On revient ici avec le point de vue de Link. Juste avant de faire la correction de ce chapitre, je venais de terminer l'écriture du neuvième et je peux dire sans l'ombre d'un doute que cette histoire va faire au moins 100 000 mots. J'aurais jamais pensé écrire quelque chose d'aussi long ! Et faut pas trop j'y pense car je fais juste compter tout le temps que je vais perdre à la correction...eurk ! Tsé prendre autant de temps pour quelque chose que t'arriveras jamais à rendre parfait... Bref, bonne lecture !
3
- Prenez une grande inspiration, formula maître Mikael.
Link, assis sur le lit d'infirmerie, obéit au soigneur qui lui tâta la poitrine ainsi que le dos.
- Maintenant, expirez lentement.
Le jeune homme souffla doucement tout en restant immobile sous l'examen. Plus de trois mois s'étaient écoulés depuis qu'il était arrivé au château. Trois mois qu'il n'aurait pas vus disparaître si ça n'avait été le silence de sa famille qui n'avait donné aucune nouvelle depuis leur dernière rencontre. Une semaine s'était écoulée depuis qu'il était forcé au repos total dans l'infirmerie. Pendant ces journées, il avait pu découvrir, en discutant avec les quelques servants et servantes venus lui porter ses repas, que son état avait provoqué tout un émoi dans le château. À cause de cela, il avait pris le temps de réfléchir à sa situation présente et aux raisons qui avait provoqué son état critique. Il en était venu à la conclusion que Sir Thomas y avait une part de responsabilité. Il avait commencé à douter de l'homme lorsque les travailleurs, qui logeaient avec lui dans les sous-sols du château, avaient quitté le chantier pour l'hiver. Il se souvenait avoir demandé à Sir Thomas s'il serait déplacé à son tour dans un endroit plus approprié pour la saison froide. Il se rappelait la réponse vague du chevalier, ce qui aurait dû lui faire douter de la véracité de ces propos. Cependant, à cette époque, il n'aurait jamais songé que quelqu'un possédant un titre comme Sir Thomas pouvait se jouer de lui. Il s'était entraîné si dur tout au long de l'été pour satisfaire ses exigences. Sir Thomas lui avait accordé ses encouragements et n'avait cessé de lui en demander plus sous prétexte d'en faire le meilleur, augmentant toujours la difficulté de ses exercices, au point où Link avait douté de ses capacités.
Son plus grand regret était d'avoir cru aux paroles du chevalier lorsque celui-ci lui avait répondu d'innombrables fois qu'il n'avait pas reçu de courrier ni de livraison. C'était aussi d'avoir fait confiance à Sir Thomas quand il était tombé malade et d'avoir accepté le remède qu'il lui avait donné sans poser de questions. Si Lyne ou bien Darni, qui étaient de ceux qui avaient veillé sur lui tout au long de l'été, avaient été là, son état aurait peut-être évolué autrement. Leurs présences, ainsi que quelques-uns des travailleurs avec qui il s'était lié d'amitié pendant la saison chaude l'avaient aidé à accepter les dures journées d'entraînement. Pouvoir discuter avec eux pendant les repas et simplement passer le temps à des jeux lors des soirées l'avait tant aidé, et cela, sans qu'il s'en rende compte. Dès que tous ses gens avaient quitté les lieux, Link avait senti peser le poids de la solitude. Il avait compris aussi que grâce aux réserves que Lyne lui avait faites avant de partir, il n'avait pas manqué - heureusement - de nourriture. Il se demande encore aujourd'hui ce qu'il aurait fait sans toute l'aide que ces travailleurs lui avaient gratuitement prodigué.
Il se souvenait du moment où le froid s'était infiltré dans les sous-sols du château. Il avait compris qu'il n'était pas équipé pour l'affronter et peu de temps après, il était tombé malade. Sir Thomas avait été conciliant et lui avait donné le remède tout en lui annonçant qu'il devait partir quelques jours. Il s'était senti si misérable à ce moment-là. Et encore aujourd'hui lorsqu'il y repensait. Tout cela, car il avait fait confiance à un chevalier. Il avait été naïf. Il n'avait pas vraiment eu ce genre d'expérience au cours de sa vie. Au village d'Elimith, tout le monde connaît tout le monde. Ce genre de traîtrise passerait difficilement inaperçu. Donc Link s'était fait la promesse qu'il ne se ferait pas avoir une deuxième fois. Son père était chevalier et si ces citadins d'Hyrule lui refaisaient le coup de l'isoler dans un coin, il retournait à son village pour continuer son entraînement là-bas. Calamité ou pas, il avait appris sa leçon. Et sa deuxième promesse, pensa-t-il alors que le soigneur reculait, était que si sa famille ne lui avait pas envoyé de courrier d'ici à son rétablissement, il pliait bagage et retournait chez lui pour vérifier qu'ils allaient tous bien.
- Et bien, dit le maître Mikael ignorant tout des pensées du jeune homme, vous avez traversé le pire. J'entends toujours un léger cillement, mais je crois qu'il vous faut simplement un peu de temps.
- Est-ce que je vais pouvoir sortir ? demanda Link avec un peu d'impatience.
Le soigneur eut un sourire en coin et se dirigea vers son bureau.
- Seulement pour de petites promenades, expliqua-t-il en préparant un autre de ses remèdes.
Après quelques instants, le soigneur rejoignit Link et lui tendit une fiole, ainsi qu'une cuillère. Il expliqua alors :
- Une cuillérée trois fois par jour, idéalement le matin, l'après-midi et le soir. Revenez me voir dans une semaine pour déterminer si oui, vous pourrez recommencer votre entraînement.
- Je vais pouvoir sortir donc ? répéta Link.
- Son Altesse Zelda devrait arriver bientôt pour vous guider à votre nouvelle chambre.
Le point positif de toute cette histoire était qu'il avait finalement rencontré la princesse. Il s'était d'ailleurs plutôt bien ridiculisé lors de leur première rencontre - fiévreux comme il l'était, il ne l'avait pas reconnue - ce qui avait fait naître une certaine gêne qui ne voulait, pour le moment, pas disparaître. Les conversations étaient encore limitées, mais lorsqu'il avait le courage de poser une question, elle lui répondait au mieux de ses connaissances. C'est de la princesse qu'il avait appris que oui, il avait reçu du courrier, mais que celui-ci s'était volatilisé. Elle s'était poliment excusée, lui expliquant qu'il y avait eu confusion, mais que cela ne se reproduirait plus. Elle n'avait par contre pas porté d'accusations lui expliquant que Sir Thomas étant absent, il leur était impossible de découvrir la vérité.
Pendant la semaine de rémission de Link, elle lui avait rendu visite tous les jours. Elle avait fait la conversation, souvent à sens unique, lui expliquant qu'une fois rétabli, il serait relogé dans une nouvelle chambre et que celle-ci disposerait d'un foyer. Il avait été très, très soulagé à cette nouvelle. Elle avait ajouté qu'on lui octroierait aussi une petite somme pour s'équiper de vêtements adaptés à la saison. Il avait tenté de refuser, prétextant que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne reçoive les vêtements provenant de sa famille, ce qu'elle avait débattu. Et elle avait eu raison de lui, étant donné les circonstances avec Sir Thomas. C'était avec le visage rouge qu'il avait été obligé d'accepter. Une autre nouvelle l'attendait, la meilleure selon lui, et c'était l'annonce de l'accès illimité à la cuisine, où, d'après la princesse, il y avait toujours quelque chose de prêt à manger. Il avait tant entendu parler des gâteaux de la cuisine royale qu'il salivait à juste songer y avoir un accès. Illimité. Et finalement, lorsqu'il serait prêt à recommencer son entraînement, un chevalier avait déjà été sélectionné. Un certain Sir Talon qui aurait enseigné à des cadets la moitié de sa vie et était réputé pour en faire des chevaliers hors pair. Objectif qui était le sien et qui, selon la princesse, devait être accompli le plus vite possible.
Link s'était changé et portait ses vieux vêtements qui, s'ils étaient propres, avaient connu de meilleurs jours. Il était assis sur le lit qu'il avait accaparé beaucoup trop longtemps à son goût, attendant patiemment. L'arrivée de la princesse Zelda dans l'infirmerie lui fit penser à l'épée de légende. Cette épée, depuis le moment où il l'avait enlevée de son socle, était devenue une extension de lui-même et il désespérait de voir le moment où la princesse la lui rendrait. Il la remarqua d'ailleurs dans les mains de la jeune femme de sang royal. Comme à son habitude, elle était habillée d'une longue robe sobre, aujourd'hui d'un jaune s'apparentant au blé séché, et portait ses lunettes caractéristiques qu'elle était toujours en train de replacer sur son nez. En guise de salutation, elle lui dit avec un sourire poli :
- J'ai plusieurs surprises pour vous.
Il imita son sourire, les paroles pour la saluer restant, encore une fois, prisonniers dans sa gorge. Le seul moyen qu'il avait trouvé jusqu'à maintenant pour ne pas s'humilier était de prononcer le moins de mots possible. Il avait malheureusement appris à exceller dans ce domaine.
- La première, commença-t-elle, est ceci.
Elle lui tendit alors l'épée par la garde. Il hésita avant de la prendre, car sans le vouloir, elle lui avait rappelé ce rêve qu'il avait fait juste avant de retirer l'épée dans le temple du Temps. Il n'arrivait pas à ce souvenir de l'apparence de la déesse et ne pouvait donc pas faire de comparaison avec la princesse. De plus, les circonstances présentes n'avaient absolument rien de divin. Elle lui fit un sourire encourageant devant son immobilité et il se dépêcha de prendre l'épée, reléguant le souvenir dans un coin perdu de sa mémoire.
- Merci, répondit-il avec l'arme en main.
Il la replaça avec la courroie sur sa poitrine et se sentit un peu mieux avec le poids de l'épée dans son dos. Elle lui fit signe de le suivre. Il ramassa la fiole et la cuillère que le soigneur lui avait données plus tôt et il la suivit, restant derrière elle de quelques pas. Ils montèrent un escalier et au premier détour à leur gauche, elle s'arrêta pour expliquer :
- Souvenez-vous de ce couloir. Nous sommes dans le quartier royal.
Elle s'avança de quelques mètres où deux portes se faisaient face.
- Cette porte s'ouvre sur la chambre royale.
Et devant le regard interrogateur de Link, elle ajouta :
- La pièce de repos du roi et de la reine.
Le héros se demanda si un jour il aurait à aller dans cette pièce. La princesse se tourna vers l'autre porte qui était ouverte.
- Cette pièce est la mienne. Si vous avez besoin de quelque chose, vous pouvez me trouver soit ici ou soit dans la bibliothèque. J'ai aussi un laboratoire temporaire pour la saison froide, mais je préfère amener mes travaux ici.
Link eut le temps de voir un petit bureau rempli d'objets métalliques, dont un cylindre avec quatre pattes, ressemblant un peu à une énorme araignée, et une tablette sheikah juste à côté. Il pouvait aussi apercevoir un foyer ainsi qu'un coin de lit, mais la princesse avait repris sa marche et il suivit prestement. Ils dépassèrent encore quelques portes, toutes ouvertes et montrant des pièces somptueusement décorées.
- Ce sont des chambres que l'on réserve habituellement aux membres éloignés de la famille royale ou tout autre noble d'importance. Pendant la saison froide, elles sont presque toujours inoccupées.
Finalement, elle s'arrêta au bout du couloir où elle entra dans la dernière pièce.
- C'est ici que vous serez logé maintenant, dit-elle alors qu'il passait lentement sous le cadre de la porte.
Ce n'était pas la plus grande comparativement aux précédentes, par contre, une fenêtre donnait une vue sur la rivière en contre-bas ainsi que la forêt plus loin. Il pouvait voir un des chemins qu'empruntaient les habitants du pays pour se rendre à la cité d'Hyrule. Le soleil éclairait encore la pièce en ce début d'après-midi et Link sentait une chaleur malgré le foyer éteint sur l'autre mur. Par la déesse ! pensa-t-il ébahi. Son lit était plus grand que celui de ses parents !
- La deuxième surprise que j'ai pour vous est ceci, dit-elle en se dirigeant vers le lit.
Un grand parchemin y était posé et elle le déroula alors qu'il s'avançait pour mieux voir. Une carte détaillée du château y était dessinée, comprenant chacun des cinq étages, dont les sous-sols, tous tracés au crayon noir. La description des pièces, d'une écriture parfaite, avait été ajoutée.
- J'ai fait cette carte il y a longtemps, mais elle est toujours d'actualité. Je vous en fais cadeau, car je sais combien il peut être déroutant de se perdre dans les couloirs du château.
Link fixa la carte avec un air avide. Il se promettait de l'étudier attentivement. Se tournant vers la princesse, il se demanda si celle-ci s'était déjà perdue dans le château pour avoir sacrifié - il supposait - beaucoup de temps sur la conception d'une telle carte. Toutefois, elle avait déjà repris la parole en annonçant :
- Votre dernière surprise est sur la commode.
Link se tourna en direction du meuble en question et vit une lettre cachetée à côté de la lampe d'Arielle. Il se précipita sur l'enveloppe, déposant maladroitement la fiole et la cuillère qu'il tenait depuis l'infirmerie.
- Je vais vous laisser vous installer, dit la princesse qui s'était rendue dans le couloir sans qu'il s'en rende compte. Je reviendrai un peu plus tard.
- Merci, dit Link en se prosternant légèrement la lettre à la main.
Lorsque le héros fut seul, il s'empressa de décacheter la lettre. Commençant la lecture, il se plaça sur le bout de son lit en soupirant. Sa mère était folle d'inquiétude n'ayant aucune nouvelle. La matriarche n'avait pas écrit un long message, précisant seulement que tout le monde allait bien. La lettre se finissait avec la menace que s'il n'écrivait pas d'ici la fête de la noirceur, se célébrant au jour le plus court de l'année, son père venait le chercher pour le rapatrier à la maison. Si la lettre le soulagea, il fit la moue en ayant la preuve qu'aucun de ses messages ne s'était rendu à Elimith. Pour réparer ce litige, il se dirigea vers son coffre qu'il ouvrit pour en sortir une feuille vierge, une plume et le petit pot d'encre. Il s'installa sur le cadre de la fenêtre et remplit la page de mots pour expliquer sa situation au château et surtout, leur dire que tout allait bien. En souhaitant que cela dure, pensa-t-il. Après avoir soufflé sur la feuille, il la plia et alla chercher une bougie qu'il alluma avec une allumette. Il patienta un moment et lorsqu'il y eut assez de cire, il pencha la bougie au-dessus de sa lettre pliée et la cacheta grossièrement. Au verso, il écrivit l'adresse de destination et se leva une fois que tout fût près. Avec la hâte qu'il éprouvait à poster ce message, il se retrouva au milieu du couloir et regarda aux alentours. De l'endroit où il se trouvait, il pouvait voir la chambre de la princesse et constater que la porte n'était pas fermée. Marchant sur sa gêne, il se dirigea vers la pièce. Cette lettre devait impérativement être postée au plus vite. Lorsqu'il arriva devant l'entrée, il put constater qu'elle lisait un livre, assise sur la chaise devant son bureau empli de bidules. Il se racla la gorge. Elle se tourna immédiatement et il débita en se prosternant :
- J'aurais besoin de poster cette lettre. Est-ce que vous pourriez m'indiquer où aller s'il vous plait ?
- Oui, bien sûr, répondit-elle.
Link se redressa et remarqua qu'elle s'était levée.
- Si vous allez chercher votre carte, proposa-t-elle, je pourrais en profiter pour vous faire une petite visite du château.
Devant son silence hésitant, elle ajouta précipitamment :
- Seulement si vous vous sentez suffisamment en forme.
Et Link, mâchant ses mots, dit lentement :
- J'adorerais cela, merci.
Et il se précipita dans le couloir retrouvé cette carte. Visiter le château, pensa-t-il en souriant. Quand il allait raconter ça à Arielle !
OoOoO
- J'ai entendu dire que vous aviez battu Sir Hergo en duel aujourd'hui.
Link leva les yeux de son assiette pour observer la princesse Zelda devant lui dans la salle à manger. Il se leva prestement et se prosterna. La pièce dans laquelle ils se trouvaient était réservée exclusivement aux habitants du château, ce qui comprenait la famille royale, quelques serveurs, dont une cuisinière, le soigneur officiel, le prêtre et les visiteurs ponctuels. Pendant la saison chaude, lorsque l'activité au château était à son comble, une plus grande salle était utilisée et des horaires étaient fixés pour les repas. Si Link avait la possibilité de manger ailleurs, il n'avait choisi cet emplacement que pour croiser la princesse. Celle-ci posa son plateau de nourriture sur la table en face de lui et prit place gracieusement sur la chaise. Il s'assit une fois qu'elle fut bien installée et répondit à sa question avec une certaine fierté :
- Oui, Votre Altesse.
Hergo était le plus jeune chevalier de la citadelle. C'était un homme très grand et très costaud, sa chevelure aussi flamboyante que sa personnalité. Comme les autres soldats, il habitait dans les troisièmes quartiers, bâtiment qui était situé tout près une fois sorti à l'extérieur du château. Quand Sir Talon lui avait proposé un entraînement avec les autres soldats, Link avait immédiatement accepté. Tout comme le défi que Sir Hergo lui avait lancé dès son arrivée.
- Le roi et la reine n'entendent que des éloges venant de Sir Talon, continua la princesse. Il semblerait que vous possédiez un don naturel pour le combat à l'épée.
Prenant son courage à deux mains, Link répondit :
- Mon père nous a montré très tôt, à moi et ma soeur, comment nous servir d'une épée.
Link se félicita intérieurement. Il réussirait à avoir une conversation normale avec la jeune femme. Soit, ils s'étaient rencontrés il y avait à peine trois semaines. Cependant, la princesse avait piqué sa curiosité. Car, de un, elle était approchable. Elle discutait avec lui avec peut-être une certaine distance - causée par le phrasé qu'utilisaient toutes les personnes au château - mais contrairement au chancelier, elle ne cherchait pas à l'éviter, bien au contraire. Et de deux, elle connaissait tout. Pas dans le sens qu'elle lui disait ce qu'il devait faire ou ne pas faire. Plutôt, elle profitait de leurs conversations, souvent à sens unique à cause de sa gêne, pour raconter de petites anecdotes comme :
Saviez-vous que les gorons sont incapables de nager ? Par contre, ils ont la capacité de rester sous l'eau plusieurs minutes sans respirer.
Ou encore :
Une légende raconte qu'un sage qui avait habité le mont Satori toute sa vie s'est réincarné en une créature nommée Alpha pour continuer de veiller et protéger ses terres qu'il aimait tant.
Link savait qu'elle avait reçu une éducation adaptée à son rang d'où le nombre incroyable de connaissances. Rien n'empêche, il souhaitait la connaître davantage. Pour continuer son effort, il ajouta :
- Est-ce que vous savez vous servir d'une épée ?
La princesse prit le temps de finir sa bouchée et répondit :
- Non, je suis totalement inapte avec cette arme. Le roi a voulu me montrer lorsque j'étais enfant, mais...
Elle hésita quelques secondes et Link la dévisagea en silence.
- Et bien, dit-elle enfin, ça n'a pas été très concluant comme apprentissage.
Elle lui sourit et demanda :
- Savez-vous utiliser d'autres armes ?
Link hocha la tête positivement et expliqua :
- Épées, lances, boucliers, arcs...
Et avec un sourire aux lèvres, il ajouta :
- Branches d'arbres, roche, ustensiles...même une truite.
La princesse s'immobilisa et le sourire de Link s'agrandit alors qu'elle détournait le visage pour cacher son amusement.
- Je suis curieuse de savoir comment vous vous êtes retrouvé avec une telle arme, questionna la jeune femme feignant être sérieuse.
- Pour faire court, je dirais que les relations entre frère et soeur peuvent dégénérer rapidement. Cela peut arriver alors que le repas prévu du soir était du poisson…à ma défense, Arielle, ma sœur, m'attaquait avec une botte. J'ai pris le premier objet sous la main.
- C'est quelque chose qu'on ne voit pas ici, commenta la princesse.
- Je vous garantis que d'après la réaction de mes parents, ils n'avaient jamais pensé qu'une telle chose pouvait arriver sous leur toit.
La jeune femme eut un petit rire et prit une bouchée devant l'air ravi de Link. Voulant continuer la conversation, il posa la première question qui lui vint à l'esprit :
- Savez-vous si la Calamité va vraiment revenir à Hyrule ?
Zelda posa ses ustensiles et planta son regard dans celui du jeune homme.
- Je ne peux pas répondre à cette question, dit-elle au bout d'un moment. Toutefois, plusieurs ont prédit son retour à notre époque. Le fait que vous ayez retiré l'épée est aussi une preuve. Il y en a d'autres.
- Personne ne sait quand il va revenir exactement ?
La princesse hocha la tête de gauche à droite.
- Non, pas jusqu'à maintenant, mais...
Pensive, elle regarda derrière lui et dit tout bas :
- J'ai lu un livre qui racontait les évènements en lien avec le retour du Mal dans ce pays. Dans ce livre, l'auteur décrivait l'apparition de la Calamité comme étant l'apothéose de ce retour.
Link fronça les sourcils et avant qu'il puisse poser la question, la princesse continua :
- Le Mal grandit déjà en Hyrule.
- Comment est-ce que…qu'est-ce que je dois faire pour l'empêcher ? s'inquiéta Link.
- C'est un sujet trop sérieux pour être discuté autour d'un si bon repas, dit une voix féminine derrière le jeune homme.
Link quitta sa chaise pour se retourner et se prosterner devant la reine qui sourit devant sa réaction précipitée.
- Le roi souhaite s'entretenir avec vous deux dans la salle d'audience, continua la souveraine. Je vous suggère de finir votre repas et d'y aller immédiatement.
- Bien ma reine, répondit la princesse poliment.
Delia contourna la table et tendit sa main à la princesse qui l'attrapa avec la sienne. Curieux, Link l'observa fermer les yeux, un court instant, pendant que la princesse la dévisageait du regard. Lorsque la souveraine ouvrit ses paupières, Zelda demanda :
- Avez-vous vu quelque chose ?
- Encore ce gigantesque lézard sur un volcan, soupira la reine découragée. Et un goron sur sa tête, en plus. Ma fille, vous me faites douter de mes visions.
- Espérons que ce soit une bonne chose, répliqua la princesse avec un sourire penaud.
La reine tapota la main de sa fille doucement avant de la libérer et rappela :
- Le roi vous attend.
Elle quitta la pièce sous le regard surpris de Link.
- Vous devriez terminer votre repas, dit la princesse ce qui le sortit de sa torpeur.
Il reprit place sur sa chaise et recommença à manger en observant en coin la jeune femme. Il finit rapidement son assiette et attendit, souhaitant avoir le courage de poser les questions qui habitaient son esprit. Celle-ci finit son repas entre-temps et Link lui proposa de débarrasser ce qu'elle accepta avec un sourire. Il s'empressa d'aller porter la vaisselle dans un sceau prévu à cet effet et revint alors qu'elle se levait. Tous deux sortirent de la pièce et empruntèrent les couloirs qui les mèneraient à la salle d'audience. Avant d'arriver à destination, Link posa la question qui le travaillait depuis un moment.
- La reine, qu'a-t-elle fait plus tôt ?
Zelda le regarda un peu étonnée de sa question et répondit :
- Elle peut voir l'avenir d'une personne en ayant un contact physique. Elle tente de voir le mien et de prédire le moment exact du retour du Fléau.
- Cela semble ne pas fonctionner, supposa Link.
La princesse eut un petit rire et expliqua :
- Les prédictions de l'avenir ne sont pas toujours exactes, mais je crois que j'ai réussi à créer le doute dans l'esprit de la reine comme jamais auparavant.
Ils arrivèrent devant les portes de la salle d'audience qui étaient ouvertes et entrèrent. Le roi, installé à une table avec le chancelier Léonard dans le coin de la grande pièce, leva la tête d'un document ouvert sur le meuble. À ses côtés, Link remarqua les épaules de la princesse qui se crispèrent imperceptiblement sous sa robe. Cela ne dura que quelques secondes, car une fois devant le roi, elle était de nouveau posée. Le chancelier se prosterna légèrement tandis que Link posait un genou sur le sol.
- Relevez-vous jeune homme, dit le roi.
Ce que fit le héros.
- J'ai rencontré Sir Talon, continua le roi. Il n'a que de bonnes paroles à votre sujet.
Link hocha silencieusement la tête, attendant avec nervosité la suite. Les quelques fois qu'il avait rencontré le roi, Link avait toujours été intimidé par l'imposante présence de celui-ci. La princesse, à côté de son propre père, était menue.
- À sa demande, nous avons décidé de vous envoyer sur le terrain, ajouta le monarque. Quelques villages requièrent l'aide de l'armée concernant des invasions de bokoblins sur leurs terres. Avec l'arrivée de l'hiver, nous sommes contraints de précipiter les choses. Trois régiments vont se mettre en route demain et vous ferez partie du premier.
- Oui, Votre Altesse, dit Link d'une voix docile.
Le souverain se tourna vers sa fille et poursuivit :
- Impa sera de retour dans quelques semaines pour passer l'hiver au château.
Un sourire franc se dessina sur le visage de la princesse qui répondit en se prosternant :
- Merci, mon roi.
Link devina le léger sourire du monarque sous sa longue barbe avant que celui-ci ne les renvoie à leurs occupations. Une fois dans le couloir Zelda prit la parole :
- Soyez prudent dehors. Il semble que les bokoblins soient de plus en plus nombreux et de plus en plus audacieux.
- Une autre preuve du retour de la Calamité, n'est-ce pas ? risqua Link.
La princesse hocha la tête pour affirmer sa supposition et termina la conversation en annonçant :
- Je dois faire mes prières. J'essaierais de vous croiser avant votre départ demain. D'ici là, je vous souhaite une bonne soirée.
Link se prosterna en répétant :
- Bonne soirée Votre Altesse.
OoOoO
Link avait toujours aimé voyager à travers le pays. Déjà à Elimith, son régiment patrouillait les routes et les plages, que ce soit pour escorter les gens et les marchandises d'une région à l'autre, ou encore juste assurer la sécurité des chemins. Si certains bokoblins se cachaient dans les montagnes, il n'était jamais arrivé au jeune héros d'en croiser lors de ses patrouilles. Il faut dire qu'il n'était pas soldat depuis si longtemps. Son père lui répétait sans cesse que le moment viendrait probablement trop vite et qu'il se retrouvait face à ses créatures un jour ou l'autre.
Le régiment, composé d'une vingtaine de soldats dont le quart était chevaliers, se dirigeait vers le village d'Huko. Ce village d'agriculture, bien au sud de la ville d'Hyrule, était à environ une journée de chevauchée. Sir Talon assurait le commandement et à la déception de Link, celui-ci avait ordonné à Sir Hergo ainsi qu'à lui-même de fermer la marche. La température froide n'avait pas fait disparaître le tempérament flamboyant de son collègue qui depuis l'heure du départ se vantait de connaître tous les recoins d'Hyrule, racontant la moindre de ses aventures qu'il avait eues en parcourant ces routes. Link, emmitouflé dans son manteau épais, l'ignorait la majorité du temps. Ne possédant pas de cheval, il avait hérité d'un des animaux qu'utilisait la garnison du château et chevauchait une jument de couleur pâle, mature et docile. Elle était alerte à son environnement, tout en restant calme et obéissante au moindre de ses mouvements.
- Tu vois ce mont ? dit Sir Hergo en pointant au loin. J'ai abattu un de ces ours qui effrayait les gens du village en contre-bas. Cet animal devait peser au moins deux tonnes.
- Vraiment Hergo ? s'impatienta une soldate en avant de Link. Deux tonnes ?
- Environ, répliqua le chevalier avec une moue sur le visage.
- Ashei, laisse-le raconter ses histoires, dit le soldat à côté de la femme d'une voix lasse. C'est divertissant et me fait oublier cette température misérable que je suis forcé de subir.
La dénommée Ashei renifla et maugréa :
- Et bien Kafei, contrairement à toi, j'aime mieux supporter cette température sans l'égo démesuré de Sir Hergo.
Link sourit dans son foulard alors que Hergo s'insurgeait contre la soldate :
- Respect Ashei !
- Sir, répliqua celle-ci en feignant le regret, je suis incroyablement peinée d'avoir irrespectueusement douté de vos dires si conforme à la réalité.
Le soldat Kafei à côté de la femme éclata de rire et tenta de le cacher en toussant, voyant le regard indigné d'Hergo pointé dans sa direction. Le chevalier prit la décision de se tourner vers le paysage, les ignorant tous par la même occasion.
Ils continuèrent dans un silence plaisant tout au plus deux heures avant d'arriver à destination alors que le soleil avait amorcé sa descente dans le ciel depuis un moment. Le village d'Huko était entouré de montagnes où on avait configuré des rizières permettant la culture du riz. La plupart des maisons se trouvaient dans la vallée, entourant un manoir de pierre où les cavaliers du régiment se dirigèrent. Là, un vieux seigneur ainsi qu'un homme - probablement le fils du maître des lieux - accueillirent Sir Talon qui débarqua de sa monture et se prosterna rapidement. Les trois hommes se mirent à discuter tandis que des villageois s'approchaient de la petite commotion que leurs arrivées avaient causée. Link sourit à une petite fille qui fit de même avant de courir se cacher derrière, ce qu'il supposa être, la mère de l'enfant.
- Le fils de ce seigneur courtise la princesse depuis qu'elle a l'âge de faire partie de la cour, dit Hergo avec un léger dédain.
- Je ne dirais pas non à un tel spécimen, répliqua la soldate avec un sourire en coin.
- Par Hylia, Ashei, soupira Kafei avec la même lassitude qui semblait faire partie de sa personnalité. Ne pourrais-tu être raffinée dans tes propos ?
- Je viens d'Hébra. Là-bas, tu ne perdrais pas ton temps à peaufiner tes paroles, je te le garantis.
C'était la première fois que Link rencontrait quelqu'un provenant de cette région qui avait la réputation d'être la plus hostile dans tout le pays. L'hiver y régnait en maître et les quelques villages qui s'y trouvaient pouvaient rester prisonniers du climat des semaines lors de tempêtes. Ils ne dépendaient que des piafs, qui eux seuls pouvaient supporter cette température et encore là, eux aussi avaient leur limite. Sir Hergo quitta sa place au côté de Link et rejoignit Sir Talon accompagné de trois autres chevaliers qui faisaient partie de leur groupe. L'entretien avec le seigneur étant terminé, l'entraîneur de Link donna les instructions aux chevaliers qui l'écoutèrent sans intervenir.
- Je crois bien que nous ne nous arrêterons pas ici, constata le soldat Kafei.
Après quelques minutes, les chevaliers reprirent leur place dans le groupe de soldats et Sir Talon donna le signal de départ. Continuant sur une petite route de terre, ils avancèrent un moment dans la vallée sous le regard des villageois. Une fois qu'ils se furent éloignés, Sir Hergo expliqua à ses compagnons de voyage :
- De l'autre côté de ces montagnes, à un peu moins d'une heure de route, se trouvent des terres cultivées par trois familles de fermiers. C'est là que nous nous rendons. Un groupe de bokoblins rôdent dans les parages depuis plusieurs jours. Ils n'ont pas attaqué le village à proprement parler, mais le maintiennent sur le pied d'alerte en s'approchant très près au point de se faire voir, surtout la nuit. Le seigneur a envoyé trois de ses hommes vérifier l'état de ces trois fermes, il y a de cela deux jours. Ils ne sont pas encore revenus.
- Pas une bonne chose, grommela Ashei.
Hergo approuva et ajouta :
- Si le village est suffisamment apte à se défendre, ces familles sont trop loin pour venir s'y réfugier en cas de tumultes.
- Si c'est bokoblins les tiennent sur le pied d'alerte, ajouta Ashei pensive, je comprends que le seigneur ait demandé de l'aide du château.
- Moins d'une heure de route, commenta Kafei. Ça va nous donner assez de temps pour inspecter les lieux avant le coucher de soleil.
Ils continuèrent leur route en silence et au bout d'un moment, la vallée se rétrécit devant eux. Ils se retrouvèrent entre deux petits monts qui flanquaient le chemin des deux côtés. Link, la courroie de sa monture entre ses mains crispées sous le froid et l'immobilité, observa attentivement les alentours tout comme ses comparses. Il était improbable qu'ils subissent une embuscade. La visibilité était très bonne et les arbres inexistants dans ces contrées leur permettaient de voir loin devant eux. La tension du groupe était toutefois palpable. Les bokoblins n'étaient habituellement pas des créatures assez organisées pour maintenir un village en état d'alerte aussi longtemps. Non, elles étaient plutôt friandes de pillages rapides lorsque ses victimes étaient moins nombreuses et donc, moins aptes à se défendre. Encore là, en temps normal, elles ne s'approchaient pas des habitations. Quelque chose d'inédit se déroulait ici et Link pouvait soudainement sentir le poids de l'épée dans son dos.
Lorsque les deux monts s'ouvrirent pour laisser voir une plus petite vallée que celle où se trouvait le village d'Huko, les soldats remarquèrent immédiatement les trois maisons au centre de celle-ci. Une petite forêt se trouvait à l'ouest et dans les autres directions, des rizières étaient aménagées. Le soleil était près de l'horizon et plus ils s'approchèrent du village, plus une odeur caractéristique se fit sentir. Il y avait bien une calèche à côté d'une des maisons, mais aucun cheval dans l'enclos. Aucun jappement ne les accueillit alors que pratiquement tous les fermiers possédaient au moins un chien pour les avertir de la présence d'inconnu. Le silence était oppressant et lorsque Sir Talon leva l'avant-bras, les deux colonnes de soldats s'arrêtèrent d'un seul mouvement. Le vent était tombé et l'odeur fétide les entoura comme un nuage de malheur. Sir Talon descendit de son cheval et fit un pas en direction des maisons lorsque les cris s'élevèrent tout autour d'eux. Ashei jura tout bas alors que Hergo s'exclama en voyant les petites créatures courir vers eux leurs armes levées :
- Dégainez vos épées !
Les bokoblins, qui pour la plupart sortaient du petit boisé, n'étaient pas très grands et étaient de couleur rouge terne. La description la plus simple que l'on pouvait en faire était qu'ils ressemblaient à des cochons marchant sur deux jambes. Ils possédaient toutefois des doigts leur permettant de maîtriser plusieurs types d'armes et avaient une intelligence assez évoluée pour avoir leur propre langage. Dans l'histoire d'Hyrule, ils avaient toujours été au service du Mal, n'avaient peu ou pas de morale et aucun respect pour la vie.
Link agrippa son épée et tout comme la soldate Ashei en avant de lui, tourna son cheval en direction d'un petit groupe de créatures courant dans la rizière et fonçant droit sur eux.
- Je ne comprends pas, dit-elle les sourcils froncés. C'est du suicide pour eux...
- Pas de temps d'y penser, dit Kafei derrière.
Dans un cri de guerre, Hergo frappa les flancs de son cheval qui fonça vers l'ennemi, donnant le signal pour tous les soldats qui en firent de même. Link, l'adrénaline se distribuant dans chacun de ses muscles, imita le groupe et poussa son cheval en direction du bokoblin le plus près. Le monstre, voyant le cheval se diriger droit sur lui, hésita une seconde ce qui permet à Link de lui entailler la nuque d'un geste sec à l'aide de son épée. Le bokoblin n'était pas effondré qu'un autre arrivait à sa droite et sautait sur son cheval, s'agrippant à ses flancs à l'aide de ses griffes tout en abattant son arme, qui n'était qu'un large morceau de bois grossièrement taillé, sur Link. Le jeune homme para facilement le coup et le cheval se mit à ruer pour se délester de la créature. Celle-ci lâcha son arme et de son autre patte, attrapa la botte de Link. Les deux furent projetés violemment sur le sol et le cheval libre s'éloigna, abandonnant son cavalier. Link se releva prestement, frappa son ennemi avec un crochet du droit et l'acheva en le transperçant de son épée. Il se retourna à temps pour éviter le saut d'un bokoblin tenant une grande épée à deux mains qui l'avait pris pour cible. D'un mouvement rapide, il tourna pour se retrouver derrière la créature et lui empala le cœur. Il retirait son épée lorsque le cri de Sir Talon se fit entendre :
- Empêchez-les d'atteindre les maisons !
Link se tourna vers les habitations ou trois petits groupes de bokoblins se dirigeaient. Frappant au visage une des créatures qui l'avait pris en chasse, il courut vers les maisons. Ashei, toujours à cheval, le dépassa et fonça droit sur le groupe le plus proche. Les monstres n'eurent d'autre choix que de sauter pour éviter les sabots du cheval qui semblait prêt à tous les piétiner. L'épée de la soldate réussit à égorger l'un d'eux et Link se joignit à elle pour éradiquer les bokoblins qui hurlaient de rage et de douleur. Du coin de l'œil, il vit Hergo attraper une des créatures qui l'attaquait à mains nues pour la lancer sans effort sur une autre qui courrait dans sa direction. Un bokoblin qui s'apprêtait à se réfugier dans l'une des maisons fut transpercé d'une flèche tirée par le soldat Kafei. Flanqué de deux autres soldats armés de leurs arcs, le trio décimait rapidement le rassemblement de bokoblins dont l'attaque de plus en désordonnée laissait présager la fin du combat.
- Hergo ! Link ! cria Ashei. Derrière la maison !
Elle avait déjà frappé les flancs de son cheval qui galopait en direction d'un des derniers groupes d'attaquants. Link courut à sa suite, rejoint par Hergo. Avec comme but d'empêcher les créatures d'approcher l'habitation, ils engagèrent un combat au corps à corps contre elles. Link en stoppa une, la faisant trébucher sur le sol, tout en donnant un coup de coude à sa comparse qui cria de rage. Il empala celle au sol et se retourna pour bloquer le coup de celle qu'il venait de frapper et qui revenait à la charge. D'un coup de pied bien placé à l'estomac, il la fit tomber à terre et elle subit le même sort que sa semblable. Surprenant une autre qui s'apprêtait à entrer à l'intérieur du bâtiment, il courut à sa hauteur et lui asséna un coup de lame sur le crâne alors qu'elle ouvrait la porte. Elle s'effondra sur le sol inerte, tombant sur le paillasson de l'entrée arrière de la maison. Une odeur fétide assaillit le nez du jeune homme alors que tout autour, des cris de victoire étaient poussés par les soldats. Link, l'arme toujours levée, s'avança lentement à l'intérieur de la maison, à l'affût du moindre son. Lorsqu'il tourna la tête à gauche, ses yeux s'agrandirent d'horreur. Une jeune femme, à peine sortie de l'adolescence, était effondrée sur le sol dans une mare de sang séché, la gorge béante, ses yeux vides fixant le plafond. Un petit, de l'âge de Colin était étendu sur le ventre juste à côté, le crâne brisé. Une femme, à moitié assise sur le sol, avait encore une épée rouillée d'enfoncée dans son cœur. Tout près, un homme d'âge mûr, qui semblait avoir été transpercé de toute part - son bouclier et son épée abandonnés de chaque côté de son corps - était couché dans une position grotesque sur le plancher de bois de l'habitation. Link se mit à trembler en voyant au centre de tout cela, le corps décapité d'un jeune homme de son âge, ses bras et ses jambes séparés de son corps. Et au sol, un message écrit en lettre capitale, à même le sang de la victime qui s'était répandu sur le sol :
« Tu es le suivant, héros. »
Une sorte de cri de rage et de peur se coinça dans sa gorge, ne produisant qu'un grognement écourté.
- Par Hylia ! Sortez-le d'ici ! cria quelqu'un derrière lui.
On lui agrippa fermement les deux bras et il fut tiré vers l'extérieur de force. Il avala l'air froid par surprise et fut aveuglé par le soleil qui s'apprêtait à disparaître derrière les collines. On le traîna beaucoup plus loin et lorsqu'il fut lâché au pied d'un arbre, il s'écroula à genou sur le sol, laissant tomber son épée sous le choc. Ashei s'était agenouillée devant lui et lui tendit une petite bouteille :
- Bois, ordonna-t-elle.
Il prit l'objet d'une main tremblante et avala une gorgée qui lui brula la gorge. Il toussa pour faire passer le liquide et cligna des paupières pour voir Hergo debout, observant les alentours. Kafei était tout près, son arc à la main, préparé pour une éventuelle attaque. Ses yeux brulèrent en songeant à ce qu'il venait de voir et il prit une grande inspiration pour avaler la boule qui s'était formée dans sa gorge.
- Ma famille…est à Elimith, dit-il d'une voix rauque en se levant sur ses jambes tremblantes.
Est-ce que ces monstres les avaient déjà attaqués ? Oh bon sang, pensa-t-il paniquer. Même s'il partait immédiatement, ces créatures auraient amplement le temps de les massacrer. Il ne pourrait jamais survivre à ça. Dans ses pensées, l'image de ses parents, de Colin et Arielle, s'interposa au massacre de la famille qu'il venait d'apercevoir et il se mit à manquer d'air. Heureusement, Ashei l'avait déjà agrippé et il tomba doucement assis sur le sol juste à côté de son épée. Et brusquement, il détesta cette arme. La colère envahit ses traits et l'envie lui prit de lancer l'épée au loin, dans un gouffre, au fond d'un lac ou encore mieux dans un volcan pour ne plus jamais la revoir. Cette stupide arme légendaire le rendait prisonnier d'un destin qu'il n'avait pas choisi. Et maintenant, il comprenait qu'il n'était plus le seul otage, sa famille risquant tout autant que lui.
- Link. Regarde-moi.
Il planta ses yeux dans ceux d'Ashei :
- Ils vont bien, dit-elle. Ta famille va bien. Ces créatures ne font ça que pour t'effrayer. Ne les laisse pas réussir.
Il hocha lentement la tête, se forçant à croire ses paroles et souhaitant oublier au plus vite le massacre qu'il venait de voir. Cependant, il savait qu'il n'arriverait jamais à effacer l'image de ces innocents qui avaient été tués. Par sa faute.
- Inspire, ordonna Ashei. Lentement.
Se forçant à calmer sa respiration, il obéit. L'alcool dans son système sembla faire effet, car les tremblements dans ses membres diminuèrent. Il expira doucement et admira silencieusement le coucher de soleil au loin. Sir Talon s'approcha du groupe et fixa Link un moment.
- Ça va garçon ? demanda-t-il.
- Oui Sir, répondit Link d'une voix qu'il aurait souhaitée ferme.
Le chevalier hocha la tête. Il fit signe alors à Hergo de le suivre. Ils discutèrent un moment plus loin sous le regard des trois soldats et finalement Hergo revint à leur hauteur alors que Sir Talon retournait à l'endroit du massacre. Au loin, Link remarqua une petite fille dans le groupe de soldats.
- Les deux autres familles s'étaient enfermées dans leur maison, expliqua Hergo. L'attaque s'est passée de nuit et depuis celle-ci, les bokoblins ne les laissaient pas même faire un pas à l'extérieur. Les trois hommes du seigneur semblent ne s'être jamais rendus ici. Sir Talon a ordonné à la moitié du régiment de faire une ronde rapide pour vérifier la présence d'ennemis. Nous devons aller aider les autres à monter le campement pour la nuit.
- Par Hylia, on doit passer la nuit ici ? se plaignit Kafei d'une voix crispée.
- On doit leur faire une sépulture, dit simplement Hergo.
Kafei gronda, mais n'ajouta rien. Ashei se leva et tendit sa main à Link qui l'attrapa mollement, se laissant tirer debout. Elle se pencha ensuite pour ramasser l'épée de légende qu'elle tendit au héros. Il hésita quelques secondes, mais la prit, son visage sans expression cachant la peine, la colère et le désarroi qu'il ressentait.
OoOoO
Link était assis devant le feu. Le son des murmures des autres soldats lui parvenait, tout comme les légers sanglots d'une femme un peu plus loin. Pleurant le drame qui s'était déroulé dans cette vallée. C'était une injustice. Il se sentait responsable. Il était responsable. Les mots écrits dans le sang lui étaient adressés sans l'ombre d'un doute. Cette épée était devenue un poids lourd dans son dos, un poids qui devenait insupportable. Il avait aidé à creuser les tombes et à mettre les corps. Il avait prié les poings serrés, ne comprenant pas pourquoi dans un royaume où était censée régner la descendance de la déesse pouvaient se produire de tels actes de cruauté. Il fixait les flammes dansantes devant lui, pensant à sa famille, priant de toute son âme la protection des déesses. Son père. Il se souvenait de ses paroles qu'il avait jadis prononcées. C'était autour d'un autre feu, dans un autre endroit, à une autre époque. Un feu où l'ambiance était différente de celui-ci. Ces propos avaient été discutés à voix basse, comme un secret qu'il aurait voulu garder.
« Il va arriver un temps, avait-il dit, où ton devoir s'opposera à tes valeurs. Tu seras peut-être à la maison avec ta famille et ils seront dans le besoin. Tu seras alors appelé par le devoir et obligé de partir pour servir ton pays. Ou encore, peut-être seras-tu en plein combat, défendant le royaume très loin. Et on t'apprendra que ton village a été anéanti. Dans le premier cas, tu devras partir, même si au plus profond de toi, tu sais qu'il te faudrait rester pour veiller sur ceux que tu aimes. Dans le deuxième cas, tu devras rester pour défendre ton royaume, même si tout ton être voudra fuir vers l'espoir de retrouver les tiens. Ces jours-là, ton titre, ton armure et tes armes ne signifieront plus rien pour toi. Quand cela arrivera, il sera très important pour toi de te souvenir d'une chose. De te souvenir de l'espoir. L'espoir d'un avenir meilleur. L'espoir de partir pour pouvoir revenir. L'espoir de revenir pour retrouver les êtres qui te sont chers, vivants et en santé. Tant de choses sont hors de notre contrôle. Tant de malice se cache dans le royaume, n'attendant qu'une opportunité pour corrompre chacun d'entre nous. Fils, ne la laisse pas t'atteindre. Ne la laisse pas te séparer de tes frères et sœurs, mais encore moins de ton devoir envers ceux-ci. Souviens-toi toujours de ce qu'il y a de mieux dans notre royaume et aie l'espoir qu'il soit encore meilleur. »
Il comprenait ce que son père avait tenté de lui expliquer. Il y avait toutefois une énorme différence entre le comprendre et l'accepter. Il était prêt à faire un effort. Même si le cœur n'y était pas. Alors, il fixait les flammes du feu. Ces flammes qui remuaient pendant que le bois crépitait. Il écoutait les bruits de la nuit, le chant des grenouilles, le bruit du vent dans les feuilles des arbres. Fermant les yeux, il se rappela le son de l'océan et des vagues qui glissaient sur la plage d'Elimith. Colin qui courait à la recherche de coquillage. Arielle qui suivait derrière, un sourire espiègle sur ses traits. Son père et sa mère un peu plus loin, qui préparaient la couverture pour un repas sur le sable.
Avec ses souvenirs en tête, Link ouvrit les yeux et recommença à prier pour sa famille, pour ses êtres chers. Pour leur sécurité, leur santé et leur bonheur. Et il pria pour l'espoir de les revoir un jour.
Chapitre mis en ligne le 27 décembre 2018.
