-ce sain de traverser tant d'émotion en si peu de temps ? son cœur oscillait entre bonheur et malheur, espoir et désespoir –
Il ferait sans doute mieux d'avoir une discussion claire avec Voldemort. Qu'il sache à quoi s'en tenir – si ses sentiments étaient absorbés par un vaste néant ou s'il y avait la moindre chance que ceux-ci puissent… être réciproques.
-avez-vous fait bon voyage monseigneur ?
-Plutôt bien, merci. Lord Potter, il désigna Harry du bras : restera avec nous pour une durée indéterminée. Avez-vous fait préparer la chambre ?
-Bien sûr, mon seigneur.
Voldemort hocha de la tête et fit signe à Harry d'approcher de la porte. Elle était gigantesque, preuve – peut-être – que quelques centaines d'années auparavant, l'on pouvait entrer directement avec des chevaux dans le bâtiment.
Entièrement en fonte, des serpents dorés serpentaient le long de celle-ci. C'était bien une maison digne de la famille Gaunt – ou Serpentard. Tellement étrange de voir ces marques de Poudlard dans un Londres tout ce qu'il y avait de plus moldu.
Il pénétra dans le bâtiment. Maintenant qu'il connaissait un certain nombre de ces maisons riches et surtout aristocratiques, Harry ne pouvait s'empêcher de remarquer les ressemblances. De gigantesques escaliers en pierre recouverts de tapis, une vaste entrée décorée avec goût – nul doute qu'il y avait plusieurs salons au premier étage, que les domestiques avaient leurs quartiers dans le fond du bâtiment, que toutes les chambres se trouvaient au deuxième étage et que le troisième était réservé à entreposer les divers meubles de la famille et à une nurserie condamnée à rester vide. Les domestiques dormaient peut-être en haut, eux aussi. En ville, ils n'avaient probablement pas de dépendance, comme dans le manoir Potter.
-Votre chambre est en haut, je pense que vous êtes dans l'Indienne, déclara tranquillement Voldemort.
Son majordome hocha promptement de la tête.
-Si vous souhaitez prendre un thé, nous pouvons monter vos affaires et –
-Notre invité est fourbu, je le crains. La nuit a été courte – je vous prie de bien vouloir monter les affaires au plus vite. Monsieur Potter, vous souhaitez vous reposer immédiatement ?
-Oui, volontiers, répondit Harry qui ne rêvait que d'un lit confortable.
Voldemort lui sourit et indiqua les escaliers. Sa démarche, son allure tout semblait parfaitement serein mais il y avait une certaine tension dans ses muscles qui démontraient qu'il avait bien compris qu'Harry risquait de ne pas réussir à monter ces marches sans encombre.
Mais il y avait une rampe. Les escaliers en colimaçon qui menaient à sa chambre en avaient cruellement manqué. Il pourrait certainement parvenir à escalader ces marches tout seul.
Il s'avança, s'aidant de sa canne. Son esprit était dirigé en direction de son lit. Sa concentration totale. Il savait que personne n'était dupe. Ils devaient tous être au courant que les escaliers étaient les pires ennemis du jeune Lord Potter.
Il s'accrocha à la rambarde, bien conscient qu'il était épié par des yeux visibles (le majordome et Voldemort) ainsi que tous les yeux invisibles des domestiques. Il se hissa, oscillant son poids entre sa canne et son bras. Il était trop fatigué pour faire de pareils efforts. Et pourtant – il n'avait pas le choix. Une marche après l'autre, lentement, il monta les escaliers.
Voldemort s'était également mis à monter. Il restait derrière lui et, encore une fois, Harry y voyait la nécessité de le retenir s'il venait à s'écrouler. Ça aurait pu le vexer mais en fait, savoir qu'il avait droit à l'erreur le galvanisait. Il parvint en haut.
Il devrait probablement rester allongé pendant des heures – voir des jours. Mais, au moins, on était témoin qu'Harry Potter était plus capable qu'on ne lui en donnait le crédit.
-Votre chambre est à droite, je vais vous la montrer. Elle est en face de la mienne.
C'était dit d'une façon totalement innocente et pourtant – si lourde de sens. La bouffée d'espoir, celle qui le tiraillait depuis des heures maintenant, réapparût.
Ils s'avancèrent dans le couloir de droite. Un épais tapis rouge recouvrait le sol même si le plancher était visible – il ne touchait pas tout à fait les murs. Comme chez ses parents, de nombreux tableaux les surveillaient. Ils avaient tous des cheveux noirs et un visage aux pommettes hautes. Harry savait qu'il s'agissait des Gaunt – ou des Serpentard. Peut-être portaient-ils encore le nom de famille de leurs ancêtres au moment où ces tableaux avaient été peints.
Physiquement, aucun d'entre eux ne ressemblaient à Tom – mais leur air pincé était tout de même très familier à Harry.
-C'est les Gaunt ? se résolut-il à demander, conscient qu'il ne parviendrait pas à trouver une réponse seul.
-Oui. Il faudra que je te raconte – c'est –, sa phrase coupée abruptement. Tom secoua légèrement de la tête avant de reprendre : tu ne le croiras jamais mais mon père est en vie. Et on a – presque -de bons rapports.
-Mais non ? répondit Harry estomaqué.
C'était un peu la constante dans ces vies – Tom Riddle était toujours orphelin, il devait toujours s'extirper de la situation défavorisée dans laquelle il naissait. Jusqu'à cette vie, apparemment. Enfin, pour reprendre ses propres termes : « presque de bons rapports ». Venant de Voldemort, ça pouvait littéralement tout dire.
-Si. Voilà ta chambre.
Voldemort, d'un large geste, ouvrit une porte en bois tout à fait quelconque au bout du couloir. Une autre porte faisait face à celle-ci, sa chambre, réalisa Harry alors qu'il entrait dans la sienne.
Et quelle chambre. Un grand lit en bois massif, des baldaquins, un bureau, un tapis somptueux sur lequel était tissés des serpents, et de larges fenêtres – c'était une chambre plus qu'acceptable. Plus belle, plus richement décorée que celle que l'on réservait d'habitude à ses invités. Harry le nota avec un sourire.
-Est-ce que cela convient à l'héritier Potter ? demanda Voldemort avec humour.
Harry, sa canne et son espoir avancèrent plus loin dans la pièce :
-ça manque un peu d'intimité.
Voldemort grimaça :
-Je crains que ça ne soit le cas de toutes les pièces de cette maison.
Harry soupira et s'assit sur le lit. Il regarda autour de lui : une tapisserie orientale assez longue mais étroite était accrochée sur l'un des murs. Elle était complètement abstraite.
Une plante étirait paresseusement ses branches dans l'un des coins de la pièce. Il serait bien, dans cette chambre. Plus qu'il ne l'avait jamais été dans la sienne.
-Je vous laisse vous reposer. Je dois impérativement m'entretenir avec mon majordome. Installez-vous, je vous envoie mon valet.
Et, comme si le valet en question était capable de se matérialiser à chaque fois que Voldemort énonçait l'intitulé de son poste, celui-ci apparût dans le cadre de la porte. Depuis quand était-il là ? Avait-il entendu Harry se plaindre du manque d'intimité ? Probablement, inutile d'espérer l'inverse.
C'était étouffant.
Il fit un signe au valet qui s'approcha promptement de lui :
-Je vais tout de suite chercher vos bagages – je suis sincèrement navré Monsieur.
C'était sûr que sans son pyjama, le valet n'aurait qu'à le déshabiller ce qui n'était vraiment pas convenable. Toujours ce mot avec son poids habituel.
Acte 4, scène 2
Le lit était confortable. Assez grand pour s'y tenir à quatre. Seul, la tête appuyée contre un coussin parfaitement rembourré, Harry put enfin se laisser complètement aller. Personne ne le dérangerait jusqu'à ce qu'il ne sonne la cloche. (À moins bien sûr qu'il ne donne aucune nouvelle pendant un temps que Voldemort jugerait trop long). Mais si ce n'était pas lui-même ou le maître du lieu qui le demandait, personne ne viendrait déranger sa quiétude.
Après les sentiments de claustrophobie successifs qui lui avaient saisis la gorge, il se sentait infiniment mieux. Enfin seul, libre. Enfin aussi libre qu'il pourrait l'être. Et c'est avec ces pensées réconfortantes qu'il sombra dans le sommeil.
Il se réveilla péniblement – bien des heures plus tard. En tout cas, c'était l'impression que lui donnait son corps. Il se redressa. Première constatation, il avait des courbatures dans tout le corps. Pas un muscle n'était épargné, pas même ceux de sa nuque. C'était sans doute d'avoir été si tendu dans la calèche. Ce corps n'avait pas l'habitude d'être malmené pareillement.
Délicatement, il essaya de bouger sa jambe. Il lâcha un grognement de douleur. D'accord, il allait passer la journée allongé. Ce n'était pas grave, il pourrait écrire à ses parents, lire, peut-être que Voldemort viendrait discuter avec lui ? Le fait que ce soit ce qu'il désirait le plus parmi toutes les possibilités le fit grimacer.
Il se pencha et tira sur le cordon de la sonnette. Quelque part, dans la maison, le valet devait sursauter et se mettre à courir. Il se laissa tomber contre son oreiller. Il aurait aimé que Voldemort vienne le rejoindre pendant la nuit. Dans l'auberge, il pouvait lui trouver des excuses mais là- chez lui peut-être qu'il fallait qu'Harry accorde plus d'importance aux actes et moins aux paroles. Voldemort semblait ne pas avoir envie de le trouver.
On toqua à la porte. La tête du valet apparût dans l'embrasure après qu'Harry lui ait donné l'autorisation d'entrer. Voyant qu'Harry était bel et bien réveillé et qu'il l'attendait manifestement, il s'approcha du lit.
Il était gêné. C'était douloureusement évident sur les traits de son visage.
-Je crains ne pas pouvoir me lever aujourd'hui, expliqua Harry.
C'était vrai que de trouver un lord encore dans son lit, et ce après l'appel, c'était d'une impolitesse crasse. C'était évidemment différent pour les femmes et leurs femmes de chambre mais, en l'occurrence, le valet avait dû se demander ce qui provoquait un tel mépris.
Mais l'explication d'Harry sembla le satisfaire et le soulager.
-Pouvez-vous prévenir Lord Gaunt que je ne pourrai pas descendre aujourd'hui ? Et ce serait très aimable si vous pouviez m'apporter quelque chose à manger. De même que de quoi écrire. Merci.
Et, quelques minutes plus tard, il avait devant lui un plateau sur lequel était posé un petit-déjeuner plus qu'acceptable. À côté de lui, des feuilles d'excellente qualité, une plume et un encrier. Il n'arriverait pas à se divertir toute la matinée mais, au moins, ce serait le cas de quelques heures.
Acte 4, scène 3
Il venait de terminer la lettre qu'il avait l'intention d'envoyer à ses parents. Il avait dû s'y reprendre plusieurs fois – des brouillons gisaient au pied de son lit. Son cœur lui dictait d'être sec, intransigeant et fier. Mais sa raison, celle qui sentait douloureusement que James Potter ne se laisserait pas insulter, lui suppliait d'être plus conciliant. Harry pensait avoir réussi à trouver un compromis. La lettre était respectueuse mais froide.
Et surtout, après relecture intensive, il avait réellement l'impression que son père ne pourrait rien lui reprocher de tangible sans passer pour un fou. Ce qui était évidemment le but. Satisfait, il la plia et la posa sur son bureau. Il demanderait au valet de la poster pour lui.
Restait maintenant à trouver une occupation. Il n'y avait pas d'horloge dans la pièce. Harry en était mi-rassuré (le bruit des aiguilles était parmi le plus irritant de sa connaissance) mi-agacé : impossible de savoir l'heure dans ces conditions.
À intervalles réguliers, il faisait bouger sa jambe. La douleur ne diminuait pas. Impossible d'imaginer se mettre debout, donc.
Il allait sonner pour la deuxième fois lorsque des bruits de pas résonnèrent. On s'arrêta clairement devant sa chambre. Est-ce que le domestique avait à ce point des pouvoirs psychiques pour savoir quand on avait besoin de lui avant même qu'on ne l'appelle ? Il toqua à la porte.
-Entrez, répondit Harry qui revissait distraitement le bouchon de l'encrier.
Ce n'était pas le valet mais Lord Gaunt. Lord Voldemort. La surprise lui fit lâcher l'encrier – qu'il rattrapa – heureusement – avant que son contenu ne se répande sur le lit. Quelques gouttes tachèrent tout de même ses mains.
-Tom, déclara-t-il.
Son plaisir fut accueilli par un sourire. Comme d'habitude, Lord Gaunt était parfaitement habillé, coiffé, il semblait en pleine forme – prêt pour une partie de chasse, une pièce de théâtre ou une session parlementaire. Harry l'enviait d'être à ce point le prototype de ce qu'un noble devrait être.
-Harry, répondit-il en fermant la porte doucement. Un petit « clic » retentit : je voulais monter plus tôt mais je préfère éviter de donner trop de matière à réflexion à mes domestiques. Dieu sait qu'ils en trouvent déjà suffisamment.
-Mon père te répondrait qu'un noble qui ne maitrise pas ses domestiques ne mérite pas son titre, répondit Harry dans un sourire.
Voldemort attrapa une chaise et l'amena auprès de son lit. Il la positionna à côté d'Harry et s'assit élégamment :
-J'ai bien peur d'avoir bien plus d'ennemis que ton père. Dont certains essayent d'infiltrer cette maison – par le biais de domestiques.
Harry grimaça :
-Et c'est difficile de savoir qui est affilié à qui, je suppose.
-Précisément, répondit Voldemort. Il croisa des bras et étudia d'un air critique la chambre qu'il avait lui-même choisie pour Harry : Tu te sens bien, ici ? Je t'avoue que j'ai surtout réfléchi au côté pratique et un peu moins à ce qui pourraient être tes goûts –
Harry éclata de rire – il essaya de se retenir, puisque chaque soubresaut était douloureux mais d'imaginer que Voldemort puisse s'inquiéter de sa chambre – c'était tout simplement risible.
-Il me semble que tu as vu ce à quoi ressemblait ma chambre…quand c'est moi qui décide de la décoration, hoqueta Harry qui se tenait la poitrine : comment peux-tu te demander si cette chambre me convient ?
Voldemort laissa lui aussi échapper un bref rire. Il devait se souvenir de la bibliothèque modestement garnie, des posters de footballer.
-Pardon de vouloir être poli, ajouta-t-il finalement en croisant les jambes.
Avec ses bras et ses jambes croisées, pas la peine d'avoir fait psychologie pour constater qu'il était résolument sur la défensive. Et Harry n'y comprenait strictement rien. Il lui semblait qu'ils étaient les deux en train de faire une danse particulièrement conceptuelle ou dès lors que l'un des partenaires s'approche l'autre recule de trois pas. Et encore, c'était une nouvelle fois une de ses interprétations. Parce que peut-être que Tom n'avançait tout simplement pas dans sa direction et qu'Harry se faisait des illusions totalement ridicules –
-Et je t'en remercie sincèrement. cette phrase n'était pas naturelle dans sa bouche, il grimaça avant d'ajouter précipitamment : parle-moi de ta vie, comment ça se fait que tu sois Lord Gaunt ? et ton père ?
Un maigre sourire trouva son chemin sur le visage de Voldemort. Il se pencha en arrière sans pour autant desserrer les bras ou les jambes.
-C'est un univers assez – amusant, dans un sens, lui répondit Voldemort : mon père est un bourgeois riche alors que ma mère était – eh bien l'héritière, avec son frère, de la famille Gaunt. Alors que dans notre monde de base, mon père était noble et ma mère – on va dire qu'il ne restait vraiment plus rien du prestige des Serpentard.
-Donc cette maison –
-Leur appartient, oui. Ma mère s'est enfuie avec mon père alors qu'elle était enceinte. Elle l'aimait, d'après ce qu'il m'a dit mais – mais lui cherchait surtout à asseoir sa position dans le monde. Les bourgeois restent une catégorie en dessous.
Le mélange des classes ne viendrait que plus tard, Harry le savait grâce à ses nombreuses scolarités. À l'heure actuelle, naître bourgeois voulait dire le rester. Et ne jamais être accepté par l'aristocratie. Celle-ci avait encore quelques belles années devant elle avant de devoir commencer à faire des compromis… Et céder une partie de sa domination à la bourgeoisie.
-Et la famille Gaunt l'a accepté ? demanda Harry, incrédule.
-Non, bien sûr que non. La famille était en déchéance, bien sûr. Pas d'héritiers en vue, un domaine qui rapetissait avec l'âge, honnêtement c'est déjà un miracle qu'ils aient survécu si longtemps. Enfin bref. Mon père est resté avec ma mère – puisqu'elle représentait un ticket pour son intégration. Elle est morte en couche. Et je suis devenu son ticket.
-C'est cynique, commenta Harry avec froideur.
Il ne savait pas s'il plaignait Voldemort d'être si détaché de cet état de fait. En même temps, lui ne l'était pas alors que ses propres parents avaient le même genre de relation transactionnelle avec lui.
-Peut-être. Et donc il m'a élevé, a essayé pendant des années de faire reconnaître ma naissance auprès de la famille Gaunt. Ah, détail important : mes parents se sont mariés avant ma naissance. J'étais donc l'héritier légitime même s'ils ne voulaient pas le reconnaître.
-Jusqu'à ce que tu leur prouves que tu étais un héritier avantageux ?
Voldemort lui sourit. Un sourire amusé et conspirateur :
-Exactement. Ça leur a demandé beaucoup de temps mais malgré leurs grands discours, ils gardaient un œil sur mon père et moi. Et lorsqu'ils ont réalisé que je pouvais tout aussi bien être le sauveur de la famille ils ont changé d'avis. Et… voilà – je suis l'héritier Gaunt.
-Mais c'est récent, non ?
-Oui. J'ai été officiellement reconnu il y a six mois. Mais ça fait deux ans que c'était pratiquement le cas et qu'ils m'avaient ouverts les portes de leur château.
Harry hocha de la tête. Ce qui expliquait pourquoi il n'avait pas entendu parler de Voldemort avant de le voir à table. Cette ascension était d'une rareté qui méritait d'être notée. Peut-être resterait elle dans les annales de cet univers. Au début du dix-neuvième, un homme était parvenu à se hisser de rang social. Peut-être était-ce là un précédent qui paverait la voie pour des dizaines d'autres.
Peut-être que le déclin de l'aristocratie commençait avec le passage de Tom Riddle à Lord Gaunt. Ils ne l'apprendraient jamais. Et toutes ces considérations, évidemment, n'avaient aucun sens s'il était avéré que… L'univers se refermait sur lui-même dès qu'ils mourraient.
-Et ton père ?
-Il vit dans l'un des domaines. C'est un homme…curieux. Il n'est pas du tout comme je me l'étais imaginé.
-Comment ça ?
-Il est vain et pas très brillant, mais malgré tous ses calculs – et d'ailleurs, se reprit-il avec empressement : j'ai quand même l'impression que ce sont mes grands-parents qui lui ont mis de telles idées en tête – il y a du bon en lui. Mais il est lâche.
-Une vraie famille de Serpentard, alors, plaisanta Harry.
-Honnêtement, maintenant que j'y pense, je me demande s'il n'aurait pas été réparti à Poufsouffle. Il est – vraiment naïf – il se laisse facilement manipuler – ça déconstruit tout ce que je m'étais inventé à son sujet et je ne suis pas sûr… d'apprécier, finit-il doucement.
-C'est… intéressant, répondit Harry qui n'avait pas trouvé de meilleur mot : que tu réalises que ton père n'est pas l'ordure que tu croyais alors que moi – je réalise que mon père n'est pas le héros que j'espérais.
-Et j'en suis désolé.
Harry hocha tristement de la tête. Voldemort n'avait que brièvement ouvert les bras, lorsqu'il s'était mis à présenter l'hypothèse que son père puisse être un Poufsouffle. Il les avait à nouveau fermés devant lui et regardait fixement le haut de ses jambes.
-Et donc, quel est le programme pour le temps indéfini qui nous est imparti ? demanda Harry qui essayait de changer de conversation.
Voldemort se redressa. Il décroisa des bras et les posa contre les accoudoirs de son fauteuil :
-Je ne sais pas. Il y a forcément des choses qui te rendent curieux sur cette vie, non ? Il y a des artistes qu'on peut rencontrer, des pièces qu'on peut voir –
-Hors de question pour les artistes, trancha Harry : imagine si, pour une raison ou pour une autre, notre rencontre empêche Dickens d'écrire un conte de Noël, je ne pourrai jamais me le pardonner !
-En effet, que serait le monde sans un conte de Noël et sa morale au rabais-
-Je t'interdis ! s'exclama Harry en se redressant : tu n'as aucune idée – Noël tel qu'on le connait, c'est en partie grâce à ce conte ! tu devrais avoir honte de ne serait-ce que –
-Noël tel qu'on le connait, c'est-à-dire cette invention capitaliste dont le seul but est de faire consommer des gens qui n'en ont pas les moyens ?
Harry était prêt à se redresser, peu importe l'état de sa jambe. Qu'on puisse critiquer le conte et Noël ? Oh, il était prêt à accepter beaucoup de chose. Mais ça ? ça ? Non.
Voldemort dû comprendre que son agitation signifiait qu'Harry avait l'intention se de relever. Il leva les deux bras en signe d'apaisement :
-Je plaisante, Harry. J'aime beaucoup ce conte aussi. C'était l'un des seuls livres qui se trouvait à l'orphelinat alors je le connais pratiquement par cœur.
-Pourquoi tu me provoques alors que tu sais très bien que je ne peux pas ne pas y répondre ?
Voldemort lui sourit. C'était encore un de ses sourires tristes, le genre de sourire qui sous-entendaient qu'il connaissait quelque chose qu'Harry n'avait pas encore vu ou compris. Il y avait quelque chose de rageant – parce que cette tristesse le rendait un peu inatteignable. Et Harry voulait l'inverse, qu'ils soient sur un pied d'égalité, qu'ils soient très atteignables l'un pour l'autre, qu'il n'y ait ni fossé métaphorique entre eux ni quoique ce soit –
-C'est très égoïste, répondit Voldemort : mais quand tu t'énerves comme ça, j'ai l'impression de te voir toi.
Harry en resta muet. Il avait envie de lui hurler qu'il était lui-même, que ce n'était pas parce qu'il avait du mal à marcher et qu'il avait été plus ou moins abandonné mentalement depuis sa naissance qu'il n'était pas Harry Potter. Mais c'était impossible, et d'autant plus alors qu'il avait lui-même du mal à se reconnaître. Que cela puisse être flagrant lui serra le cœur. Il ne voulait pas changer, il ne voulait pas que ces vies soient perméables et atteigne ce qu'il était au fond –
-j'aurais mieux fait de me taire, commença Voldemort qui s'était avancé dans son fauteuil : je vois bien que je t'ai blessé –
-Pas vraiment blessé, déglutit Harry : c'est plutôt que tu as touché un point sensible et –
Et Voldemort, qui commençait à bien le connaître qui – apparemment – sentait que l'humeur d'Harry venait dramatiquement de changer, se leva complètement et vint s'asseoir en face de lui, sur le lit.
-Tu es toujours toi, Harry.
Il avait de toute évidence compris le fond du problème. Il esquissa un geste mais l'interrompit avant qu'il ne le finisse.
-Je n'en suis pas si sûr…, répondit Harry : j'ai l'impression de m'être totalement étranger en ce moment.
-En même temps, essaya Voldemort en se penchant légèrement en avant : on ne t'a pas donné les meilleures cartes – regarde-toi, et surtout tes parents, c'est –
-Le but, je crois.
Ils se turent. Harry reprit :
-C'est le but, que je me perde – c'est sans doute pour m'effrayer, pour me pousser à prendre ce putain de train, parce que sinon, si je suis réellement en train de changer et qu'en plus ces vies n'existent pas vraiment – qu'est-ce qui restera… de l'autre côté ? Qu'est-ce qui reste déjà ? J'avais toujours au moins la satisfaction de me dire que je pourrais retrouver mes parents mais… Mais elle n'existe plus vraiment maintenant que je sais réellement qui ils sont. Enfin mon père.
-Je ne crois pas qu'on puisse répondre à ces questions, essaya Voldemort : parce que quoiqu'il arrive de « l'autre côté », tu ne crois pas que les âmes changent elles aussi ? qu'il y ait une éternité ou pas – mais s'il est possible de… de vivre quelque chose une fois que l'on monte dans ce train, alors forcément les âmes changent aussi.
-Peut-être, répondit Harry, défait : j'espère que tu as raison.
-Et je ne suis pas d'accord que tu changes. Je peux toujours te voir, je ne voulais pas sous-entendre que – que tu es différent, c'est maladroit. C'est juste que – tu as toujours été si en forme physiquement que de te voir comme ça, c'est –
Harry releva la tête. Il n'y avait jamais vraiment pensé mais c'était vrai qu'il avait toujours été sportif. Plus ou moins. Ça dépendait des vies mais – il allait courir les matins, il était toujours inscrit dans une équipe de football, il avait toujours brillé pendant sa scolarité et ses études – il ne l'avait jamais vraiment noté – mais c'était vrai. Il était sportif.
-ça – ça me fait un peu mal au cœur.
Harry tressauta. Il ne s'attendait pas à un aveu pareil, surtout pas dit de cette façon-là, surtout pas exprimée aussi simplement. Que Voldemort parle de son cœur. C'était déplacé, si déplacé en fait, une partie de lui le suppliait de trouver à travers ces paroles les mensonges. Combien de personnes avait-il manipulé en faisant des déclarations pareilles ? Et voilà, il repartait dans cette boucle inutile et –
-Je suis désolé, bégaya Harry qui ne voyait pas quoi dire d'autre.
Voldemort émit un rire sec et sans humour :
-Pourquoi t'excuses-tu ? C'est moi qui suis l'unique responsable de ta souffrance, de ta douleur, c'est moi qui devrais te présenter des excuses. Tu ne fais que souffrir de ta bonté.
-Ma bonté, reprit Harry avec ironie.
Elle était drôle, sa bonté. Elle prenait salement l'allure « d'intérêt personnel ». Elle prenait salement l'allure de sentiments à sens unique – sentiments dont il ne pourrait probablement pas se défaire s'ils continuaient cette proximité toxique ce n'était pas parce qu'il était bon, ni parce qu'il éprouvait de la pitié pour son ennemi. Ancien ennemi. C'était simplement –
Qu'il n'arrivait pas à se passer de lui. Qu'imaginer prendre le train, se trouver seul dans « l'après » quelle que soit sa forme, c'était – tout bonnement – inimaginable. Ça lui tordait l'estomac, lui donnait l'impression de se noyer –
Non. Il était condamné à souffrir et à se perdre pour l'autre homme.
Après cette déclaration, qui finalement n'en était même pas réellement une, Harry n'était pas suffisamment naïf pour croire que c'était cela Voldemort avait blêmi. Harry l'avait remarqué avait voulu lui demander ce que ça voulait dire, essayer de comprendre ce qu'il se passait dans ces pensées qu'il n'arrivait jamais qu'à entrevoir – mais jamais réellement à comprendre ou connaître – mais Tom avait reculé. Ils avaient ensuite eu une légère conversation sur les activités potentielles. Le théâtre, les promenades, des activités dilettantes d'aristocrate.
Pour être franc, Harry était surtout curieux de voir les spectacles de ses propres yeux. Le reste, au final, les promenades, les après-midis dans les clubs à discuter de femmes et de politique avec des gens aussi privilégiés que lui – ça ne l'intéressait pas énormément.
Et Tom s'était retiré en promettant de revenir le voir plus tard. Harry aurait aimé trouver les mots pour le retenir, peut-être aborder la conversation concernant son cœur, justement, puisqu'apparemment Harry le faisait souffrir – mais il n'en avait pas eu le courage.
Il passa l'après-midi à essayer de lire, sans pourtant réussir à suivre la moindre phrase. Il ne pouvait pas vivre comme ça, en fait. Il ne pouvait pas – il ne le supporterait pas. Si au moins il pouvait mettre des mots sur les sentiments de l'autre homme, alors il pourrait supporter tout le reste.
Harry pourrait très bien se contenter de son amitié, il le savait mieux que personne. L'amitié c'était déjà suffisant, un cadeau déjà suffisamment précieux pour le convaincre que toutes ces horreurs valaient le coup.
C'était ce flou, cette incertitude, cette envie mêlée au désespoir qui était insupportable.
Il se mit même à lui écrire une lettre. Mais impossible de dépasser la première ligne. Lui avouer ses sentiments le ferait probablement fuir. Il imaginait mal Voldemort être heureux d'apprendre qu'il était devenu – en l'espace de quelques années… le centre de l'univers d'Harry. Son centre de gravité – à un point tel qu'Harry ne pouvait pas s'en détacher – aller vers les gens qui l'avaient réellement aimé (ah, personne ne l'avait jamais réellement aimé, n'est-ce pas ?)
Mais c'était un gryffondor – et ça voulait dire quelque chose, non ? il devrait probablement… Réussir à … se dévoiler. Puiser le courage dans sa douleur.
Et l'apaiser. Dans la peine ou la félicité.
Voldemort revint le voir le soir. Il transpirait cette même réserve, cette même distance. Harry s'était convaincu qu'il parviendrait – cette fois – à aborder le sujet d'une façon frontale. C'en était fini de ces non-dits, de ces sous-entendus, de cette terrible attente.
Mais face au visage résolument fermé – voir froid – de Tom, il sentit sa résolution fondre. C'était difficile de prétendre qu'une discussion était nécessaire (et qu'elle pourrait potentiellement avoir une issue… favorable) quand c'était comme cela que le regardait Voldemort. Comme s'il n'était pas réellement là.
Leur conversation fut rigide. Froide. Ils s'enquirent de leur après-midi, Harry plia maladroitement les brouillons qui étaient restés devant lui. L'idée que Voldemort puisse les trouver alors qu'il avait manifestement envie d'être ailleurs était terriblement humiliante.
Voldemort lui promis qu'il viendrait lui rendre visite le lendemain matin et que si son état lui permettait, ils pourraient aller visiter une exposition – manger en ville et profiter de la soirée pour voir un concert.
Ce plan convenait parfaitement à Harry qui priait que sa jambe se soit rétablie. L'idée de passer une autre journée de solitude dans cette chambre qui lui était si peu familière et qui lui paraissait si vide – quand Voldemort n'était pas là – était anxiogène. Il ne voulait qu'une seule chose : laisser son esprit être diverti par les divers plaisirs que Londres avait à offrir. Quoi qu'ils puissent être.
Le lendemain matin – si c'était réellement le matin – Harry bougea maladroitement sa jambe. La douleur familière lui répondit. Mais c'était bien une douleur familière. Celle avec laquelle il était obligé de composer quotidiennement. Il ne s'agissait plus de l'horrible torture qui lui avait tordu la jambe la veille.
Il soupira de soulagement. Cela voulait dire qu'il pouvait désormais se lever et participer à la vie. Une douche était sans aucun doute sa priorité.
Il sonna et se leva promptement afin que le valet de Voldemort ne le trouve pas à nouveau couché dans son lit. Sa canne était posée contre la table de nuit – ses lunettes reposaient dessus. Il les plaça sur son nez, attrapa sa canne et difficilement – heureux qu'il n'y ait pas de témoins, il se leva.
Son corps était fourbu. Ses épaules et son dos encore tendu. Il tenta de réveiller ses muscles mais craignit de blesser sa jambe dans le processus. On toqua, le domestique entra. Une partition éternellement répétée. Un dal segno qui renvoyait à chaque matin – et aux mêmes traditions, aux mêmes gestes.
Acte 4, scène 4
Une heure plus tard, alors qu'une église quelconque sonnait neuf heures, Harry était habillé, propre et détendu. Le bain lui avait fait le plus grand bien – un luxe auquel il était heureux de ne pas devoir renoncer.
Il descendit lentement les escaliers. Personne ne vint le déranger même si, comme lors de son ascension, des yeux l'observaient depuis l'ombre. Il parvint à arriver en bas sans encombre. Le majordome, qui apparût soudainement devant lui (il avait dû se dissimuler pendant sa descente pour ne pas l'humilier), lui indiqua d'un bras la pièce dans laquelle la famille Gaunt (et en l'occurrence uniquement Voldemort) prenait le petit-déjeuner.
A pas lents, il se dirigea vers la porte. La franchit et croisa les yeux de Voldemort. Il était attablé. Un morceau de pain doré dans son assiette mais il n'y avait pas touché. Une tasse de café – ou de thé ? encore chaude était devant lui. Il tenait un journal.
-Ah, Lord Potter, déclara-t-il facilement en désignant la place devant lui : je suis heureux de vous voir debout. Je craignais que vous ne passiez une nouvelle journée alité.
-C'était également ma crainte, répondit Harry en s'asseyant avec difficulté mais sans aide.
Il lui apparût que tout était plus simple pour lui – peut-être parce qu'il ne s'épuisait pas à grimper les étages de la demeure Potter.
Voldemort le regarda avec complicité. De toute évidence, toute la tension de la veille était redescendue. Et voilà, ils pouvaient reprendre le même cercle vicieux. Harry en venait à ne pas douter qu'il irait se coucher avec la même boule au ventre que la veille.
-Avez-vous une envie particulière quant à l'occupation de la journée ?
-Très franchement, je ne suis pas suffisamment habitué à Londres pour avoir une idée de comment l'occuper.
Voldemort lui sourit. Ce n'était pas un sourire dénué de gentillesse mais son espoir resta des cendres.
Ils quittèrent la maison après le petit-déjeuner. Un fiacre, plus élégant et plus rapide qu'une calèche de voyage, les attendait devant la porte. Harry s'arrêta un instant. Les domestiques durent probablement penser qu'il essayait de préserver sa jambe. Mais, en réalité, il voulait tout simplement profiter de cette étrange vision – Londres telle qu'il ne l'avait jamais vue, telle que personne de sa génération ne pourrait jamais la voir.
Les murs étaient couverts de fumée. Cela ne ressemblait pas aux décors représentés dans les séries que Pétunia adorait regarder. En fait, l'air semblait vicié. Les gens se tenaient courbés, dans la rue. Il les apercevait au loin. Et tous ceux qui marchaient à pied, et bien une certaine pauvreté semblait coller à leur corps. Leurs habits étaient sales – Harry détourna le regard.
Le monde industriel était cruel et particulièrement à cette époque. Ce n'était pas lui qui pourrait sortir ces gens de la misère mais une lutte lente et progressive. Et, d'ailleurs, pouvait-il réellement penser qu'ils s'en étaient sortis plus tard – à son époque ?
Les Dursley étaient de classe moyenne supérieure. Le revenu de Vernon était plus que confortable – assez pour envoyer Dudley dans une école privée prestigieuse et lui offrir trente-quatre cadeaux d'anniversaire.
Il baissa la tête, réalisant qu'une fois encore, il était privilégié dans un monde où rampait la misère la plus crasse. Sans la relever, il fit les trois pas qui le séparait du fiacre. Le marchepied était plus bas que sur la calèche, heureusement. Y pénétrer fut beaucoup moins difficile.
L'odeur était plus agréable, plus raffinée que dans la calèche. L'odeur de l'animal qui les tirait n'était pas terrible. Au contraire. Il sentait l'enduit que le cocher avait utilisé pour nettoyer le cuir des sièges.
-On va où ? demanda-t-il abandonnant la façon guindée dont il était forcé de s'exprimer.
Ça lui faisait du bien d'avoir à nouveau l'impression d'être lui-même.
-à vrai dire, commença Voldemort : je ne sais pas trop, j'ai pensé qu'on pouvait d'abord juste faire un tour de la ville. Je suis assez curieux de voir –
-à quoi ressemble Londres du dix-neuvième ? termina Harry : jusqu'à présent, ça ne me fait pas vraiment bonne impression.
-Non, mais au moins on peut être content d'avoir échappé à la peste. Disons que cette situation aurait pu être marginalement pire.
Il n'y avait même pas pensé. Mourir de la peste…
Le fiacre se mit en branle. Les roues étaient plus épaisses – les pavés du sol n'agressaient pas son dos ni sa jambe ce qui était indubitablement une amélioration par rapport à la veille.
Et Londres s'offrit à eux. Les impressions d'Harry avaient été bonne. C'était pittoresque de voir cette ville qu'il connaissait par cœur, à force, se dévoiler dans une jeunesse qu'il n'avait pas connue. Mais, si les quartiers riches étaient beaux, bien sûr, c'était moins le cas des quartiers populaires qui étaient pires qu'à son époque.
En face de lui, Voldemort ne disait rien – ils souffraient encore du manque d'intimité. Bientôt la ville laissa place à de la verdure.
-On est vers le parc St-James ? demanda Harry avec curiosité.
-Oui, on peut y faire un tour, si tu veux.
Cela lui sembla une excellente idée. Preuve qu'ils étaient écoutés par le « chauffeur », le fiacre s'arrêta à l'entrée du parc. Voldemort ouvrit la porte et fit signe à Harry de sortir.
C'était une drôle de vision. Tous ces promeneurs apprêtés, profitant des quelques rayons de soleil. Les tenues étaient pudiques mais élégante. Rien à voir avec celle de la jeunesse anglaise à laquelle Harry était habitué. Des couples marchaient dans l'allée.
Harry se surprit à les envier, même si la présence évidente d'un chaperon rendait la situation un moins aisée pour les amoureux. Au moins, lui pouvait marcher seul avec Voldemort.
Entourés de monde, dans un lieu public, c'était paradoxalement le seul moment où ils pourraient avoir un peu d'intimité. Ils pouvaient parler librement sans être entendus. Ou écoutés.
-C'est étrange de se sentir si prisonnier d'une vie qui me contentait jusqu'il y a peu, entama doucement Voldemort.
Harry émit un bruit d'acquiescement. Enfin, sauf que lui n'avait jamais été satisfait de cette vie. Toutes choses considérées, c'était même mieux maintenant qu'il avait retrouvé la mémoire – et Tom. Il décida de le lui faire remarquer :
-Oui mais en même temps, ma situation s'est nettement améliorée.
Voldemort inclina de la tête :
-Je suis content de l'apprendre. Tu veux qu'on s'asseye ?
Un banc, sous un saule, à côté d'un étang artificiel semblait prêt à les accueillir. Harry sourit, un peu gêné :
-Volontiers. Je ne te cache pas que c'est – compliqué.
Se forcer ne lui servirait à rien d'autre que de devoir repasser des jours allongés, ce qu'il ne souhaitait pour rien au monde. Ils changèrent la trajectoire de leur itinéraire, qui s'était borné jusqu'à présent, à suivre la route.
Le banc, en fer vert, faisait face à l'étang et dos à la route. Un peu à l'écart, il permettait de faire abstraction du monde qui défilait le long du chemin. Harry s'y assit avec reconnaissance. La petite étendue d'eau était agrémentée de canards. Quelques nénuphars et roseaux encadraient son centre. C'était joli, quoique totalement artificiel.
Voldemort s'assit à côté de lui. Sa proximité serra le cœur d'Harry. Il aurait aimé pouvoir se pencher contre lui – mais c'était totalement impossible. Si quelqu'un les voyait, on ne manquerait pas d'appeler la police et, vu la localisation du banc, il serait impossible de ne pas être vu.
Ils restèrent silencieux pendant de longues minutes. Pourquoi la conversation était-elle si difficile ? Ah, cette question était rhétorique, évidemment. Le problème c'était les sentiments d'Harry – l'espoir qu'il n'arrivait pas à étouffer – le poids de la réalité sur ses épaules et la culpabilité de Voldemort qui le rendait muet.
-Je comprends bien que le sujet t'est désagréable, commença Voldemort : mais je pense qu'il est quand même important qu'on l'aborde. Enfin, c'est peut-être égoïste de ma part mais…, il laissa la fin de sa phrase en suspens et inspira : Je n'aime pas ce qu'il se passe entre nous.
Aucune métaphore humaine ne pourrait décrire convenablement l'effet de ces mots sur Harry. Être rempli d'espoir, même un espoir vain, c'était exister. Il ne restait plus rien en lui. En une seconde, il était devenu atrocement vide. Le choc d'une telle déclaration, énoncée avec une telle – difficulté, Voldemort avait dû se préparer à le lui dire. Mais ça allait en contradiction directe avec leurs autres interactions, non ? Ce n'était pas comme ça qu'il voyait les choses, pas comme ça qu'Harry avait imaginé qu'ils –
-C'est absurde mais, le corps entier de l'autre homme fut parcouru d'un mouvement étrange. Une vague de gestes avortés comme si son corps se rebellait à l'idée de ses paroles. il reprit : je m'en veux terriblement d'avoir dressé ce mur entre nous. J'appréciais – énormément notre relation. Je n'ai pas réalisé – en fait je n'ai juste tout simplement pas réfléchi à la portée de mes actes – au fait qu'ils se propageraient et contamineraient d'autres vies –
Il y avait au moins du positif dans ses paroles. Il ne parlait pas de l'abandonner ou de lui demander de le laisser tranquille, même si dieu savait qu'il serait plus simple pour Harry de monter dans ce putain de train – d'accueillir ce qu'il restait de sa première vie – et de… passer de l'autre côté.
-C'est moi qui suis désolé, grimaça Harry.
Il ne reconnaissait pas sa voix, c'était celle d'un robot. En fait, il ne savait même pas exactement ce pour quoi il s'excusait. D'être tombé amoureux comme le dernier des crétins ? Ah, Voldemort ne l'apprendrait jamais. Il se sentait déjà suffisamment humilié pour ne pas avoir envie d'en rajouter une couche.
Le banc grinça. Dans le saule, un oiseau, effrayé par le bruit, prit son envol. Voldemort s'était tourné vers lui :
-Ce n'est pas la première fois que tu t'excuses, Harry, je ne comprends pas – tu me sauves littéralement, tu m'arraches à une torture pire que ce qui est humainement concevable et tu t'excuses ?
-Oui, répondit Harry – la gorge nouée quoiqu'elle ne fût pas dénuée d'une certaine chaleur : parce que je sais que je t'ai mis mal à l'aise, je sais que – que je suis trop envahissant et que je t'ai sans doute passablement étouffé et –
-Etouffant ? Envahissant ? les mots étaient étranges dans la bouche de Tom. Pas vraiment parce qu'ils étaient inhabituels en tant que tel mais leur intonation, l'incrédulité du ton – tout était presque inédit : Harry – tu as l'impression que je te reproche quelque chose ?
Harry décida de rassembler son courage. Il arracha son regard aux canards, à l'étang, aux plantes qui ondulaient légèrement dans l'air. Et les planta dans les yeux bruns de Tom Riddle. Inconsciemment, il essayait de se retenir de le regarder. C'était – trop. Son cœur, son corps, était aimanté à l'autre l'apparition de son visage, le croisement de leurs regards et il n'avait qu'une envie : se jeter dans ses bras et y vivre l'éternité, aussi terrible puisse-t-elle être.
C'était ironique de ne pas craindre la mort s'il était auprès de l'homme qui l'avait, lui, repoussée jusqu'à la folie.
Le regard de Voldemort n'était pas dénué de douceur. Mais la surprise que sa voix avait trahie était reflétée dans ses pupilles.
-Non, répondit-il avec calme : Je pense pas que tu me reproches quelque chose. Mais je comprends que j'ai pu te mettre mal à l'aise-
-Me mettre mal à l'aise ? En quoi tu aurais pu me mettre mal à l'aise ?
Harry ne répondit pas, il essayait de se donner un air défiant même s'il savait qu'il était surtout terriblement embarrassé. Ils reprenaient la conversation depuis le début. Et d'ailleurs ce n'était pas la première fois qu'ils l'avaient. Une esquisse avait été ébauchée dans la chambre de l'auberge – juste avant qu'Harry ne tombe littéralement lorsque Voldemort avait émis l'idée de le laisser.
-Parce que je sais parfaitement que c'est évident, répondit Harry avec un agacement qui était partiellement dû à sa gêne et à sa frustration : que je suis attiré par toi.
Dans une autre vie, dans un autre corps, il se serait probablement levé et aurait dramatiquement quitté les lieux. Impossible, bien sûr, dans sa situation.
-Je ne comprends pas.
La douceur avait complètement disparue du visage de Voldemort. Son ton était devenu aussi froid que l'air de la chambre des secrets. Harry avait envie de fuir. Comment pouvait-il prétendre ne pas comprendre quand il venait littéralement de lui expliciter qu'il avait eu envie, qu'il aurait été prêt à tout pour passer l'éternité dans le motel ignoble dans lequel ils s'étaient réfugiés ?
Une main sur son bras. Là encore, le geste était violent. Les doigts lui rentraient dans la chaire même à travers les vêtements. Harry grimaça et essaya de se libérer de l'étau – il ne pouvait être qualifié comme ça – qui était en passe de le broyer.
D'un geste brusque, Voldemort tira sur son bras pour le faire pivoter. Harry se trouva une nouvelle fois face à ce visage qui hantait sa vie depuis toujours –
Et qui était absolument furibond.
-Comment peux-tu me dire ça, Harry, quand c'est moi qui ai initié ce qu'il s'est passé ?
Aucune autre pensée ne traversait son cerveau que l'absurdité de la situation, et que, bravo Harry, il avait apparemment réussi à énerver sincèrement la personne qui comptait le plus pour lui (qui avait toujours compté le plus pour lui même si ça n'avait pas toujours été dans un sens positif).
Sa mâchoire saillait. Elle était déjà particulièrement bien dessinée mais sa colère ne la rendait que plus impressionnante. Constatant qu'Harry n'avait apparemment pas l'intention de répondre il reprit :
-Est-ce que tu es en train de me dire que – que tu t'es mis en tête que – que je te repoussais ?
Décidemment, rien d'intéressant ou de digne d'être dit ne pouvait traverser l'esprit d'Harry. Oui, il s'en était convaincu. Ça faisait des jours qu'il se persuadait qu'il n'y aurait jamais rien entre eux, qu'il avait tout inventé, que Voldemort avait agi parce que les hormones adolescentes étaient à ce point impétueuses qu'elles étaient irrésistibles et qu'il avait touché Harry parce qu'il était tout simplement là – mais que ça aurait pu être n'importe qui d'autre.
Voldemort secoua de la tête. D'un geste plus brusque encore que les précédents, il se releva. Harry réalisa que s'il ne faisait pas de même, il serait abandonné dans un parc, sans moyen de rentrer… chez lui. Non, chez Voldemort. Il n'avait même pas de chez lui. Il posa le plat de sa canne contre le sol et se releva en s'appuyant sur sa jambe valide.
Mais si Voldemort semblait exsuder la colère, qu'elle glissait hors de son corps par tous les pores de sa peau, au moins, il l'attendait. Il n'était pas si cruel. Ne l'était plus depuis longtemps.
Mais ce n'est pas côtes à côtes qu'ils marchèrent. Harry voyait le dos, les larges épaules, le manteau élégant, la coupe de cheveux qui était toujours la même qui transcendait les époques – il voulait le rattraper, lui dire qu'il était désolé, dans un sens, s'il avait insulté l'autre – apparemment, c'était ce qu'il avait fait –mais chaque pas était difficile, ce qui en retour rendait sa respiration laborieuse et il avançait péniblement, suivant cette figure altière dont il savait qu'il n'arrivait pas à la cheville était-ce comme ça que Bellatrix s'était sentie ?
Est-ce qu'elle aussi avait désespérément suivi Tom Riddle, ballotée au gré de ses humeurs, des insultes réelles et imaginées qu'il s'inventait ? Peut-être pas. Peut-être qu'il avait été plus sincère avec elle qu'il ne le serait jamais avec Harry, parce que restait toujours dans l'équation le fait simple qu'Harry lui sauvait la vie.
Ou la mort, en l'occurrence.
Le fiacre était parqué au même endroit. Ils grimpèrent dedans. Assis l'un en face de l'autre, Harry ne put que constater que Voldemort l'ignorait sciemment. Il semblait toujours terriblement en colère. Les jambes croisées, les bras – croisés eux-aussi, étaient appuyés sur ses jambes. Une main couvrait sa bouche et il regardait par la petite fenêtre.
Tout son langage corporel indiquait qu'il ne voulait ni regarder, ni entendre, ni parler à Harry.
Il ne l'avait jamais vu si contrarié depuis – des années, en fait. Des vies, littéralement. Et comme ça lui était douloureux. Il avait honte mais il devait se battre contre une envie de pleurer qui risquait de le noyer. Mais pas devant Voldemort – il lui en avait déjà trop dit, non ? Pas la peine de lui montrer à quel point ses gestes pouvaient l'atteindre.
Mais ses pensées étaient les mêmes. Une triste farandole – des supplications, des professions d'amour – cela ne servirait à rien. Il fixait ses mains, refusant de regarder la tristesse de la ville.
Et il fut surpris, en fait. De la courte durée du trajet. Car ils étaient à nouveau dans la cour de la maison de Voldemort. Qui se contenterait probablement de le déposer avant d'aller faire dieu savait quoi de plus important que de rester auprès de lui.
-Je suis vraiment désolé-
-Par pitié, arrête de t'excuser.
C'était tellement distant. Même la voix d'Harry semblait l'insupporter et il ne comprenait pas – était-ce parce qu'il se comportait d'une façon immature ? Est-ce qu'il était immature ? Mais bien sûr, Voldemort ne réalisait pas la portée de ses mots. Il ne réalisait pas qu'il ne s'agissait pas d'une petite querelle amicale où quelqu'un est légèrement exaspéré par le comportement d'un proche. Il émiettait le cœur d'Harry à chaque phrase.
À un point tel qu'il se disait qu'il avait dû en laisser une traînée entre le banc et la maison de Voldemort.
Le cocher ouvrit la porte. Harry descendit et entra automatiquement dans la maison. Il n'avait pas envie d'échanger des mots agréables pour parfaire l'illusion. Les domestiques pourraient penser ce qu'ils voulaient – il allait se réfugier dans sa chambre et disparaître. Du moins pendant quelques heures.
Voldemort était derrière lui, il l'entendait à ses pas. Pas étonnant, puisque sa chambre se trouvait en face de la sienne. Se retirer dans ses appartements n'était pas un comportement si bizarre, en fait. C'était bien le seul point positif de la situation.
Les escaliers ne lui parurent même pas si difficiles, occupé qu'il était à retenir la douleur de son cœur il aurait préféré escalader la tour de Babel plutôt que de subir une humiliation aussi terrible de la main de quelqu'un envers qui il avait eu une telle confiance. Parce qu'il ne l'épargnait pas – bon sang, tout ce qu'avait fait Harry, c'était être – terrifié. Oui, terrifié à l'idée de perdre l'étrange lien qui les unissait.
Il ouvrit la porte de sa chambre.
Il se retourna pour la fermer mais Voldemort était dans l'encadrure. Sans un mot il entra, lui aussi, et ferma la porte derrière lui.
Et Harry se sentit terriblement fatigué à l'idée de reprendre cette conversation. N'en savait-il pas déjà assez ? N'avait-il pas suffisamment réalisé à quel point il avait été bête et naïf et Voldemort tenait-il donc tant que ça à l'enfoncer ?
Et cette idée l'horripila. Sa tristesse s'évapora – il ne restait qu'une colère sourde, dans laquelle Harry eut l'impression de se reconnaître
(JE ME FICHE COMPLÈTEMENT DE CE QUE VOUS AVEZ À ME DIRE) (un bureau, des tableaux muets d'indignation) (et une tristesse, la pire de sa vie, une douleur atroce)
Oui, il pouvait lui aussi être aveuglé par la colère. Même s'il s'était longtemps demandé si c'était la colère de Voldemort qui faisait écho en lui. Il s'était rendu compte plus tard, quand il n'y avait plus eu d'horcruxe en lui…et
(et ce sentiment de vide qui l'avait remplacé)
Et qu'il s'était sentit si souvent en colère, enragé – une lutte contre l'inaltérable – Il n'y avait jamais réfléchi comme ça. Il avait bien sûr – vaguement réalisé que la perte de l'horcruxe l'avait… et il qualifiait ça de perte ! ça aurait dû être une libération, ou le gain de la liberté, mais il l'avait vécu comme deuil et – oui, cette perte de l'horcruxe l'avait laissé vide. À croire que l'âme de Voldemort et la sienne avait fusionnée et qu'en la retirant, c'était en fait une partie de lui qu'il avait perdu.
Ces réalisations. Cette prise de conscience. Ces révélations étaient bien plus dramatiques que ce qui se jouait dans sa chambre. Enfin, dans la chambre qu'on lui avait temporairement octroyée. Une horreur démesurée s'insinua en lui.
Il avait plaisanté, quelques vies plus tôt, en disant à Voldemort « qu'il ne s'était plus jamais senti le même ». Une façon d'extérioriser en blaguant quelque chose qui l'avait tiraillé. Mais qu'il n'avait jamais osé conscientiser. Et il était là, comme un imbécile, des dizaines d'années plus tard mais paradoxalement deux-cent ans plus tôt à se rendre compte que ses sentiments, que son besoin qui lui avait paru si aberrant –
Avait toujours existé.
Il ouvrit la bouche et la referma. Que pouvait-il dire ? Cette petite crise domestique était tellement ridicule face à la crise universelle –
Il avait toujours été attiré par Tom Riddle. Et son âme avait toujours désiré sa proximité. Plus que du désir. Son âme n'était entière que lorsqu'elle était complétée par la sienne.
Il fit un pas en arrière – heureusement en s'appuyant sur sa bonne jambe –
-Je-, commença-t-il, terrorisé : je-
Voldemort franchit les quelques mètres qui les séparaient. Dieu sait quelles avaient été ses pensées à lui, pendant cet échange. Harry eut vaguement envie de lui dire de le laisser tranquille, il avait besoin de réfléchir et surtout de contempler sa vie, ses vies entières, et réaliser l'ampleur de la catastrophe.
Mais il n'eut même pas le temps de formuler cette pensée. Voldemort avait glissé une main entre son bras et son torse, et attrapé sa nuque de l'autre.
Et pour la première fois Harry sentit les lèvres de Voldemort contre les siennes. Il avait rêvé de ce moment un nombre incalculable de fois, avait imaginé chaque nuit ce qu'il ressentirait s'il pouvait sentir les lèvres pleines de l'autre homme.
Mais étonnamment, il n'avait pas pris en compte le fait que ce serait aussi la première fois qu'il embrasserait un homme. Et qu'ainsi, ce serait la première fois qu'il ne serait pas l'instigateur, ni celui qui aurait l'ascendant physique.
Il se sentait petit – peut-être parce que ce corps était presque atrophié par son inactivité, par les années qu'il avait passées enfermé à l'intérieur, mais il avait l'impression d'être si frêle, si petit contre le corps d'un Voldemort adulte –
Et quel baiser. Sa tristesse, sa peine, son horreur – merde, même la douleur dans sa jambe – tout disparût. Voldemort le soulevait à moitié, supportant une partie de son poids. Et Harry, oh Harry se laissait fondre. Pour la deuxième fois de la journée, les doigts de Voldemort le serraient à lui en faire mal – mais Harry en aurait demandé plus, se faire broyer par lui – pouvait-il y avoir une meilleure chose dans l'univers ?
Un plaisir mesquin à l'idée de déranger cette immuable coupe de cheveux, une texture dont il avait souvent imaginé le touché il essayait désespérément de respirer mais chaque hoquet était interrompu – à chaque fois qu'il entrouvrait la bouche pour essayer d'inspirer de l'oxygène n'étaient que des occasions pour Voldemort d'approfondir le baiser.
Et il ne pouvait rien faire d'autre que subir (si c'était vraiment subir quand c'était sans conteste le meilleur moment de sa vie) – s'agripper à la veste d'intérieur de l'autre homme, prier pour mourir tout de suite, comme ça, alors qu'il lui semblait que rien de mieux ne pourrait jamais survenir dans cette vie.
Voldemort recula légèrement, détachant sa bouche de la sienne. La main qui avait tenu sa nuque (pour le presser contre lui), se décala pour poser son pouce sur son menton et sa paume le long de sa joue.
Une main réellement gigantesque pour qu'elle parvienne à le saisir si complètement. Harry haletait. Reprendre son souffle alors que son cœur était encore rythmé par l'émotion et les sensations – en plus d'avoir été privé d'oxygène pendant si longtemps.
L'idée que Voldemort n'était finalement peut être pas fâché lui traversa l'esprit.
-Je pensais que tu étais en colère, essaya-t-il.
Il y avait un tremblement perceptible dans sa voix, l'autre devait l'entendre et le sentir à travers sa main.
-En colère ? répéta Voldemort, paradoxalement, il semblait toujours être fou de rage : Oh, Harry. J'étais trop occupé à me maîtriser – ce pour quoi je n'ai jamais été particulièrement doué.
D'un geste brusque il attira encore plus Harry contre lui. Leurs fronts se touchaient presque. La mèche élégante qui ornait toujours son crâne lui chatouillait la peau :
-Je t'aurais embrassé dans le parc – je t'aurais embrassé devant tes parents – tu ne m'as pas rendu la vie facile, Harry Potter.
Et il y avait une telle faim dans son regard, une telle chaleur ce n'était pas la première fois que Voldemort lui donnait l'impression d'être une proie face à un prédateur mais c'était la première fois qu'il n'en était pas terrifié. La tension dans son bas ventre s'accentua.
Il franchit les quelques centimètres qui séparaient leurs deux bouches. Tom le laissa faire, raffermit sa prise dans son dos. Harry ferma les yeux et se laissa envahir par ses autres sens. La chaleur de la main qui lui tenait toujours le visage, celle des lèvres contre les siennes. Le nez légèrement plus froid qui caressait le sien. Il avait une odeur chaude, celle du bois – un bois riche presque oriental. Quant à son goût, c'était quelque chose de résolument nouveau, Harry n'y identifiait aucune saveur connue. Il réalisa que c'était réellement Tom qu'il goûtait, son essence lorsqu'il avait passé une journée aucune boisson ni nourriture pour altérer son haleine ou sa langue.
Cette pensée l'excita. (et bien sûr qu'il l'était – plus que de raison, plus qu'il lui semblait naturel, il n'en aurait pas pu être autrement, pas quand il n'y avait que quelques vêtements onéreux entre son corps et celui de Voldemort.)
Savoir que son lit était à quelques mètres le rassurait, lui laissait le temps de profiter de chaque seconde, marquer dans l'éternité de leurs vies ce répit, cette grâce.
Tout occupé à essayer d'ancrer ce moment dans ses souvenirs – pas que le fait mais les goûts, les textures, - il remarqua tout de suite. Son ouïe les trahit.
-Monseigneur ?
Un doigt plié contre une porte en bois. Le bruit était trop étouffé pour que le domestique ne soit en train de toquer à la porte d'Harry. Il essayait de contacter son maître, qui était supposé être dans la chambre en face.
Voldemort le lâcha (Harry manqua de tomber) et s'écarta brutalement. Harry lui lança un regard critique. Il était décoiffé (par sa faute), sa veste était froissée (par sa faute) et ses pommettes étaient rouges.
En d'autres termes, il était évident qu'ils n'avaient pas été engagés dans une discussion tout à fait civile. Harry déglutit et tira sur sa propre chemise. Inutile d'essayer de dompter ses cheveux maintenant.
En face de lui, Voldemort prenait de grandes inspirations. Une main tremblante dans ses cheveux, il essayait de leur donner leur élégante forme habituelle.
Il remit ses habits en place et se dirigea vers la porte avant de l'ouvrir.
-Je suis ici, déclara-t-il posément.
Un bruit de surprise. Voldemort ouvrit la porte et son valet apparût dans le couloir :
-Je voulais simplement m'enquérir si vous aviez besoin d'aide ou si je pouvais me rendre utile ? Pensez-vous sortir ce soir ?
-Je crains que la journée ne m'ait épuisé, répondit-il facilement : je crois que je vais rester ici ce soir.
Il se tourna vers Harry :
-Cela vous convient-il Monsieur Potter ? Ou désiriez-vous aller en ville ? C'est vrai qu'il y a la première d'une pièce dont on m'a dit qu'elle était très attendue.
Harry fit un geste du bras – même si le domestique ne pouvait pas le voir.
-Non, je suis aussi épuisé. Nous pourrons y aller demain, je n'y vois pas d'objection.
-Alors c'est réglé, lui répondit formellement Voldemort.
Et il sortit de sa chambre.
Harry l'entendit s'entretenir avec le domestique. Probablement pour parler du repas du soir – ou dieu savait quoi. En fait, Harry ne savait pas exactement ce qu'un maître de maison était supposé dire à ses serviteurs. Nul doute que Voldemort avait beaucoup d'expérience en la matière vu les différentes professions qu'il avait exercées.
Harry se dirigea à pas lent vers le lit avant de s'y asseoir. Bien entendu la situation était atroce et déprimante. Pourquoi ne pouvait-il pas à nouveau vivre dans le Londres du vingtième siècle ou il était – peut-être pas accepté mais au moins toléré que deux hommes puissent… il avait failli penser le verbe « aimer » en pensant aux rapports physiques.
Mais ses sentiments étaient trop puissants – et il s'en sentait si vulnérable que d'utiliser ce terme le gênait.
La porte s'ouvrit à nouveau ce qui surprit Harry. Il s'était attendu à ce qu'il passe la fin de son après-midi seul, avec pour seule compagnie son livre, ses souvenirs et ses fantasmes (qui surgissaient avec un aplomb désarmant dans son cerveau).
Voldemort le considéra un instant. Il s'avança précipitamment vers lui et, pour la seconde fois de la journée, l'attrapa par la nuque.
Harry se fit la réflexion qu'il appréciait énormément (même si le geste était possessif- trop peut-être, même s'il y avait une pointe de violence dans cette main qui l'attrapait à l'un des endroits les plus fragiles de son corps), il en frissonna d'excitation.
Voldemort se pencha vers lui, colla sa joue contre la sienne et murmura au creux de son oreille, d'une voix si basse qu'Harry dû se concentrer pour comprendre le sens des mots :
-Ne te touche pas. Je te veux désespéré ce soir.
Ce qui, bien évidemment, n'allait pas lui rendre la tâche facile.
Acte 4, scène 5
S'était-il déjà senti si heureux ? Son cœur gonflait sa poitrine, ses poumons aussi il avait du mal à respirer tant la confirmation que quelque chose (même si ce n'était pas totalement ce qu'il voulait, au fond) était possible et – même mieux, allait se produire.
Il en aurait fait les cent pas dans sa chambre s'il n'était pas cloué au lit. Les mots de Voldemort résonnaient encore dans sa tête. C'était sans aucun doute une promesse – pour la première fois depuis leur dernière vie, il ne passerait pas la nuit seul.
Il avait envie d'en pleurer, d'hurler son soulagement (sa joie) dans son coussin. Sa jambe ne l'inquiétait plus – pas plus que les domestiques, son père – leur situation en général. La mort – elle surviendrait sans aucun doute – mais elle ne pourrait pas anéantir ce qu'il venait de se passer.
Les mots échangés, les aveux (Harry estimait que c'en était, d'une certaine façon) de Voldemort quant à son désir pour lui ne pourraient pas être ravalés. Alors qu'importe s'ils se faisaient surprendre, si Harry avait une crise cardiaque pendant le repas, si la vie prouvait une nouvelle fois qu'elle était une suite aléatoire marqué par l'éphémère.
Ils se retrouveraient. Et c'était cette certitude qui soulageait ces craintes. Une panacée qui réduisait sa peur à une fantaisie d'enfant.
Ce qui n'empêchait pas que le temps fût affreusement long. Parce qu'Harry malgré son bonheur et son soulagement était surtout affreusement excité. Il avait pratiquement passé une vie d'ascète. Enfermé dans le manoir Potter, les seules femmes qu'il avait eu l'occasion de fréquenter étaient les domestiques et les jeunes femmes de bonne famille.
Maintenant qu'il y pensait, les livres de la bibliothèque étaient on ne pouvait plus respectables. Contrairement aux jeunes de son âge, il n'avait pas « fait son éducation » en fréquentant les maisons closes.
Son désir, enterré, s'était pratiquement éteint. En fait, Harry avait dû mal à se rappeler la dernière fois qu'il s'était masturbé. Et s'il l'avait fait, ça avait été – confus – en essayant d'en finir le plus vite possible. Sans idées, sans images pour faciliter le processus.
Ce n'était évidemment plus son cas. Et des idées, il en avait. La façon autoritaire dont Voldemort lui avait parlé était suffisante en elle-même pour embraser son esprit et son corps. Il n'avait qu'une envie, recevoir ce genre d'ordres, être obligé d'y répondre, sentir l'autre homme contre lui –
Mais il ne devait surtout pas y penser. C'était ridicule, en soi il savait parfaitement qu'il avait le droit de se toucher s'il en avait envie mais (et il le réalisa avec un certain effroi) il avait surtout envie d'obéir.
-Il faut que j'aille chez le psy, maugréa-t-il en contemplant la toiture de son lit. C'était un lit à baldaquin qui ressemblait à ceux du dortoir de Poudlard dans lequel il avait passé six ans. Si on faisait abstraction, bien sûr, des teintes résolument serpentardes.
Il avait une main au-dessus de la tête. Perdus dans les larges coussins. L'autre était posée sur son ventre – le bout des doigts juste en dessous de son nombril. Terriblement proche de l'endroit où il rêvait de les glisser.
Et le temps passa. Lentement, langoureusement, comme une caresse tortueuse. Harry essaya de dormir (n'y parvint évidemment pas). Il essaya de se dégourdir les jambes avant de réaliser que c'était réellement une idée idiote – prit son livre et lu quinze fois la même phrase.
Il était condamné à souffrir.
Heureusement pour lui, Voldemort avait apparemment décidé d'être magnanime : on toqua finalement à la porte, une heure plus tôt que l'heure conventionnelle pour les repas.
Le valet de Tom entra dans la pièce et habilla consciencieusement Harry. Il ne s'en plaignit pas – au contraire, il ne faisait que diminuer l'échéance. Une fois habillé, il lui tendit sa canne et, tous les deux, Harry devant et le valet derrière quittèrent la pièce.
La salle à manger était somptueuse. Il n'y avait personne d'autre à table que Voldemort. Pourtant, le long des murs, cinq domestiques dont le majordome étaient prêt à les servir. Autant de monde pour deux jeunes hommes, c'était ridicule.
Ce n'était peut-être pas le bon terme. C'était même peut être un peu condescendant. Il s'agissait de leur métier, après tout, et nul doute qu'ils tiraient de la fierté d'être employé dans une si illustre maison.
Harry s'assit en face de Tom. Qui l'accueillit en levant lentement le visage et en se léchant les lèvres. Harry déglutit. D'anticipation, de crainte, d'envie ? il n'en savait trop rien mais son estomac se tordit si dramatiquement que l'idée de manger lui parût soudainement totalement incongrue.
-Vous êtes-vous bien reposé ? demanda tranquillement Voldemort alors qu'il se servait d'une entrée, tendue devant lui par un valet de pied.
-Pas aussi bien que je ne l'aurais désiré, répondit facilement Harry qui apprécia terriblement le tressaillement dans mains de Voldemort.
-Vous m'en voyez navré. J'espère que votre nuit prouvera être plus… satisfaisante.
Harry esquissa un sourire et avala une gorgée de vin. Sa main aussi tremblait. Les domestiques devaient forcément réaliser que quelque chose ne tournait pas rond. Mais, le regard fixe, ils n'en laissaient rien entendre. C'était pour le mieux.
Harry et Voldemort échangèrent moultes banalités. Aucun sujet léger n'y échappa : ni la météo du jour (parfaitement agréable), ni la promenade qu'ils avaient faite (délicieuse) ni les plaisirs auxquels ils auraient droit le lendemain, chaque mot était une provocation
Et Harry (ou plutôt son corps) était disposé à y réagir.
Les mets passèrent les uns après les autres. À peine entamés, bien sûr. Il était plus facile d'avaler le vin chaud et délicat que de remplir son estomac. Il eut une pensée peinée pour le ou la cuisinière. Cela devait être décourageant de voir revenir des assiettes à peine touchées. Mais ce n'était pas de ce genre-là de faim qu'Harry souffrait.
Les assiettes disparurent. Les valets de pied se retirèrent.
-Souhaitez-vous passer au salon pour un verre de brandy ?
Et prolonger cette interminable soirée ? pensa Harry avec horreur. Mais il se contenta de sourire d'un air qui se voulait navré :
-Je crains ne pas en avoir la force. Je vous souhaite une bonne nuit, Monsieur, je crois qu'il est plus sage que j'aille me coucher.
-Comme vous le désirez. Bonne nuit.
Et sans plus de cérémonie il se releva et se dirigea à pas tranquille vers le petit salon où Harry savait qu'un verre de brandy l'attendait déjà. Quant à lui, il se releva avec plus de difficulté et avec impatience, entreprit de retourner dans sa chambre.
Les minutes, bien sûr, interminables. Chaque seconde une éternité. Peu de minutes dans sa vie n'avaient été si longues.
Il entendit finalement des pas dans le couloir. Qui que soit le propriétaire des chaussures qu'il entendait le plus, il n'était pas seul. Harry devina qu'il s'agissait de Tom et de son valet. Et, effectivement, on entra dans la chambre qui se trouvait de l'autre côté du couloir.
Et il lui apparût qu'il devrait attendre encore.
Des pas s'éloignèrent.
Toujours la même page de son livre, toujours la même anxiété dans le haut de son ventre. Une partie de lui essayait de le persuader qu'il avait mal compris, que c'était une erreur et que Voldemort ne le rejoindrait pas. Heureusement, pour une fois, la partie rationnelle de son cerveau était intransigeante. Il n'y avait rien à ne pas comprendre. Les sous-entendus lors du repas, la façon dont l'autre homme l'avait embrassé – oui, il n'y avait, pour une fois, pas de place au doute.
La porte grinça. Harry avait l'impression que ça faisait des heures qu'il avait l'oreille tendue, cherchant à entendre ce bruit, qui était évoqué dans tous les craquements de la large demeure. Il sursauta presque : ce n'était pas parce qu'il l'avait attendu qu'il s'y était totalement préparé. Et, l'instant d'après, la longue silhouette de Voldemort s'immisçait discrètement dans sa chambre.
Il referma silencieusement la porte derrière lui.
Ce n'était pas un sentiment que Harry s'était préparé à ressentir, et encore moins dans ces conditions. Mais il avait réellement l'impression d'être l'acteur principal d'une réécriture de Dom Juan où, au lieu de séduire des jeunes femmes vierges bonne famille, il s'attaquait à des jeunes hommes.
Harry déglutit alors que l'autre homme s'avançait dans sa direction. Il constata avec amusement qu'il portait un peignoir. Aurait-il pu faire plus cliché s'il l'avait fait sciemment ?
Le silence se prolongea. Le tapis engloutissait chacun des pas. La chambre n'était éclairée que par la bougie qui trônait sur la table de nuit. La lueur vacillante semblait donner vie aux tableaux ce qui conférait pour Harry une aura réconfortante. Avec le lit à baldaquin, c'était comme s'il était à Poudlard.
Harry se demanda s'il devait dire quelque chose. Le silence était aussi pesant que la couverture sous laquelle il s'était glissé plus tôt (il avait d'ailleurs hésité à enlever son pyjama avant de se dire qu'il serait sûrement très bizarre d'accueillir Voldemort complètement à poil alors qu'ils n'avaient même pas… Enfin alors qu'ils n'en étaient pas encore là.)
Un genou sur son matelas. Le lit grinça. Une plainte moribonde quant à l'acte jugé malsain – selon les standards de l'époque – qu'Harry espérait qu'il se produirait bientôt.
Voldemort avait arrêté son geste. Il craignait sans doute que ce bruit ait alerté quelqu'un. Mais un grincement n'était certainement pas inhabituel dans une chambre si vieille et dans une maison faite en grande partie en bois.
Il adressa un sourire presque gêné à Harry avant de se hisser d'un geste fluide sur le lit.
L'instant d'après, il était au-dessus de lui. Par réflexe, Harry recula son visage et sa nuque entra brièvement en contact avec le sommier du lit. Il fit une grimace qui mourut contre les lèvres de l'autre homme.
Son anticipation, le désir qu'il avait eu du mal à retenir et la violence de l'espoir qui l'habitait depuis presque une semaine s'embrasèrent. Il passa sa bonne jambe derrière celle de Voldemort et, en la plaçant derrière son genou, le força à s'écraser sur lui.
Enfin, la « chute » de Tom fut totalement maîtrisée et Harry lui en fut infiniment reconnaissant : il garda un certain appui pour éviter d'appuyer sur sa jambe infirme.
Et ce n'était plus qu'une éruption de sensations physiques. Ses lèvres sur les siennes, sa langue, agréablement chaude dans sa bouche, ses mains – une dans ses cheveux, l'autre au niveau de ses côtes et son bassin pressé contre le sien, manifestement aussi impatient que lui.
Voldemort fit glisser sa bouche le long de sa mâchoire puis de son cou. Harry frissonna : ce soudain abandon laissait le champ libre à ses pensées qui se reformèrent toutes avec urgence. Il voulait plus, évidemment.
Même si définir quoi exactement appartenait à un territoire incertain. Le premier bouton de son pyjama sauta. La peau découverte fut bientôt recouvertes de lèvres. Harry émit un bruit qu'il ne se croyait pas capable de faire. Un gémissement, c'était certain, et ce alors même que les parties les plus sensibles étaient encore (douloureusement) recouvertes par un tissu et intouchées.
Il sentit la bouche sourire contre son torse. Et la main qui avait défait le premier bouton s'attaqua au deuxième puis au troisième. Et chaque parcelle de sa peau découverte était ensuite immédiatement recouverte de baisers chauds. Personne n'avait à ce point pris le temps d'embrasser son corps, c'était certain.
Il l'avait fait pour d'autres personnes, Ginny – ses autres partenaires – mais personne ne l'avait jamais traité comme s'il était spécial et comme si chaque atome de son anatomie ne méritait pas d'être vénérée.
Les pans de la chemise de son pyjama s'ouvrirent. Le dernier bouton avait glissé. Avec un long geste, Voldemort écarta le tissu, dévoilant entièrement son torse.
S'il y avait eu encore le moindre neurone dans son cerveau, nul doute qu'Harry se serait senti gêné d'être dévoilé pareillement. Son corps ne ressemblait en rien à ce dont il avait l'habitude. Il était presque maigre, chétif. En fait, divers termes péjoratifs flottèrent dans sa tête.
Tom le contemplait, les genoux de part et d'autre de ses hanches. Et ce regard scrutateur lui donna soudainement envie de se recouvrir.
-Tu es tellement attirant, déclara soudainement Voldemort la voix basse.
Harry avait un peu du mal à le croire mais son cœur s'élargit de bonheur quand même. Il se redressa en maudissant sa jambe et attira l'autre homme contre lui. Il ne l'aurait pas cru possible mais ce baiser était encore plus frénétique que le précédent.
Et les mots maudits dont il savait qu'il ne devrait jamais les dire – jamais laisser entendre à Tom qu'il pouvait les ressentir étaient au bord de ses lèvres, prêts à déborder. Chaque baiser était un « je t'aime », chaque caresse, chaque fois qu'il essayait vainement de lever ses hanches pour les coller contre celles de l'autre homme
Cet abandon était finalement assez proche de la mort.
Jamais rien n'y arriverait à la cheville – jusqu'à ce que Voldemort ne fasse glisser sa main et, lentement, d'une façon tout à fait délibérée, ne fasse glisser le bas de son pyjama le long de ses cuisses. Harry l'aida du mieux qu'il put, les pensées incohérentes, chaque cellule de son corps embrasée, en essayant de se redresser. Et, vraiment, il ne pouvait qu'admirer la capacité de Tom à réfléchir et faire attention dans la situation. Car au lieu d'essayer de le lui retirer complètement – ce qui provoquerait sans aucun doute une coulée de douleur insupportable, il se contenta de lui retirer une seule jambe.
Que sa présence d'esprit soit bénite, pensa Harry avec reconnaissance – jusqu'à ce que toute pensée religieuse ne soit chassée de son cerveau car la main chaude de Voldemort le tenait. Il interrompit ensuite le baiser, l'embrassa dans le cou, - et Harry eut à peine le temps de se dire que c'était absolument parfait –
L'agréable sensation disparût. Il lui embrassa le torse, le ventre. Puis ce plaisir réapparût sensiblement plus bas. Magnifié d'une façon si colossale que l'air disparût de ses poumons, sa vision devint blanche – tous les poils de son corps se hérissèrent – Il allait mourir c'était cette fois absolument certain, ce n'était pas naturel de ressentir une telle décharge de plaisir, et oui il était forcément mort, son âme en train de se détacher de son corps – malgré lui il bougea sa jambe pour essayer d'en avoir plus -
Un mélange de douleur et de plaisir il n'allait pas y survivre, c'était impossible de survivre à un truc pareil, pas quand son corps entier réclamait une délivrance et l'autre partie était à l'agonie physique. Pourtant, même en ayant l'impression d'être au paroxysme du plaisir, d'avoir atteint un nirvana qui jusqu'à présent lui était resté totalement étranger (et pourtant ce n'était certainement pas la première fois qu'on lui prodiguait de tels soins) il réalisa qu'il en voulait plus.
Il voulait sentir Tom en lui. Peut-être serait-ce la seule façon pour lui d'avoir l'impression que leurs âmes étaient à nouveau liées – et merde, c'était des conneries, c'était juste une envie charnelle, un besoin primitif, rien de plus que l'envie de se faire aveugler de plaisir alors qu'il pourrait sentir le souffle de Voldemort sur son visage plutôt que dans les environs de son pubis. Que ses mains pourraient lui saisir les épaules, le sexe, peu importait au final –
-Tom, gargouilla-t-il
Malgré lui il sentait l'orgasme se rapprocher. Il n'avait rien envie de plus, bien sûr, mais il ne voulait pas que ça s'arrête non plus dieu savait de quoi serait fait le lendemain et, d'expérience, probablement qu'il serait moins agréable que ce qu'il vivait dans cette chambre.
Une des mains de Voldemort, qu'Harry n'avait même pas réellement remarqué – son esprit malmené par les assauts répétitifs, montèrent le long de son corps et fermement mais pas sans douceur entoura son cou et le serra légèrement.
C'en fut trop, évidemment. Harry avait déjà eu le loisir de constater, lors de leur vie précédente qu'il n'aimait rien de plus que d'être maîtrisé par le plus grand. Qu'il ne désirait rien de plus que d'être écrasé par la carrure marginalement plus large que la sienne. Et un geste si intime – à la limite de la violence –
Toute réflexion disparût. Il n'était plus qu'une mer secouée par des vagues de plaisir qui le ravagèrent sans merci. Ses doigts serrèrent la tête du lit avec force, il n'était pas très bien poncé, derrière. Des échardes percèrent légèrement sa peau.
Il ne fut bientôt plus qu'une masse inerte à la respiration précipitée. C'était sans aucun doute – il n'avait jamais physiquement ressenti un tel plaisir. L'anticipation jouait sûrement un rôle, de même que le désir difficilement contenu qu'il éprouvait pour l'autre homme. Et le fait incontestable que Voldemort l'avait touché exactement comme il l'aimait, qu'il avait pressé sa langue aux endroits où Harry adorait qu'on le touche-
Avant de réaliser qu'il venait littéralement de jouir dans sa bouche sans même avoir eu la courtoisie de le prévenir.
-Je suis tellement désolé ! s'exclama-t-il alors que ses pensées se reformaient lentement dans sa tête. Il se redressa.
Voldemort s'était légèrement redressé aussi. Son expression était – mécontente. En fait, il avait un air pincé qu'Harry ne lui connaissait que trop bien – mais qui ne présageait rien de bon. C'était vrai qu'il avait été horrifié de trouver son caleçon sale dans sa chambre. Et il avait eu l'occasion de voir qu'à certains égards, il pouvait réellement être maniaque.
Une culpabilité digne d'un criminel s'insinua en lui. Il ouvrit la bouche, prêt à s'excuser une deuxième fois lorsqu'il constata (son cerveau ne tournait pas à plein régime, évidemment, il venait quand même d'avoir l'orgasme de sa vie) que ce n'était pas lui que Voldemort regardait avec un tel courroux.
C'était sa main gauche, qu'il tenait devant lui. Elle brillait légèrement dans la douce lueur de la bougie. Harry plissa des yeux – maudissant d'avoir enlevé ses lunettes à un moment où à un autre. La chose brillante coula légèrement et une goutte tomba sur son matelas.
Et, estomaqué, Harry comprit.
C'était peut-être son expression où le fait qu'il se soit masturbé jusqu'à l'orgasme en le suçant Mais Harry éclata de rire.
Il se fit la réflexion que c'était la première fois dans cette vie qu'il riait sincèrement.
Bien sûr que c'était Voldemort qui lui donnerait à nouveau l'impression d'être cent-pour-cent lui-même. Le regard du plus grand glissa de sa main jusqu'à Harry qui hoquetait littéralement devant lui :
-Je –essaya-t-il, alors qu'une couleur rouge se propageait sur son visage : ce n'était pas prévu.
Harry plaqua une main contre sa bouche. Bien sûr que les domestiques risquaient de se rameuter s'ils l'entendaient rire à une heure aussi absurde -et d'ailleurs, n'avait-il pas fait trop de bruit ? Il avait vainement essayé de retenir ses gémissements mais à quoi bon ?
Son instinct aurait été de se retourner pour enfoncer son visage dans les coussins et y rire à plein poumon. Bien sûr sa jambe (et accessoirement le fait que Voldemort soit encore à califourchon au-dessus de lui) rendait cette possibilité caduque.
-Arrête de rire, continua-t-il avec assez peu de conviction.
-Je suis désolé, hoqueta vainement Harry.
Ses joues et son ventre lui faisait mal. Même sa gorge. Bon sang il avait oublié à quel point ça faisait du bien physiquement, de rire.
-Mais, impossible d'articuler dans son état : tu devrais te voir, et tu m'avais traité d'exhibitionniste ou je ne sais quoi alors que –
Voldemort fronça des sourcils. Puis un sourire se fraya un chemin sur ses lèvres. Il essayait de le retenir, c'était évident mais sans succès. Une pause, et ses yeux se plissèrent, il se mit à rire lui aussi. Et ce n'était ni le rire dénigrant dont Harry avait l'habitude, ni la légère marque d'amusement dont il le gratifiait parfois. Non, c'était un véritable rire.
Et, d'une façon qui aurait pu laisser croire que ce geste était tout à fait normal, il essuya sa main sur le ventre nu d'Harry. La sensation était désagréable : froide et visqueuse.
-J'hallucine ! s'exclama-t-il avec affront : t'es vraiment dégueulasse – j'arrive pas à croire que tu –
Il attrapa un bout de son duvet et essuya vivement le sperme qui glissait dangereusement dans le creux de son nombril.
-Ah, Harry, que vont penser les femmes de chambre demain quand elles changeront les draps ? murmura Voldemort d'un air faussement dépité : une telle marque de péché sous mon toit, tu manques vraiment d'éducation.
-Je m'en fous, trancha Harry agacé : ce que j'arrive pas à croire, c'est que tu fasses ta mijaurée quand je laisse traîner un caleçon et qu'ensuite tu fasses mille fois pire et que –
-Tu n'es pas très observateur, commenta Voldemort avec légèreté.
Harry allait répondre qu'il était extrêmement observateur, merci pour lui, rien ne lui échappait jamais – il était prêt à devenir un détective privé mais Voldemort ne lui laissa pas le temps de formuler son propos. Il se pencha une nouvelle fois sur lui.
Un baiser moins passionné mais étrangement plus apaisant. Harry le laissa faire, il était ravi, infiniment heureux de voir que Voldemort n'avait pas l'intention de limiter leurs contacts physiques au pré et au « durant » -sexe. Il se laissa retomber avec félicité contre le matelas alors que Voldemort remontait légèrement dans le lit.
Sa bouche avait son goût. Ça aurait potentiellement pu le dégouter mais de savoir que le fluide le plus intime de son corps avait marqué Lord Voldemort réveilla légèrement son désir.
-Tu n'as vraiment aucune idée.
Harry en resta muet un instant. Suffisamment pour que l'autre reprenne :
-Ces deux dernières vies ont été… difficiles, finit-il avec un manque d'éloquence assez peu caractéristique.
La révélation la plus choquante de sa vie, après le fait d'avoir hébergé un morceau d'âme de Voldemort, bien sûr. Il se sentait extrêmement bête d'avoir passé une vie entière à fantasmer alors qu'apparemment Tom aurait été tout à fait consentant. Et bon sang, à quel point il aurait été facile d'assouvir tous ses désirs, ils avaient passé pratiquement deux semaines en tête à tête dans une voiture.
Peut-être qu'ils feraient bien de privilégier l'honnêteté et le franc parlé. Oui, et Harry allait commencer tout de suite :
-Tom, j'ai vraiment très envie de toi.
Tom qui, en guise de réponse, lui lança un regard très critique :
-Je ne crois pas que cela puisse être possible dans cette vie.
Une indignation démesurée s'embrasa dans sa poitrine :
-Pourquoi ?
Voldemort lui sourit, comme s'il trouvait amusant et – limite touchant – le désespoir avec lequel Harry avait envie de se faire posséder :
-Ta jambe, Harry.
-Je suis sûr qu'il y a un moyen-
Quelques positions défilèrent dans sa tête. Mais il dût vite se rendre à l'évidence qu'elles impliquaient toutes un appui. Sur ses deux genoux – pieds – ou mollets. L'amusement dans le regard de Tom s'accentua en constatant que Harry était sincèrement déçu et horrifié de savoir qu'ils ne consommeraient pas totalement leur... relation (si tant est qu'elle pouvait être qualifiée comme cela) dans l'immédiat.
-Ton impatience est flatteuse, déclara-t-il en caressant du pouce le front d'Harry : est-ce que tu as au moins déjà couché avec un homme ?
-Non, maugréa Harry.
Une moitié de son âme était enchantée à l'idée de vivre ses premières expériences avec Tom. L'autre aurait quand même aimé avoir l'assurance de savoir ce qu'il faisait. Car, honnêtement, ce n'était absolument pas le cas. Et il était un peu mortifié de réaliser qu'il avait été complètement passif jusqu'à présent. Il n'avait même pas encore touché Tom.
-Et toi ? ajouta-t-il en se doutant assez de quelle serait la réponse.
-Oui. Quand j'étais jeune. Ce n'est – il fit une pause, manifestement travaillé par des souvenirs qui n'avaient rien d'agréable : c'était compliqué, à l'époque.
Harry émit un bruit d'assentiment. Il pouvait se le représenter vaguement, maintenant qu'ils étaient plus ou moins dans la même situation. Voire encore pire – il supposait qu'ils se feraient assassiner s'ils étaient découverts. Plutôt que d'être simplement lâché dans une prison (même si ce serait probablement la sentence officielle pour avoir osé partager leur lit l'un avec l'autre).
Un silence confortable. Ils étaient toujours à moitié nu. Le torse de Voldemort était collé contre le sien. Il sentait son cœur battre à un rythme apaisant contre le sien. Si apaisant, en fait, que ses paupières devinrent terriblement lourdes. Il se morigéna d'avoir sommeil : ils avaient l'occasion de partager un lit, cela ne se reproduiraient peut-être pas avant un long moment, qu'attendait-il pour rassembler son énergie et son désir et remettre le couvert ?
Il se colla contre la forme rassurante de Voldemort qui glissa une main dans son dos. C'était facile de retrouver ces gestes réconfortants qui l'avaient tant habité la vie précédente. Un grain de plus dans le sablier qui le mènerait au sommeil.
-Tu veux pas mieux te coucher ? demanda-t-il alors que l'autre homme se calait sur le côté, quittant sa position à moitié allongée sur lui. L'air frais de la chambre lui caressa désagréablement la poitrine.
-Je ne peux pas rester dormir, malheureusement. C'est trop risqué. Je vais attendre que tu t'endormes.
Harry sourit, pensa à le remercier mais en fut bien incapable : il s'endormit.
Acte 4, scène 5
Il se réveilla seul le cœur léger. Une vive lumière filtrait à travers les lourds rideaux. Harry se redressa. Plus de trace de Voldemort dans sa chambre. Curieux, il souleva son duvet. La seule preuve incriminante était la tâche blanchâtre qui maculait l'un des coins.
Il grimaça, amusé malgré tout.
Il ne s'était jamais senti si heureux. N'ayant aucun moyen de savoir l'heure, il se laissa retomber contre son oreiller. Même l'odeur de Tom s'était évanouie dans l'air. Il aurait pu rêver de sa visite – mais son bonheur, cette sensation de légèreté et cette profonde satisfaction, aucun de ces éléments n'étaient oniriques.
Et il aurait probablement pu être heureux, dans cette vie. S'il n'avait été que Harry et Tom, et qu'ils s'étaient effectivement rencontrés par hasard et sans jamais retrouver la mémoire (s'ils la retrouvaient effectivement). Parce qu'il n'aurait jamais réalisé tout ce à côté de quoi il passait. Impossible pour eux de passer paresseusement la journée au lit. Impossible d'aller au restaurant en tant que couple, de se tenir la main dans un parc.
C'était finalement l'avantage d'être mortel. On avait qu'une petite lucarne sur la réalité de l'univers quand on ne vivait qu'une seule fois.
Mais ce n'était plus son cas. Plus leur cas. Cela dit, s'ils étaient les seuls à réaliser tout ce qui manquait dans cette période de cet univers, ils étaient aussi les seuls qui auraient l'occasion de vivre d'autres moments – dans d'autres époques. Finalement, ils étaient peut-être moins à plaindre que tous les autres êtres humains.
La journée passa avec une douce langueur. Voldemort était évidemment terriblement doué pour ne pas laisser transparaître le moindre état d'âme. C'était un peu plus compliqué pour Harry qui n'avait qu'une envie, lui parler librement, lui sourire, le toucher.
C'était l'éternel dilemme de la qualité contre la quantité. Préféraient-ils se donner la chance de vivre une multitude de moments ? Ou d'en vivre un ou deux mémorables qui ne mèneraient qu'à leur mort ? Harry n'était pas sûr de sa décision. En fait, plus il y réfléchissait moins il ne trouvait d'argument qui justifiait cette mascarade.
Ils allaient mourir – probablement violemment – probablement bientôt. Pourquoi prolonger l'échéance en espérant vivre quelques moments privilégiés alors qu'ils pouvaient décider de leur destin ?
Cette idée avait germé en début d'après-midi, alors qu'ils parcouraient les rues riches de Londres. Tom marchait lentement pour l'accommoder. Ils gardaient le masque de la politesse, de la courtoisie et d'une amitié fraîche et encore un peu gênée.
Voldemort lui répondait par des « oh, vraiment ? » qu'Harry complétait par des « assurément » guindés. Il n'y avait rien dans leur conversation une succession de platitudes qui ne leur, il lui semblait, faisait aucun bien.
Une traversée du désert alors qu'un mirage se profile au loin, la promesse de pouvoir étancher sa soif sans jamais pouvoir y parvenir.
Cette idée prit de l'ampleur dans l'après-midi alors que Tom l'avait introduit dans son club. Malfoy et Nott s'y trouvaient, bavardant avec alégresse. Harry avait eu la bêtise de s'en réjouir – de se dire que dans ce milieu typiquement masculin peut-être qu'il leur serait accordé plus de mou. Mais même cette liberté était factice. Elle n'était qu'oppression, des murs qui, à chaque mots, semblaient se rapprocher de lui.
Il fut convenu qu'ils se rendraient au théâtre. Ils avaient raté l'avant-première, certes, mais la pièce avait reçu de telles louanges qu'il serait criminel de la rater. Harry faillit prétexter un malaise pour pouvoir rentrer mais sa curiosité le retint. C'était… littéralement l'occasion d'une vie.
Il se laissa donc traîner malgré lui dans le fiacre qui s'arrêta devant un luxueux théâtre. Une foule mondaine se pressait devant les portes. Les femmes étaient habillées avec élégance quoique modestie. Quant aux hommes ils accordaient plus d'importance à l'idée d'être vus qu'au programme qu'on leur avait distribué.
-Regardez-moi ces bourgeois, commenta Drago avec dédain alors qu'ils s'arrêtaient devant les portes.
Harry étudia les personnes devant lui. Effectivement, les habits étaient moins riches, les manières moins étudiées. Mais bon sang, c'était réellement du plaisir et de la joie qu'il voyait sur leurs visages. Ces hommes et ces femmes allaient réellement au théâtre sans prendre eux-mêmes part à une pièce pendant toutes les heures de leur vie.
Menés par Drago, ils se frayèrent un chemin dans la foule. Il avait la même expression qu'à Poudlard lorsqu'il devait se mélanger à une foule qui ne lui plaisait guère. Et ce n'était pas surprenant, cet amas de monde était trop hétéroclite pour lui.
Le théâtre était, paradoxalement, exactement comme Harry s'y attendait. À l'intérieur, on avait directement accès à la fosse. Nul doute que les places les moins chères s'y trouvaient. Il n'y avait pas de sièges, les moins riches devraient apprécier le spectacle debout. Au-dessus de cette bouche béante remplie de monde, deux gigantesques escaliers recouverts d'un tapis rouge. Il se rejoignaient au-dessus de l'entrée du bas. Mais il se divisait en deux couloirs.
D'autres escaliers en colimaçon étaient à peine visibles. Nul doute qu'Harry devrait affronter ces ennemis de pierre et de bois avant de pouvoir s'asseoir.
-Voulez-vous venir dans notre loge ? Mon père et ma mère n'avaient pas envie de sortir – il y a donc deux places en plus.
Voldemort eut un sourire poli et inclina sa tête en direction du blond :
-C'est très aimable. Mais je crains préférer rester dans ma propre loge. J'ai promis que j'y serais.
Et Voldemort fit littéralement un clin d'œil au blond. Son visage se transforma d'un ennui feint en un intérêt bestial :
-Non, ne me dites pas – Gaunt vous avez une liaison avec une actrice ?
Sa voit tremblait d'émotion. Un tel ragot, nul doute que Drago était positivement ravi. Voldemort se contenta d'hausser dignement des épaules :
-Disons simplement que je préfère être – à l'endroit où je suis supposé me trouver. Vous m'accompagnez, Potter ? Je regretterais n'avoir personne à qui parler – bien que la vue risque d'être fort agréable.
-J'aurais du mal à vous laisser vous complaire dans la solitude alors que vous m'avez si généreusement tiré de la mienne, répondit Harry.
C'était humiliant de voir Tom prétendre avoir une amante quelconque parmi les actrices. Mais, juste comme ça, leur séparation d'avec Malfoy et Nott n'était plus suspecte mais légitime. Ils entreprirent quand même de monter les escaliers ensemble.
Théodore et Drago débattaient d'un sujet quelconque. Ils s'arrêtaient souvent, se pointaient du doigt, feignait l'outrage avant de grimper la marche suivante. Harry n'était pas dupe, leur manège était pour lui permettre de ne pas se faire distancier.
Si leur attitude en général l'exaspérait, il ne pouvait que reconnaitre que la solidarité était touchante. Tom marchait à côté de lui en silence. Harry sentait – d'une façon tout à fait instinctive que ses muscles étaient tendus, prêt à le rattraper s'il venait à manquer une marche.
La première volée d'escalier fut franchie. D'un geste élégant, Voldemort lui désigna l'escalier en colimaçon. Harry grimaça, c'était clairement les pires –
Mais il parvint tout de même à l'escalader. Drago et Nott en avait emprunté un autre – qui menait à la loge de la famille Malfoy. Ils seraient probablement au même étage, mais de côté opposé. Ce qui leur permettrait de s'épier. C'était détestable. Mais c'était l'une des raisons pour lesquelles on allait au théâtre : être vu plus que pour voir.
Il y avait quatre sièges. Ils étaient tous recouvert d'un tissu rouge et semblaient éminemment confortables. La structure était d'un bois foncé, de la même couleur que la balustrade et le sol. Emerveillé malgré la douleur dans sa jambe, Harry s'avança.
Il n'avait jamais été témoin d'un spectacle pareil. La salle était noire de monde. Les aristocrates tous parqués dans leurs balcons, braquant leurs petites jumelles sur leurs comparses. En bas, la foule du peuple, animée, bruyante, grouillait. Agitée par un mouvement perpétuel. Harry s'amusa à suivre des yeux la trajectoire tout à fait fortuite d'un homme qui se trouva d'abord au milieu de la fosse, avant de se retrouver devant puis, poussé par ses pairs, contre le mur de droite.
Harry était reconnaissant d'être assis.
-C'est quoi comme pièce, en fait ?
On ne lui avait pas tendu de programme, à l'entrée. Ils avaient probablement jaugé qu'avec sa canne, le pamphlet ne ferait que l'encombrer. Harry était reconnaissant de cette prévenance : il n'aurait pas osé le refuser, sa dignité aurait tendu la main pour le prendre. Etrangement, s'il avait longuement entendu parler de la pièce, personne n'avait parlé du scénario ou même du titre. On se contentait de saluer la performance des acteurs – et de détailler qui s'était rendu à l'avant-première.
Voldemort lui sourit :
-Le Vampyr.
Harry se tourna vers lui, surpris :
-Sérieusement ? C'est à cause de Bram Stocker ?
-Non, Dracula n'a pas encore été écrit, lui répondit Voldemort en se penchant vers lui.
En face d'eux, Harry reconnut la chevelure blonde de Malfoy. Le blond pencha la tête dans leur direction, un petit geste vu la vaste taille de la pièce et son éloignement. Harry et Tom répondirent de concert.
Ils ne voyaient pas qui occupaient les balcons directement à côté d'eux. Mais ensuite, c'était une rangée d'aristocrates. Au moins, la pièce promettait d'être intéressante.
-Je me demande si les vampires existent dans cet univers, commenta-t-il en jetant un œil sur le programme que Voldemort avait entre les mains. Il remarqua le mouvement de ses yeux et le lui tendit.
-C'est possible. Quoique je me demande, en fait, ce qui permet à ces créatures d'exister. Est-ce que c'est la magie ? Est-ce que la magie est une énergie spécifique – une source électromagnétique ? Est-ce qu'elle est présente sur terre de toute façon ou est-ce qu'on vient d'un univers qui – par miracle – était capable de la produire et nous de l'utiliser ?
Il s'était enflammé en formulant ces hypothèses. Harry n'avait jamais rien vu de plus attirant.
-C'est vrai qu'on ne sait pas s'il y a des sorciers dans les univers où on a été moldus. Peut-être que c'est une caractéristique intrinsèque à notre atmosphère.
-Et que seul un certain type de génome est capable d'utiliser, de transformer cette énergie.
Voldemort soupira :
-C'est dommage que moldu et sorcier soient à ce point séparés. Je serais curieux d'apprendre quelle est l'expertise scientifique des moldus. J'ai l'impression que peu importe ce que c'est réellement – la magie n'est pas « magique ». C'est un phénomène qui permet à certaines créatures d'exister.
-Dont les vampires.
Harry décida d'être magnanime et de ne pas lui faire remarquer que cette « expertise moldue » comme il la qualifiait était précisément ce qu'il avait essayé de détruire dans sa première vie.
Au final, il y avait bien un changement qui était opéré sur eux. Des pensées jusque-là disparates se rassemblèrent dans son esprit :
-Tom, est-ce que tu t'es déjà demandé si-
Sa pensée devint plus claire. Les liens avec les événements qu'ils avaient vécus plus tangibles :
-Si on est dans un espèce de… purgatoire ?
Voldemort éclata de rire. Il était un peu feint, Harry arrivait sans mal à s'en rendre compte :
-Tu n'as rien à faire dans un purgatoire, Harry.
-Je suis peut-être une condition sine qua non pour que tu puisses-
Voldemort le coupa d'un geste :
-Et donc tu es en train de nier toute possibilité de libre-arbitre. Je n'aime pas beaucoup le déterminisme Harry. Même si je comprends tout à fait ton besoin de trouver un sens, oui je me pose les mêmes questions mais je m'interdis d'y réfléchir –
-Parce que sinon nous ne valons pas mieux que les marionnettes qui sont avec nous dans chacune des vies.
-Précisément.
La lumière s'éteignit soudainement. La salle fut plongée dans l'obscurité. Au vu de leur conversation, Harry se dit que c'était réellement – un hasard complètement fou. Petit à petit, les petites lampes qui étaient accrochées aux balcons grésillèrent avant de se rallumer légèrement. La lueur était faible mais suffisante pour voir les autres occupants des balcons.
-C'est du gaz ?
-La pointe de la technologie, railla Voldemort en se penchant en avant.
Le lourd rideau rouge qui masquait la scène était en train de se relever. Et la pièce commença.
Elle était divertissante, Harry supposait. Dans d'autres circonstances il l'aurait sans doute appréciée à sa juste valeur. Mais il était justement diverti par autre chose. La présence de Voldemort à côté de lui. Son corps à quelques centimètres du sien. Si inaccessible dans cette pièce bondée à l'éclairage subtil.
Quantité ou qualité ? lui souffla son cerveau alors que sa raison essayait de lui intimer de ne pas bouger, de copier les réactions des autres spectateurs pour avoir l'air naturel. Sa main gauche, jusque-là posée sur sa jambe gauche glissa.
À tâtons, le regard fixé sur l'acteur qui jouait le vampire éponyme, il franchit les quelques centimètres qui les séparaient. Ses doigts entrèrent en contact avec la cuisse de Voldemort qui, s'il fut surpris, ne l'exprima d'aucune façon.
Harry n'avait strictement aucune intention dépravée. Il voulait juste pouvoir prétendre être dans une situation… normale. Ou tenir la main de Voldemort en public aurait sûrement fait lever quelques sourcils – sans pour autant les condamner.
Voldemort posa naturellement sa grande main sur celle d'Harry. Personne ne pouvait le voir – c'était un petit morceau de félicité. Une main tenue, l'acceptation d'une relation vouée à la mort.
Et Harry se prit à espérer (supplier) qu'ils pourraient avoir une vie tranquille. Une vie comme celle qu'il avait eu en tant que vétérinaire.
Acte 4, scène 6
La pièce se termina sur un tonnerre d'applaudissement auquel Harry se joint avec récalcitrance applaudir sous-entendait lâcher la main de Tom. Il le fit avec mauvaise grâce, conscient d'avoir raté la moitié de la pièce. Le pouce de Voldemort avait calligraphié des formes dans sa main. Lui rappeler à chaque instant que son attention devait être focalisée sur lui – et pas sur la scène. Et il avait singulièrement bien réussi à garder l'attention d'Harry sur leurs mains plutôt que sur le spectacle.
Il fut ensuite question de sortir. Aller au club, ou dans n'importe quel établissement à la mode. Harry craignit un moment que ce serait effectivement leur destinée. Il n'en avait pas la moindre envie. Heureusement, cela fut manifestement aussi le cas de Voldemort qui balaya la suggestion d'un geste.
-Je suis navré mais je crains n'avoir des… engagements.
Il reprenait son discours à propos de l'actrice. Malfoy et Nott semblaient ravis de l'entendre.
-Et nous qui nous demandions si vous aviez un cœur. Nous étions loin de nous douter que vous l'utilisiez à bon escient.
Tom leur offrit un rire factice. Il se tourna ensuite vers Harry :
-Voulez-vous vous joindre à eux ?
Harry sourit :
-Bien que j'apprécie votre compagnie, je crains qu'il ne soit plus sage de rentrer. Je n'ai pas l'habitude de vivre des journées si mouvementées.
Théodore lui adressa un sourire amical :
-Bien entendu. Nous nous verrons sans doute demain. Profitez-bien de vos soirées respectives.
Un clin d'œil pour Lord Gaunt.
-Permettez-moi de vous raccompagner, Harry, j'aurais honte que mes aventures me fassent oublier l'amitié que j'ai à votre égard.
Harry prétendit que c'était tout à fait superflu, Voldemort ajouta que c'était exclu qu'il puisse imaginer qu'il en fut autrement, Harry refusa ne pouvant tout simplement pas accepter une telle offre, Voldemort s'insurgea et, finalement, il fut convenu que Lord Gaunt ramènerait Lord Potter chez lui avant de ressortir discrètement.
Les quatre hommes se séparèrent donc en tout amitié sans que la moindre suspicion ne puisse ternir leur estime respective.
Voldemort lui serra la cuisse dans le fiacre. Et, brusquement, d'une façon qui prouvait que ce geste n'avait pas été réfléchi, il se pencha sur Harry pour l'embrasser. Un contact illicite, criminel et terriblement risqué.
Harry s'en foutait, il voulait mourir dans ce baiser, merde, il voulait se faire déshabiller dans ce fiacre – se faire ravager – que tous les passants des rues qu'ils traverseraient soient au courant de ce qu'il passait – il s'en foutait royalement.
Acte 5, scène 1
Le majordome les attendait dans l'entrée. Il tenait d'une main élégante un plateau en argent. Sur lequel était posée une lettre.
Cette vision glaça le sang d'Harry. Et, avant même que le majordome ne s'avance spécifiquement vers lui – il sut. Cette lettre, quoi qu'elle fût et qui que fut son expéditeur, était l'élément déclencheur des catastrophes qui ne manqueraient pas de suivre.
Il reconnut l'écriture de son père sur l'enveloppe. Les mains tremblantes malgré sa résolution de ne rien dévoiler de ses sentiments, il l'ouvrit. L'estomac lourd d'appréhension. La poitrine oppressée de crainte.
La missive était courte. Harry, votre mère est décédée. L'enterrement aura lieu demain, prière de bien vouloir revenir. Lord Potter. Votremèreestdécédée-
Il tendit la lettre à Voldemort, sourit aimablement au Majordome et s'avança, seul, en direction des escaliers. Derrière lui Voldemort s'adressa au majordome :
-Préparez une calèche, nous partons dans l'heure.
Puis des pas précipités. Bientôt, il était à côté de lui sur l'escalier.
-Harry, souhaitez-vous y aller ?
Donc il avait le choix. C'était faux. Jamais – même si sa mère et lui n'avaient jamais eu de relation sincère dans cette vie (c'était faux, c'était des pensées pour barricader l'énormité de la réalité dans un coin sûr) il ne pouvait décemment pas ne pas y aller.
Et, ainsi, les mécanismes entraient tous en mouvement pour se parachever sur leur mort à tous les deux. Harry en avait désormais la certitude absolue.
Il alla dans sa chambre avec difficulté. Il n'avait pas pris beaucoup d'affaires avec lui, heureusement. Il entreprit de prendre son petit livre – puis le reposa sur la table de chevet. À quoi bon ? Il n'aurait probablement plus le temps de le lire. Il n'arriverait probablement même pas à rejoindre le domaine de son père (le sien).
La porte s'ouvrit derrière lui. Il se retourna, prêt à dire au valet qu'il voyagerait en tenue de soirée, à quoi bon perdre vingt minutes pour une tenue de voyage ?
Mais c'était Voldemort.
-Je viens avec toi.
-C'est tout à fait inconvenant, répondit Harry avec ironie.
Mais sa voix était juste emplie de tristesse. Il savait pourtant qu'il avait entièrement raison : aucun motif ne pouvait justifier que Lord Gaunt ramène Lord Potter dans le manoir familial pour l'enterrement de sa mère. Ils étaient anglais, la pudeur qui régissait leur émotion rendait inadmissible le fait qu'Harry accepte d'avoir un compagnon de voyage.
Et si Tom venait – ah, cette fois, les gens commenceraient à se poser des questions. Harry était un homme. Il pouvait parfaitement voyager seul.
-Et cela te dérange ?
De qui se moquait-il ? Sa mère était morte, la peine qu'il ressentait lui broyait le cœur. Était-ce sa faute ? Est-ce que James s'était chargé, maintenant qu'il était seul dans son domaine, de se débarrasser de ce poids ?
Non, même s'il lui paraissait facile d'accuser son père, il ne pouvait pas l'imaginer comme un meurtrier.
Mais malgré sa tristesse, imaginer être séparé de Tom, maintenant qu'ils se trouvaient aux confins de cet univers, que le tissu de la réalité se craquelait pour révéler la vérité (il n'y avait rien) (ils étaient condamnés) l'idée d'être sans lui était plus insupportable que les ragots (et leurs conséquences) qu'ils laisseraient dans leur sillage.
-Non. Mais…, il ne termina pas sa phrase, ne vocalisa ni ses craintes ni l'impression de fatalité qui lui pesait sur les épaules.
-Alors je viens, de toute façon…
Lui aussi ne termina pas sa phrase. Mais il était évident que les mêmes idées traversaient sa tête. Ils arrivaient au terme.
Voldemort soupira d'une façon peu caractéristique. Les poings serrés, il releva la tête. Et plongea son regard dans celui d'Harry.
-Je ne suis pas sûr que nous aurons une autre occasion de nous parler en tête à tête dans cette vie, Harry.
Le cœur d'Harry se serra mais il ne détourna pas les yeux. Et, au final, il savait que Voldemort avait raison.
-Je pense que nous ne reviendrons pas à Londres.
Il hocha piteusement de la tête. Il le sentait dans la racine de ses poils qui se hérissaient dans le creux concave de son souffle qui l'étouffait tout en le gardant en vie dans la sensation de malaise qui l'accablait.
-Alors je profite de ce moment pour te faire une promesse : la prochaine fois que nous nous verrons -, il inspira, le visage déformé par une émotion qui souleva l'âme d'Harry de tristesse mais aussi d'espoir : la prochaine fois que nous nous verrons, peu importe l'endroit, peu importe le moment, peu importe les témoins et si c'est considéré comme un crime, Harry je te promets que rien, ni la loi, ni les hommes, ni la société ni quoique ce soit qui parviendra à se dresser entre toi et moi.
-Et tu vas me rouler une grosse pelle ? plaisanta vainement Harry que la tristesse faisait ployer.
-Oui, répondit Voldemort.
-Même si on se retrouve dans une maison de retraite et qu'on est les deux des personnes âgées ?
-Oui.
-Et même si on est des enfants – genre… six ans ?
Une grimace manifeste de dégout traversa le visage de Tom :
-Tu es immonde. Ok, alors je te promets – sous réserve qu'on ne soit pas littéralement des enfants – qu'au moment où on se reconnait, je t'embrasse d'une façon qui te fera oublier tout… tout ce qui mérite de l'être.
-ça me paraît être un excellent plan.
-Je suis heureux qu'il te convienne.
Harry l'embrassa. C'était doux, tranquille, un baiser d'adieu. Pas de passion pour réveiller des ardeurs qui ne pourraient pas être satisfaites. À nouveau, les terribles mots se pressaient dans sa bouche. Il l'aimait, bon sang, d'une force dont il ne se serait jamais cru capable avec un abandon qu'il ne pouvait concevoir. Voldemort ne partageait sans doute pas les mêmes sentiments ou du moins pas avec la même intensité mais cela ne lui importait plus.
Il se séparèrent. Tom lui adressa un regard plein d'affection. Comme si c'était le dernier qui lui adresserait. Et, d'une certaine façon, maintenant qu'ils devraient porter le masque en permanence et avec encore plus d'assiduité devant son père, Harry se dit que c'était sûrement le cas.
Et la calèche s'éloigna lentement dans la nuit – alors que la maison, ce bref havre d'un bonheur éphémère, disparaissait dans le brouillard.
Acte 5, scène 2
Et, douze heures plus tard, alors que l'après-midi commençait à peine, ils se trouvèrent face à lopin de terre meuble. Une croix en bois, qui serait bientôt remplacée par une structure plus solide.
James Potter ne l'avait pas enterrée dans la crypte familiale. Pas plus qu'il n'avait attendu son fils pour procéder à la cérémonie. La famille de Lily n'aurait pas eu le temps de venir non plus. Il ne pouvait qu'imaginer le côté expéditif de toute cette histoire. Jusqu'à l'enterrer – certes dans un joli coin de la propriété, là où reposaient d'autres personnes de rang –
Mais pas dans la crypte des Potter.
Voldemort était derrière lui, un peu à l'écart. En arrivant, ils avaient croisé le curé qui marchait le long de la route, toujours dans ses habits de cérémonie. Le voir revenir du château ne pouvait dire qu'une seule chose. Et, après l'avoir questionné, Harry avait demandé au cocher de l'emmener là où sa mère reposait.
Il était reconnaissant à Voldemort de lui laisser un peu d'espace. Dans sa peine et son indignation, il ne pouvait s'empêcher de se rappeler que la première personne à avoir mis Lily en terre n'était autre que lui.
Mais alors que ses larmes imprégnaient le col de sa veste et qu'une rage en sourdine palpitait en lui, il réalisa que d'exclure Tom maintenant, c'était se condamner Plus seul que jamais, il ne pouvait compter que sur la présence de l'autre homme. Qui avait assez de pudeur et d'empathie pour ne pas essayer de le réconforter à ce moment-là.
Il se retourna. Tom lui rendit immédiatement son regard. Il ne l'avait pas lâché des yeux, un cerbère fidèle – gardien de la mort et serviteur de son maître.
Harry essuya ses larmes avec sa manche. Il n'avait jamais vraiment eu de mère (c'était faux, dans la vie précédente et dans celle-ci, au début, ça avait bien été sa mère, elle s'était occupée de lui, avait sacrifié beaucoup de chose pour lui-)
-Je suis tellement en colère, lâcha-t-il piteusement : j'aimerais dire que ça m'est bien égal – que ça ne m'affecte pas mais la vérité c'est que – ça me fait tellement mal-
Voldemort franchit la distance qui les séparait et, contre tout bon sens, le prit dans ses bras. Une seconde – qui pourrait être de trop si quelqu'un les voyait. Il lâcha promptement Harry il avait sûrement oublié, au vu de la détresse d'Harry, qu'il ne pouvait pas se comporter comme ça impunément.
Mais il n'y avait personne dans la large étendue d'herbe. Le manoir se dressait au loin. Le petit cimetière se tenait à l'écart de tout.
-Est-ce que tu veux qu'on s'en aille ?
Ils étaient toujours proches – trop proches l'un de l'autre. Mais Harry n'arrivait pas à faire le pas en arrière qu'il savait pourtant nécessaire.
-Je crois que je n'en ai pas la force.
Le visage de Voldemort fit face à la demeure des Potter. Il avait tiré une conclusion logique : si Harry n'était pas capable de voyager, ils devraient faire face à James Potter.
-Mais je ne suis pas sûr que j'ai la force de faire face à… Tout ça, compléta Harry.
Il décrivit ensuite un geste brouillon en direction du manoir de son père.
-Il n'y a pas une auberge dans le voisinage ? Ou des connaissances qui pourraient nous héberger ?
Harry réfléchit. Il passa en revue les différents villageois qu'il avait côtoyé. Et son attention s'arrêta sur sa nourrice. Elle s'était occupé de lui dans son enfance et avait toujours été bonne avec lui, gentille et compréhensive. Harry l'appréciait sincèrement.
-Si, j'ai une idée.
Ils repartirent. Harry adressa un dernier regard à la tombe de sa mère. Il se sentait terriblement coupable, en fait. Comme si sa mort était directement liée à son départ. Il n'en connaissait pas les circonstances et les connaitraient sans doute jamais. Comme dit le proverbe, essaya-t-il de se consoler : l'ignorance est une bénédiction.
La calèche les avait attendu. Harry donna l'ordre au cocher de se rendre dans le village. Ils croisèrent quelques cavaliers sur la route. Il avait le visage fixé sur ses genoux et ne chercha pas à apprendre leur identité. Peut-être des gens venus à l'enterrement de sa mère et qui rentraient désormais chez eux.
Ils arrivèrent bientôt dans le petit village qui était sous la responsabilité de la famille Potter. Harry se força à relever la tête et contempla les rangées de maison. Elles étaient toutes pauvres – bien que bien entretenue. Certaines lui faisaient un peu penser au terrier. Chaleureuses mais totalement dénudées d'apparats.
-C'est celle-ci, déclara-t-il après qu'ils eurent traversé la moitié du village. Une petite maison de deux étages, en briques rouges. Du linge séchait dans le jardinet devant la porte.
Le cocher s'arrêta et leur ouvrit. Harry descendit difficilement – et avança en direction de l'entrée. Mais avant même qu'il ne puisse toquer contre la porte, celle-ci s'ouvrait et dévoilait sa nourrice.
-Monseigneur ? demanda-t-elle, surprise, en contemplant à tour de rôle Harry et son compagnon.
-Avez-vous appris la nouvelle ? demanda Harry d'une voix sourde.
Elle hocha tristement la tête et qualifia la situation de « tragédie ». Harry ne pouvait qu'être d'accord. Mais il n'avait même pas l'énergie de le considérer.
-Mes rapports avec mon père se sont passablement détériorés – et je n'ai pas envie, dans le sillage de cette… tragédie (il s'en voulût d'utiliser ce mot aussi), de passer du temps chez lui. Est-ce que mon compagnon de route et moi-même pouvons nous reposer un instant chez nous ?
-Vous serez bien sûr généreusement dédommagée, ajouta Voldemort qui jusqu'à présent était resté silencieux.
La vieille dame rougit. Elle ressemblait beaucoup à Molly Weasley, dans un sens. Elle était petite, les joues très rouges, et des cheveux roux (maintenant majoritairement blancs) étaient attachés sur son crâne. Mais ce qui était marquant, c'était la bonhomie qui exsudait de son corps. Elle avait l'apparence d'une mère et s'était toujours comportée comme telle.
Cette idée était si incongrue qu'elle devait forcément l'apeurer. Des nobles qui lui demandaient le refuge c'était – c'était suspect. Harry décida d'alléger ses suspicions :
-Nous irions bien à l'auberge la plus proche mais nous avons voyagé toute la journée et ma jambe me fait terriblement mal – je vous promets que nous serons partis demain matin au plus tard.
Elle avait le regard fuyant Harry tourna de la tête et vit un rideau se baisser ostensiblement. Ils étaient épiés par tout le voisinage, bien sûr. Impossible qu'il en fut autrement.
-S'il vous plaît, ajouta-t-il.
Pétrifiée, elle ne dit rien. Puis sembla se raviser et s'effaça dans l'entrée.
-J'aurais beaucoup de mal à vous refuser quelque chose, Monseigneur.
-Je vous remercie, vraiment du fond du cœur.
Elle hocha de la tête, embarrassée.
Ils pénétrèrent dans la petite maison. Il y régnait une odeur de soupe qui, si elle n'était pas désagréable en tant que telle, était trop puissante pour être agréable. Le cottage était propre et bien entretenu. Mais tout était terriblement usé.
-Il reste la chambre de mon fils, à l'étage, déclara-t-elle en se tordant les mains : mais il n'y a qu'un seul lit et –
-Ce n'est pas un problème, je n'ai pas l'intention de dormir. Monsieur pourra occuper le lit et je me contenterai d'une chaise, si vous en avez une.
Elle hocha à nouveau de la tête précipitamment, faisant voler son chignon. Voldemort sortit ensuite un portefeuille de sa poche :
-Je vous prie d'accepter ceci en guise de notre gratitude.
Et Harry comprit qu'il tenait à la remercier tout de suite, pendant qu'ils étaient sûrs de pouvoir le faire. On les avait vu entrer dans cette maison. Peut-être qu'un cavalier était déjà en train d'annoncer la nouvelle à son père. Mais il n'oserait pas débarquer seul dans cette maison pour surprendre son fils – quoique cela lui donnerait une excellente raison de le déshériter. Mais cela aurait un prix : entacher le nom familial d'une honte qui perdurerait pour des années.
Sa nourrice accepta l'argent en rougissant. Elle bégaya que c'était hors de question mais Voldemort la fit taire d'un regard. Elle baissa les yeux et glissa les grosses notes de papier dans son tablier.
-Je vais vous montrer la chambre, ajouta-t-elle en butant sur chacun de ses mots. Et, à pas agités, le dos tendu, elle grimpa les escaliers en bois. Ils la suivirent. Heureusement, la maison était basse. Ce n'était qu'une petite dizaine de marches qui craquèrent toutes successivement sous leur poids. Il y avait deux chambres à l'étage.
L'une d'entre elle devait être celle de sa nourrice. Quant à l'autre, elle était fermée. Elle l'ouvrit et une petite chambre parfaitement rangée s'offrit à leurs yeux. À la vue du lit – certes moins luxueux que celui dans lequel il avait dormi ces quatre dernières nuits – mais un lit quand même, Harry sentit une vague de reconnaissance lui soulever la poitrine. Reconnaissance qui risquait de s'exprimer par des larmes. Et qui était donc inacceptable.
-C'est parfait. Merci infiniment.
-La chaise est juste là, déclara-t-elle en pointant une chaise qu'ils n'auraient jamais pu rater.
Ils hochèrent de la tête et pénétrèrent dans la pièce. Une fenêtre donnait sur un petit jardin où poussaient d'énormes citrouilles. Harry soupira de nostalgie (il associerait toujours les citrouilles à Poudlard – et plus particulièrement à Hagrid) puis se détourna de cette vision et se laissa tomber sur le lit (avec précaution pour ne pas plus endommager sa jambe).
Voldemort prit la chaise et la cala sous la poignée de la porte. Avant de tirer légèrement dessus pour s'assurer que celle-ci était bien bloquée. Il retira ensuite son manteau et l'accrocha à la poignée, de sorte que la serrure était masquée par le tissus.
Harry admira sa prévoyance. Il n'aurait pas pensé à bloquer pareillement la porte – ni, d'ailleurs, à empêcher les curieux de se servir de la serrure pour observer ce qu'ils faisaient.
Il se pencha ensuite et glissa une main dans l'une des poches de sa veste. Et, avec la même assurance, Tom s'approcha ensuite du lit sur lequel était allongé Harry, un pistolet dans les mains.
-C'est – c'est une arme ?
Voldemort tourna du poignet et lança sur l'objet un regard embarrassé :
-Oui.
-Depuis quand tu as ça avec toi ?
-Harry, un noble se doit d'être toujours armé, on ne sait jamais quand on sera provoqué en duel. Je l'ai depuis toujours.
Il posa le petit pistolet, qui était vraiment à des années lumières des armes auxquelles Harry était habitué sur la table de chevet.
-Tu t'en es déjà servi ?
Voldemort lui fit signe de se pousser.
Il obtempéra et l'autre homme se laissa glisser à côté de lui. C'était bête. Il se souvint de la phrase de Dumbledore. Il ne s'en souvenait plus si bien mais – le fond était en gros que même dans les pires moments, l'on pouvait toujours trouver quelque chose qui vaille la peine de continuer à se battre contre l'inéluctable. Et là, à côté de Tom qui s'était couché sur le côté pour le regarder, il se dit qu'il avait la chance de ne pas avoir à chercher trop loin.
-Non, je n'en ai jamais eu l'occasion. Et je n'ai pas l'intention de tirer sur qui que ce soit mais – peut-être que ça nous fera gagner du temps.
Ils s'embrassèrent. À nouveau, c'était un baiser doux qui avait – dans un sens – tout à envier à ceux de la veille. Mais Harry en tirait une autre satisfaction – celle d'avoir l'impression d'être voulu et que malgré tout, quelqu'un dans l'univers, avait envie d'être à ses côtés. Sa célébrité, sa vie en général, tout l'avait fait douter de cet état de fait.
Jusqu'à maintenant. Il glissa tout de même sa main le long du torse de Tom qui l'arrêta de la sienne.
-J'aimerais-, essaya-t-il, étrangement gêné à l'idée d'expliciter ses pensées.
Voldemort lui sourit :
-Dors, Harry. On ne sait pas ce qu'il risque de se pa-
Harry le coupa en posant à nouveau ses lèvres sur les siennes. La douceur de l'adieu avait laissé place à la frénésie du désespoir. Et, comme cela arrivait souvent, il en avait l'impression, Tom comprit les pensées d'Harry – son débat interne sur la quantité et la qualité.
Ils s'embrassèrent comme si c'était leur dernier baiser – sentant tous les deux que la vie arrivait à son terme, une intuition qui pesait de plus en plus lourd sur leurs corps entrelacés. Mais qui ne faisait que les presser plus intimement l'un contre l'autre. Harry chercha le corps de Tom – sentit pour la première fois explicitement contre sa main la rigidité de son désir.
Et oublia vite où ils se trouvaient, dans quelle maison, dans quelle période – leurs gestes se reflétaient. Harry Potter et Lord Voldemort encore une fois à l'opposé l'un de l'autre. Des images parfaitement parallèles.
La sensation familière ne tarda pas à naître au niveau de ses reins. Alors que Tom l'embrassait brutalement, que sa main faisait des alles-venues en synchronisation avec la main de Tom – et il ferma les yeux, Voldemort disait son prénom des « Harry » - pourquoi ne pouvaient-ils pas mourir comme ça et maintenant –
La porte s'écrasa contre le mur.
La chaise qui la retenait vola dans la pièce et s'écrasa piteusement au pied du lit. Et dans l'embrasure de la porte.
James Potter, bien sûr. Accompagné de Sirius Black et de son valet Remus Lupin ainsi que de Peter Pettigrow.
Ironique alors qu'Harry venait de souhaiter qu'il puisse mourir. Son souhait allait être exaucé moins vite et surtout moins agréablement que prévu. Et que pouvaient-ils faire ? il essaya de trouver une justification – quelque chose qui expliquerait la situation. Mais comment pouvait-elle l'être ? Leur position : on ne pouvait plus explicite. Leur fuite, la façon dont Tom avait bloqué la porte de la chambre – Ils n'avaient pas pensé que la porte serait si fragile – et la chaise si peu fiable.
Blême. D'une rage qui menaçait d'exploser, James Potter leur adressa un regard rempli de mépris et de haine :
-Tu es un homme mort.
Le tutoiement, une insulte. Ils étaient cinq plus les domestiques qu'Harry voyaient derrière les maraudeurs. Ils étaient tous fidèles à son père, peut-être n'ébruiteraient-ils pas la honte familiale. Voldemort se releva et se rhabilla avec dignité. Il se tourna vers Harry et lui adressa un dernier regard :
-Rien ne pourra se dresser-
Sa phrase fut coupée avant qu'il ne puisse la finir. James Potter, fou de rage, venait de le frapper. Voldemort tituba, bien sûr, occupé à regarder Harry, il ne l'avait ni vu venir, ni pu s'en protéger. James n'attendit pas qu'il se redresse pour réitérer son geste.
-Arrête ! s'exclama Harry horrifié –
Sirius s'avança dans la pièce. Lui aussi semblait fou de rage. Il esquivait d'ailleurs habilement le regard de son filleul.
-Sirius, essaya Harry qui comptait sur l'amitié de son parrain, qui était certes très distante dans cette vie – mais qui existait quand même. Il ne pouvait pas croire, pas décemment imaginer qu'il serait d'accord de traiter un homme comme ça parce qu'il – à cause de son orientation sexuelle.
Il posa une main sur l'épaule de James :
-Pas devant Harry.
Et les deux attrapèrent Voldemort – qui, le visage en sang – ne leur opposa aucune résistance.
-Lâchez-le, il n'y est pour rien !
James se retourna :
-Je ne veux plus jamais poser mes yeux sur toi. Tu me dégoûtes.
Harry essaya de s'avancer mais s'étala lamentablement contre le sol, bien sûr. Sa jambe ne guérirait pas miraculeusement parce qu'il le désirait.
-Lâchez-le, essaya-t-il à nouveau le souffle coupé, la voix coupée de sanglots : LÂCHEZ-LE !
Dieu savait le genre de tortures que réserverait son père avant d'assassiner Voldemort. Ils allaient quitter la pièce, l'emmener avec eux et Harry ne le verrait plus jamais il devrait trouver un moyen pour se tuer rapidement – mais comment ? la maison était trop basse, il survivrait s'il se jetait par la fenêtre.
Contre la douleur qui menaçait de lui engloutir le cerveau, il se redressa et attrapa le pistolet que Voldemort avait laissé sur la table de nuit. Il pensa un instant le retourner contre sa tête. Ce serait rapide – efficace, il était sûr d'entraîner Tom avec lui dans les cinq minutes il n'aurait pas à subir les humiliations (viols ? que faisait-on dans ce genre de cas ? Harry le savait au final – il le savait au fond de lui ce qui serait réservé à Voldemort) et tout serait fini –
Il pointa le pistolet et appuya sur la gâchette.
Le bruit fut assourdissant. Ce n'était pas les mêmes balles que lorsqu'Harry avait été policier. Non, celles-ci étaient moins précises. Mais il n'avait rien perdu de son entraînement, apparemment.
James Potter glissa sur le sol.
Son corps fut agité de quelques soubresauts alors qu'une flague d'un rouge sombre rampait sur le sol. Ses doigts agités de convulsions.
Ses yeux étaient tournés sur Harry, dont la main était toujours tendue et au bout de laquelle le canon fumait toujours. Ils exprimaient une surprise et une horreur impossible à décrire – puis n'exprimèrent plus rien.
Lord James Potter était mort. Tué par son fils.
Harry était pétrifié sur place. Une seule phrase tournait dans sa tête : j'ai tué mon père-j'ai tué mon père-
La bouche flasque du cadavre se tordit soudainement dans un sourire. Sirius, Remus, Peter et tous les autres domestiques étaient muets de surprise, sidéré par l'acte dont ils venaient d'être témoins. Ils étaient figés – des statues horrifiées -
Lorsque James Potter commença posa ses mains contre le sol. Les yeux étaient toujours mort – le sourire – Harry avait imaginé qu'il s'agissait de Rigor Mortis un phénomène physique. Il avait eu tort.
Le cadavre se releva et contemplait Harry, la tête légèrement penchée sur le côté. Une jubilation profonde émanait de ce cadavre – cette marionnette. La bouche s'ouvrit, un flot de sang coula sur le menton et la tenue de son père.
Le sourire s'agrandit :
-Tu es un assassin, Harry.
Harry n'avait jamais tué personne.
Il essaya de tirer une seconde fois sur la forme. Mais, évidemment, impossible pour les pistolets de l'époque d'être chargés de plusieurs balles. Un « clic » résonna vainement.
-J'espère que le jeu en valait la chandelle, ironisa la Mort dans le mort.
James Potter retomba contre le sol.
-Qu'est-ce que –
C'était Sirius, l'air fou, qui regardait dans sa direction. Il ne savait même pas quelle question poser, apparemment.
-Laissez-nous partir, croassa Harry.
Il avait commis un meurtre, le seul acte dont il pouvait se targuer n'avoir jamais fait – et il venait de tuer son père -
Ils lâchèrent précipitamment Tom, comme si son simple contact risquait de les contaminer d'une façon ou d'une autre. Il se dégagea, le visage en sang, et prit le bras d'Harry qu'il passa derrière ses épaules.
Des hurlements, dehors. Un premier, strident, qui fut rejoint par des dizaines. Ses entrailles se glacèrent – quoiqu'il venait de faire –
-Il faut qu'on sorte d'ici ! s'exclama-t-il avec difficulté. Sa jambe, bien sûr, mais il était aussi terriblement effrayé – par lui-même, par son acte, et par ce qu'il venait de déclencher. C'était la première fois que la Mort s'immisçait directement dans l'une de leurs vies.
Des pas lourds dans l'escaliers indiquaient que les domestiques venaient de s'enfuir. Peter les suivit. Seul Sirius et Remus restaient, interdits :
-Laissez-nous passer, déclara Harry avec difficulté : je crois qu'il se passe quelque chose –
Le sol tangua. Harry hurla de douleur. Il s'affaissa de même que Tom. Sirius et Remus aussi. Une onde de choc brisa la vitre – les lambeaux de verres traversèrent la pièce. L'un d'entre eux se figea dans le beau visage de Sirius Black.
C'était-
-Qu'est-ce qu'il se passe ? hurla Harry dont les oreilles sifflaient.
-Il faut qu'on sorte, c'était le premier mot de Tom depuis qu'Harry avait – commis cet acte impardonnable. Il n'en reviendrait jamais. Qu'il ait pu assassiner de sang-froid son père – (il n'avait pas eu le sang-froid, c'était de la légitime défense) (il l'avait quand même fait, il était en train de détériorer son âme, il n'était plus un héros, il était -)
Tom les releva. Il sortit de la chambre – Harry essayait d'ignorer les « Sirius ? Sirius ? » horrifiés de Remus.
Ils descendirent les escaliers – toutes les fenêtres avaient été soufflées. Que s'était-il passé ? les bombes n'avaient pas encore été inventées – c'était tout simplement impossible – qu'est-ce qui pouvait avoir provoqué un tel tremblement de terre et un souffle aussi puissant ?
Sa nourrice était à terre, elle aussi. Elle ne baignait pas dans une mare de sang : peut-être James l'avait-il simplement mise hors d'état de nuire avant de monter. Une haine dont il ne se serait jamais cru capable lui serra le cœur.
La porte était grande ouverte. Ils sortirent.
Et Harry comprit les hurlements, la fuite des habitants – la terreur impuissante qu'ils devaient tous ressentir.
Des trainées dans le ciel – elles étaient – si nombreuses Son souffle resta coincé dans sa gorge. C'était tellement ridicule, si complètement fou – c'était une pluie de météorite – un ciel totalement apocalyptique –
-Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda-t-il horrifié
-Je ne pense pas que tu étais censé tuer James, Harry, répondit Voldemort avec calme.
Mais il était blême.
Le ciel se déchira. Comme un papier cadeau qu'un enfant ouvre avec maladresse. Mais il n'y avait rien derrière ses griffures. Un noir incompréhensible –
-Est-ce que je viens de détruire – l'univers ?
Certaines maisons partaient en poussière. Un homme hurlait en se tenant une main dont la plupart des doigts s'étaient déjà désagrégés.
-Est-ce que ça arrive à chaque fois qu'on meure ? Est-ce que c'est ce qu'on laisse dans notre sillage ? demanda Harry avec horreur.
-Je ne-
Dans les fragments de rien dans le ciel, qui devenaient de plus en plus nombreux, apparût deux yeux blancs. Et un sourire.
-Je crois qu'il faut qu'on meure maintenant, déclara Voldemort avec précipitation : Harry, je ne sais pas ce qui arrive à – je ne comprends pas ce qu'il se passe et –
La bouche souriante de la mort – alors qu'autour d'eux, tout disparaissait, que le ciel devenait progressivement plus noir – c'était la fin du monde. L'apocalypse, un Univers qui se referme sur lui-même.
-Est-ce que tu as une autre arme ? N'importe quoi ? demanda précipitamment Harry alors que lui aussi regardait autour d'eux. Mais il n'y avait strictement rien.
-Non, répondit Tom d'une voix chevrotante : tu avais raison, il n'y a pas de libre arbitre. On se demandait si les autres étaient des marionnettes mais en fait, c'était nous – Harry, il faut que tu montes dans ce train. Ce qui nous arrive, et ce que tu as fait à ton père, ce n'est pas juste pour toi – tu es en train de te perdre pour me sauver, je ne peux pas accepter –
Harry se retourna et l'attrapa par le col de sa veste :
-Jamais, répondit Harry : Tom, qu'on soit clair, je ne t'abandonnerai pas – peu importe les conséquences. Et on est capables de libre-arbitre ! C'en est la preuve !
Sa voix était hystérique.
-Combien de gens sommes-nous en train de condamner ? Peu importe, Harry, je n'en vaux pas la peine.
Que Voldemort demande à se sacrifier pour le bien des autres alors qu'Harry était prêt à condamner des univers entier pour le sauver –
Il sauvait l'âme de Voldemort au prix de la sienne.
Le sourire, dans le vide au-dessus d'eux, se transforma. La chose ouvrit la bouche.
-Ok, déclara Harry en comprenant que cet univers allait être consommé par la mort.
Littéralement.
-Ok, reprit-il : il faut que je meure. Tom, j'ai besoin que tu les fasses, je t'en supplie -
La même supplication que dans la chambre du Motel. Mais de même qu'à ce moment-là, Voldemort recula d'un pas. L'idée de porter la main sur Harry lui était apparemment insupportable.
Putain, pensa Harry horreur : Ok, Ok, il regarda autour de lui – tout était en train de disparaître – il ne voulait surtout pas se faire avaler ? surtout que rien ne garantissait qu'ils meurent réellement – on ne savait strictement rien de ce… genre de situation. Peut-être seraient-ils juste… à flotter dans le vide à jamais.
Et Harry préférait cent fois ces itérations ridicules de vie que d'exister seul dans le néant.
Les fenêtres.
Si on suivait la logique, si la fenêtre de la chambre du fils de sa nourrice avait explosé en direction de l'intérieur, alors les fenêtres qui se trouvaient de l'autre côté de la maison avaient explosés vers l'extérieur. Il s'avança difficilement, même si l'adrénaline masquait la douleur de sa jambe, vers les fenêtres. Effectivement. Du verre grossier maculait le sol. Il sélectionna un morceau suffisamment épais.
Voldemort l'avait suivi. Il se tourna vers lui, la main déjà en sang tant le verre était effilé. Et lui adressa un pauvre sourire.
Voldemort le lui rendit, se pencha sur lui et l'embrassa. Un baiser de fin du monde. Il s'écarta alors qu'Harry plaçait courageusement le morceau de verre contre la poitrine.
Ce ne serait pas plus difficile que dans la forêt interdite, imagina-t-il. Sauf que c'était à lui de faire le geste. Il inspira, puisa dans son courage. Il n'avait pas le choix de toute façon.
Voldemort lui serra la main qu'il tenait toujours.
-Je te trouverai, murmura-t-il. Des particules de sa chemise étaient en train de se désagréger.
-Et je serai là, répondit Harry en essayant de sourire.
Les yeux et la bouche étaient infiniment plus proches. La poussière se rassemblait pour y entrer.
La futilité de leur existence était désespérante. Rien n'avait de sens.
Mais il y avait de l'amour. Et la promesse d'un lendemain. Mais combien de ces gens existaient vraiment – des hurlements de désespoirs autour d'eux. Sa mère morte, en partie à cause de lui.
Tout ça… Tout était de sa faute.
Il balaya cette pensée et enfonça la lame de verre dans sa poitrine.
...
..
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Réponse aux commentaires anonymes :
Alexia17 : Merci infiniment pour ton commentaire ! Est-ce que tu avais imaginé… ça ? HA HA HA. C'est dommage qu'on ne puisse pas publier de gif parce que la tête que je fais actuellement en lisant ton commentaire c'est… ça mériterait d'être documenté haha ! ça me fait très plaisir de savoir que tu lisais cette …chose depuis le début ! Et du coup encore merci infiniment pour le commentaire ! ça me fait trop plaisir et je confesse que je les ai tous lu plusieurs fois pour me motiver. Donc merci ! MERCI. Et ne t'excuse surtout pas pour les fautes, je n'ai clairement rien à dire à personne à ce sujet hahah ! ENCORE MILLE FOIS MERCI, j'espère que ce chapitre ne t'a pas déçue ! àtout bientôt !
Dia : merci beaucoup pour le commentaire, je suis vraiment ravie et flattée si tu trouves cette histoire captivante j'avoue que c'est pas le truc le plus simple sur lequel j'ai écrit haha. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me laisser ton avis… C'est vraiment ultra précieux. MERCI.
Cath06 : Merci infiniment pour ton commentaire. Je suis contente si tu trouves cette histoire bouleversante… J'essaye de faire au mieux. Même si je n'ai pas l'impression de tomber juste. Donc merci infiniment pour tes mots. Merci merci merci ton commentaire participe à donner du sens au temps que je passe sur ce machin haha.
Kamidessu : Tout d'abord : merci pour ton commentaire ! Et… Je suis navrée si des larmes ont coulées-je, j'ai du mal à réaliser (et d'ailleurs je trouve complètement fou) que les conneries que j'écris peuvent …émouvoir. Du coup ça me touche énormément – merci ! Pour le happy ending… ahhhhhh vaste question ! à laquelle je ne vais pas répondre ha ha ha. Encore mille fois merci pour ton commentaire, ça me touche beaucoup.
Evidemment je remercie toutes les personnes avec un compte qui ont pris la peine de me laisser un commentaire. Je tiens sincèrement à ce que vous sachiez que c'est grâce à vous que je continue de consacrer un temps pareil (parfois au détriment de ma santéHA HA HA) à écrire des conneries. Merci de donner un sens à mon hobby (obsession). Je vous aime tous plus que de raison.
Bon voilà. Je suis tellement dépitée par ce machin que je ne sais même pas quoi dire. Il reste encore deux chapitres. Paradoxalement j'ai assez hâte de les écrire même si, clairement, ça sera à nouveau dans la DOULEUR hahaha.
Encore mille fois merci pour votre soutien. Je sais que ce chapitre est BEAUCOUP trop long. J'ai vraiment essayé de couper des bouts mais je n'ai pas réussi.
Votre soutien et vos commentaires sont mon oxygène, alors je vous en supplie, ne vous retenez pas si vous avez quelque chose à dire ! (même si c'est juste : « trop long, j'ai pas lu » haha) à tout bientôt et désolée.
