Bonne année 2019 à tous ! Et sur ce, bonne lecture :)

4

- Quelque chose s'est produit, dit Zelda.

Elle observa Link qui resta muet au-dessus de son assiette. Il ne la regarda pas et elle comprenait que ce n'était pas de l'impolitesse. Elle savait quand on lui cachait une information. C'était le jeu favori de tous les habitants du château. Protégeons la princesse en la laissant dans l'ignorance, devaient-ils tous penser. La croyaient-ils si faible pour agir ainsi ? L'était-elle ?

- Avez-vous déjà entendu parler du monocle de vérité ? débita-t-elle. Il semblerait qu'en possession de cet objet, on ne peut plus rien vous cacher.

Zelda s'empêcha de rouler des yeux. Elle l'avait encore fait. Balancer à tout vent des faits qui n'avaient aucun lien avec la conversation présente. Ou plutôt, la conversation inexistante. Link lui fit un sourire forcé et elle grimaça intérieurement. Pourquoi se donnait-elle cette peine ? Si au début il semblait enclin à rechercher sa compagnie sur l'heure des repas, depuis son retour de sa première mission, elle ne savait plus quoi penser. Il n'y avait aucun doute qu'il avait la tête ailleurs et elle aurait parié son robot que les pensées du jeune homme étaient loin d'être agréables. Et le roi qui refusait de lui dire quoi que ce soit. Elle prit une cuillérée de son ragoût en faisant inconsciemment attention à sa posture.

- Est-ce qu'il y a un objet pour reculer le temps ? dit le héros tout bas.

La princesse haussa les sourcils de surprise.

- Dans les légendes, on raconte qu'une flute particulière permettait cela, répondit-elle tout de même. On l'appelait l'ocarina du temps.

Link eut un sourire un peu moins forcé en indiquant :

- Je connais cette légende. L'ocarina du temps donné au héros par la princesse d'Hyrule.

Finalement, Zelda était dans son domaine. Si cette légende le faisait sourire, elle en connaissait assez là-dessus pour lui changer les idées. Toutefois, elle s'arrêta avant d'entreprendre tout un discours sur le sujet. Elle ne pouvait pas le noyer de paroles indéfiniment pour lui remonter le moral. Il devait parler de lui-même. Alors elle demanda doucement :

- Pourquoi voudriez-vous reculer le temps ?

Link répliqua comme s'il en allait de soi :

- Pour changer le passé.

La princesse retint un soupir devant la réponse toute faite. Pouvait-elle le pousser un peu plus loin ? L'assiette du héros était presque terminée et elle ne doutait pas qu'il se lèverait aussitôt une fois son repas disparu.

- Et que changeriez-vous ? questionna-t-elle.

Link laissa tomber sa dernière bouchée et soupira.

- Je suis désolé, dit-il soudain en se levant.

- Pourquoi ?

Il se passa une main dans les cheveux et expliqua :

- Je ne devrais pas avoir ce genre de conversation avec vous.

La princesse baissa les yeux sur son repas. Il est troublé, se dit-elle. Ne le prends pas personnellement.

- Je…j'aurais dû dire ça autrement, s'excusa Link toujours debout. Désolé.

Il ramassa son plateau, alla le déposer dans le bac et partit en coup de vent. Elle le regarda quitter la pièce et remercia les déesses que celle-ci soit déserte. S'il y avait eu des témoins de cette scène, la conduite de Link aurait pu susciter de mauvais propos à son égard. Elle prit son temps pour finir le ragoût - celui-ci moins appétissant après une telle discussion - et se demanda si elle pouvait faire une croix sur la bonne entente qu'elle avait avec le héros. Tant qu'elle ne connaissait pas ce qui terrassait le jeune homme, elle ne pouvait rien pour lui. S'il décidait de ne plus se joindre à elle au repas, elle s'en accommoderait. Elle avait l'habitude d'être laissée à elle-même.

Zelda se leva et imita le héros en déposant son assiette dans le plat prévu à cet effet. Ensuite, pour en finir avec ses tâches de la journée, elle se dirigea vers la petite chapelle du château pour faire ses prières même si cet exercice lui déplaisait de plus en plus. Le prêtre Rauru ne cessait de lui répéter qu'elle devait user de ses pouvoirs et s'assurer de leur puissance pour éradiquer le Mal lorsque celui-ci apparaitrait. Elle ne comprenait pas ce qu'il attendait d'elle exactement. Elle n'avait pas l'impression d'avoir de limites. C'était quelque chose qui était depuis longtemps en elle et, même si elle n'avait jamais essayé, elle savait intérieurement qu'elle pourrait illuminer le château en entier si elle le souhaitait. Et causer par la même occasion une panique générale. Peut-être devrait-elle faire cela, songea-t-elle en marchant dans les couloirs presque vides. Leur montrer de cette manière qu'elle était forte. Le roi et la reine étaient si enclins à la protéger, à l'entourer de murs protecteurs et à lui épargner les mauvaises nouvelles. Elle voulait tant respecter leurs décisions et y voir la sagesse. Cependant, depuis que l'épée de Légende avait été retirée de son socle, depuis sa rencontre avec Link, elle doutait de plus en plus. Elle se sentait à la fois préparée et incapable devant la menace qui pesait soudainement sur Hyrule. Elle souhaitait le retour d'Impa, qui pourrait lui apporter des nouvelles de l'extérieur, chose que sa famille évitait de discuter en sa présence.

Zelda avait enfin atteint la petite chapelle vide et se dirigea devant la statue de la déesse qu'on avait mise en haut d'une petite estrade de pierre, là où le prêtre Rauru présidait les messes. Plusieurs rangées de bancs de bois massif remplissaient la salle et la princesse se souvenait des fois où ceux-ci avaient été occupés par des personnes influentes du royaume. Sur un des quatre murs de la pièce, de hautes vitrines permettaient une vue sur la rivière entourant le château et laissaient entrer la lumière tamisée de cette fin de soirée. Quelques lampions, que Zelda savait toujours allumés, terminaient l'éclairage de la pièce. Elle s'agenouilla sur le sol dur et ferma les yeux, baissant la tête en un signe de dévotion. Les prières ne lui apportaient peut-être pas le réconfort qu'elle recherchait, mais les faire seules était beaucoup plus agréable que lorsqu'un groupe d'observateurs se trouvait derrière elle. Si elle avait appris à tolérer la présence du prêtre Rauru, elle évitait de penser à la saison chaude qui ferait son retour à Hyrule et apporterait son lot de visiteurs au château, et donc, de spectateurs.

Prenant une grande inspiration et croisant les mains sur sa poitrine, la princesse entreprit de prononcer silencieusement les prières qu'elle avait apprises depuis sa plus tendre enfance. Elle tenta de ne pas précipiter les mots, ayant tout le temps une petite pointe de remords lorsqu'elle finissait trop rapidement. Probablement instillé par la reine et le prêtre qui souhaitaient la voir plus dévouée à une telle activité. Ce qui n'empêcha pas qu'elle ouvrît les yeux après peu de temps, ayant déjà accompli son devoir. Elle plaça les mains sur ses genoux, les paumes vers le haut, et les fixa longuement. Elle pensa au roi qui lui cachait certains faits et à la reine qui peinait à prédire l'avenir. Elle pouvait deviner la détresse de sa mère. Encore là, celle-ci restait vague face aux questions de sa fille.

Zelda tourna la tête à gauche et ensuite à droite pour voir si quelqu'un d'autre était présent dans la petite salle. Ne remarquant aucun individu, elle leva légèrement les mains devant elle et songea à la vue qu'elle avait du royaume en haut de la plus haute tour du château. Elle se remémora la chaleur du soleil sur sa peau, le vent qui à cette hauteur apportait l'odeur lointaine des montagnes d'Hebra et les murmures des habitants de la cité d'Hyrule en contrebas. L'énergie qui circulait dans ses veines fit luire ses mains pour finalement se transformer en halo doré autour d'elles. Il y avait quelque chose de merveilleux à observer ce phénomène. Son cerveau critique tentait toujours de résoudre l'énigme. Quand elle essayait de décrire ce qu'elle ressentait, elle n'arrivait pas à être plus précise que « quelque chose d'aussi vieux que le monde ».

- Bonsoir Votre Altesse, dit une voix grave derrière elle.

Zelda sursauta légèrement et la lumière qui irradiait de ses mains disparut instantanément. Elle se leva et fit face à Rauru qui lui sourit.

- Bonsoir Rauru, dit-elle avec un demi-sourire.

Ce réflexe d'être toujours sur la défensive en présence du prêtre n'était pas prêt de disparaître, pensa-t-elle amèrement. La silhouette de l'homme seulement lui rappelait cette époque où son monde était vaporeux et les personnes qui le composaient étaient difficilement identifiables à cause de ses yeux déficients. Combien de fois avait-elle causé un scandale en attendant que son interlocuteur lui adresse la parole pour qu'elle puisse découvrir son identité ? Ou encore, qu'elle s'était approchée trop près pour respirer leur odeur et deviner leur appartenance ? Le prêtre Rauru était l'un de ceux qui lui rappelaient ses mauvais souvenirs de jeunesse. Elle savait qu'il n'était pas responsable du traitement et des quelques moqueries qu'elle avait subies. Cependant, les soupirs qu'il avait poussés lorsqu'il avait dû lui lire et relire les prières pour qu'elles puissent les apprendre par cœur avaient très bien démontré la faible opinion qu'il avait d'elle. Si aujourd'hui, il tentait de se racheter, comprenant que seule la vue de la princesse avait été responsable de son inaptitude à apprendre, elle de son côté ne cherchait qu'à passer le moins de temps possible avec le maître religieux.

- Je voulais vous remercier d'avoir consenti à passer un peu plus de temps à vos prières, dit-il.

- Je suis désolée d'avoir perdu de mon assiduité dernièrement, répondit-elle rapidement.

- Ne vous excusez pas, répliqua le prêtre Rauru en balayant l'air de sa main.

Un silence pesant s'installa que la princesse ne tentant pas de lever.

- Je ne vais pas vous retarder plus longtemps, dit le vieil homme. Passez une belle soirée.

- Vous aussi, murmura-t-elle.

Elle le contourna rapidement et se retrouva dans le couloir où elle se dirigea vers sa chambre. En route, elle croisa un jeune serveur qui allumait les flambeaux dans les couloirs du château. Il évita de la regarder lors de son passage et ses épaules s'alourdirent malgré elle. Après avoir monté une volée d'escaliers, elle fut enfin dans le quartier royal et courut presque à sa chambre. Elle entrebâilla la porte et prit place ensuite à son bureau. Elle attrapa sa tablette sheikah et se tourna ensuite vers le petit robot sur le sol. Lorsqu'elle appuya sur l'écran du petit ordinateur, le robot prit soudainement vie, une teinte bleutée émanant de la lentille qui lui servait d'œil. Ses quatre longues pattes grises, qui soutenaient son corps noir en forme de cône aplani, se redressèrent. La tête, celle-ci ayant une forme de cylindre et de même couleur que le corps, tourna sur elle-même. Avec ses doigts glissant sur l'écran, elle fit avancer le petit engin qui obéit à chacune de ses demandes tactiles. Ce petit chef-d'œuvre lui avait pris des mois à concevoir. Le robot avait maintenant un équilibre presque parfait, pouvait avancer à une bonne allure et était très difficile à briser. Si les matériaux étaient accessibles, elle s'amuserait probablement à construire une armée de ses engins. Un sentiment de bonheur se traça un chemin jusqu'à ses lèvres en admirant le résultat de ses efforts.

On cogna à sa porte et elle leva le visage en souhaitant croiser celui de la reine. À sa surprise, ce fut la tête du héros qui apparut dans l'entrebâillement lorsqu'elle l'invita à entrer.

- Je suis désolé de vous déranger Votre Altesse, dit-il son regard fixé sur le plancher. Je voulais juste m'excuser pour mon comportement de plus tôt.

La princesse eut un sourire et répondit :

- Je n'aurais pas dû insister, ne prenez pas toute la responsabilité.

Il leva son regard perçant sur elle, mais se figea en voyant le petit robot sur le sol. Ses sourcils se froncèrent et s'ouvrirent de stupeur lorsqu'elle fit avancer le robot dans sa direction.

- Est-ce que cette chose est réelle ? dit-il surpris en ouvrant complètement la porte de la pièce.

Zelda eut un rire et répondit :

- Oui, ce robot est bien réel.

- Est-ce que c'est une invention des sheikahs ? demanda-t-il en s'approchant pour s'agenouiller devant la petite machine.

La princesse eut une moue et répliqua un peu sèchement :

- Non, c'est moi qui l'ai créé. C'est mon gardien.

Link croisa les bras sur sa poitrine et la regardant sérieusement, ironisa :

- N'est-ce pas mon rôle ?

- Il fait un bien meilleur travail que vous, dit-elle du tact au tact.

- Laissez-moi en douter, commenta le jeune homme en approchant son doigt du petit robot.

Elle appuya sur l'écran et l'œil de l'engin vira au rouge. Un petit signal se fit entendre lorsqu'un rayon s'échappa de la lentille et alla frapper la main du héros qui se leva prestement en poussant une exclamation de surprise.

- Hé ! Ça pique ! dit Link en secouant sa main.

Zelda vit toutefois le sourire se dessiner sur les lèvres du jeune homme. Elle lui tendit la tablette.

- Vraiment ? s'enquit-il avide.

Elle hocha la tête et il attrapa l'ordinateur des mains de la princesse. Son regard se planta sur l'objet et ses sourcils se froncèrent sous la réflexion. Rapidement, il posa un doigt sur l'écran et comme par magie, le petit robot se mit à avancer. Link recula dans le couloir avec l'engin et se divertit en promenant la machine. La princesse le suivit, les bras croisés dans son dos, et rit de sa joie lorsqu'il découvrit comment faire lancer les petits rayons.

- Faites attention à ne pas viser le roi et la reine, se moqua la princesse. Je ne voudrais pas que ce robot me soit confisqué.

- Colin adorerait ça, commenta Link joyeusement.

Mais soudainement, ses épaules s'affaissèrent et l'humeur maussade qui l'habitait à l'heure du repas était de retour. La princesse s'approcha de lui, voyant le petit robot immobile au milieu du couloir. Son visage s'était fermé et ses traits avaient durci pour une raison qui lui échappait.

- Et bien, commença-t-elle, il est fort probable que votre famille vous rende visite. C'est avec plaisir que je vous prêterai mon gardien pour l'occasion.

Link se tourna vers elle et dit d'une voix neutre :

- Il m'est interdit de sortir des murs du château. Sous l'ordre du chancelier.

La princesse cacha sa surprise. Est-ce que ses altesses avaient eu vent de cette information ? Le roi avait certainement entendu parler de cet ordre du chancelier. Voulaient-ils faire du nouveau héros un prisonnier du palais ? Tout comme elle ? Ne put-elle s'empêcher de penser. Elle répliqua après une courte hésitation :

- Alors nous n'aurons qu'à inviter votre famille au château directement.

- C'est possible ? demanda Link avec une note d'espoir dans la voix.

Zelda hocha la tête et elle ajouta :

- Je suis certaine que nous pourrons trouver un arrangement.

Elle se promettait d'en parler au roi le plus tôt possible. Avec l'hiver à leur porte, les voyages seraient de plus en plus compliqués. Si Link espérait revoir sa famille avant la fin de l'année, c'était maintenant. Dans moins d'un mois, l'accès aux routes serait un peu plus ardu de jour en jour à cause de la neige.

- Je souhaiterais être avec ma famille, dit le jeune homme tout bas.

La princesse regarda prestement autour d'elle, s'assurant de l'absence d'oreilles indiscrètes. Ces propos n'étaient pas à prendre à la légère. Link la regarda droit dans les yeux et un malaise envahit la jeune femme.

- Vous n'avez pas été mis au fait des nouvelles du royaume, dit-il comme s'il venait de comprendre son ignorance.

- Le roi et la reine jugent de ce que je dois savoir, répondit-elle avec une moue sur le visage.

- Pourquoi omettraient-ils de vous transmettre certaines informations? demanda Link surpris.

La princesse regarda de nouveau autour d'elle, cette fois-ci plus par gêne que par peur d'être entendue.

- À cause de mon pouvoir, expliqua-t-elle brièvement.

Elle hésita. Si Link était considéré comme le héros d'Hyrule, elle ne le connaissait pas encore aussi bien qu'elle le voudrait. Devrait-elle placer sa confiance en dévoilant un fait aussi important que cela ? Est-ce que le jeune homme pourrait se retourner contre elle dans le futur ? Avait-on jamais entendu parler d'un héros qui aurait choisi de ne pas suivre son destin ? Non, pensa-t-elle en se retenant de rouler des yeux. Il n'y aurait plus de royaume dans ce cas. Et quand bien même il y en aurait un, elle ne donnerait pas cher de sa peau si elle devait y vivre. Comme elle s'y attendait, Link demanda :

- Quel pouvoir ?

Elle resta silencieuse et les deux jeunes adultes se regardèrent sur la défensive. La princesse eut soudainement un petit sourire devant le ridicule de la situation et dit :

- Regardez-nous. Le héros et la princesse censés délivrer le royaume de l'incarnation du Mal.

- Vous êtes la réincarnation de la déesse, rigola Link. Je ne suis qu'un simple soldat. Un cadet en plus.

- Et encore, vous semblez plus informer de l'état de ce royaume que la princesse elle-même.

Avant qu'il ne se referme sur lui-même sur cette allusion, Zelda s'avança vers lui et prit la tablette des mains du jeune homme.

- Laissez-moi vous montrer mon rôle dans l'anéantissement de la Calamité.

Tout en lui faisant signe de la suivre, elle retourna à sa chambre, guidant le robot avec la tablette. Elle le stoppa une fois dans celle-ci, déposa la planchette électronique sur le bureau et se tourna vers Link qui attendait près de l'entrée. Elle s'approcha et tendit les mains dans sa direction. Étonné, il avança lentement dans la pièce et attrapa délicatement les mains tendues dans les siennes. Il avait de grandes mains, surtout à côté de celles de la princesse qui étaient plutôt menues. Si elle avait de longs doigts fins, ceux de Link étaient plus trapus et rêches. Elle leva son regard sur le visage du héros et eut un sursaut invisible face à ses yeux qui étaient plantés sur elle. Il semblait curieux, mais surtout inquiet. Elle eut un sourire encourageant et ferma ses paupières. Cette fois-ci, les pensées vinrent d'elle-même. L'odeur d'une forêt de conifères, le clapotis de l'eau s'écoulant dans un ruisseau, les bruits d'un troupeau de chevreuil courant entre les arbres. Était-ce Link qui provoquait de telles réminiscences ? Elle pouvait sentir la neige sous ses pieds, le craquement de la croute de glace alors qu'elle avançait dans un sentier qui lui était inconnu. L'énergie était apparue dans ses mains et elle ouvrit les yeux sur le jeune homme qui observait le phénomène la bouche entrouverte.

- Ceci est mon pouvoir, dit-elle en souriant.

Elle n'avait pas à faire d'effort pour le maintenir. Le partager avec le héros était suffisant pour que la lumière brille et entoure les mains du jeune homme.

- Vous êtes la déesse, murmura Link ébahi.

Il posa immédiatement un genou sur le sol et sa tête se pencha en un signe de révérence. Oh, pensa-t-elle stupéfaite. Ce n'était pas la réaction qu'elle avait anticipée. Son souhait avait été de les rapprocher, de créer un lien de confiance dans leur relation. La vénération n'avait pas sa place ici et en réponse, la lumière s'estompa doucement.

- Relevez-vous, je vous prie, dit-elle ennuyée.

Il obéit lentement, mais son visage resta pencher en direction du sol.

- Link.

Les yeux bleus du jeune homme s'immobilisèrent droit dans les siens. C'était la première fois qu'elle utilisait son prénom.

- Vous êtes le héros. Et pourtant, est-ce que vous vous sentez investi d'un pouvoir divin ?

- Non...hésita-t-il après quelques secondes.

- Ce pouvoir que je possède est pour vous l'épée que vous portez dans votre dos.

Link hocha la tête de gauche à droite et vice-versa, voulant contester ces dires.

- S'il vous plaît, continua-t-elle. Ne me placez pas sur un piédestal. J'ai déjà les contraintes de mon titre à porter.

Il la regarda intensément, analysant la situation dans laquelle il se trouvait. Il finit par prendre la parole doucement :

- Ça...ce que vous pouvez faire, c'est…différent. C'est comme si vous m'aviez permis de ressentir un bonheur que j'avais oublié.

Il se balança sur ses deux jambes, hésitant à poursuivre, mais se résolut tout de même au bout d'un moment.

- C'est difficile à expliquer, dit-il. Lorsque la lumière est apparue, j'étais soudainement en paix. Malgré tous les tracas, c'était comme...

Il haussa les épaules à court de mots.

- Peut-être est-ce à cause de cela que le roi ne vous dit pas tout, dit-il enfin.

Elle croisa les bras sur sa poitrine et soupira :

- Pourquoi croyez-vous cela ?

Il dégaina l'épée de son fourreau tenant le manche de sa main gauche et posa la lame à l'horizontale dans sa main droite.

- Nous ne sommes pas comparables, dit-il sérieusement. Pendant ma mission, nous avons rencontré une horde de bokoblins.

Si la princesse était tout ouïe à l'entente de cette nouvelle information, elle n'en laissa rien paraître restant calme en façade. Elle hocha la tête en direction de Link qui continua :

- J'ai tué avec cette lame. J'ai dû nettoyer le sang de ces monstres sur celle-ci. Je sais que je ne dois pas éprouver de remords, car hésiter en présence de ces créatures pourrait causer ma perte.

Ces yeux qui étaient posés sur la lame remontèrent sur le visage de la jeune femme.

- Je me sens tout de même comme un voleur, murmura-t-il. J'ai volé leurs vies. Et à cause de cela, j'ai une impression de vide. Comme s'ils avaient pris une partie de la mienne. Mais vous...

Il rangea son épée dans son dos et après avoir pris une grande inspiration, poursuivit :

- Avec ce pouvoir, c'est comme si vous m'aviez rendu ces bouts de vie que j'avais perdus.

Il eut un rire et dit penaud :

- Je ne sais pas comment le décrire, mais vous n'êtes pas comme moi. Mon rôle est de protéger en tuant. Le vôtre l'est en donnant.

Zelda était abasourdie. Jamais on avait décrit, elle et son pouvoir, d'une telle manière. La reine, lorsque la princesse lui avait posé la question sur ce qu'elle ressentait en étant en contact avec la lumière qu'elle pouvait créer, avait toujours simplement répondu :

« Un bien-être profond. »

Quant au roi, à cette question, il souriait sans rien ajouter. Est-ce que d'une certaine manière, ils ressentaient ce que Link venait tout juste de lui décrire ? Cependant, elle décida de ranger cette question dans un coin de son esprit, car avant toute chose, elle s'inquiétait pour le héros. Qu'il se conçoive comme étant un assassin n'augurait rien de bon pour la suite.

- C'est pour cela que je crois que le roi ne vous dit pas tout, dit-il les sourcils froncés. Ce que vous avez est pur. Je ne prendrais pas le risque de le corrompre avec la malice qui habite le royaume.

Même si la princesse eut envie de répliquer à cette affirmation, elle décida en premier lieu de poser la question qui lui brulait les lèvres :

- Est-ce que votre humeur maussade est causée par la croyance que vous êtes un assassin ?

Il resta immobile un moment avant de répondre, avec une note de remords dans la voix :

- Non.

Il se ferma de nouveau sur lui-même et Zelda soupira.

- On raconte, commença la princesse, que la malice est un des restes du Mal qui frappa Hyrule, il y a des siècles de cela. Aujourd'hui, elle se réfugie discrètement dans les cœurs impurs des gens de toutes les races…

Là, un sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle expliqua :

- Hormis les gorons, bien entendu. Leur cœur de pierre reste pur de leur naissance à leur mort.

Elle poursuivit en reprenant son sérieux :

- À l'époque du dernier grand Mal, cette malice possédait plusieurs formes. Sous forme de fumée qui lorsqu'on la respirait, pouvait bruler les poumons, attaquant les cœurs innocents. Ou encore, sous forme de liquide qui dissolvait au moindre contact toute forme de vie, de la même manière que la lave d'un volcan peut faire fondre les substances les plus dures. Ou bien, la pire forme entre toutes, lorsque la malice prenait l'apparence de créatures difformes qui n'existaient que pour détruire et qui pouvaient faire trembler de frayeur le plus courageux des guerriers.

Zelda dévisagea le jeune homme qui resta silencieux.

- Cette malice dont vous voulez tant me protéger est la raison de ma présence ici.

Et frappant la poitrine de Link avec son index, elle précisa :

- Et la vôtre.

Elle laissa retomber sa main le long de son corps et termina soudainement lasse :

- Peut-être avez raison de vouloir de me protéger de ce mal. Je dois avouer que je n'en sais rien. Cependant, pour avoir lu les légendes des héros passés, je ne crois pas que personne ne pourra réussir un tel exploit si le Fléau venait qu'à revenir en Hyrule.

- Je ne comprends pas, dit Link. Êtes-vous en train de dire que la princesse dans les légendes est corrompue ?

- Non, répliqua-t-elle. Seulement qu'à chaque fois que le Mal frappait le royaume, elle le subissait de plein fouet.

- Comment cela ? Le héros n'était-il pas censé la protéger ?

Elle haussa les épaules.

- Je ne répète que ce que j'ai lu. Dans une des légendes, on raconte que la princesse aurait été avalée par un monstre de malice sans que le héros puisse intervenir. Dans une autre, elle aurait dû se déguiser en serviteur du Mal pour échapper à celui-ci pendant des années, le temps que le héros soit assez mature pour défendre le royaume.

Face à ses paroles, le jeune homme, les sourcils froncés, sembla se perdre dans ses pensées. Avait-elle utilisé les bons mots pour expliquer sa situation ? Allait-il comprendre que son souhait était de l'accompagner dans ce destin qui les unissait ? Voyant le silence s'éterniser, elle décida de couper court l'entretien.

- Il se fait tard, dit soudainement la princesse. Je sais que votre entraînement avec Sir Talon commence tôt.

Link hocha rapidement de la tête.

- Bonne nuit Votre Altesse, dit-il en se prosternant.

Elle lui sourit lorsqu'il se redressa et il quitta la pièce avec, ce que devina la princesse, beaucoup de pensées à élucider.

OoOoO

- Votre jambe doit être plus haute, dit Impa.

La princesse reposa son pied sur le sol et prit quelques secondes pour retrouver son souffle.

- Je ne suis pas flexible à ce point, répliqua-t-elle. Et je porte une robe.

- Très mauvais choix vestimentaire, soupira la sheikah. Recommençons le mouvement du début.

- Vraiment ? maugréa Zelda.

Elle se repositionna toutefois comme Impa lui avait montré et répété depuis le début de leur séance et tenta de détendre ses épaules.

- Poing, énuméra Impa en regardant son élève allonger lentement son bras devant elle. Pare. Tourne. Poing. Esquive. Pied. J'ai dit plus haut princesse.

- C'est impossible.

- Avec de la pratique, ça l'est Votre Altesse.

- La robe sera toujours un obstacle, répliqua la princesse. Ce n'est pas comme si je pouvais me permettre de porter des pantalons moulants en toutes circonstances. Contrairement à une certaine personne.

Et elle dévisagea la sheikah qui portait un ensemble qui suivait parfaitement la forme de son corps athlétique. Celle-ci réfléchit à la situation.

- Je dois admettre que vous avez raison sur ce point. Nous allons donc adapter le dernier mouvement à votre garde-robe. Est-ce qu'un coup de pied à hauteur du genou serait réalisable ?

- Bien entendu.

- Vous n'aurez qu'à relever votre garde lors de ce mouvement. Vous allez être trop proche de votre adversaire et celui-ci risque d'en profiter.

- À cette vitesse, mon adversaire risque d'avoir suffisamment de temps pour parer tous les coups.

Impa claqua la langue et avec un sourire dit :

- Ne vous inquiétez pas, avec un peu de temps, vous allez déjà voir une différence.

- Et bien, j'avais souhaité que vous enseigniez ces techniques à Link. À moi, elles ne seront d'aucune utilité.

- J'espère bien, dit la sheikah. Mais dans le cas contraire, nous serons préparées. Recommençons.

La princesse grogna, mais reprit une nouvelle fois la position de départ. Elle enchaîna lentement les mouvements, écoutant les consignes d'Impa et s'assurant au mieux de ses capacités à les réaliser. Ceci était beaucoup agréable à faire que les exercices servant à développer sa musculature. Si son amie d'enfance l'obligeait à refaire la planche une fois, elle était sûre de s'évanouir. Son ventre était douloureux juste à respirer. Elles continuèrent un moment jusqu'à ce qu'Impa l'autorise à s'asseoir sur une chaise. Toutes deux avaient trouvé une petite salle vide pour cette séance et la sheikah alla fermer la porte sous le regard interrogateur de la princesse. Dehors, une faible neige tombait du ciel et les lourds nuages cachaient le soleil de l'après-midi en cours.

- J'ai discuté avec le chef Reynald de l'entrainement que je devais vous prodiguer, commença la sheikah en se plaçant en face d'elle. Nous avons convenu de deux choses essentielles. La première, vous l'avez compris, était d'apprendre à vous défendre. Le deuxième requiert votre autorisation.

Zelda enleva ses lunettes pour les nettoyer sur la manche de sa robe qu'elle avait choisie beaucoup trop chaude pour l'occasion. Les yeux baissés, elle s'enquit :

- Pourquoi avez-vous besoin de mon autorisation ?

- Nous croyons qu'il serait impératif de pratiquer votre don.

La princesse releva son regard perplexe sur la sheikah. Si elle pouvait deviner la silhouette de son amie, le reste était flou et elle replaça les lunettes sur son nez pour voir le visage qui lui faisait face.

- Que voulez-vous insinuer par pratiquer ?

- Et bien, par exemple, avez-vous déjà essayé de le laisser actif le plus longtemps possible ?

- Non, mais…

- Essayons-le, coupa Impa.

- Sérieusement ? Le plus longtemps possible ?

La sheikah approuva de la tête et Zelda répliqua :

- Cela risque d'être long…

- Ma race est réputée pour sa patience. Commençons voulez-vous ?

La princesse haussa les épaules et répondit :

- D'accord. Je peux faire cela.

Elle ferma les yeux et expira longuement, laissant retomber ses épaules tendues. Cette fois-ci, ses pensées dérivèrent sur le lac Hylia. Sur les souvenirs qu'elle avait gardé de cet unique été passé chez sa tante et sa famille là-bas. C'était juste avant que son pouvoir s'éveille, mais le premier été où elle avait pu observer ce qui l'entourait avec sa toute nouvelle paire de lunettes. Elle avait passé ses vacances à observer les brins d'herbe, l'écorce des arbres, les minuscules poissons dans le lac et avait lu une panoplie de livres étant finalement capable de voir les lettres dans ceux-ci. Elle et ses cousines avaient chanté la plupart des soirées, dansé les autres et mangé une quantité incroyable de carrés de sucre à la crème dont raffolait sa tante. Cet été était empli de beaux souvenirs et l'énergie qui résidait en elle apparut autour de ses mains. Elle ouvrit les yeux sur Impa qui la fixait patiemment.

- Êtes-vous sûre ? demanda-t-elle à nouveau.

- Oui Votre Altesse, répliqua Impa en souriant. Découvrons s'il y a une limite à cela.

- Bien, murmura Zelda.

Elle ferma les yeux de nouveau et laissa les instants de bonheur prendre toute la place dans son esprit. Elle devait donner raison au prêtre Rauru pour cela, les prières avaient eu l'avantage de forger sa patience et de lui apprendre un certain contrôle de ses pensées. Se concentrer sur cette vieille énergie qui l'habitait était toujours aisé pour elle et se laisser porter par celle-ci semblait venir de soi. Le temps, l'espace et même son corps perdaient de l'importance lorsque ses pouvoirs rayonnaient. Ce qui explique que lorsqu'elle ouvrit les yeux sur Impa qui lui secouait l'épaule, elle fut surprise de voir la sheikah à ses côtés. Son regard tomba sur ses mains toujours illuminées et un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle savait qu'elle pouvait garder actif ce pouvoir très longtemps.

- C'est suffisant princesse, dit Impa. Je crois que vous m'avez convaincu.

- Bien, répliqua Zelda en secouant ses mains qui perdirent leur luminosité. Est-ce terminé pour aujourd'hui ? Je souhaitais faire mes prières avant le repas du soir. Nous pourrions ensuite aller voir mon gardien. J'ai fait les modifications et je crois bien qu'il est parfait.

La sheikah haussa un sourcil et demanda :

- Savez-vous l'heure qu'il est ?

La princesse se leva de sa chaise, se tourna vers l'unique fenêtre de la pièce et eut un sursaut en voyant son reflet dans celle-ci. De l'autre côté, la nuit était tombée ne laissant voir qu'un rideau noir. Elle se détourna de la vue inexistante et dit :

- Je crois bien avoir perdu la notion du temps.

La sheikah eut un rire.

- C'est bien ce que je pensais, répondit-elle. Vous sembliez être dans une sorte de transe et je n'ai pas cherché à vous déranger. Il est presque minuit.

Si la princesse fut étonnée, elle eut rapidement un sourire moqueur et ne put s'empêcher de répéter :

- Je vous avais dit que je pouvais tenir longtemps.

Mais intérieurement, elle-même était surprise. Elle se balança d'un pied à l'autre et sentit ses muscles se détendre après plusieurs heures d'immobilité. La sheikah en entendant ses paroles avait haussé un sourcil.

- Votre environnement était à votre avantage, commença-t-elle. Est-ce que vous serez capable d'un tel contrôle en d'autres circonstances ?

- Je devine ce qui arrive, soupira Zelda.

- Ne vous en faites pas, sourit son amie. Cette séance était exceptionnellement longue et nécessaire pour déterminer votre forme physique et psychique. Nous continuerons demain en après-midi et je vous promets que nous aurons fini avant le souper. Vous ne manquerez pas un autre repas par ma faute. Seules les déesses savent combien vous en avez de besoins.

- Si cela peut vous soulager, je vous promets de prendre une deuxième portion demain, se moqua la princesse.

- Pour le moment, répliqua Impa, je crois qu'il serait préférable de vous reposer.

- Je suis d'accord avec vous, dit Zelda. Dois-je vous accompagner ?

La sheikah eut un rire hautain et s'exclama :

- Vraiment princesse ? Je connais probablement ce château mieux que vous.

Elle eut un sourire et ajouta :

- Je vais faire un brin de toilette avant de toute façon. Nous nous reverrons demain.

La princesse hocha la tête et après une salutation quitta la pièce. Les couloirs étaient éclairés au minimum et elle croisa un soldat qui accomplissait presque silencieusement sa ronde. Quelques minutes et étages plus hauts, elle se retrouva dans sa chambre et remercia en pensée sa servante qui lui avait laissé un bol d'eau pour se nettoyer rapidement. Celle-ci était malheureusement froide, mais cela conviendrait. Elle ferma la porte derrière elle, prenant soin de verrouiller. Un lampion seulement brulait dans la pièce éclairant suffisamment pour qu'elle puisse distinguer les objets, mais sans plus. Derrière le paravent, elle se changea en une longue et épaisse chemise de nuit qui la recouvrait de la nuque au pied et cela, après avoir passé une éponge sur sa peau. Elle courut ensuite dans son lit, ses pieds nus n'appréciant pas l'inconfort provoqué par le plancher de pierres froides. Elle se réfugia sous les couvertures et enleva ses lunettes qu'elle déposa sur la table de chevet. Elle se pencha au-dessus du lampion qui était juste à côté et s'apprêtait à souffler sur la mèche quand un cri se fit entendre dans les appartements. Elle reconnut immédiatement la voix de la reine et d'un bond, elle se retrouva sur ses deux pieds. Elle tenta de prendre ses lunettes, mais les fit tomber sur le sol accidentellement. Retenant un juron, elle s'accroupit et les trouva après avoir tâté un moment. Les posant sur son nez, elle constata avec soulagement qu'elles n'étaient pas brisées à la faible lueur du lampion. Elle se redressa, prit le lampion dans sa main, et se dirigea vers la porte. Écoutant avant de la déverrouiller, elle attendit quelques secondes. Rien ne se fit entendre et silencieusement, elle entrouvrit la porte. La lueur de la bougie lui permit de voir Link un peu plus loin, l'épée à la main, les cheveux partant dans tous les sens et ses vêtements défaits confirmant qu'il s'était levé en panique.

- C'était toi ? la questionna-t-il immédiatement.

- Non, répondit-elle sans porter attention au tutoiement de l'homme.

Zelda s'avança vers la porte de la chambre royale au même moment qu'un soldat apparaissait au bout du couloir. Il la remarqua et s'immobilisa dans sa course, attendant sa confirmation que tout allait bien. Un cri en pleine nuit n'était jamais bien reçu dans le château et elle savait que la garde avait été préparée à réagir rapidement lors d'une telle circonstance. D'autres soldats devaient être tout près et si elle ne répondait pas au plus vite, une armée pouvait rapidement débarquer dans le château. Elle toqua alors à la porte et demanda :

- Mère, est-ce que ça va ?

Ce ne fut pas la reine qui répondit, mais bien la voix puissante du roi.

- Tout va bien, Zelda. Vous pouvez disposer.

Si la princesse se sentit insultée d'être ainsi exclue, elle fit un effort pour ne rien laisser paraître et se tourna vers le soldat qui hocha la tête ayant compris les paroles du souverain. Celui-ci disparut et la princesse fixa la porte fermée avec une moue sur le visage.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Link debout derrière elle.

La jeune femme serra les dents. Elle ne savait pas la raison de ce cri où elle avait perçu tant de frayeur. Personne ne lui disait rien dans ce château. Même ce héros qui restait près d'elle. Elle répondit malgré cela :

- Je ne sais pas. Il est préférable de retourner dormir.

Elle l'entendit soupirer.

- Bien Votre Altesse.

Il se dirigea vers la chambre qui lui avait été assignée et elle l'imita en se rendant dans la sienne. De nouveau, elle ferma derrière elle et fit le tour de toute la pièce, soudainement inquiète quant à la présence possible d'un intrus. Elle ne trouva rien de suspect et elle s'installa de nouveau dans son lit, mais resta assise, le dos appuyé sur la tête décorative en bois massif. Massant ses pieds gelés avec ses mains, Zelda ferma les yeux et se mit à prononcer les mots des prières qu'elle n'avait pas pu faire plus tôt dans la journée. L'oreille tendue pour entendre le moindre bruit à l'extérieur de la pièce.

OoOoO

Finalement, après plusieurs jours d'entraînement, Impa avait consenti à une journée de congé. La princesse avait l'impression que chacun de ces membres criait pour un instant de repos. Elle avait d'ailleurs appris à la dure l'existence de muscles qui n'avaient probablement eu aucune utilité dans sa vie jusqu'à maintenant. Par contre, la sheikah avait eu raison concernant sa forme physique. Elle voyait déjà une différence dans ces mouvements, dans son équilibre et sa respiration. Si les exercices n'étaient pas son fort, elle ne pouvait nier qu'elle aimait cette sensation d'être en contrôle. S'il y avait bien quelque chose qu'elle n'avait pas ces derniers temps, c'était un contrôle de la situation. Sa mère refusait de la voir, ce qui avait eu comme conséquence de l'inquiéter énormément. En réponse, elle s'était repliée sur elle-même, évitant la moindre compagnie pour cacher son désarroi. Son père acceptait d'avoir un entretien avec elle que pour lui répéter encore et encore que tout allait bien et que la reine n'était incommodée que par de l'insomnie. Expliquant son absence en général. Elle se savait naïve, mais pas au point de croire en un tel mensonge. Zelda aurait aimé en parler avec Impa, mais Delia lui avait maintes fois suggéré de ne pas laisser transparaître les histoires privées de la famille royale dans ses propos, peu importe la personne. Même aujourd'hui, elle ne pouvait se résoudre à désobéir à un tel ordre.

Zelda s'était toutefois enquise de Link et de ses exercices auprès d'Impa. La sheikah lui avait alors annoncé qu'elle n'entraînerait le héros qu'une fois que Sir Talon eut fini de son côté. Là-dessus, la princesse avait commencé à bouder - comme une enfant, oui - car elle avait cru que son père avait donné son accord pour un tel entraînement. Pourtant, elle était la seule à profiter de ce savoir et elle ne pouvait s'empêcher de penser que c'était du gaspillage. Link aurait tellement été plus apte à accomplir toutes les demandes de la sheikah et ces connaissances lui auraient été beaucoup plus utiles.

Pour tenter de se changer les idées et pleinement apprécier sa première journée sans entraînement, elle avait décidé de se divertir le plus possible. Elle s'était donc réfugiée dans une pièce isolée du château, sachant qu'à cet endroit elle serait peu ou pas dérangée. Le salon était éclairé par une grande vitrine et une table avait été placée tout près. Elle avait apporté de longues feuilles ainsi que des crayons, des règles et équerres de différentes dimensions. Son petit gardien était posé au coin de la table et minutieusement, avec l'éclairage parfait que lui prodiguait la fenêtre, elle le retraçait sur les grandes feuilles tout en fredonnant des chansons du bout des lèvres. Sur une autre page, elle avait dessiné et écrit la taille de chaque pièce qui avait servi à sa confection. Une autre expliquait le fonctionnement du moteur interne du robot. Tandis que la dernière feuille était remplie d'un code qui était une copie abrégée du programme à l'intérieur de sa tablette, lui permettait de « donner vie » à son gardien. Ses dessins n'étaient peut-être pas une parfaite reproduction de sa création - elle n'était pas tant douée pour l'art ayant commencé que tard dans son enfance - mais elle se savait assez précise pour que quiconque puisse créer son propre robot s'il était en possession de ses feuilles. Même si cela risquait de ne jamais arriver, pensa-t-elle amèrement.

Quelqu'un entra dans la pièce et elle se redressa silencieusement pour croiser le regard de la reine. L'ambiance paisible qui l'avait entourée jusqu'à maintenant disparut en fumée. Elle déposa machinalement le crayon qu'elle tenait sur sa table de travail improvisée et regarda, impassible, la souveraine se placer sur une causeuse qui avait été installée tout près de l'unique foyer de la pièce. Si Zelda souhaitait plus que tout s'enquérir de la santé de sa mère, un petit sentiment de rancœur l'empêchait de faire les premiers pas.

- J'ai besoin de vous parler, dit Delia comme introduction.

La reine tapa la place à côté d'elle en une invitation et lentement la princesse alla s'y asseoir. Installée sur le bout, le dos bien droit, elle croisa les mains sur ses cuisses et regarda la souveraine avec une attitude qu'elle espéra neutre.

- Je suis désolée d'avoir pris autant de temps pour me remettre sur pied. J'ai dû faire face à un dilemme et prendre une décision m'a pris plusieurs jours.

Les yeux de la reine dérivèrent en direction de la vitrine et elle resta un moment silencieuse devant la vue des jardins extérieurs du château qui s'offrait à elle. Ceux-ci étaient recouverts d'une fine couche de neige et certains disaient que cette neige était là pour de bon. Zelda ne put empêcher de demander au bout d'un moment :

- Êtes-vous reposée maintenant ?

L'inquiétude avait paru dans la voix de la princesse. La reine, son regard toujours perdu au loin répondit :

- J'ai eu une vision.

La jeune femme fronça les sourcils, ne s'étant pas attendue à une telle déclaration.

- Une terrible vision, répéta la reine.

Ses yeux glissèrent sur sa fille dont le cœur manqua un battement. Il y avait tellement d'émotion dans ce regard, allant de la détresse au courroux, ainsi que la douleur et le désespoir. Que pouvait-elle avoir vu pour s'être enfermée des jours, refusant même de lui adresser la parole ? pensa la princesse apeurée.

- Votre père aurait préféré que je taise cette histoire, continua la matriarche. Cependant…

Elle se pinça l'arête du nez tout en fermant ses yeux. Des rides apparurent de chaque côté, et d'autres sur son front. Pour la première fois, Zelda constata que la reine paraissait son âge.

- Cependant, poursuivit-elle en laissant retomber sa main, je crois que je ne peux vous garder dans l'ignorance.

Prenant une inspiration, la reine déclara :

- J'ai vu le retour de la Calamité.

La princesse tenta de cacher sa soudaine frayeur. Si la reine avait eu cette vision et qu'elle avait eu une réaction aussi négative, cela ne présageait rien de bon.

- Est-ce que j'accomplis mon rôle ? murmura Zelda.

Delia prit les mains de sa fille dans les siennes et la princesse constata que celles-ci tremblaient.

- Non, répondit-elle doucement au bout d'un moment.

- Mais, répliqua la jeune femme, comment pouvez-vous en être aussi sûre ?

- Car Zelda, dans cette vision, il n'y avait que la mort.

La princesse se refusa à croire qu'il n'y avait pas d'espoir. Les visions n'étaient que les reflets d'un futur possible. Il ne fallait qu'une action non préméditée pour changer tout le cours de l'histoire.

- Qu'avez-vous vu ? supplia Zelda en observant la reine qui restait silencieuse. J'ai le droit de savoir, s'il vous plait…

- L'automne, commença la Delia. Son retour aurait lieu pendant cette saison. Il m'est impossible de dire si c'est l'an prochain ou l'année suivante. Mais ce sera lorsque les feuilles dans les arbres auront changé de couleur.

Le regard de la matriarche glissa vers le sol et elle fixa le tapis qui avait été placé sous la causeuse.

- Il revient sous la forme d'un gigantesque monstre qui semble immatériel au premier abord. Mais…je l'ai vu piétiner la ville et bruler les champs autour sans difficulté. J'ai entendu les cris d'agonie des habitants…

La voix de reine s'était tranquillement tue. La princesse secoua les mains de la souveraine et demanda :

- Suis-je intervenue ? Est-ce que Link combat avec l'épée de légende ?

- Non, répondit Delia avec un sanglot étouffé. Car vous êtes morts tous les deux.

- C'est impossible, contredit Zelda.

- Dans le laboratoire situé dans la tour, continua la reine en fronçant les sourcils. C'est comme si vous cherchiez à fuir.

- Ça ne se peut pas, répliqua la jeune femme en tentant de trouver des failles à la vision. Pourquoi dans cette tour ? C'est le pire endroit où aller si l'on veut fuir.

- Je sais, dit la reine. Mais je ne vois que cette image de vous sur le sol. Votre petit robot dans vos bras, ma fille, comme si c'était la chose la plus importante au monde. Et ce vieux sac en bandoulière juste à côté emplie de plans.

- Je n'ai pas de sac de ce genre, contredit la princesse.

- C'est celui du prêtre Rauru, expliqua la reine. Il apporte ses textes avec cet étui lorsqu'il préside des messes à l'extérieur du château.

Zelda regarda la souveraine perplexe. Elle n'avait pas tant porté attention sur ce type de détail. Mais cela semblait avoir une grande importance.

- Que dois-je faire alors ? murmura la princesse. Si je veux éviter que ce futur se réalise ?

Le regard de Delia se tourna vers sa table improvisée de travail et elle énonça d'une voix monotone :

- Votre père et moi souhaitons que vous cessiez vos expérimentations sur la technologie sheikah.

- Non…bredouilla Zelda.

- Et que vous vous débarrassiez de celle-ci.

La reine avait pointé son petit gardien et la princesse se leva d'un bond, se positionnant entre sa création et la souveraine.

- Vous ne pouvez pas m'interdire cela ! s'écria la jeune femme. C'est une des seules activités que j'apprécie dans ce château !

- Vous devez vous concentrer sur vos prières et sur votre rôle, dit la reine impassible en se levant à son tour.

La princesse cligna des paupières pour empêcher les larmes de s'échapper de ses yeux et regarda Delia qui se dirigeait vers la sortie de la pièce. Celle-ci s'arrêta avant de franchir la porte et dit d'une voix ferme :

- Zelda, tu connais ton rôle. Pour la continuité de ce monde, fais en sorte de l'accomplir.

Et elle disparut dans le couloir. La princesse essuya rageusement les larmes sur ses joues qu'elle n'avait pu retenir et se précipita vers la table. Méticuleusement, elle empila les grandes feuilles les une sur les autres et les roula avec soin. Elle attrapa une lanière dans son étui à crayon et attacha les plans ensemble. Elle les glissa sous son bras, prit d'une main sa tablette et de l'autre le petit robot. D'un pas décisif, laissant le reste de ses affaires derrière elle, la princesse quitta la pièce et se dirigea dans le couloir vers les quartiers secondaires du château. Là étaient logés les habitants permanents ou temporaires qui ne faisaient pas partie de la famille royale. Elle trouva la chambre qu'elle recherchait et cogna maladroitement sur la porte.

- Impa ? dit Zelda avec une voix d'où perçait la détresse.

La porte s'ouvrit sur son amie qui fronça les sourcils à sa vue. La sheikah se déplaça pour laisser entrer la princesse, lui prit des mains le robot qu'elle lui tendait et referma derrière elle.

- Zelda, murmura Impa en lui pointant l'unique chaise de la pièce. Assis-toi.

- Désolé, dit-elle en sentant les larmes de nouveau sur ses joues.

Son amie lui prit la tablette et les plans qui accaparaient les bras de la nouvelle venue et les posa sur le bureau juste à côté. Zelda la regarda faire distraitement, mais ses yeux finirent par se tourner vers la seule fenêtre de la pièce. Les quartiers secondaires étaient au deuxième niveau et de cette pièce, Zelda pouvait voir les soldats s'entraîner dans la cour de la garde royale. Impa lui tendit un mouchoir en tissu et la princesse épongea ses paupières avec un léger sourire reconnaissant.

- Mes parents m'interdisent de continuer mes expérimentations avec votre technologie, dit-elle soudainement d'une voix morose.

Elle tourna son regard vers la sheikah dont le visage attentif ne montrait aucune émotion.

- Ma mère a eu une vision, continua-t-elle une moue grandissante sur le visage. Et dans celle-ci, je n'accomplissais pas mon rôle.

Elle eut un rire amer et dit :

- J'étais morte.

La sheikah cligna des yeux et Zelda devina que son amie était étonnée. D'ailleurs, Impa contredit :

- Nous savons toutes deux que tu mets les efforts nécessaires pour accomplir ce rôle. Surtout dans ces circonstances vagues. Nous ne connaissons pas sous quelle forme la Calamité attaquera Hyrule, ni si elle aura des alliés excluant les bokoblins.

- Elle l'a vu, murmura la princesse.

La sheikah haussa un sourcil de surprise.

- Une créature énorme Impa, enchaîna-t-elle déroutée. Elle va tout détruire sur son passage.

La princesse ferma les yeux et imagina la terreur d'être attaquée par un monstre aussi gigantesque.

- Zelda, dit soudainement l'autre femme. Tu es apte à défendre le château. Nous avons une idée de ce que sera le retour de la Calamité maintenant. Cette énergie qui fait partie de toi te donne le pouvoir de repousser ce monstre. Et nous allons faire en sorte qu'il ne puisse pas franchir les murailles de la ville d'Hyrule. Garde espoir.

La princesse hocha la tête avec, ce qu'elle souhaita, un peu plus de fermeté. Elle soupira et dit tristement :

- J'ai encore un service à te demander.

La sheikah sourit légèrement en répondant :

- Vous pouvez me demander ce que vous voulez.

- Je veux que tu apportes mon robot, ma tablette ainsi que ces plans au village Cocorico. Je souhaite que tu trouves quelqu'un qui puisse les compléter pour moi et garder cette invention le temps que le roi et la reine me donnent de nouveau l'autorisation d'expérimenter.

Si j'ai l'autorisation un jour, pensa amèrement la jeune femme.

- Bien entendu, princesse.

- Je ne veux pas perdre tout ce travail, continua-t-elle en regardant son gardien.

Elle prit une grande inspiration et fronça ses sourcils pour se donner la force de ne pas pleurer. Elle s'était énormément attachée à son invention et savoir qu'elle s'en séparerait, peut-être pour toujours, lui était insupportable. Elle serra les poings silencieusement alors que la sheikah se levait et sortait ses habits extérieurs d'un coffre.

- Je m'occupe de cela immédiatement, dit Impa. Je serai de retour demain au plus tard.

- L'après-midi est déjà bien avancé, contesta Zelda.

- Ne vous inquiétez pas pour moi princesse.

La sheikah se tourna vers son amie et dit doucement :

- Prends soin de toi pendant mon absence. Et dès mon retour, nous nous entraînerons à repousser cette Calamité.

C'est avec reconnaissance que la princesse murmura :

- Merci Impa, d'être là.

La sheikah s'approcha et posa un genou sur le sol, sans baisser la tête, elle répliqua un rare sourire sur ses lèvres :

- C'est un honneur de t'avoir pour amie Zelda.


Chapitre mis en ligne le 4 janvier 2019.