BÉNÉVOLENTS - Partie I ÉMISSAIRES
13 Le protecteur
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À peine le conseil des ministres s'achevait-il que Minoas s'était levé avec précipitation. Phôtios le Premier Ministre et Grand Conseillé contempla son Roi en parvenant à cacher son étonnement. Quelle lubie lui prenait-il?
─ Il faut que j'aille voir Ioústos pour lui confier mon émeraude à tailler! S'exclama le Monarque
D'expérience, Photios savait que son Roi avait des toquades de temps en temps, jamais rien de vraiment important. Une envie de gâteau ou de musique, une envie d'un nouveau chiton brodé à la dernière mode, ou d'un bijou précieux, il adorait les pierres précieuses. En général, ses serviteurs en étaient amusés et se pliaient en quatre pour lui. Si son caprice s'avérait irréalisable, il passait à autre chose en bougonnant, mais il n'en faisait jamais de drame.
Minoas traitait toujours son entourage avec beaucoup trop de bienveillance, il leur accordaient bien trop facilement sa confiance, même à ses esclaves ! Le Roi savait faire preuve d'autorité, mais il y avait peu recours. Il aimait son peuple avec une sincérité visible, il aimait son entourage. Il n'était jamais autant satisfait que lorsque les personnes autour de lui semblaient heureuses.
Phôtios y voyait une dangereuse faiblesse. Il n'était pas encore parvenu à lui faire comprendre qu'il n'avait pas besoin de se faire aimer : ses sujets lui devaient respect et obéissance. Ainsi était son Roi, alors il était vigilant pour deux. Tel était son rôle de Grand conseillé.
Ce caprice-là, surgi de nulle part sans aucun signe avant-coureur, était différent de tous les autres, Phôtios n'aurait pas su dire en quoi. Cela éveilla sa méfiance.
À son retour, Minoas fit amener une femme au palais, avec la très nette intention de la prendre pour épouse, malgré les avertissements répétés de Phôtios sur la dangerosité de ces êtres vils. En mettre une dans son lit ne prêtait pas à conséquence, en choisir une comme épouse ne se faisait pas sur un coup de tête!
Mais cette fois-ci, Minoas avait balayé d'un revers main agacé toutes les recommandations de son conseillé : cette femme avait tout d'un ange, elle ne pouvait pas être mauvaise! Pire, il avait refusé de la lui présenter.
Il était rare que la volonté du Roi échappât à son contrôle. En fait, c'était la seconde fois.
La première fois avait été lorsqu'il avait choisi Pasipháê pour épouse. Minoas l'avait rencontrée lors d'un banquet donné en l'honneur de son anniversaire Royal. Elle avait à peu près le même âge que lui. Minaos avait été attiré par sa beauté, puis fasciné par son éloquence et sa vive intelligence. Le coup de foudre avait été immédiat et mutuel. Illes avaient passé la soirée à parler encore et encore. Moins d'une semaine après, celle-ci acceptait de devenir son épouse, au grand damne de Phôtios.
Minoas nageait dans le bonheur sans savoir combien cette jeune femme était doublement dangereuse : tout comme sa sœur Kirkê, elle était instruite. (fort heureusement, elle ne détenait aucun pouvoir magique). Des parents sensés ne donnaient aux petites filles la même éducation qu'aux petits garçons! Le rôle des femmes était d'obéir, d'être de bonnes épouses soumises aux hommes et de leur donner des fils, pas de réfléchir.
Mais Minoas était profondément amoureux de cette toute jeune femme, passionnément amoureux de son épouse. Il écouta niaisement toutes les sornettes qu'elle lui raconta sur la liberté et l'égalité des hommes et des femmes, elle l'incita même à accorder plus de droits et de liberté aux esclaves! Kirkê venait souvent visiter sa sœur et elle tenait exactement les mêmes propos aussi inconsidérés qu'absurdes.
Sacrilège ! Elles bouleversaient l'ordre naturel de leur société ! Elles allaient les mener tous à leur perte !
Le sort que Phôtios était parvenu à jeter à Pasipháê avait été compliqué, mais il avait réussi.
L'héritier était né monstrueux et Minoas s'était sentit trahi. Sa douleur avait été inqualifiable. Il avait fait mettre à mort le grand taureau blanc. Il avait interdit à Kirkê de reparaître devant lui. Étonnement, malgré l'insistance de son conseillé, le roi avait rigoureusement refusé de faire aussi tuer la mère-infidèle, la tante-sorcière et l'enfant-bâtard.
Photios dut avoir recours à sa magie pour lui faire accepter que soit construit ce labyrinthe. Cette monstruosité y fut enfermée, ainsi que les petits orphelins choisis pas Pasipháê pour tenir compagnie à son fils. Adopter des enfants d'esclaves orphelins pour les traiter comme sa propre progéniture ! Là était bien la preuve que cette femme n'était pas saine d'esprit!
Ordonner qu'y soient abandonnés chaque année ces quatorze jeunes gens avait renforcé la croyance de la population en ce mythe d'un monstre sanguinaire assoiffé de chair humaine que Photios avait monté de toute pièce. Cette fois encore, il était parvenu, avec l'aide de sa magie, à faire valider cette décision par Minoas. Chaque jour, le ravitaillement de nourriture qui était glissé dans le trou du mur prévu à cet effet disparaissait. Preuve que l'enfant était toujours en vie... cet enfant-là, ou un autre qui avait réussi à survivre.
Phôtios durcit son cœur. Il avait ce qu'il devait pour protéger son Roi. Tel était son devoir. Ces morts n'avaient aucune importance, seuls comptaient le bien-être du Roi et la prospérité du Royaume.
Les gardes amenèrent au palais la femme choisie par le Roi.
Une étrangère d'après son réseau d'espion. Une étrangère qui ne cessait de clamer ses liens maritaux avec cet homme au visage étrange et austère. Ces traits ne lui étaient pas étrangers, mais il n'aurait pas su dire en quoi.
La femme était réellement d'une grâce et d'une beauté hors du commun. Même lui, Phôtios, y fut sensible pendant quelques minutes. Il se secoua. Cette femelle était encore plus dangereuse que ne l'avait été Pasipháê! Elle semblait volontaire et déterminée, aussi libre qu'un homme malgré son statut d'épouse. Son mari paraissait même approuver ses moindres mots au lieu de la remettre à sa place d'être inférieur.
Phôtios se réjouit lorsqu'il apprit que cette Kyriakê avait provoqué la colère du roi. Minoas l'avait faite enfermer dans la grande chambre des invités d'honneur, seule, séparée de son époux et de son compagnon.
Ce qui laissait Phôtios perplexe était que Minoas n'était pas resté avec elle, et qu'il ait écroué les deux étrangers avec Pasipháê. Il ne s'expliquait pas cette bizarrerie.
Il se fit raconter ce qui s'était passé lors de ce court repas. Kyriakê avait tout fait pour pouvoir rencontrer Pasipháê. Pour quelle raison cette étrangère s'intéressait-elle à elle? Ces propos censés sur l'impossibilité d'un coït entre une femme et un taureau avaient dangereusement fait impression sur le Roi. Il fallait qu'il trouve rapidement un moyen de se débarrasser de cette femme!
Phôtios sortit le coffret qui contenait la Pierre Sacrée de sa cachette.
Il n'était pas le premier à avoir essayé de la voler au temple de Æha, dans la demeure que Hélios et Perséis venait d'offrir à leur fille ainée, Kirkê l'enchanteresse . Toustes celleux qui s'y étaient essayé s'étaient évaporé·es dans le néant, mais pas lui. Il avait toujours senti une force bouillonner en lui et celle-ci l'avait protégé. Lorsqu'il avait saisi ce cristal des Dieux, il avait senti son pouvoir magique se répandre en lui et s'accorder avec le sien. Kirkê ne s'était rendu compte de rien : une lumière avait jailli de l'encoche où avait été le cristal et un autre était apparu à sa place. Phôtios y avait vu un signe du destin.
Il était si jeune alors, si jeune et si naïf. Il était rapidement entré au service du jeune Prince Minoas qui lui avait accordé sa confiance. Ils avaient grandi ensemble. Minoas était devenu un homme si beau et si royal. Toutes les femmes lui tournaient autour, et nombreuses furent celles qui lui brisèrent le cœur. Phôtios avait pris alors la décision de protéger son Roi de toutes ces traîtresses...
Phôtios fut un conseillé avisé, dévoué à son Monarque de la façon la plus absolue. Grace à sa vive intelligence, et aux pouvoirs de la Pierre Sacrée, il devint le premier Ministre du Roi, le Protecteur Secret du Royaume de Krétê. Pour Minoas.
Il aida son Roi à gouverner, à assurer la sécurité des habitants la cité et de la contrée, à élaborer un réseau routier pour faciliter les échanges et le commerce, à favoriser l'agriculture et l'élevage pour que tous les sujets mangent à leur faim, même les esclaves (un esclave bien nourri travaille plus et mieux), à établir la paix avec les cités environnantes...
Certains ministres, jaloux de son influence sur le Roi, avaient essayé de le pousser à la faute. Mais Photios avait dénoncé chaque tentative de corruption ou de pot de vin avec indignation, et avait fait mettre à mort le coupable. Ils l'avaient alors fait surveiller, en pure perte. Le dévouement du Premier Conseiller était total et sincère. Il traitait les esclaves avec mépris, mais ne levait pas la main sur eux parce que Minoas le désapprouvait. Il n'avait ni ami, ni sexualité. Il détestait trop les femmes pour prendre épouse, mais ne se tournait pas pour autant vers les hommes. Il ne vivait que pour son Roi dans la plus absolue des dévotions. Le Monarque ne cachait pas son affection et son respect envers lui. Évincer cet homme était mission impossible.
La prospérité et l'abondance rendirent le peuple heureux et obéissant, et renforça la position de Photios auprès de Minoas. Tout alla pour le mieux jusqu'à l'arrivée de Pasipháê... et à présent cette étrangère, mettait à nouveau cet équilibre en péril !
Phôtios saisit la Pierre sacrée. Cette fois encore, il sentit dans sa chair le bouillonnement de sa puissance. La situation était grave, il se devait de réagir en proportion pour protéger son Roi.
Il concentra son énergie sur cette femme, cette dangereuse Kyriakê. Il rassembla toute sa haine et toute sa force pour lancer sur cette étrangère un maléfice : un sortilège de mort.
Ce n'était pas la première fois qu'il débarrassait ainsi son Roi d'un danger. Dans les heures qui suivaient la malédiction de Phôtios, le ou la condamné·e tombait gravement malade et mourrait rapidement, en quelques semaines, voire quelques jours. Ce n'était jamais la même maladie, et pourtant, certaines personnes avaient commencé à murmurer que quiconque contredisait Phôtios risquait de le payer de sa vie... ces gens-là n'avaient pas le temps de murmurer longtemps...
Pour la première fois de sa vie, Phôtios rencontra de la résistance, il eut la sensation que le sortilège revenait vers lui. Il parvint à le repousser.
Non, là encore, c'était la seconde fois que cela arrivait: Kirkê l'enchanteresse n'avait jamais été atteinte par son maléfice. Cette Kyriakê devait avoir de forts pouvoirs magiques. Il allait falloir qu'il trouve une autre solution pour se débarrasser de ce danger qui menaçait son Roi.
Épuisé, Phôtios s'assit sur son futon. Un engourdissement étrange le saisit. Un sort d'endormissement!
Non!
Ce ne pouvait être qu'un maléfice lancé par cette maudite Kyriakê!
Phótios résista de toutes ses forces : son Roi était en danger!
Non !
Il tenta de se lever, mais perdit l'équilibre et retomba lourdement sur le lit.
Son Roi était en danger! On allait lui faire du mal !
Non!
De lourdes larmes de rage et de désespoir coulèrent sur ses joues, lui, si puissant, était immobilisé par un sort si anodin!
Et il était dans l'incapacité de protéger son Précieux Roi Bien Aimé!
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Minoas tournait en rond dans sa chambre comme un lion en cage. Sa colère était retombée.
Son esprit était obsédé par la belle Kyriakê, la trop belle Kyriakê, pas même la Déesse Athénâ ne pouvait être aussi belle!
Et elle était si intelligente! Si volontaire !
Elle avait un tel aplomb!
Il avait toujours aimé les femmes avec du répondant, de la volonté, les femmes soumises l'ennuyaient profondément. Il fallait qu'elles soient intelligentes, qu'elles aient de la volonté, du caractère. Mais plus aucune ne l'osait depuis qu'il avait répudié Pasipháê...
Hélas, mille fois hélas, la belle Kyriakê était si amoureuse de son époux au visage étrange!
Comment allait-il faire?
Tuer ce Spêlios? Non, elle le haïrai pour cela!
La menacer de faire du mal à cet homme pour qu'elle se donne à lui? Non, il n'aurait que son corps, lui il voulait son cœur, son âme, son amour. Il voulait pouvoir parler avec elle, refaire le monde avec elle, se disputer avec elle !
Minoas s'allongea sur son futon de soies, et le sommeil le saisit aussitôt. Il fit de nombreux rêves emplis de douceurs et d'amour... des rêves merveilleux
Minoas fut réveillé en sursaut par de grand coups frappés sur sa porte. Phôtios entra en trombe dans ses appartements, le teint cireux, le visage décomposé par l'inquiétude.
─ Mon Roi, mon Roi ! S'exclamait-il au bord de la panique
Agacé par ce réveil désagréable, Minoas ronchonna:
─ Qu'est ce qui te prend? Tu vois bien que je vais bien!
─ Oh mon Roi, on nous a lancé un sortilège. Cette nuit, tous les habitants du palais ont été plongés dans un profond sommeil! Je suis sûre que c'est cette Kyriakê qui nous a jeté cette malédiction!
─ N'exagérons rien. Bougonna Minoas. J'ai rarement fait autant de rêves agréables!
Il avait passé une longue partie de sa nuit dans les bras de sa maman. Il avait à peine huit ans lorsque celle-ci était morte en couche, le nouveau-né n'avait pas survécu. Le temps d'une nuit, il avait été à nouveau le Petit-Prince-Adoré de sa Maman-Chérie
─ C'est bien pour cela que c'est grave! Ce sort a été lancé pour endormir votre vigilance et votre méfiance !
─ Il faut toujours que tu dramatises tout! Protesta Minoas
─ Reconnaissez tout de même que j'ai souvent eu raison de vous mettre en garde.
─ ...Oui, c'est vrai. Admit le Roi
─ Il faut mettre cette Kyriakê hors d'état de nuire!
Minoas se rendit soudainement compte que son esprit et son cœur n'étaient plus du tout obsédés par cette femme. Phôtios avait raison : cette belle sorcière l'avait bel et bien ensorcelé !
Le Roi s'habilla à la hâte et ordonna à ses gardes de le suivre.
La porte était convenablement cadenassée, mais il n'y avait plus personne à l'intérieur.
Minoas fut irrésistiblement attiré vers le Pápyros qui se trouvaient sur la table. Il le saisit dans ses mains. Ce n'était pas un vrai pápyros, sa texture était étrange et les mots semblaient émettre leur propre lumière. Ce manuscrit dégageait une sorte d'énergie qui provoquait en lui la sensation d'être aimé de la façon la plus absolue... le souvenir fantôme des bras de sa mère autour de lui réchauffa son cœur...
─ Non mon Roi! C'est un piège!
Il lui arracha le pápyrus des mains et s'éloigna de lui autant que possible pour le protéger de tout maléfice.
─ Phôtios, qu'est-ce que tu as ce matin ? !
Il n'entendit pas la protestation de son Roi. Il posa les yeux sur le parchemin dont il sentit la magie puissante. Il pâlit en voyant les premiers mots inscrits en lettres magiques : «Ceci est la parole et la volonté de Athénâ et Ny'one, créateur-trices de ce système solaire, afin de guider nos enfants bien-aimé·es sur les voies de la sagesse. Toustes les humanoïdes naissent libres et égauxles...»
Comme la plus-part des sujets de Minoas, Phôtios était un homme pieu. Dans son esprit, ses pouvoirs magiques et la Pierre Divine lui avaient été accordés par Les Bénévolents. Il avait été choisi par eux pour seconder et guider le roi.
Et il sut, instinctivement, il sut.
Ce document était véridique.
Ces écrits étaient les mots authentiques de la Grande Athênâ et son Noble Époux, leur parole divine et leur volonté, transcrits par la main de cette Kyriaque... cette femme était une Émissaire Sacrée ! !
─ Impossible, c'est impossible! Bafouilla-t-il d'une voix blanche
Il revit Kyriakê et son époux.
Leurs ressemblances avec les Statues du temple de Æha le frappa soudain, la Grande Athénâ et cet étrange Ny'one...
Il se souvint des paroles et des exhortations de Pasipháê, si semblables à celles écrites sur ce parchemin.
Il était impossible que cela soit le fait du hasard !
─ Non! Murmura-t-il alors que le désespoir l'envahissait avec brutalité, faisant battre son cœur beaucoup trop fort
Pour la première fois depuis des années, il écouta cette petite voix en lui.
La vérité s'imposa d'elle-même : il avait cru guider son Roi bien-Aimé sur les voies de la sagesse et de la raison pour le plus grand bien du Royaume, il n'avait fait que l'éloigner chaque jour davantage de la volonté de leurs Créateurtrices Divins!
Son sang se glaça dans ses veines alors qu'il comprenait enfin que Pasipháê était elle aussi une Émissaire de Athènâ et Ny'One!
Tout, il avait tout fait pour tenter de tuer l'Envoyée Sacrée de la Déesse-Mère. Pasipháê qu'il avait souillée de sa magie occulte !
Il avait condamné la mère et l'enfant à une vie de larmes et de désespoir.
Il avait sciemment brisé le cœur de Minoas, pour son bien. Le Roi avait pleuré des nuits entières la trahison de son épouse adorée.
Cet amour du Roi pour cette femme lui avait été directement inspiré par la Déesse elle-même ! Et lui, Phôtios, il avait incité Minoas à répudier la Messagère Sacrée de la Déesse-Mère!
Il n'avait été qu'un idiot sacrilège imbu de son pouvoir magique et de son intelligence !
Mais surtout, il avait entraîné son Roi Bien-Aimé dans son hérésie !
─ Non! Pitié! Gémit-il dans une supplique désespérée. Oh Grande Déesse, ne punissez pas Minoas, tout est de ma faute!
─ Que dis-tu? S'inquiéta Minoas qui le voyait pâlir à vue d'œil. Qu'est-ce qui t'arrive?
Mais comme toujours, à chaque fois que Phôtios interpellait la Déesse Athénâ, celle-ci ne lui adressa aucune réponse. Parce qu'en fait la réponse était déjà en lui, depuis le jour de sa naissance, sous la forme de cette petite voix qui tentait de l'inciter à la bienveillance en toute choses.
Le puissant sort de malédiction qu'il avait lancé sur Kyriakê lui revint et se retourna contre lui. Une violente douleur partit de ses côtes et remonta le long de son bras gauche. La terre accéléra son mouvement autour de lui. Phôtios tomba à genoux sur le sol, une main crispée sur son cœur.
─ Phôtios! S'écria Minoas en se précipitant vers son conseiller. Phôtios!
Il le prit dans ses bras, paniqué :
─ Phôtios, Phôtios, non! Ne m'abandonne pas! J'ai besoin de tes conseils !
─ Oh mon Roi, vous êtes un homme sage et avisé lorsque vous écoutez la voix de la raison. Parvint à articuler Phôtios.
─ Je ne veux pas que tu partes loin de moi! Tu es mon ami! Je t'interdis de mourir!
Phôtios sourit avec tristesse.
─ Mon heure est venue, mon Roi Bien-Aimé. Il est temps pour moi de payer pour mes crimes...
─ Quels crimes? Il n'y a pas d'homme plus honnête et droit que toi dans tout mon royaume! Protesta Minoas avec véhémence.
Oui, songea Phôtios, il avait toujours été honnête, il n'avait jamais recherché la fortune ou la gloire. Seuls comptaient pour lui le Bien du Roi et celui de la Cité... et le Roi ignorait tous les... crimes qu'il avait commis pour le protéger
─ Écoutez mon dernier conseil, oh mon Roi. Kyriakê est l'Envoyée de la Déesse Mère Athénâ. Ce parchemin est la parole authentique des Nobles Bénévolents ! Pardonnez mes erreurs, je vous en supplie.
─ Quoi? Quelles erreurs? Tu ne t'es jamais trompé!
─ Ma haine des femme m'aveuglé, Oh mon Roi. Libérez Pasipháé, elle est innocente de toute faute, elle ne vous a pas trompé, son fils est votre fils, allez voir Kirkê, elle vous expliquera tout.
Phôtios haleta. Il y avait au moins une erreur qu'il pouvait tenter de réparer: dans un violent effort, il essaya de rompre le sort qu'il avait posé sur l'enfant du Roi. Il réunit ses dernières forces afin d'envoyer sur lui des sortilèges de bénédiction : sagesse, intelligence, santé, amour, vie longue et heureuse, sur lui, celleux qu'il aimera, et toustes ses descendant·es, filles ou garçons. Mais sans le pouvoir de la Pierre Sacrée, il ignorait si cela était possible. Il ferma les yeux, envahi par une insurmontable fatigue
Minoas le secoua doucement :
─ Quoi? Comment? Pourquoi? Je ne comprends pas!
─ Parce que je t'aime, Minoas. Répondit Phôtios en rendant son dernier souffle. Je t'aime d'amour.
La Pierre Sacrée devint cendre au moment où son cœur cessa de battre.
Minoas ressentit d'abord un grand vide, puis une profonde tristesse. Il serra Phôtios dans ses bras et versa de lourdes larmes. Il pleura longuement celui qu'il considérait comme son plus proche ami, il avait été un frère pour lui.
─ Votre majesté? S'inquiéta Xanthos, l'un des gardes dans un murmure.
Les paroles de Phôtios lui revenaient en mémoire. «Libérez Pasipháé, elle est innocente de toute faute... son fils est votre fils»
Il devait aller lui parler!
Minoas se leva en titubant. Xanthos se précipita pour lui offrir son aide, que le Roi ne refusa pas.
─ Mettez Phôtios sur mon lit. Et toi, Xanthos, tu viens avec moi.
Minoas partit à grands pas. Là aussi, la porte était convenablement fermée, là encore, les captifves avaient disparu·es sans laisser de trace.
─ Avez-vous vous aussi été endormis par ce sort d'endormissement qui a frappé tout le palais ?
Il n'y avait aucune colère dans la voix du roi. Aussi Xanthos se permit d'intervenir :
─ Votre Altesse, ce sortilège a frappé tous le monde, dans le palais et dans la cité aussi.
─ Par les Dieux !
Ce ne pouvait être là que la marque d'un immense pouvoir, la preuve d'une intervention Divine!
Minoas se sentit parcouru par une sueur froide. Pour que la Grande-Déesse intervienne ainsi, il fallait que ces personnes soient importantes à ses yeux!
Il retourna dans la chambre et y prit le parchemin.
─ Je vais aller voir Kirkê. En espérant qu'elle ne me change pas en porc pour tout le mal que j'ai fait à son amie.
─ Permettez-moi de vous escorter, Votre Altesse.
─ Oui, Xanthos, amène trois hommes avec toi. Mais sache qu'aucun de nous ne sera de taille contre la magie de ... la sœur de Pasipháé, elle doit être furieuse contre moi
Le garde se raidit. La magicienne n'avait pas la réputation d'être maléfique. Mais ses pouvoirs étaient grands... probablement aussi grands que sa colère envers le Roi.
─ Je vais faire préparer votre escorte.
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Kirkê semblait l'attendre sur le pas de sa demeure. Il n'y avait aucune colère, aucune haine sur son visage. À ses coté se trouvait cette femme étrange, au visage toujours caché par un voile.
─ Nous vous attendions, votre Altesse. Soyez le bienvenu. Dit Kirkê.
Minoas descendit de sa monture.
─ Comment saviez-vous que je venais ?
─ Savína m'en a informé. Entrez. Que vos hommes suivent mon serviteur, il leur sera servi un repas. Voudriez-vous venir avec moi, majesté?
Elle vit le garde se mettre en elle et le roi, la main sur son glaive. Elle sourit :
─ Vous avez ma parole, Noble protecteur du Roi, qu'aucun mal ne lui sera fait.
─ Pas de transformation en porc ?
─ Pas de métamorphose. Nous avons à parler de choses importantes.
─ Tout ira bien, Xanthos. Je vous suis. Savína a-t-elle vu la raison de ma venue?
─ Vous avez reçu la visite de Kyriakê, Spêlios et Leóntios.
─ Oui. Ils ont à présent disparu et ils ont emmené Pasipháê avec eux. Qui sont-ils? D'où viennent-ils? Où ont-ils emmené Pasipháê?
─ Cela fait beaucoup de question. Sourit Kirkê avec indulgence. Ces personnes sont les Émissaires des Nobles Bénévolents : la Déesse Athénâ et le Dieu Ny'one. Ils sont venus de loin à la recherche d'un cristal magique. À l'heure qu'il est, ils doivent avoir franchi le labyrinthe.
─ Comment cela, franchi le labyrinthe?
Elle le fit entrer dans un temple et il en oublia sa question. Il contempla le couple divin. Il sortit le pápyros sacré de la sacoche dans laquelle il l'avait mis et le posa sur les mains des créateurtrices. Lentement, le manuscrit changea de forme pour devenir un prolongement de la sculpture.
Kirkê lut à son tour les paroles sacrées et son cœur bondit d'une joie sacrée.
─ Que comptez-vous faire, Majesté?
─ Obéir aux commandements des Bénévolents. Mais par où commencer?
─ Déplacez cette statue et placez-là dans le grand temple d'Athénâ, que tous et toutes puissent la voir. Faites faire des copies de ces commandements. Convoquez une assemblée de sages, composées d'hommes, de femmes et d'esclaves. Ensemble, nous devrions parvenir à trouver le bon chemin.
─ Venez avec moi, Kirkê. Soyez ma conseillère, mieux, épousez-moi
─ Je veux bien être votre conseillère mais je ne puis être votre épouse, mon cœur est déjà dans les mains d'une autre personne.
Kirkê posa sa main sur le bras de Savína qui eut un geste de recul. Celle-ci protesta avec un douloureux désespoir :
─ Non, Kirkê, tu sais bien que cela est impossible!
─ Tu sais bien que non!
─ Je ne comprends pas, Savína, vous semblez pourtant ne pas haïr Kirkê. Intervint Minoas
Dans un geste de défi, Savína retira le voile qui cachait son visage... ce qui restait de son visage. Un crâne chauve, des traits figés, un nez inexistant, et partout cette peau défigurée par les cicatrices de brûlures... .
─ Voilà où mène le mépris de certains hommes vis à vis des femmes. Expliqua Kirkê avec douleur. Et c'est encore pire quand les femmes ont intégré et accepté cela, que la vie d'une femme n'a aucune valeur.
─ Je... je ne comprends pas. Balbutia Minoas qui éprouvait toutes peines du monde à ne pas détourner les yeux de cette monstruosité.
─ Un jour, un homme riche a choisi Savína comme épouse, parce qu'elle était la plus jolie fille du village. Ses parents étaient pauvres, alors ils n'ont pu pas refuser ce mariage. Il l'a prise comme femme sans lui demander son avis. Et quand au bout d'un an, elle ne lui a pas conçu d'enfant, il l'a répudié. Il a tenté de la brûler vive. C'est l'un de mes serviteurs qui a assisté à cette horreur qui est parvenu à l'amener à moi plus morte que vive. Tout son corps n'était qu'une plaie
─ Par les Divinité ! S'indigna Minoas
─ Ses dons de divination sont apparus en elle alors qu'elle échappait de justesse à la mort.
─ Tu m'as sauvé la vie, tu m'as redonné le goût et le bonheur de vivre, et pour cela, je t'en serais toujours reconnaissante. Mais je ne comprends pas que tu puisses aimer un monstre comme moi.
─ Un monstre? Protesta Kirké. Quel monstre?
Kirké prit son visage dans ses mains sans montrer la moindre répulsion, elle déposa un baiser aimant sur la joue défigurée.
─ Oh ma douce Savína, ton cœur est pur, ton âme est belle. Tu m'apportes tellement de joies au quotidien par ton intelligence et ta bonté! Comment pourrais-je ne pas t'aimer? Nous sommes toutes deux les instruments des Bénévolents, nous sommes faites l'une pour l'autre !
─ Je suis laide à faire horreur!
─ Et moi, je suis belle pour nous deux. Rétorqua Kirkê. Je t'en supplie pour la millième fois, devant les statues sacrées de nos Bénévolents, donne-moi ton cœur et accepte le mien!
Savína perçut en elle l'effleurement imperceptible de la pensée de Ny'one, juste une infime étincelle : Accepte cet amour, aime et sois aimée
Des larmes coulèrent de ses yeux. Cela faisait des années que Kirkê lui déclarait son amour avec constance, toujours avec une infinie délicatesse. Cela faisait des années qu'elle l'aimait en silence et repoussait chaque main tendue.
─ Oui. Murmura Savína
Un profond bonheur s'écoula en elle alors qu'elle prononçait ce simple mot. Elle sentit la bénédiction des Bénévolents se poser sur elle et Kirkê.
Kirkê posa ses lèvres sur les siennes et les deux femmes s'embrassèrent pour la première fois
Silencieux, Minoas retint sous souffle. Là, dans la lumière diaphane de ce temple sacré, il n'avait jamais rien vu de plus beau que cet amour...
Il eut une pensée pour Phôtios, il prit conscience que sa mort l'avait libéré d'un carcan dont il n'avait jamais senti la présence. Malgré la douleur cuisante de son deuil, il se sentait si libre. Puis il se dit avec satisfaction que ces deux femmes allaient faire des conseillères avisées. Oui, ensemble, illes accompliraient les commandements des Bénévolents pour le plus grand bonheur de son peuple.
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à suivre
Poussée par les vents, l'embarcation filait avec rapidité.
Illes arrivèrent à l'embouchure où le fleuve Amnisos se jetait dans la mer
Un commentaire ?
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Christine, j'espère que ce hors-sujet t'a plu. J'avais envie de donner plus d'épaisseur à cet antagoniste...
Nous retrouvons notre trio et le duo au prochain chapitre, là où nous les avons laissés
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