J'ai encore une avance, donc un chapitre cette semaine aussi ! Nova Acey : merci pour ton commentaire ! Bonne lecture :)

10

Zelda posa le parchemin devant le roi et lui pointa le paragraphe qui avait retenu son attention. Elle patienta, observant son père qui était assis sur une élégante chaise derrière son bureau de travail. L'endroit était situé dans une grande pièce isolée faisant partie de la bibliothèque du château.

- Le peuple gérudos s'engagera à livrer les criminels nommés plus haut pour qu'un jugement impartial soit fait et les crimes punis selon la loi hylienne, récita le roi à voix haute.

Il leva ses yeux verts sur sa fille et déclara :

- Un meurtre a été commis ici. Avez-vous lu le rapport sur cet évènement ?

La princesse approuva et avisa immédiatement :

- Le comportement des gérudos, qui refusent de livrer ces criminels, est intrigant. Je n'ai rien trouvé concernant leur version des faits.

Le roi se redressa et observa la jeune femme.

- Ce dossier doit être entre les mains du chancelier, dit-il.

Et avec un hochement de tête, il ajouta :

- Vous avez mon autorisation pour l'étudier.

Zelda le remercia poliment et s'apprêtait à se détourner lorsqu'il reprit la parole :

- Assoyez-vous un instant, ma fille.

Un peu surprise d'une telle requête, elle s'installa sur le siège faisant face au bureau du roi et attendit que celui-ci continue :

- Je vois que les rougeurs se sont dissipées sur votre visage.

La princesse eut un sourire et plaça une main sur sa joue.

- Je n'avais jamais imaginé que les gorons puissent vivre dans de telles conditions, et ce, sans éprouver le moindre inconfort, raconta-t-elle avec un enthousiasme qu'elle tenta sans succès de contenir. Saviez-vous qu'en plus, un de leur passe-temps est de relaxer dans les sources chaudes ?

Et en riant tout bas, elle ajouta :

- J'ai à peine pu y tremper mes pieds !

- Je suis heureux de voir que ce voyage vous a plu malgré les conditions extrêmes, dit le roi satisfait.

Regardant la princesse, il hocha la tête lentement.

- J'en profite, déclara le monarque, pour vous féliciter d'avoir bien représenté la famille royale. Les zoras sont reconnaissants de votre bénédiction et je suis persuadé que les gorons le sont tout autant.

Zelda se contenta d'un sourire en remerciement. Le souverain prit un moment pour l'observer silencieusement et elle s'obligea à ne pas remuer sur son siège devant son examen.

- La demande des piafs pour votre bénédiction est aussi acceptée, annonça-t-il d'une voix ferme. Toutefois, nous allons attendre le début de la saison froide avant de vous envoyer là-bas. La construction de la machine étant tout près, votre sécurité risque d'être compromise avec la présence d'autant de visiteurs.

Il lissa sa barbe distraitement et poursuivit en fronçant ses sourcils :

- La bonne nouvelle est que selon Sir Lafrel, tout porte à croire qu'une guerre n'éclatera pas cet automne. L'armée surveille étroitement la formation de troupes de bokoblins, ainsi que tous leurs acolytes. Jusqu'à maintenant, aucun signe qui indiquerait une organisation suffisante qui mènerait à une attaque massive.

- Est-ce que la reine a eu d'autres visions ? demanda la princesse.

Depuis quelque temps déjà, elle réduisait les moments passés avec sa mère. Celle-ci n'avait jamais voulu lui dire ce qu'elle avait vu dans sa prémonition alors que Link était à ses côtés. De plus, elle la regardait maintenant étrangement, comme si elle était devenue une formule compliquée à résoudre. Chaque fois que la reine tentait d'utiliser son don de clairvoyance sur sa fille, Zelda était incapable de savoir ce qu'il se déroulait dans ces visions. Être dans l'ignorance ainsi augmentait sa nervosité.

- L'arrivée du Fléau est prévue pour l'automne, c'est tout ce qu'elle peut m'assurer avec certitude, répondit-il.

Il soupira et conta :

- Selon ses dires, trop de variables en cours l'empêchent de prédire un quelconque dénouement. De plus, les visions qu'elle a de vous ne se déroulent pas pendant cet évènement précis. Seulement avant.

- Est-ce qu'elle vous a raconté ce qu'elle voyait dans ces visions ? demanda la princesse d'une voix hésitante.

Le roi répondit négativement. Zelda tapota nerveusement ses doigts sur ses cuisses. Que pouvait-elle apercevoir pour même garder son époux dans l'ignorance ? Se convainquant que ce sujet n'était pas important pour le moment, elle commenta :

- Vous n'avez pas parlé de la bénédiction pour les gérudos.

- Je ne vous enverrai pas là-bas, dit-il avec autorité.

La princesse n'osa pas insister et demanda à la place :

- Que va-t-il advenir de leur robot ?

- Aucune décision n'a été officialisée, déclara le roi, mais il est probable qu'un hylien soit nommé pour le diriger.

- Ceci risque de briser la bonne entente entre nous et ces guerrières, affirma-t-elle avec une moue.

- Je crois que cette entente est déjà brisée, ma fille.

Le silence perdura un moment et Zelda observa distraitement le bureau sobre dans lequel elle se trouvait. Le roi n'avait pas l'habitude de la retenir aussi longtemps ce qui signifiait qu'il avait quelque chose d'important à lui dire. En général, il laissait le soin à la reine de lui annoncer les nouvelles un peu plus délicates. Au bout d'un moment, il se tourna vers une pile de bouquins sur un petit tabouret derrière lui, et il en choisit un. Il le posa devant la princesse et déclara :

- J'ai remarqué que vous passiez plus de temps qu'à l'accoutumée dans la bibliothèque et j'ai malgré moi aperçu que vous lisiez sur ce sujet.

Il tapa la couverture du livre où était inscrit le titre "Lois et responsabilités sur le mariage dans la famille royale". La princesse camoufla son incertitude, se demandant si elle avait fait une erreur. Un sourire était apparu sur les lèvres de son père qui continua :

- Si vous avez des regrets avec votre décision de retarder votre mariage, il n'est pas trop tard pour annoncer vos fiançailles.

Zelda, sous l'effet de la nervosité, eut soudainement envie de rire, mais réussit à conserver son masque impassible. Les recherches qu'elle faisait sur le sujet n'avaient pas pour objectif de précipiter les choses, mais au contraire de remettre à plus tard l'inévitable et par là, elle entendait ses futures noces. Elle voulait aussi vérifier si les propos d'Impa avaient été véridiques, si vraiment elle avait la possibilité de gouverner avec l'aide d'un prince consort seulement. Si elle avait découvert que oui, cela s'était déjà fait, elle avait pu constater que ces situations étaient rares et souvent entourées d'une multitude de circonstances atténuantes. Elle se demandait encore à ce jour si le retour de la Calamité pouvait être considéré comme une de ces circonstances.

- Non, mes recherches n'étaient pas dans ce but, dit-elle simplement.

Le roi fronça les sourcils et questionna :

- Puis-je savoir qu'elle était la raison de ces recherches alors ?

Elle cligna des yeux et répondit maladroitement :

- Juste pour...satisfaire ma curiosité...

Elle eut envie de grimacer en voyant l'approbation incertaine du monarque.

- Bien, dit-il enfin. Je vous laisse à vos occupations. Serez-vous présente au conseil dans deux jours ?

- Oui, mon roi, répliqua-t-elle en se levant.

- Entendu.

Zelda attrapa le parchemin qui avait été le pourquoi de cette rencontre et après une légère courbette, quitta la pièce. Ce n'était absolument pas le genre de conversation qu'elle aurait pensé avoir avec le monarque. Toutefois, elle avait eu l'autorisation qu'elle souhaitait et elle prit la direction du bureau du chancelier. L'après-midi était bien entamé, et son objectif étant de comprendre un peu plus le conflit à propos des gérudos, elle devait connaître toutes les raisons qui pouvaient expliquer leur refus catégorique du contrat du roi. Elle admettait qu'après tout le temps de recherche qu'elle y avait consacré, que ces femmes guerrières étaient mystérieuses. Malgré ces innombrables fouilles de tous les écrits les concernant depuis son retour du domaine des zoras, elle avait l'impression d'en avoir appris peu et même pas du tout sur elles. Après avoir suivi le couloir principal, elle déboucha sur la grande salle dont l'immense entrée était gardée par un soldat. Elle s'arrêta devant le bureau du chancelier qui était en annexe. Le garde qui assurait la surveillance de l'endroit s'était redressé à sa vue et sans lui porter d'attention, elle toqua fermement trois fois sur la porte fermée. L'homme qu'elle sollicitait lui ouvrit rapidement et pencha son visage vers le sien en haussant un sourcil.

- Que me vaut l'honneur de la visite de Son Altesse ? dit-il de sa voix indolente.

Sans hésitation, Zelda répondit :

- Je viens chercher le dossier sur les gérudos concernant le meurtre du soldat...

- Vous avez besoin d'une autorisation, coupa-t-il.

La princesse serra les dents et se demanda pourquoi les déesses l'avaient faite aussi petite. Être ainsi observé de haut par le chancelier réussissait à la faire sentir insignifiante.

- Je ne serais pas ici si je ne l'avais pas, dit-elle en conservant une voix neutre.

L'homme prit le temps de la dévisager un long moment et elle l'imita avec un regard impassible. Il finit par soupirer et se détourna pour aller fouiller dans une bibliothèque à l'intérieur de la pièce. Ne souhaitant pas le moins du monde entrer à sa suite, elle attendit patiemment dans le couloir, le soldat toujours silencieux un peu plus loin. Il revint finalement et lui tendit un seul petit parchemin qu'elle scruta avec un étonnement camouflé.

- J'avais pensé recevoir un dossier, commenta-t-elle en prenant l'unique feuille roulée.

- Peut-être Son Altesse ne devrait pas trop réfléchir alors, répondit-il sans émotion en lui fermant doucement la porte au visage.

Du calme Zelda, se répéta-t-elle en se pinçant l'arête du nez. Ce n'est rien. Juste un stupide mâle qui n'existe que pour rendre sa vie misérable. Il n'y avait rien de nouveau ici. En expirant tranquillement, elle fit un pas de côté et prit la direction de sa chambre, tapotant nerveusement le papier roulé sur sa cuisse. Ses pensées dérivèrent sur son futur mariage et son choix d'époux jusqu'à maintenant. Est-ce que Lord Ernest serait un bon roi ? Depuis qu'elle s'impliquait davantage dans la vie politique, elle avait toujours senti une pression invisible de la gent masculine qui occupait la majorité des postes au conseil. Elle ne pouvait pas se mentir. Deux autres femmes en faisaient partie. Une gérudo, avec pour seule mission de représenter son peuple, et la reine qui n'était, là aussi, qu'une mandataire. Malgré le sang coulant dans ses veines, sa mère avait délégué tous ces pouvoirs à son mariage. De plus, ces derniers mois, aucune représentante des guerrières n'avait assisté aux réunions du conseil. Tout ça, lui faisait douter de son choix. Est-ce que Lord Ernest exigerait d'elle de se délester de son rôle ? Mais n'était-ce pas ce qu'elle avait toujours voulu ? Transférer ses responsabilités de souveraine à quelqu'un de plus apte à la tâche pour se consacrer à ses loisirs. C'était tellement égoïste penser ainsi. Et pourtant, la reine avait été une des premières à l'encourager sur cette voie. Cependant, depuis l'éveil de ses pouvoirs, son rôle avait évolué et ce n'était plus seulement de diriger le royaume, mais bien de le protéger. Si, depuis sa plus tendre enfance, on l'avait préparée à prendre époux pour que celui-ci gouverne à sa place, ce n'était plus suffisant. Quelque chose ne fonctionnait pas dans ce raisonnement. Elle ne s'en rendait compte que maintenant. Elle s'en apercevait chaque fois qu'elle se servait de sa magie, qu'elle pouvait sentir cette énergie vieille comme le monde qui circulait à travers elle et tout le royaume. Cette lumière qui lui rappelait que ce monde était bien plus que des bouts de terres avec une valeur inscrite sur un coin de parchemin. Elle avait l'impression de commettre une traîtrise envers son peuple à vouloir déléguer cette responsabilité qui lui revenait de droit en raison de sa naissance. Avec une moue sur le visage, elle arriva dans le quartier royal, se demandant ce qui avait changé pour que soudainement, elle doute de toutes ces décisions prises concernant son avenir. Peut-être le fait que son souhait le plus cher, surtout en ce moment, était de s'assurer de se débarrasser du chancelier. Pour cela, elle devait être la souveraine. C'était si facile de s'imaginer l'envoyer à l'autre bout du monde, sur la minuscule île d'Aurore. Là où les seules décisions qu'il pourrait prendre seraient d'augmenter ou réduire la pêche de poissons journalière.

- Zelda ?

La princesse, qui s'apprêtait à entrer dans sa chambre, se tourna vers la reine. Celle-ci lui fit signe de la rejoindre dans la pièce royale avant de disparaître à l'intérieur. Elle alla poser les feuilles sur son lit et retrouva sa mère qui était assise sur le fauteuil au milieu du salon. Elle pointa un petit siège en face et la jeune femme se plaça en essayant de reléguer ses réflexions du moment et sa rencontre avec le chancelier dans un coin de son esprit.

- Juste pour être certaine, dit Delia en levant ses mains vers sa fille.

Perplexe, Zelda les prit dans les siennes et malgré la nervosité qui se fraya un chemin dans ces entrailles, elle attendit patiemment que Delia ouvre les yeux. Celle-ci cligna des paupières plusieurs fois et libéra les doigts de la princesse. Tout en observant l'héritière, la reine s'appuya sur le dossier de son fauteuil et fronça ses sourcils. Avec courage, Zelda demanda :

- Qu'avez-vous vu ?

Elle eut droit à un soupir avant que la souveraine ne réponde :

- La même chose depuis plusieurs semaines.

Est-ce que c'était mauvais ? s'inquiéta Zelda. Est-ce que la Calamité revenait avant que les machines ne soient fonctionnelles ? Échouaient-ils ? Cependant, la reine ne paraissait pas angoissée. Elle était loin d'avoir le regard désespéré que lorsqu'elle lui avait raconté sa vision sur le retour du Fléau, celle où le monstre gigantesque détruisait tout sur son passage.

- Il semble que quelque chose vous tourmente, commença lentement la princesse. Je dois admettre que cela est alarmant.

Heureusement que ces dernières semaines avaient été riches en évènements, car la compagnie de la reine était de plus en plus pénible. Elle souhaitait à la fois que Delia lui révèle enfin ce qu'elle voyait et d'un autre côté, ne voulait que revenir à ces recherches sur les gérudos, et ce, même si la politique n'était pas son sujet favori. C'était mieux que le regard que lui lançait sa mère actuellement.

- Êtes-vous attirée par les hommes, ma fille ? demanda soudainement Delia.

Zelda se figea dans sa position et dévisagea la souveraine un moment avant de répliquer niaisement :

- Quoi ?

La reine leva un sourcil et la princesse cligna des paupières. Ses yeux observèrent le sol et en haussant les épaules, elle s'enquit :

- Pourquoi poser cette question ?

- Avez-vous une réponse ? argua Delia.

- C'est juste que...

Ne pense pas au chancelier, se morigéna-t-elle. Il était le pire exemple pour cette interrogation. Ni au compte Charles. Lord Ernest ? Non plus. La reine parlait-elle d'une attirance physique ? Pourquoi devait-elle discuter de cela ! Ses pensées se bousculèrent pendant qu'elle formulait avec une grimace :

- Je...je crois...oui.

Elle pouvait entendre l'hésitation dans sa voix et voyait le doute dans le regard de la reine.

- Vous ne semblez pas certaine, dit doucement Delia.

- Est-ce pertinent ? observa Zelda. Je présumais que l'attirance était secondaire...

- Et les femmes ? s'enquît la souveraine.

- Les femmes, dit-elle en écho.

- Éprouvez-vous de l'attirance envers les femmes ?

Cette fois-ci, la princesse cacha son visage dans ses mains et marmonna pour gagner du temps :

- Je ne suis pas sûre de comprendre le sens de cette question...

- Zelda, je vous ai porté en mon sein, dit la reine d'une voix encourageante. Il n'y a pas de gêne à avoir. Donnez-moi une réponse honnête.

La jeune femme laissa tomber ses bras et dévisagea sa mère en sachant ses joues très rouges.

- Non, je ne crois pas, dit-elle lentement en haussant les épaules. Pour être honnête, je ne pense pas avoir été attiré par personne jusqu'à maintenant.

Après quelques secondes de silence, elle ajouta :

- Est-ce que c'est une bonne réponse ?

- Vous pouvez disposer, soupira la reine.

- Quoi...non ! s'insurgea Zelda en s'avançant sur le bout de son siège. Vous ne pouvez pas me renvoyer après de telles questions ! Est-ce que ça a un lien avec vos prémonitions ? Vous ne me dites rien ! Est-ce parce que nous n'arrivons pas à vaincre la Calamité ? Vous devez...

- Du calme, la coupa Delia.

- Mais...

- Zelda.

La princesse se tut à contrecœur et dévisagea la souveraine.

- Je n'ai qu'une seule vision vous concernant, dit Delia. Et ce, depuis votre retour du domaine des zoras. Je suis incapable de voir autre chose.

Allait-elle lui dire ? s'impatienta Zelda devant le silence qui s'éternisa. Elle ne comprenait pas ce que sa mère pouvait bien avoir visualisé pour avoir une telle discussion. Finalement, Delia reprit :

- Je vous vois embrasser une femme. Une gérudo pour être exacte.

Devant le visage sérieux de la reine, la princesse ne put s'empêcher de rire nerveusement. Elle se calma rapidement et après s'être excusée, elle demanda tout bas :

- En êtes-vous certaine ? Il y a peut-être une explication derrière un baiser...

Avec une gérudo ? réfléchit Zelda avec panique. Elle n'arrivait pas à trouver une raison valable.

- Je suis certaine, expliqua Delia d'un ton docte, que c'est une femme. Elle porte les vêtements typiques des gérudos. Et que dans ce, ou plutôt, dans ces baisers, il y avait de la passion. Beaucoup de passion.

- Des...baisers ? répéta la princesse hébétée.

Zelda se rappela ce petit garçon au lac Hylia, qui avait été son premier et unique béguin. À ce baiser maladroit qu'il avait échangé avant son départ pour revenir au château. Elle se souvenait avoir éprouvé une gêne, mais leurs rires par la suite avaient transformé ce sentiment en quelque chose de plus léger et aujourd'hui elle se remémorait tout cela avec un mélange de gaieté et de nostalgie. Pas de passion. Elle n'était même pas certaine de tout ce que ce mot impliquait.

- Ajouter à cela le fait qu'une des mains de cette femme soit sous votre robe et que vous étiez toutes deux dans un lit...

- Par les déesses ! s'écria la princesse en se levant. Est-ce que nous...vous avez vu...

Zelda se mit à marcher de long en large dans la pièce et attrapa sa longue tresse pour jouer nerveusement avec les mèches.

- Je ne vois rien de plus, dit Delia.

La reine eut un petit rire et précisa :

- J'admets que c'est amplement suffisant. Ce n'est pas le genre de chose qu'une mère souhaite voir, surtout lorsque son propre enfant est impliqué.

- C'est impossible, murmura Zelda toujours en mouvement.

- Arrêtez, ma chère. Vous m'étourdissez.

- Je n'ai jamais embrassé de fille, dit la princesse en stoppant sa marche.

- Jusqu'à maintenant.

- Mais mère !

- Prenez le temps de réfléchir à tout ça, dit posément la reine. Cette vision ne cesse de revenir ce qui m'incite à croire de sa véracité.

- Et je dois réfléchir ? douta-t-elle. À ça ?

La matriarche soupira et répondit :

- Ma fille, gardez toujours en tête le bien du royaume avant de commettre des actes que vous pourriez regretter.

Mais elle n'avait rien fait ! songea la princesse avec énervement. Sachant qu'elle ne pouvait répéter cette pensée, Zelda se détourna lentement et quitta la pièce sans porter attention à son environnement. Une fois dans sa chambre, elle s'assit sur la chaise de son bureau et fixa sans le voir le paysage d'été visible par sa fenêtre. On toqua à sa porte et elle eut une grimace en songeant qu'elle n'était pas parée pour une autre discussion. Malgré cela, elle se retourna et sourit de soulagement en découvrant Link à l'entrée. Il prit cela comme signal pour s'avancer à l'intérieur et dit sans préambule :

- Nous fêtons l'anniversaire de Colin dans deux jours et ma mère souhaitait t'inviter à la maison pour le repas. Je lui ai expliqué que ce ne serait probablement pas possible, mais elle a insisté pour que je te transmette l'invitation et...et voilà...

Il avait dit cela d'une traite, fixant un point derrière elle et la princesse avait pu voir un peu de rouge apparaître sur ses joues. Il lui fallut quelques secondes pour s'ancrer au moment présent et réfléchissant rapidement elle expliqua :

- Je ne pense pas pouvoir sortir des murailles du château sans une escorte.

Zelda n'arriva pas à savoir s'il fut déçu ou bien soulagé d'une telle nouvelle.

- Par contre, ajouta-t-elle, si ta famille veut bien venir ici pour fêter l'anniversaire de ton petit frère, je crois que cela pourrait être possible.

Link approuva de la tête et dit :

- Je vais transmettre le message et voir ce que ma mère en pense.

Il se prosterna nerveusement et disparut en coup de vent à la surprise de la princesse. Son regard glissa sur son lit et par la même occasion sur le parchemin concernant les gérudos et elle sentit son visage rougir, lui donnant l'impression de bouillir. Elle posa ses mains sur ses joues et murmura :

- Par Hylia...une gérudo, vraiment ?

Le côté positif, songea-t-elle dérisoirement, est que cela aiderait sûrement à diminuer les tensions entre les deux peuples. Elle rit nerveusement et laissa tomber ses bras sur ses genoux. Prenant une inspiration, elle appela son pouvoir et le bout de ses doigts se mit à briller.

- Bien, murmura-t-elle.

Elle allait peut-être embrasser une femme - et Zelda s'efforça de ne pas penser au contexte décrit par la reine - mais cela n'empêcherait pas d'accomplir son rôle. Elle l'espérait.

OoOoO

Zelda, de la fenêtre de la pièce où elle se trouvait, regardait les jardins de la reine plus bas. Une moue sur le visage, elle pianota nerveusement sur la vitre en voyant l'activité à l'extérieur. Il devait y avoir une trentaine de nobles qui avait accaparé l'endroit sous prétexte d'accompagner la souveraine lors d'un piquenique improvisé. Ce n'était absolument pas ce qu'elle avait eu en tête quand elle avait proposé l'idée à Link. Il n'avait probablement pas imaginé cela lui non plus et elle craignait la réaction que lui et ses proches auraient face à tous ces gens. Une main se posa sur son épaule et la reine s'avança à ses côtés.

- Prête ? dit-elle simplement.

- J'étais censée prendre un repas avec la famille de Link, maugréa-t-elle en réponse.

- C'est ce que vous allez faire, approuva Delia sereinement.

La princesse croisa les bras sur sa poitrine et fit face à sa mère avec une certaine raideur.

- Vous savez tout comme moi ce qui va se produire, répliqua-t-elle en haussant un sourcil.

- C'est votre devoir, dit la reine posément. Vous devez passer du temps avec les nobles de ce pays. C'est une occasion parfaite.

- Ce repas était pour l'anniversaire du petit frère de Link ! s'emporta Zelda devant l'incompréhension de la souveraine. Et c'est tout juste si je vais avoir le temps de le lui souhaiter !

Elle se détourna de Delia et observa de nouveau par la fenêtre alors qu'un masque d'inquiétude apparaissait sur les traits de son visage.

- J'ai l'impression que tous les nobles bons à marier sont présents, se plaignit la princesse.

- Ma fille, vous devez vous permettre plus de rencontres.

Elle tourna tranquillement la tête vers Delia et murmura :

- Ne me dites pas que vous êtes derrière tout cela…

- J'ai simplement envoyé quelques invitations, réfuta la reine.

- Pourquoi maintenant ? Vous auriez pu choisir une autre occasion !

- Zelda, expliqua Delia posément, vous vieillissez et nous ne pourrons retarder votre mariage éternellement. Votre comportement des dernières semaines nous laisse croire à moi et votre père que vous avez changé d'avis concernant Lord Ernest. Si c'est bien le cas, vous devez vous trouver quelqu'un de convenable pour vous et surtout pour le royaume.

Elle ajouta avec un avertissement dans la voix :

- Sir Link ainsi que ses proches ne sont pas des nobles. Ne les favorisez pas aux dépens de vos responsabilités.

- Par Hylia ! s'exclama la princesse. On parle de la famille du légendaire héros ! Ce n'est pas un traitement de faveur que de les rencontrer une fois !

- Calmez-vous.

Elle inspira et expira profondément, cherchant à obéir à l'ordre donné. Elle allait devoir jongler entre tous ces nobles avec comme objectif de passer le plus de temps possible avec les proches de Link. Elle replaça nerveusement ses lunettes sur son nez, se demandant si elle pouvait se sortir de ce faux pas sans contrarier la reine, provoquer un scandale ou faire mauvaise impression devant la famille de celui qui était son gardien depuis plus de deux saisons. Elle n'arrivait pas à trouver d'issues à cette situation. Jamais, elle n'avait autant perçu les contraintes de son rôle qu'aujourd'hui. Elle espérait que le héros ne lui en veuille pas trop de les abandonner à leur sort.

- Ai-je fait quelque chose qui vous a déplu ? questionna la princesse.

- Non, dit la reine sans hésitation. Simplement, votre implication volontaire dans le conseil, vos recherches sur la politique et vos discussions avec le roi concernant la gouvernance du royaume laisse à réfléchir.

Delia posa sa main sur l'épaule de sa fille qui se raidit. Zelda s'inquiéta en songeant que la souveraine pourrait avoir une autre vision la concernant et actuellement, c'était le dernier de ses souhaits.

- Je voudrais savoir ce qui vous pousse soudainement à vous intéresser de votre plein gré à tout cela, dit Delia.

Son regard s'efforça de trouver une réponse dans les yeux de l'héritière du royaume et la princesse hésita un moment avant d'indiquer :

- Je cherche seulement à m'impliquer davantage.

Elle se tourna de nouveau vers la fenêtre, observant le ciel bleu un court instant, et avec un peu plus d'assurance confessa d'une voix désolée :

- Je ne suis pas certaine de désirer m'unir avec quiconque.

La main de la reine quitta son épaule et Zelda vit Delia se placer à ses côtés. Celle-ci demanda :

- Est-ce que ce choix est en lien avec cette vision…

- Non, coupa la princesse.

- Alors pourquoi ?

- Peut-être que je ne veux plus être la petite fille ignorante qui n'est bonne qu'à marier, dit-elle avec amertume.

Zelda grimaça. Les mots s'étaient échappés de sa bouche avec agressivité et une honte s'insinua dans ses entrailles à la suite de ce manque de retenue. Devant le silence de la reine, elle lui fit face et devina la tristesse sur le visage de la souveraine.

- Je suis désolée, souffla la princesse. Je ne voulais pas…

Elle prit les mains de sa mère dans les siennes et appela son pouvoir qui les illumina doucement.

- C'est moi qui suis désolée, murmura Delia en regardant leurs mains jointes.

Elle ferma les yeux un instant pour les rouvrir aussitôt.

- Vous n'avez pas encore eu…cette vision ? s'inquiéta Zelda.

La reine eut un rire devant le visage mortifié de la princesse et approuva de la tête. Elle tapota les doigts de la sa fille et la lumière s'estompa doucement.

- Je vous promets, débita Zelda, que je n'ai jamais embrassé de femme et que ce n'est pas dans mes projets…

- Regardez, coupa l'autre en poussant son héritière en direction de la fenêtre. Le comte Charles est présent.

Et avec un sourire taquin dans sa direction, elle ajouta :

- N'est-il pas agréable pour les yeux ?

Zelda la dévisagea exaspérée et sans pouvoir s'en empêcher, elle ironisa :

- Peut-être mère, mais pas autant que les gérudos.

Sous le regard hébété de la souveraine, elle éclata de rire, rejointe par la reine qui décida :

- Vous allez passer un peu de temps avec les nobles…

- Mais, coupa Zelda en perdant son sourire, je dois…

- Je me charge du héros ainsi que de sa famille pour que vous discutiez un peu avec chacun de vos prétendants. Une visite du château devrait les occuper suffisamment pour vous permettre de bien accomplir votre rôle d'hôte. Pour le repas, vous serez apte à le prendre avec eux.

- Vous en êtes certaine ? dit Zelda perplexe.

La reine haussa un sourcil et dit :

- La grande majorité des gens souhaite connaître leur avenir. Je crois être capable de distraire les nobles. Surtout que ceux-ci rêvent de savoir s'ils assisteront au mariage de la princesse à ses côtés un jour.

Zelda, avec une soudaine légèreté, dit :

- Je crois que dans ces circonstances, ce sera parfait.

- Promettez-moi de faire un effort, supplia la reine. Essayez de voir si un homme ne pourrait pas vous intéresser même si l'idée de vous marier n'est plus dans vos priorités.

- D'accord, répondit Zelda posément.

- Allez-y immédiatement et je vous rejoins.

La princesse approuva de la tête et quitta la pièce. Si finalement la situation s'était résolue d'elle-même en grande partie, elle était un peu sidérée que la reine puisse lui faire une pareille surprise et inviter autant de nobles. Sa mère l'avait toujours encouragé à choisir un parti, mais elle ne lui avait jamais forcé la main. Au moins, cette conversation lui avait permis de discuter honnêtement. Peut-être même trop. Elle n'avait pas voulu blesser la souveraine avec ces propos, mais les mots s'étaient échappés de sa bouche sans qu'elle n'arrive à les retenir. Elle n'aurait jamais dû faire allusion aux difficultés qu'elle avait vécues étant enfant. Elle se renfrogna aussi en songeant à la vision de la reine la concernant. Elle devrait faire attention, car même si sa mère tentait de ne pas le montrer, cette vision la troublait. La présence d'autant de nobles à ce piquenique en était une preuve. Se motivant le plus possible, elle se prépara mentalement à la suite, aux discussions qui l'attendaient et aux rencontres qu'elle devrait subir pour satisfaire les exigences de la reine. Elle s'encouragea en se rappelant que le tout se terminerait avec un repas avec Link et elle pria pour que celui-ci se déroule bien. Elle avait aussi prévu de montrer son robot au petit frère du héros en espérant qu'il apprécierait cette opportunité. Avec maintenant un objectif en tête, elle emprunta les couloirs vers la sortie du château et une fois dehors, elle se dirigea vers les jardins.

OoOoO

- Et c'est ainsi que fut vaincu le meilleur chevalier de l'armée hylienne, se moqua Arielle.

Zelda éclata de rire en même temps qu'Uli en voyant Link plus loin s'enfuir du petit robot contrôlé par Colin - son père tout près pour le surveiller - qui s'amusait à tirer sur son frère. Quelques soldats s'étaient rassemblés autour de l'invention de la princesse et s'étaient immiscés dans le jeu qui consistait à éviter les rayons inoffensifs de la machine. Elle s'était, avec raison, assurée de diminuer la puissance des tirs à son minimum.

- Je crois qu'il va en avoir pour des années à parler de cette journée, dit Uli en souriant.

La future souveraine fut soulagée de l'entendre. Après un après-midi passé avec les nobles, elle avait pu se désister à temps pour prendre le repas avec la famille de Link. La reine avait bien respecté ses propos et Zelda avait pu rejoindre ses invités principaux une fois ses responsabilités accomplies. Après de brèves présentations, ils s'étaient tous installés pour manger au pied d'un gigantesque arbre à la limite des jardins. Son robot déjà à ses côtés avait tenu en haleine Colin qui avait englouti sa nourriture pour pouvoir profiter de cette invention.

- Voulez-vous autre chose à manger, Votre Altesse ? dit Uli en pointant le panier ouvert au centre du petit cercle que les trois femmes formaient. Ne soyez pas timide, il y en a suffisamment.

- Merci, mais je suis complètement rassasiée, dit-elle poliment.

- Qui est ce soldat ? demanda Arielle en regardant le groupe. Le géant roux ?

- C'est Sir Hergo, répondit la princesse.

Même si elle ne lui avait que rarement adressé la parole, cet homme était facilement reconnaissable. Sa provenance d'autant plus inusitée avait beaucoup fait jaser à une certaine époque. Être le fils d'une gérudo avait ses avantages, pensa-t-elle en détaillant sa haute stature et sa musculature impressionnante. Link paraissait d'un enfant à ses côtés.

- C'était le plus jeune chevalier de l'armée avant la promotion de votre frère, confia-t-elle.

- Link n'a pas l'air très menaçant à côté d'un tel homme, remarqua sa soeur jumelle avec humour.

Zelda eut un regard en coin vers la femme. Elle avait l'impression d'être face à la version féminine du héros. Les yeux de même couleur et de même forme, un sourire identique. La différence entre eux était visible au niveau des traits généraux. Arielle avait un visage ovale et une silhouette qui représentait bien son sexe. Link, dans l'ensemble, était plus carré avec un corps mince très masculin qu'on aurait pu dire couper au couteau. Si les deux aînés de la famille ressemblaient surtout à leur père, Colin était un mélange de ses deux parents. Les yeux de la future souveraine glissèrent vers Uli. C'était une femme d'âge mûr. En fait, la princesse ne s'était pas attendue à ce que la mère de Link soit aussi vieille. Elle n'avait pas demandé son âge - et n'oserait pas - mais les cheveux courts d'un blond pratiquement blanc de la dame, les innombrables rides de chaque côté de ses yeux, tout laissait croire qu'elle avait la cinquantaine passée. Et pourtant, Colin fêtait ses dix ans. De son côté, Sir Rusl paraissait beaucoup plus jeune que sa femme.

- Sir Hergo, répéta Uli pensive. Il était l'adversaire de Link lors de ses épreuves pour devenir chevalier.

- Le combat que papa avait décrit comme étant à la fois remarquable et expéditif ? interrogea Arielle.

- Je crois bien que oui, répondit la matriarche. Avez-vous assisté à ses épreuves ?

La question s'adressait à la princesse et celle-ci s'empressa d'indiquer :

- Non, malheureusement je n'ai été présente qu'aux cérémonies qui ont eu lieu par la suite.

Arielle se pencha vers elle et murmura :

- Link en parle encore.

Devant le regard interrogateur de Zelda, elle précisa :

- De cette bénédiction que vous avez faite juste après ces épreuves.

Zelda fit un léger sourire en réponse, mais intérieurement, elle était un peu gênée de cette discussion et se demanda soudainement ce que le héros avait raconté à sa famille à son propos. La blonde poursuivit avec un rire :

- Qui heureusement lui a fait oublier que je suis la personne qui l'a endormi au tout début.

- Je n'ai pas oublié, dit Link derrière les deux femmes.

Il s'agenouilla et tira le panier vers lui, fouillant à l'intérieur avec sa main pour en sortir de la nourriture.

- J'attends juste le moment idéal pour me venger.

- Arrête de manger nos gâteaux ! répliqua sa jumelle en croisant les bras sur sa poitrine. Tu as un accès illimité à la cuisine royale !

La princesse put voir Link avaler la sucrerie d'une bouchée sans montrer une once de remords.

- Quel gentleman, dit sarcastiquement Arielle.

Il roula des yeux en réponse et rangea les autres dans le panier.

- Contente ?

- M'man ! s'écria Arielle feignant la surprise. Link a réussi à se contrôler !

- C'est un jour qui marquera l'histoire, dit Uli en riant devant la mine déconfite de son fils.

La princesse observa l'échange, curieuse de voir la fratrie si à l'aise même en sa présence. Si elle pouvait sentir la réserve qu'ils affichaient à son égard, celle-ci semblait disparaître lorsqu'ils s'adressaient entre eux. Pourquoi était-elle si surprise ? pensa-t-elle. Toutes les familles étaient différentes et la sienne était probablement le moins bon exemple pour représenter le standard sur le sujet. Elle secoua la tête et essaya de simplement profiter de la soirée. Au moins avec eux, elle n'avait aucune obligation d'enfiler son rôle de princesse et encore moins de chercher à leur plaire. Même si, intérieurement, elle le souhaitait pour une raison qui lui échappait.

- Je pense que le grand roux vient de se prendre un rayon sur une fesse, dit Arielle fronçant ses sourcils.

Les trois autres regardèrent un peu plus loin pour voir Sir Hergo courir en se tenant le derrière alors que Colin riait aux éclats.

- Ce n'est pas censé être douloureux à ce point, s'inquiéta Zelda.

- Je crois qu'il exagère juste pour amuser mon benjamin, dit Uli.

- Ne le laisse pas s'approcher de toi, chuchota sans discrétion Link à sa jumelle. Il aime les blondes.

- Le roux ? s'enquit Arielle surprise. M'man, comment ça gagne un chevalier ?

- À peine pour faire vivre sa famille, répondit Uli.

- Ah dommage, soupira la cadette.

- Penses pas que p'pa serait content d'entendre ça, commenta Link.

Et en direction de la princesse, il ajouta :

- Ne vous en faites pas avec ce qu'elles disent. Leur premier critère chez un homme, pour déterminer s'il est bon à marier, est de savoir s'il roule sur l'or.

- Et bien, je dois admettre que ce critère est assez important ici aussi, répliqua Zelda avec une grimace.

Elle se sentit subitement frivole. Si Uli et Arielle blaguaient, les propos de la princesse étaient honnêtes. Tous les nobles, avec qui elle avait discuté plus tôt, étaient passés sous le peigne fin du roi et de la reine. Si elle choisissait quelqu'un pour l'asseoir sur le trône, celui-ci devrait démontrer qu'il savait compter. Quoi de mieux qu'une fortune pour le prouver.

- Je suis curieuse de connaître le fonctionnement pour vous trouver un époux convenable, dit Uli. Si ce n'est pas trop indiscret.

La princesse eut l'impression que les épaules de Link se raidirent. Elle ne pouvait lire son visage, celui-ci faisant face à sa mère. Ses yeux glissèrent sur Arielle qui attendait patiemment qu'elle réponde. C'était une chance que d'avoir fait des recherches sur le sujet ces dernières semaines. Cela lui permettrait de donner une explication exacte.

- Cela dépend toujours du type d'époux, commença-t-elle.

- Il y en a plusieurs ? demanda la jeune femme blonde curieuse.

- Oui. Toutefois, pour mon cas, étant donné que je n'ai jamais été marié, je n'ai que deux choix. Le premier est que je prenne un époux pour qu'il devienne roi et gouverne à ma place. Le deuxième est que je sélectionne un prince consort et que j'occupe le rôle de dirigeante. Dans ce cas-ci, mon époux aurait un titre de royauté sans jamais devenir roi.

- Je vote pour la deuxième option, dit Uli sans hésitation avec l'approbation d'Arielle.

- Ce genre de mariage n'est pas encouragé, dit la princesse en haussant les épaules. J'ai été élevée pour prendre un époux qui dirigera le royaume à ma place.

- Pourquoi ne suis-je pas surprise ? maugréa la matriarche.

Zelda la regarda curieuse un moment. Elle montrait ouvertement un dédain pour le système patriarcal et ce n'était pas quelque chose qu'elle voyait souvent entre les murailles du château. La petite soeur de Link lui demanda :

- Si vous n'avez pas l'option de choisir le type d'époux, pouvez-vous au moins décider avec qui vous allez vous unir ?

- Oui, le choix final reste le mien, dit-elle avec un sourire.

- Pouvez-vous marier n'importe qui dans le royaume ? poursuivit-elle.

La princesse cligna des paupières, l'image d'une gérudo s'infiltrant dans son esprit.

- Hum...non, hésita-t-elle. Mon choix est restreint à une certaine...élite hylienne si je peux dire.

- Alors, dit Uli, admettons que vous voudriez épouser, par exemple, un chevalier. Cela serait impossible ?

Zelda se remémora les propos de ce qu'elle avait lu sur le sujet, cherchant cet exemple précis.

- C'est possible, dit-elle après quelques secondes de réflexion. Aucune loi ne l'interdit. Par contre, pour ce cas particulier, je crois que le chevalier deviendrait un prince consort. Pas un roi.

Elle eut un rire en pensant tout haut :

- Pour qu'un chevalier puisse épouser une princesse, celui-ci devra être exceptionnel...

Ses yeux glissèrent sur Link dont, à sa surprise, le visage était rouge. Elle fronça les sourcils en voyant Uli et Arielle échanger un sourire. En se répétant ce qu'elle venait de dire, elle comprit qu'elle avait fait allusion à sa situation et celle du héros. Car, quoi de plus exceptionnel qu'être l'élu de la lame purificatrice ? Elle se demanda si cet interrogatoire avait une raison autre que la curiosité en dévisageant le trio.

- M'man, je peux avoir un robot comme ça pour mon anniversaire ? cria Colin en courant vers eux.

- Et les soldats aimeraient en avoir aussi pour se défendre, ria Rusl derrière.

Zelda se laissa distraire de la discussion pour observer Link qui n'avait pas parlé depuis un moment. Jusqu'à maintenant, rien ne portait à croire qu'il ne la voyait autrement que comme amie. Même qu'elle espérait qu'il la considère comme une amie et non pas comme la princesse à protéger. Cependant, elle était loin d'être une experte en la matière. Avant de lui montrer le moindre intérêt, ses courtisans s'étaient toujours intéressés à la couronne. Son attention retourna à la conversation quand Colin lui posa une question et elle se força à revenir au moment présent pour profiter du peu de temps qui lui restait avec la famille de celui qui avait été nommé son gardien.

OoOoO

- Il y a une rumeur qui circule dans les régiments, dit Link tout bas.

Zelda leva les yeux de son assiette et fixa le héros en attendant la suite.

- Il semblerait que le roi annoncerait la construction de robots qui seraient contrôlés par l'armée hylienne, poursuivit le jeune homme.

La princesse fit un petit sourire à Link en indiquant :

- L'arrivée d'une équipe de sheikahs est prévue dans le courant de la semaine pour débuter la conception des plans.

Elle se reprit en précisant :

- La modification plutôt. Nous allons suivre le modèle que j'ai créé et l'adapter pour que finalement, on puisse mettre un soldat à l'intérieur pour contrôler le robot.

- Oh, dit Link surpris.

Zelda piqua distraitement sa fourchette dans un légume et dévisagea l'aliment en se perdant dans ses pensées. L'idée avait été proposée au dernier conseil et plusieurs généraux de tout le royaume avaient été invités à voter sur le sujet. Avec une réponse positive globale, le roi avait pris la décision d'enclencher le processus le plus rapidement possible. Si, au départ, elle avait été emballée par ce projet - combien il serait aisé de repousser des hordes de bokoblins et autres créatures indésirables avec de telles machines - la réaction plus réservée, voire négative, de la reine avait diminué son enthousiasme.

- Tu ne sembles pas contente de ça, dit Link les sourcils froncés.

Elle posa sa fourchette dans l'assiette et croisa ses mains sur ses cuisses. Elle pensa à l'opinion de la reine et décida de la répéter au héros.

- Ces robots seront très puissants, dit-elle. Pas autant que ceux que tu appelles les créatures divines, mais...

Elle eut une moue en dévisageant le chevalier dont elle avait toute l'attention.

- Si la raison de la conception de ces robots est principalement pour défendre le royaume, la reine a peur que certains profitent de ses inventions pour des motifs moins valables.

Comme tout ce qui est en lien avec la technologie sheikah, pensa Zelda. Elle enleva ses lunettes et se pinça l'arête du nez en songeant à un moyen d'empêcher de telles actions de se produire. Elle attendait impatiemment l'arrivée de Pru'ha pour trouver une solution à ce problème. L'option la plus potable jusqu'à maintenant serait de restreindre le contrôle de chaque robot à un soldat, en donnant l'autorisation d'utilisation grâce, par exemple, à une reconnaissance tactile. Toutefois, c'était quelque chose de beaucoup plus élaboré de ce qu'elle avait l'habitude de faire. Si la technologie sheikah leur permettait une grande liberté, leurs limites intellectuelles faisaient rapidement apparaître des barrières.

- Tu m'avais expliqué que pour les créatures divines, une personne serait choisie pour chacune des quatre et seulement celle ou celui qui aurait été élu pourrait contrôler le robot, dit Link d'une voix pensive. Pourquoi ne pas faire quelque chose de similaire pour les soldats ?

Zelda remit ses lunettes et acquiesça :

- Nous allons étudier cela dès l'arrivée des sheikahs.

Link approuva de la tête à cette réponse. Ignorant sa nourriture, elle prit le temps de regarder le héros qui continua à manger sous son inspection. Depuis le piquenique avec sa famille, elle avait réfléchi à ce qu'il s'était dit. Elle ne pouvait pas deviner si la conversation sur les mariages avait une quelconque signification et s'il y avait une motivation cachée. Honnêtement, elle n'avait aucune intention de poser la question à son chevalier. Cependant, cette discussion, même si la princesse croyait de plus en plus qu'elle avait eu lieu que pour divertir Uli et Arielle aux dépens de Link, lui avait fait comprendre qu'elle ne connaissait pas tant le jeune homme. Depuis les quelques mois qu'ils se côtoyaient et les innombrables repas du soir qu'ils avaient eus chacun en compagnie de l'autre, ils avaient eu la chance de parler un peu de leurs passés, de leurs loisirs et bref, de leurs vies. Son avenir à elle était tout tracé et elle savait Link conscient du chemin qu'elle devait suivre. Cependant, elle pensait à celui de l'homme qui restait encore à faire. Elle s'inquiétait qu'en ce moment, toutes les responsabilités qui l'accaparaient nuise à son cheminement. Il était un peu plus jeune qu'elle, mais de deux saisons seulement. Lui aussi allait probablement se marier un jour et ce n'était pas en séjournant entre les murailles du château qu'il allait dénicher la perle rare. C'était dur à expliquer, mais elle ne voulait pas être la cause qui empêcherait le héros de vivre sa vie. Elle aurait aimé lui faire part de ses pensées, mais n'avait aucune idée de comment les traduire.

- Tu commences à me rendre mal à l'aise, dit Link.

- Ce n'était pas mon intention, répliqua-t-elle avec un léger sourire.

- C'est concernant le repas avec ma famille n'est-ce pas ? soupira-t-il. Je suis désolé des propos de ma mère et ma sœur…

- Tu n'as pas à l'être, le coupa-t-elle. Ça m'a fait prendre conscience de certaines choses.

- Certaines choses ? répéta le jeune homme.

Devant la porte ouverte, Zelda décida de se lancer.

- Tu n'as pas à vivre au château par exemple, dit-elle. Entre les murailles, ma sécurité est très bien assurée même sans ta présence. Ta famille est tout près et habiter avec eux te permettrait d'avoir un peu plus de liberté.

Link fronça les sourcils et demanda :

- Est-ce que tu veux te débarrasser de moi ?

- Non ! répliqua-t-elle inquiète de l'avoir blessé.

- Est-ce que vous devez donner ma chambre à quelqu'un d'autre ?

- Non plus, mais…

- Est-ce que c'est devenu trop dispendieux me nourrir ?

Zelda sourit avec un regard exaspéré en direction du héros.

- Aucune de ses raisons, dit-elle. C'est simplement que je ne veux pas t'empêcher de…de vivre ta vie…

- Si ça peut t'encourager, débita Link, en retournant habiter chez mes parents, je vais passer mes temps libres à aider ma mère à sa boutique. Et je ne serai même pas rémunéré !

- Au moins, tu auras la chance de rencontrer des gens, indiqua la Zelda.

- J'en côtoie beaucoup ici, avança le jeune homme.

Avec une grimace, la future souveraine précisa :

- Je parlais de gens de ton âge…

- Il y a plusieurs soldats de mon âge.

- Link, soupira la princesse en passant une main sur son visage. Je voulais faire allusion à des femmes. Pour vivre ta vie et te marier, entre autres.

- Encore cette discussion sur le mariage, maugréa Link.

Zelda eut un sourire penaud en voyant ses joues rouges et le malaise qu'il dégageait.

- Ma famille aime me taquiner, ajouta le chevalier.

- J'avais deviné, ria-t-elle doucement.

- Ne te sens surtout pas visé par cela, précisa-t-il.

- Je sais et tout va bien, Link.

- Alors, pourquoi soudainement me proposer de partir ?

Elle perdit son sourire devant l'angoisse du héros.

- Tu es toujours le chevalier protecteur de la princesse, argua-t-elle. Je te suggère une plus grande liberté seulement pour les raisons que j'ai citées plus tôt. Tu peux vivre ta vie malgré tes responsabilités.

Il pointa l'épée dans son dos et dit d'une voix sérieuse :

- Nous restons avec toi. Ma vie est ici maintenant, et vraiment, tu ne devrais pas t'inquiéter du fait que je n'en profite pas pleinement. Je suis déjà chevalier, je m'entraîne avec les meilleurs et j'ai droit à des repas royaux tous les jours. J'ai même pu visiter le domaine des zoras et le village des gorons !

Se penchant vers la princesse, il dit tout bas avec un sourire en coin :

- Et ta compagnie est amusante.

- Amusante ? répéta Zelda en feignant l'outrance.

- Enrichissante, se reprit-il devant sa réaction. J'apprends plein d'anecdotes grâce à toi.

Il fronça les sourcils et ajouta :

- Malheureusement, ça fait un moment que je n'en ai pas eu et je crains pour notre bonne entente mutuelle…

Zelda attrapa sa fourchette et dit d'un ton docte :

- On raconte qu'un esprit pur est enfermé dans l'épée de légende et que si le héros est suffisamment attentif, il pourrait entendre ses murmures lui prodiguant conseils et guidance.

- Vraiment ? dit Link surpris. Je n'ai jamais rien entendu.

La princesse haussa les épaules et se moqua :

- Peut-être n'es-tu pas attentif ?

- Hé !

Zelda sourit devant la moue feinte du chevalier. Elle se remémora cette apparition qu'elle avait vue, il y avait presque un an, et qui l'avait amenée jusqu'au héros malade dans les sous-sols du château. Elle se demanda intérieurement si cette anecdote était en lien avec ce personnage, mais relégua cela dans un coin de son cerveau. Elle reprit sérieusement :

- Link, ne mets pas ta vie en pause. Je me répète, mais, malgré tes responsabilités envers le royaume, il ne faut pas laisser ce fardeau t'empêcher de profiter du moment présent.

- Zelda, murmura-t-il en plantant ses yeux bleus dans les siens. J'ai décidé d'être ici. Je n'ai pas l'impression d'avoir mis ma vie en pause avec ce choix. Et ce fardeau...

Il haussa les épaules et continua tristement :

- Tu portes le même. Si quelqu'un peut me comprendre, c'est bien toi. Donc, je ne pars pas.

Avec une moue, la princesse pointa sa fourchette en direction du héros et l'avertit :

- Si tu finis vieux garçon, je n'en prends pas la responsabilité.

- Ma mère me taquinait par rapport au mariage, soupira Link en passant une main sur son visage. Elle serait très mal placée pour me mettre de la pression.

Zelda l'interrogea du regard et après quelques secondes, il ajouta :

- Savais-tu qu'elle ne s'est mariée qu'à trente-deux ans ? Ça a pris des années de séduction pour que mon père réussisse à la convaincre. Et son succès, il le doit à moi et Arielle.

- Qu'est-ce que tu entends par là ? demanda Zelda curieuse.

- Ma mère était sur le point d'accoucher et mon père raconte qu'entre les contractions, il la suppliait de l'épouser.

Link eut un rire et poursuivit :

- Elle a accepté pour qu'il se taise.

- Ils étaient...

Zelda hésita avant de dire :

- ...ensemble sans les liens du mariage ?

- Si tu veux dire par là que ma mère partageait sa couche, précisa Link avec un sourire gêné.

Il approuva de la tête et la princesse ne sut pas si elle devait être scandalisée ou impressionnée.

- Mon père est tombé amoureux de ma mère à quinze ans, raconta le héros. Il était en visite avec son grand frère au village. Ma mère en avait vingt-deux. Elle venait d'acheter le magasin général et se foutait complètement du béguin de mon père. De tous les hommes en général en fait. Mais, c'était une paire de bras et elle en avait besoin donc, elle l'a engagé et il est resté à Elimith. À dix-huit ans, il lui a déclaré son amour.

La princesse déposa sa fourchette et croisa les mains sur ses cuisses, son attention sur cette histoire si originale.

- Qu'est-il arrivé ? demanda-t-elle.

- Elle l'a foutu dehors en le traitant de gamin encore aux couches et en lui disant d'aller vivre sa vie.

Zelda éclata de rire et voyant le regard d'un noble curieux un peu plus loin dans la salle tenta de reprendre son sérieux.

- Cette histoire ne se termine pas ainsi, dit-elle.

- Non, répondit Link avec un sourire. Mon père n'a pas abandonné. Il s'est engagé dans l'armée pour avoir un salaire et est revenu à chacun de ses congés pour passer du temps avec ma mère. Je ne sais pas comment il s'y est pris, mais elle a consenti à le loger.

Link haussa les épaules et dit :

- Je n'ai jamais su non plus quand elle a accepté mon père dans son lit. Arielle est plus curieuse que moi pour ça, peut-être est-elle au courant. Mais éventuellement...

Et là, il se pencha vers elle pour chuchoter :

- La potion gérudo n'a pas fait effet et bref, tu connais la suite.

- Ce n'est pas une potion infaillible alors, dit la princesse les sourcils froncés.

- Je soupçonne ma mère d'avoir oublié plutôt, ria Link. Selon elle, mon père peut être très accaparant.

Il ajouta avec une grimace :

- Je ne veux pas savoir ce qu'elle insinue par là.

Zelda eut un sourire devant son malaise, mais devint pensive en songeant à l'opinion publique face à une telle relation.

- À ton village, dit-elle, n'y avait-il pas des gens qui voyaient leur comportement d'un mauvais oeil ?

Link haussa les épaules :

- Mes parents ne m'en ont pas parlé si c'était le cas. Je n'ai jamais rien vu qui pourrait laisser croire ça dans ma jeunesse.

- Une telle histoire aurait fait un scandale ici, commenta la princesse.

- Pas à Elimith on dirait, mais je peux le demander si tu veux savoir.

Zelda tourna la tête en signe de négation.

- Tu m'avais dit que ta famille n'avait rien d'intéressant, se moqua-t-elle.

- C'était le plus intéressant, répliqua Link.

- Laisse-moi en douter, dit-elle.

- Tout ça pour dire, termina le héros, de ne pas t'inquiéter que je finisse vieux garçon.

Zelda fut surprise en voyant son sourire devenir prédateur et il enchaîna :

- Si jamais je tombe sur la bonne, je ne la lâcherai pas. Elle n'aura pas le choix.

- Pauvre femme, répliqua la princesse en prenant une pose choquée.

Link perdit son expression et s'écria outré :

- Hé !

Elle cacha son rire derrière sa main et il lui sourit avec bienveillance.


Chapitre mis en ligne le 1 mars 2019.