Et voici la suite ! Bonne lecture :)

11

- Je pourrais aider à la conception des…

La princesse se tut, coincée entre les deux bras de Link, et grogna en essayant de se libérer. Link resserra sa prise autour de la future souveraine qui tremblait sous l'effort. Elle continua sa phrase en direction de la sheikah debout un peu plus loin dans la pièce.

- …des mécanismes pour les robots !

Elle tourna la tête permettant à Link de voir ses joues rouges et la moue qui ornait son visage. Il pouvait percevoir les omoplates de la jeune femme sur sa poitrine ainsi que l'odeur fleurie du savon qu'elle utilisait pour ses longs cheveux.

- Tu pourrais me donner une chance Link ! s'insurgea-t-elle.

Il rit en réponse et elle gronda de plus belle.

- Zelda, dit Impa calmement de sa position à quelques mètres. Tu es apte à te libérer de cette prise.

- J'en suis incapable ! dit Zelda pantelante. J'ai l'impression d'avoir un mur de brique derrière moi !

Link eut un sourire fier et ne put s'empêcher de soulever la princesse du sol pour faire quelques pas en avant.

- Impa ! Je n'ai pas besoin de ce genre d'exercices pour vaincre la Calamité ! s'écria-t-elle en abandonnant tout effort.

- N'est-ce pas toi qui m'as demandé de t'entraîner ? s'enquit la sheikah.

- C'était pour Link ! répliqua-t-elle. De plus, je croyais que c'était terminé !

- Je voulais savoir si vous aviez pratiqué pendant la saison chaude, dit Impa en tapant un doigt sur sa joue.

Elle claqua la langue et indiqua :

- Cela n'est pas le cas on dirait.

- Je m'entraîne tous les jours, contredit Link posément.

- Héros, je ne parlais pas de toi.

- Même si la situation semble prouver le contraire, dit Zelda, j'ai bien fait tous les exercices que tu m'avais demandés.

- À tous les jours ? interrogea l'autre femme.

La princesse hésita quelques secondes et finit par répondre d'une voix embarrassée :

- Presque…

Link s'était immobilisé et put voir l'exaspération de la guerrière du village de Cocorico.

- Libère-toi, Zelda, soupira la sheikah.

- Je ne peux pas.

- Je t'ai enseigné au moins trois façons pour te sortir de cette impasse.

La princesse resta silencieuse dans les bras du jeune homme et Link fronça les sourcils.

- Zelda ? demanda Impa en s'approchant.

- Je vais devoir lui faire mal, dit celle-ci doucement après un moment. Et je ne veux pas.

- Ne t'inquiète pas pour moi, dit Link avec un sourire. Je peux en prendre.

- Je sais, dit-elle. Mais je ne veux pas.

Link échangea un regard avec la sheikah et attendit son approbation pour libérer la princesse. Impa dit alors :

- Pratiquer ces mouvements te permettrait de…

- Je sais comment les faire, la coupa Zelda. Je n'ai pas besoin de les exercer sur quiconque.

- Ton pouvoir ne te souscrira pas à une attaque d'un ennemi, soupira Impa.

- En fait, dit Zelda pensive, c'est possible de le concentrer pour en faire un bouclier. Depuis quelque temps, j'essaie de rendre compacte l'énergie de mon pouvoir.

Elle haussa les épaules et continua :

- On raconte que la déesse Nayru offrait le don de protection aux élus possédant un coeur vaillant. Que si la personne ayant reçu ce cadeau contrôlait la magie, elle pouvait se retrouver au beau milieu d'une bataille et s'en sortir sans aucune égratignure.

Link ne pouvait pas voir le visage de la princesse, mais fronça les sourcils en regardant Impa qui les dévisageait.

- Ce que tu lis dans tes livres n'est pas toujours vrai, dit la sheikah perplexe.

- Peut-être devrais-je te rappeler les aptitudes de mes cousines ? se moqua Zelda.

Et elle ajouta impatiente :

- Est-ce que Link peut me libérer maintenant ?

- Tes cousines sont des exceptions, dit simplement l'autre femme.

Le héros se souvint de Din et de son habileté. Il demanda curieux :

- Elles peuvent toutes les trois créer du feu ?

- En fait...commença la princesse.

- Gardez cette conversation pour plus tard, coupa Impa. Pour le moment, essaie Zelda.

- Essayer quoi ? répéta la concernée.

- Ton bouclier.

- Oh.

Link baissa les yeux sur la jeune femme qui plaça ses mains sur ses avant-bras la retenant au niveau de sa poitrine. L'énergie dorée apparut rapidement et si au début, il ressentit un bien-être l'envahir, au fur et à mesure que la lumière augmentait en intensité et les englobait lui et la princesse, il devina une puissance qu'il n'avait jamais perçue avant. Il n'y avait toutefois rien d'agressif et il resta immobile.

- Quelque chose est différent, remarqua-t-il tout de même.

Il resserra son étreinte et ajouta avec un sourire :

- Mais tu es toujours ma prisonnière.

- Je ne crois pas que cela fonctionne, maugréa la jeune femme. L'énergie que je pousse dans ta direction, je suis incapable de la rendre compacte.

- Ne ferme pas les yeux, commenta Impa.

Link savait que le message n'était pas adressé à sa personne, mais même lui avait de la difficulté à garder ses paupières ouvertes. Il souhaiterait pouvoir profiter de cette magie et se laisser dorloter par cette douce chaleur. Il avait la sensation d'être étendu au soleil sur la petite plage du lac de Tingle, dont la ferme était située en haut du village d'Elimith. La forêt de conifères derrière lui l'entourait d'une odeur caractéristique et familière lui rappelant de nombreux souvenirs.

- J'abandonne, dit soudainement la princesse.

- Attends, ordonna Impa.

Elle s'avança et plaça ses doigts sur l'énergie que Zelda dégageait. Link n'avait pas remarqué, mais celle-ci formait une sphère dorée autour d'eux.

- Concentre-toi, dit-elle, je vais essayer de pousser.

Link regarda, intrigué, alors que la sheikah posait ses deux mains sur le bouclier improvisé. Celui-ci ne bougea pas et le héros pouvait deviner l'effort que la femme de Cocorico y mettait.

- Ça marche, murmura Zelda.

- On dirait bien, confirma son amie.

Elle sortit un petit canif et tenta de percer la sphère d'énergie sans succès.

- Alors ça, dit-elle impressionnée, c'est utile.

- Peut-être cela ne fonctionnait-il pas sur Link car il était trop près ? suggéra l'héritière du trône.

- Ou bien, j'ai la bénédiction de la déesse, répliqua-t-il.

- Ou bien la princesse apprécie être dans vos bras, Sir, plaisanta Impa avec un minuscule sourire en coin.

Link se sentit rougir et pencha son visage derrière les cheveux de sa prisonnière qui se raidit. La sheikah ajouta rapidement avec sérieux :

- Cependant, la raison importe peu, tant que tu peux facilement utiliser ce bouclier.

L'énergie disparut soudainement et Link prit cela comme signal pour finalement libérer la princesse.

- Puis-je compter sur ta participation pour continuer à t'exercer à cette défense ? demanda Impa en haussant un sourcil.

- Oui, soupira-t-elle. Maintenant, est-ce que je peux aller…

La question mourut sur les lèvres de la jeune femme en percevant le regard impatient de l'autre. Link retint un rire en voyant Zelda croiser les bras sur sa poitrine, une moue sur le visage. Chaque fois, il se demandait comment deux personnes si opposées pouvaient être amies.

- Les moines du temple de Lanelle vous ont concocté un mélange pour vous préparer à cette future épreuve qui vous attend, débita la sheikah. J'ai eu l'autorisation de la reine pour vous en donner.

- Vraiment ? grimaça Zelda. Les moines de Lanelle ?

- Oui princesse, répondit Impa. Il semblerait que vos pouvoirs aient été aperçus de très loin lors de votre bénédiction du domaine des zoras.

Link eut un rire en entendant le soupir fait par la réincarnation de la déesse.

- Attendez-moi ici, dit Impa, je reviens.

Elle disparut hors de la pièce et Zelda se dirigea tranquillement vers la haute fenêtre donnant sur la cour du château ainsi que la ville un peu plus loin.

- Les feuilles vont bientôt changer de couleur, dit-elle doucement.

Link s'approcha et regarda l'immensité visible par l'ouverture. Tout près à l'extérieur, juste en dessous d'eux, déjà des robots étaient assemblés et si aucun test n'avait été effectué, le héros savait que les premiers essais ne tarderaient pas. On parlait beaucoup de l'énorme créature divine des zoras dont les pas se faisaient entendre à plus d'un kilomètre à la ronde lorsqu'elle marchait autour de leur domaine.

- Es-tu nerveux ? demanda-t-elle en se tournant pour planter ses yeux dans les siens.

- Pas du tout, mentit-il d'une voix assurée.

Le retour de cette Calamité prévue en automne l'empêchait de plus en plus de dormir. Ses insomnies augmentaient plus la saison fatidique approchait.

- Toi ? interrogea-t-il.

Elle replaça machinalement ses lunettes sur son nez et répondit sans hésitation :

- Non.

Ils se fixèrent un moment avant qu'une grimace n'apparaisse sur le visage de la jeune femme. Link rit de sa mine déconfite alors qu'elle reprenait :

- La reine ne veut pas que j'en parle, mais je suis totalement effrayée. Je sais que le roi organise le royaume du mieux qu'il peut. Je dois admettre que dans l'histoire d'Hyrule, nous n'avons jamais été aussi bien préparés au retour du Fléau, et ce, même si les robots ne sont pas tous en fonction, mais...

Son regard se porta sur la fenêtre sans qu'elle termine sa phrase.

- J'ai peur, confia Link. Je...je ne me sens pas...

- Prêt ? devina Zelda.

Elle lui fit face de nouveau et ajouta :

- Moi non plus.

- Tu l'es, dit-il avec certitude.

Cette lumière qui l'habitait, pensa le jeune homme en observant celle qui l'accompagnerait dans cette future épreuve. Il était rempli de pouvoir, de courage et même de sagesse à son contact. Aucun Mal ne pourrait pas résister à quelque chose d'aussi divin. Avant qu'elle ne puisse le contredire, il reprit :

- Ton rôle est de sceller la Calamité et je n'ai aucun doute quant au dénouement. L'armée d'Hyrule avec l'aide de tous les peuples défendra le royaume contre toutes attaques. La seule chose qui m'inquiète c'est le combat contre le Fléau.

Devant le regard interrogateur de la princesse, il précisa :

- Mon combat.

- Ton combat ? répéta-t-elle.

Il haussa les épaules et expliqua :

- Dans les légendes, il y a toujours une bataille entre le héros et la Calamité. Je ne sais pas à quoi m'attendre.

- Nous ne savons pas comment l'attaque se déroulera, l'encouragea-t-elle. Et peu importe, tu ne seras pas seul.

Et en lui tapotant la joue, elle lui sourit :

- Je vais être là.

Link attrapa sa main et répondit :

- Peu importe ce qui arrive, on reste ensemble hein ?

Il libéra promptement la princesse lorsqu'Impa réapparut dans la pièce avec un service à thé. Elle le posa sur une table tout près d'un sofa et leur fit signe d'approcher.

- Ce n'est pas juste du thé, n'est-ce pas ? s'enquit Zelda en s'assoyant.

La sheikah sourit simplement et pointa le côté vacant sur le canapé en regardant Link dans les yeux. Il prit place à côté de la femme et ils reçurent leurs tasses.

- Maintenant, buvez, ordonna Impa.

Link avala une gorgée et eut une exclamation de dégoût en éloignant le liquide.

- Qu'est-ce que c'est ? dit-il en détaillant le breuvage avec réserve.

- Vous devez le prendre en entier, expliqua la guerrière en face d'eux.

- Tu as vraiment eu l'autorisation de la reine ? répéta la princesse avec une moue.

La sheikah haussa un sourcil et Zelda soupira. Elle amena le verre à sa bouche et la but d'une traite, le front plissé d'aversion. Sans attendre, il l'imita et Impa leur enleva chacun leur tasse respective.

- Je me souviens de ce goût, maugréa Zelda. Est-ce que je peux avoir de l'eau ? L'amertume reste...

- Dans quelques instants princesse.

Link cligna des paupières, tentant de les garder ouvertes avec de plus en plus de difficulté.

- Les moines ont toujours cru que quelqu'un m'avait jeté un sort quand j'étais bébé pour m'empêcher de voir, raconta la future souveraine. Peu importe ce qu'ils ont préparé, je n'en ferai pas partie.

- Zelda...soupira la sheikah.

- Par Hylia, murmura Link en secouant la tête. Qu'est-ce qu'il y avait là-dedans ?

- C'est pour tomber dans une forme de transe, répondit Zelda d'une voix lointaine. L'esprit est plus... maniable ainsi.

Il se concentra sur Impa qui observait silencieusement.

- Je ne comprends pas, répliqua le jeune homme inquiet.

Il tenta de se lever, mais une main attrapa la sienne et l'arrêta dans son mouvement. La sheikah s'était aussi approchée quand Zelda lui serra les doigts et dit :

- Installe-toi confortablement.

Il tourna son visage dans sa direction et la vit en position assise, le dos appuyé sur le dossier derrière et la tête légèrement penchée en avant. Ses yeux étaient pointés sur lui et elle lui sourit paisiblement en ayant son attention. Il imita sa posture et elle se mit à chantonner une mélodie en tapant un rythme lent avec son index sur la main prisonnière du jeune homme. Il ferma les yeux, inspira profondément et expira longuement par la suite. La mélodie n'était plus qu'un murmure vague autour de lui.

- Tu peux ouvrir les yeux.

Link sursauta en entendant la voix inconnue et ouvrit subitement ses paupières. En face de lui, un jeune garçon, probablement pas plus vieux que Colin, était assis en position du lotus sur un coussin et lui souriait à pleine dent. Portant les habits typiques d'un moine, il avait posé un large chapeau en forme de cône aplati à côté de sa petite personne ce qui laissait voir son crâne rasé.

- Mon nom est Dahu, dit le nouveau venu. C'est un honneur pour moi d'avoir été choisi pour être ton guide lors de cette épreuve.

- Épreuve ? répéta Link.

Il regarda rapidement les alentours et s'il constata qu'il était encore assis sur le canapé, Zelda n'était plus à ses côtés. Le reste de la pièce du château avait aussi disparu et, excluant lui et le petit moine, il ne voyait rien de l'endroit. Simplement une lumière grise diffuse, ou plutôt un brouillard opaque partout autour de lui.

- Où est la princesse ? dit-il en se levant prestement.

Le gamin haussa ses épaules et perdit son sourire.

- Elle est ici, répondit le dénommé Dahu. Elle se cache.

Le héros détailla le jeune garçon perplexe et celui-ci demanda :

- Elle t'a parlé de ses yeux ?

Il approuva de la tête et le petit moine poursuivit :

- Lorsqu'elle était enfant, mes prédécesseurs avaient la certitude qu'une magie noire obscurcissait son regard. Ils ont essayé de la retirer avec...

Les bras du gamin s'ouvrirent pour englober l'endroit si étrange dans lequel ils se trouvaient.

- ...ce type de transe, continua-t-il. Cependant, inconsciemment, ils l'ont fait souffrir, en plus de ne pas réussir. Elle n'a pas réapparu ici depuis.

Il retrouva soudainement le sourire et enchaîna :

- Ça ne fait rien, car nous avons prévu une épreuve pour toi ! Nous avons entendu l'appel des déesses qui nous ont fait part de ta crainte concernant le combat qui t'attend. Nous avons décidé de t'aider en ce sens.

Il claqua des doigts et le décor changea du tout au tout. Un ciel sombre et orageux au-dessus de sa tête, des ruines l'entourant et juste devant lui, un monstre faisant trois fois sa taille. Sur ses deux jambes, la créature avait l'apparence générale d'un gigantesque bokoblin tout en muscle et la peau d'un vert sombre. Deux longues cornes sortaient de son front et se courbaient vers le haut tandis que ses yeux d'un jaune brillant le fixaient. La bête leva ses deux bras robustes avec dans ses mains deux larges épées qu'il pointa sur Link. Un puissant rugissement s'échappa de sa bouche et le héros recula en manquant trébucher sur le sol inégal. Sa main gauche alla à la recherche de son arme dans son dos, mais ne trouva que de l'air. La panique l'envahit lorsque le monstre fit un pas dans sa direction.

- Link.

Il se tourna immédiatement vers la voix de la princesse. Celle-ci disparaissait déjà en fumée, mais il vit, planter dans la terre battue au pied de la jeune femme, l'épée de légende qui brilla à la lueur d'un éclair. Il courut la ramasser alors que le tonnerre grondait autour d'eux et avec l'arme en main, il fit face de nouveau à la créature.

- Il semblerait que la princesse ne t'ait pas abandonné, dit Dahu pensif.

Link sursauta alors qu'à sa gauche se trouvait le jeune garçon toujours assis sur son coussin.

- Tu es prêt ? demanda-t-il en souriant.

- Euh...

Le moine eut un léger rire.

- Vois cela comme un entraînement, l'encouragea le gamin.

Link fixa la créature en essayant de garder son calme. Il fit quelques pas dans sa direction et elle rugit, ses deux épées pointées sur son adversaire. Le combat débuta violemment et si le monstre n'était pas tant rapide, Link savait qu'un seul coup de ses énormes lames le trancherait en deux. Une danse d'esquive commença, le héros frappant l'étrange animal à la moindre occasion, cherchant à trouver un point faible sur son corps dont la peau était si épaisse que l'épée de légende n'arrivait pas à l'entailler. Il tenta un coup au visage et si celui-ci atteignit son but, la bête se mit à gesticuler dans tous les sens. Il vit la gigantesque arme venir à une vitesse effarante dans sa direction et s'il réussit à l'éviter, il trébucha sur une grosse pierre. La joue contre le sol, il sentit plus qu'il vit une énergie éclairée le monstre derrière lui qui hurla de rage.

- Relève-toi Link, dit Zelda.

Il obéit en une seconde et put apercevoir la princesse de dos, sa magie l'entourant et formant une sphère compacte qui aveugla la créature maintenant immobilisée. Son pouvoir s'éteignit doucement.

- Tu t'en sors très bien, l'encouragea-t-elle.

Il fit quelques pas en avant et elle se tourna dans sa direction.

- Par Hylia ! s'écria-t-il en laissant tomber son épée sur le sol.

Link attrapa le visage de la jeune femme qui se raidit instantanément. Elle ne portait pas de lunettes, ce qui lui permit de bien de voir ses yeux. Il ne trouva pas le vert familier. Il pouvait à peine percevoir la pupille et le blanc dans chacun d'eux. Tout ce qu'il arrivait à apercevoir distinctement, c'était cette sorte de voile noir qui les recouvrait et il se demanda si elle le voyait vraiment avec cette chose.

- Tu dois continuer ton épreuve, dit Zelda posément.

- Attends ! réclama-t-il avec la peur qu'elle disparaisse à nouveau. Ce n'est pas normal ce truc !

- Il n'y a rien de réel ici, répondit-elle.

Il la libéra et fronça ses sourcils. Il se tourna vers le moine un peu plus loin qui observait l'échange silencieusement. Le monstre à quelques pas s'était immobilisé ne montrant plus aucun signe d'agressivité.

- Si ce monde n'est pas réel, pourquoi est-ce que je vois une telle chose ? questionna-t-il.

- Qu'est-ce que tu vois ? demanda le garçon.

Il fit face à la princesse et répondit doucement :

- C'est comme si un voile noir recouvrait ses yeux.

Zelda passa ses doigts sur ses paupières fermées.

- Je ne sens rien, dit-elle avec une moue.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? répéta Link.

- Mes prédécesseurs ont tenté de le découvrir...

- Et ils ont échoué, cracha la princesse.

- Et en leurs noms, dit Dahu en abaissant la tête vers le sol, je m'en excuse.

Link n'avait jamais observé une telle colère sur le visage de la jeune femme et resta stupéfait. Il avait compris que le sujet de sa vue était tabou, surtout depuis le duel qu'elle avait eu avec la sheikah à la fin de l'hiver. Elle avait aussi fait allusion au fait qu'elle n'avait porté des verres que tard dans son enfance, la retardant beaucoup dans son éducation. Même si aujourd'hui ce décalage n'était nullement apparent. De constater à nouveau une réaction négative, il se demandait ce qu'elle avait pu vivre pour être en froid avec les moines de Lanelle.

- Je n'ai pas besoin d'être ici, murmura la princesse.

Elle s'évapora dans l'air sans un regard dans la direction de Link. Il se tourna vers Dahu et dit d'une voix contenue :

- Est-ce réel ?

Devant le haussement de sourcil du garçon, il précisa :

- Ce truc sur ses yeux ?

- Tu vois avec les yeux de ton esprit, expliqua l'enfant. Considères-tu tes rêves comme étant réels ?

- Je...je ne sais pas...

Dahu lui sourit et balaya l'air de sa main.

- Tu es ici pour t'entraîner, lui rappela-t-il.

Le monstre derrière Link rugit et le chevalier ramassa rapidement son épée pour se défendre contre la créature qui approchait.

OoOoO

- Je rêve ! dit Link la bouche ouverte d'ébahissement.

- Non, ria la princesse à ses côtés, c'est bien réel !

Les mains du héros, camouflées dans d'épaisses mitaines pour les protéger du froid, se raidirent sur la garde qui entourait la terrasse. La tête relevée vers le ciel, il fixait sans y croire le gigantesque robot des piafs qui avait pris son envol il y avait quelques heures seulement. Si, selon les dires du chef Scaff, les travaux n'étaient pas encore terminés, il ne restait que des ajustements et la finition à l'intérieur de l'énorme créature mécanique.

- Comment est-ce possible de construire un tel monstre aussi vite ? dit Link en se tournant vers Zelda.

Tout comme lui, elle observait le ciel avec éblouissement et se fut une piaf complètement blanche du nom de Médolie qui répondit derrière :

- Les sheikahs et leur technologie peuvent faire des miracles. Ils pianotent sans arrêt sur leurs tablettes qui leur permettent de créer, monter et assembler des pièces de toutes sortes. Ajoutez à ça l'aide de tous les peuples avec leurs capacités différentes et vous avez une créature divine volante en moins de six mois.

Link vit la grimace de la princesse qui était toujours surprise d'entendre l'expression de créature divine, mais elle demanda :

- Vous avez été choisi pour la piloter n'est-ce pas ?

- Oui Votre Altesse, dit la piaf avec un sourire dans la voix. Le chef Scaff m'avait prévenu de ce nouveau poste dès l'annonce de sa construction.

Des battements d'ailes résonnèrent et les deux hyliens se tournèrent lorsque deux piafs atterrirent sur la terrasse. Si le premier avait des plumes mauves foncé, la deuxième était d'un jaune éclatant qui semblait briller avec l'aide du soleil haut au-dessus de leur tête.

- Votre Altesse, dit la piaf de couleur clair en se prosternant précipitamment. C'est un plaisir de vous voir enfin dans notre village.

Le piaf sombre en fit de même avec beaucoup plus de calme à côté.

- Le plaisir est pour moi, répondit la princesse avec un sourire poli. Taya n'est-ce pas ?

- Oui ! répliqua la piaf avec enthousiasme. Et mon frère Tael !

Elle avait pointé l'autre piaf et d'un geste vif sortit une tablette de la sacoche qu'elle portait et dit :

- Pru'ha m'a avoué que vous connaissiez le code sheikah et j'aurais besoin d'aide pour...

- Taya, dit Médolie d'une voix sévère. Ils viennent tout juste d'arriver par téléportation. Ils ont à peine parlé au chef.

Link observa les nouveaux venus avec curiosité. Cette race n'avait pas de mains à proprement parler, mais ils possédaient cinq plumes terminales au bout de leurs deux ailes qui étaient suffisamment fortes et maniables pour remplacer les doigts qu'ils n'avaient pas. La piaf jaune leva une de ses ailes et rapprocha deux des plumes ne laissant qu'un minime espace entre en disant :

- Juste une petite question ?

Médolie se tourna vers la princesse qui répliqua en direction de la dénommée Taya :

- Allons-y pour une petite question.

Link s'empêcha de rouler des yeux et se demanda si ce serait impoli de pousser Zelda dans une des huttes qui entouraient l'énorme pilier. Ce large bloc naturel de pierre montait haut vers le ciel et supportait les habitations du village des hommes et femmes oiseaux. C'était le début de l'hiver et si au château la neige commençait à peine à recouvrir le sol, ici il devait y avoir une vingtaine de centimètres. Le vent froid avait rougi les joues de la princesse pendant qu'elle et Taya discutaient avec entrain en lisant un code sur la tablette. Tael s'était approché et hochait silencieusement la tête en écoutant les explications. Link croisa le regard de Médolie qui vint soudainement à son aide en disant :

- Taya, j'ai compté trois questions.

- Chut, répondit la piaf. Ne dérange pas les scientifiques dans leur travail.

- Son Altesse n'est pas aussi tolérante que toi à notre climat, enchaîna Médolie. Il ne faudrait pas qu'elle prenne froid et soit dans l'impossibilité de nous accorder sa bénédiction.

- Oh ! dit Taya surprise. Je n'y avais pas pensé !

- Aller soeurette, dit le piaf mauve en poussant celle qui s'excusait à répétition. Avec ces réponses, je crois que nous serons capables de continuer un moment.

- Laissez-moi vous amener à votre logis, dit Médolie alors que les deux autres s'étaient éloignés pour poursuivre leur discussion.

Link emboita le pas des deux femmes. Ils quittèrent la terrasse et s'engagèrent sur la passerelle ascendante faite de lattes de bois entourant le pilier central. Des huttes avaient été construites à l'extérieur du passage et ils montèrent un moment avant de s'arrêter devant une habitation qui était plus petite. Si le plancher et la structure étaient faits avec des matériaux forestiers, les murs étaient faits de grandes toiles qu'on avait drapées tout autour, de même que sur le toit. La cabane semblait avoir été recouverte avec attention, ne laissant voir aucun espace où l'air froid pourrait s'infiltrer, contrairement aux autres logis qui possédaient d'innombrables ouvertures.

- Nous avons pris soin de bien rendre étanche l'endroit, dit Médolie une fois à l'intérieur avec les deux hyliens.

Link regarda la princesse qui se positionna juste à côté du petit foyer central où un feu brulait. Deux couches assez épaisses étaient sur le sol de chaque côté avec des draps roulés tout près. Médolie se dirigea vers un carré de tissus et dit en le pointant :

- C'est une fenêtre que vous pouvez ouvrir en tirant sur ces deux lanières.

Elle montra les deux cordes.

- N'hésitez pas à vous servir du bois, continua la piaf. Nous en avons toute une réserve. Aussi, assurez-vous de garder le foyer allumé. Les nuits sont très froides à cette période de l'année et malgré l'isolation de la hutte, la température peut descendre très rapidement.

Elle retourna à l'entrée et dit en frappant le bout de ses deux ailes ensemble :

- Je vous laisse une petite heure pour vous installer et vous réchauffer. Ensuite, nous allons prendre le repas du soir en compagnie de presque tous les piafs.

Et avec un regard d'excuse vers la princesse, elle ajouta :

- Étant donné que vous ne dormez ici qu'une nuit, votre horaire sera très rempli.

- Ce n'est rien, répondit Zelda en souriant. J'aurais aimé avoir plus de temps pour profiter davantage de cet endroit.

- Pour le moment, je vous laisse vous reposer et je reviens dans une petite heure.

La piaf, après une courbette, se recula à l'extérieur et tira sur une corde ce qui fit tomber une toile pour fermer l'entrée. La princesse prit place sur le sol, ses pieds collés sur la grille entourant le foyer.

- J'ai les orteils gelés, dit-elle alors que Link déposait le sac de voyage dans un coin.

Il alla chercher quelques buches et les plaça dans le feu. Il leva la tête au toit pour voir qu'au centre, une cheminée avait été aménagée permettant à la fumée de s'échapper à l'extérieur. Après cette constatation, il s'assit à côté de la princesse qui avait enlevé ses bottes et massait ses pieds cachés dans d'épaisses chaussettes.

- Ne dit pas à la reine que j'ai fait ça, murmura-t-elle.

Link eut un sourire en coin et demanda :

- Que tu te réchauffes les orteils ?

- Non, plutôt ça.

Ses mains s'entourèrent de lumière et elle soupira d'aise.

- Quel sacrilège Votre Altesse, se moqua Link. Bénir ses propres pieds...

Elle gronda en direction du jeune homme et il ajouta :

- Tu fais les miens ensuite ?

- Continuez de rêver héros.

Il rit tout bas et observa la princesse en coin. Lentement, son sourire disparut de ses lèvres et sans qu'il s'en rende compte, son front se plissa d'inquiétude. Il ne pouvait pas s'en empêcher, chaque fois qu'il avait la chance de croiser le regard de Zelda, il revoyait ses yeux recouverts d'un voile noir. Il n'avait aucune idée de la signification d'une telle chose. Le petit moine Dahu n'avait pas élaboré sur le sujet, lui disant que la future souveraine connaissait déjà leurs opinions là-dessus. Même s'il avait combattu un monstre pendant ce qui lui avait semblé plusieurs heures, il ne gardait de ce rêve - s'il pouvait utiliser ce mot pour une expérience de ce genre - que cette image de Zelda.

- Tu me regardes encore de cette façon, dit soudainement la jeune femme.

- Désolé, dit-il précipitamment en se détournant.

Quelques semaines s'étaient écoulées depuis et il n'avait pas osé lui parler de cette journée. Il ne savait pas si Impa avait été mise au fait de ce problème ni s'il devait s'adresser au roi ou à la reine. Dans le doute, il avait gardé le silence sans trop changer d'attitude. Cela n'empêchait pas qu'il y pense souvent.

- Je vais bien Link, assura la princesse qui l'observait.

Elle soupira devant son absence de réponse et maugréa :

- Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

- Qui ? répliqua-t-il incertain.

- Le jeune moine, précisa-t-elle.

- Il ne m'a rien dit.

- Je ne te crois pas.

Link serra les mâchoires. Il s'inquiétait pour la princesse et tout ce qu'elle trouvait à répondre était qu'elle allait bien. Alors qu'avec ce qu'il avait vu, ce n'était pas le cas non ? Il fit de nouveau face à la jeune femme et dit à voix basse :

- Il m'a juste raconté que les moines de Lanelle pensent qu'une magie noire t'empêche de bien voir.

- Et tu les crois, constata Zelda sur la défensive.

- Je l'ai vu.

Elle eut un sourire sans joie et continua :

- Il n'y avait rien de réel dans cet endroit.

Il hocha la tête lentement et dit :

- C'était réel.

La princesse secoua négativement la tête, exaspérée devant sa certitude. Link voyait qu'elle s'impatientait, mais il ne comprenait pas pourquoi elle ne faisait pas confiance au jugement des moines. C'était les êtres vivants les plus près des déesses et leurs conseils étaient recherchés par tous les habitants du royaume.

- Écoute Link, enchaîna Zelda, j'apprécie vraiment ta compagnie. Par contre, cette histoire à propos de magie noire ou de démon qui se cacherait derrière mes yeux…

- Démon ? dit-il inquiet.

- Si tu savais tout ce que j'ai entendu sur ce sujet, bougonna-t-elle.

Elle retira ses lunettes et se frotta l'arête du nez en poursuivant :

- Mon point est que je vais bien. Que tu ne dois pas t'en faire avec ça.

- Mais…

- Ne te laisse pas berner aussi facilement par toutes leurs suppositions, coupa la princesse.

Link la regarda, plein d'incompréhension devant de tels propos. Elle restait fermement sur ses positions et ses yeux verts fixaient la toile de leur abri avec une froideur qu'il n'avait jamais vu auparavant.

- Comment peux-tu accuser les moines de Lanelle de mentir ? argua-t-il. Ce sont des guides spirituels !

- Ce sont des êtres vivants. Imparfaits, tout comme toi et moi, interrompit la jeune femme.

- Ils dédient leurs vies au service du royaume ! insista Link.

- Ce qui ne veut pas dire qu'ils ont réponse à tout.

- Vraiment princesse ? répliqua-t-il irrité.

Il passa une main nerveuse dans ses cheveux tout en cherchant un moyen de lui faire entendre raison. Elle n'avait pas bougé de sa position et il pouvait presque sentir ce bouclier invisible qui les séparait.

- As-tu essayé de suivre leurs suggestions au moins ? dit-il finalement d'une voix plus douce. Je sais qu'ils t'ont fait du mal, mais je doute que ce fût intentionnel...

Elle resta silencieuse et il renchérit :

- Zelda, ce que j'ai vu dans ce...cette transe, ça m'inquiète. Et je veux t'aider.

Les épaules de la princesse s'affaissèrent.

- Si tu veux vraiment m'aider, Link, laisse tomber.

Il soupira longuement et ses yeux dérivèrent sur le petit feu qui crépitait derrière les grilles du foyer.

- J'avais quatre ans quand la reine a fait une fausse couche, raconta soudainement Zelda d'une voix lointaine. Elle en est presque morte.

Link tourna la tête dans sa direction alors qu'elle poursuivait :

- Quand le roi a su qu'il n'aurait jamais d'autres héritiers que moi, il a décidé de faire venir tous les plus grands médecins, spécialistes, magiciens, sorcières...

Jouant avec la monture de ses verres toujours dans ses mains, elle prit un moment avant de continuer :

- À l'époque, le chancelier Léonard était mon tuteur. Il...

Link la regarda serrer nerveusement ses poings. Au bout d'un moment, il se décida à poser sa main sur l'épaule de la princesse qui sursauta au contact.

- Je me sens vraiment inadéquate, avoua-t-elle. Je me demande encore comment j'ai pu me retrouver avec un tel pouvoir.

Elle avait levé ses doigts devant son visage et le bout de ceux-ci s'était illuminé doucement.

- Si tu es inadéquate, dit Link tout bas, je ne n'ose pas imaginer ce que je suis.

Elle laissa tomber ses bras et reprit avec soudainement plus de fermeté :

- Le chancelier disait que je ne pourrais jamais diriger le royaume. Que j'étais trop stupide.

Link retira sa main de l'épaule de la princesse pour ne pas qu'elle remarque son tremblement. Il avait l'impression d'entendre un grondement dans ses oreilles. Il songea que si ce Léonard avait été en face de lui, il l'aurait mis en lambeaux sur le champ.

- La reine n'était pas d'accord avec la décision du roi, mais pour le bien du royaume...tout était bon pour soigner cette tare.

La princesse soupira et reprit :

- J'ai subi toutes les formes de soins, de saignées, de jeûnes, de régimes, de potions, de transes, d'exorcistes…

Elle eut un rire amer, alors que Link était effaré, et elle ajouta en pointant ses yeux :

- Une fois, ils ont même inséré des aiguilles. Pour en faire sortir le supposé démon.

Zelda remit ses lunettes et d'une voix inaudible reprit :

- Je me souviens m'être cachée sous mon lit des jours à la suite de ça.

Elle avait tourné la tête dans sa direction et il l'observa abasourdi. Il n'avait jamais songé qu'elle avait eu à subir de telles choses. Est-ce que la présence de quelque chose de prétendument maléfique autorisait l'utilisation de moyens aussi drastiques ? Surtout sur une enfant ? Les moines croyaient qu'on lui avait jeté un sort, ce qui n'excusait en rien que de tels actes furent commis pour chercher à endiguer un mal peut-être imaginaire. Et si la princesse avait raison ? Si ces êtres pourtant pieux s'étaient trompés dans leur jugement ?

- Ces lunettes m'ont permis de passer à autre chose, continua-t-elle en obligeant le jeune homme à sortir de ses pensées. Ma vie est tellement plus belle depuis que je les possède. Avant, on croyait que j'abritais un démon. Maintenant, on me considère comme étant la réincarnation de la déesse.

Et elle ajouta avec une pointe d'humour :

- Avec un problème de vue.

- Zelda, murmura Link d'une voix compatissante.

- Ne fait pas ça, dit-elle en pointant un doigt accusateur sur sa poitrine. Je ne veux surtout pas de ta pitié.

Il grogna et expliqua énerver :

- Ce n'est pas de la pitié ! Je suis juste…

Elle baissa son bras alors qu'il s'était mis à gesticuler, cherchant à trouver les mots.

- C'est stupide ! s'écria-t-il. Je suis censé être ton protecteur ! Pourquoi n'ai-je jamais entendu cette histoire ? J'aurais pu t'aider !

Cette fois-ci, Zelda eut un rire un peu plus franc et dit en posant sa main sur l'épaule de l'homme :

- Je ne pense pas qu'un jeune garçon de moins de dix aurait pu y changer quoi que ce soit.

- Ils t'ont fait ça alors que t'étais enfant, marmonna le héros.

- Ce n'était pas si horrible, hésita la princesse.

Mais même Link pouvait entendre le mensonge.

- Maintenant, c'est moi qui ne te crois pas, grogna-t-il mécontent.

Il se força à retrouver son calme et silencieusement, ils regardèrent le feu crépiter doucement dans le foyer. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que Link ne reprenne la parole.

- Quand j'avais six ans, raconta-t-il, moi et Mido, on s'amusait à lancer des petits pois avec des cuillères.

Il haussa les épaules et poursuivit :

- Je suis incapable d'expliquer comment c'est arrivé, mais Mido m'en a envoyé un directement dans l'œil. Ça a fait un mal de chien. J'ai dû porter un œil de pirate pendant des semaines. Je crois que je n'ai jamais autant pleuré de ma vie.

Il eut un petit rire à ce souvenir et continua :

- Pour me consoler et me faire oublier la douleur, ma mère m'a fait un tas de desserts aux pommes. Tartes, croustades, gâteaux, compotes. Quand ça ne fonctionnait pas, elle me prenait dans ses bras et pouvait me bercer des heures.

Il hésita un moment avant de planter ses yeux dans ceux attentifs de la princesse. L'envie soudaine de l'enlacer était si puissante qu'il serra les poings dans son dos. À la place, il dit :

- Je souhaiterais pouvoir faire quelque chose. Et j'espère vraiment que pendant ces moments, quelqu'un était là pour toi. C'est tellement...

Il haussa les épaules.

- Je comprends maintenant pourquoi tu deviens aussi défensive quand on effleure le sujet, dit le jeune homme.

Il grogna et ajouta :

- Mais si tu as besoin de quoique ce soit, tu sais que je suis là n'est-ce pas ?

- Oui, dit-elle en réponse. Je le sais.

Link observa la princesse un moment. Il avait la mauvaise impression que pendant toutes ses épreuves, Zelda avait été seule. Il essayait d'imaginer ce que c'était que de vivre sans pouvoir voir avec clarté les choses l'entourant. Ça l'effrayait de penser qu'une enfant ait eu à subir de telles expériences. Il aurait voulu être là pour la protéger. Comment, après avoir entendu ça, pourrait-il l'abandonner même une minute ? Il ne laisserait plus jamais quiconque lui faire du mal, il s'en faisait la promesse.

- Je sais que ce ne furent pas les meilleures décisions du roi et de la reine, dit-elle inconsciente des réflexions du jeune homme, mais ils ne voulaient que mon bien et surtout, le bien du royaume.

Link soupira intérieurement. Il se rappela le petit Dahu et sa brève explication concernant la princesse. Si la transe lui avait semblé réelle, après les propos sur le passé de la future souveraine, ce voile noir n'avait plus autant d'importance. Il eut une pensée pour les déesses, leur priant de veiller sur la femme à ses côtés.

- Je t'avais déjà promis de frapper le prochain qui prendrait tes lunettes, dit-il, mais après cette histoire, je te jure que la personne qui se risque à te les enlever va passer un sal quart d'heure.

Un sourire reconnaissant apparut sur le visage de Zelda et elle dit en se moquant :

- Ne provoquez pas un scandale, héros.

- Moi ? dit Link en fronçant ses sourcils. Jamais ! Sauf si c'est pour accomplir mon devoir bien entendu.

- Peut-être devrais-tu me rappeler ton devoir ? enchaîna-t-elle.

- Protéger la réincarnation d'Hylia, débita Link. Ainsi que tous les biens sur sa personne.

- Oh par les déesses, soupira-t-elle. Cela te donne beaucoup trop d'alibis.

Le héros eut un sourire en direction de la princesse et celle-ci lui tapa amicalement la joue avec une moue feinte.

- Je n'ai pas besoin d'alibis, dit-il en poussant sa main avec son index. Les déesses m'ont choisi pour botter des derrières. J'excelle dans ce domaine.

- Tu ne serais pas prétentieux par hasard ?

- Absolument pas. Demandez à Sir Hergo.

Un sourire apparu sur le visage de la jeune femme et d'une voix moqueuse, elle reprit :

- J'ai entendu parler de vos fameuses sessions d'entraînements. Vos duels attirent plusieurs spectateurs.

Devant le silence de Link, elle continua :

- Je devrais dire spectatrices.

Cette fois-ci, ce fut le héros qui afficha une moue.

- C'est arrivé une fois, dit-il en croisant ses bras. Nous essayons de combattre dans des lieux isolés pour ne pas déranger les visiteurs.

La princesse tourna la tête de gauche à droite, montrant son désaccord, et elle expliqua :

- Malheureusement, vous avez un groupe de demoiselles sous le charme qui ont réussi à vous épier pendant toute la saison chaude.

Et avec une grimace, elle poursuivit :

- Elles m'ont convaincue d'assister à l'une de vos séances. C'était horrible.

- Hé ! s'écria Link outré.

De quelle fois parlait-elle ? s'inquiéta le héros.

- Je ne parle pas de ta performance, précisa la princesse en réponse à sa crainte. Te regarder combattre est un émerveillement. Sais-tu à quel point tu es rapide ? J'essayais de suivre tes mouvements et quelques fois, j'avais l'impression que tu te téléportais d'un endroit à l'autre. C'était captivant.

Link se sentit rougir et il se gratta nerveusement la joue alors que Zelda poussait un soupir d'exaspération avant de poursuivre son histoire :

- Mais les commentaires des dames !

Elle se redressa et croisa ses mains sur son coeur en couinant d'une voix ridiculement aiguë :

- Sir Link est tellement beau ! Et tellement fort !

- Vraiment ? répliqua le héros hésitant à se moquer ou à être scandalisé.

- Je suis totalement sérieuse, répondit-elle. Et je t'épargne les commentaires sur Sir Hergo.

Link la dévisagea, stupéfait, et elle éclata de rire. Pourquoi n'avait-il pas remarqué ce groupe de dames ? Il reposa la question à voix haute et Zelda expliqua :

- Ce n'est pas comme si nous étions à côté de vous. La fois où j'ai pu assister à votre session, nous étions sur la muraille de la section Est du château. Vous étiez juste en bas.

Elle devint pensive et Link plissa son front.

- Qu'est qu'il y a ? demanda-t-il.

Elle balaya l'air de sa main et dit :

- Je me souvenais d'un commentaire d'une comtesse.

- Quel commentaire ?

- Le héros est curieux ? dit-elle en haussant un sourcil.

Il approuva de la tête en réponse. Ce n'était pas tant les dames qui l'intéressaient dans cette histoire, mais plutôt la perspective de la princesse. Il voulait savoir ce qu'elle pensait. Ce qu'elle pensait de lui surtout. Ce n'était absolument pas à cause du béguin fictif qu'il éprouverait envers Zelda, se dit-il. Même si les deux membres féminins de sa famille étaient persuadés du contraire. Elle enchaîna, le coupant dans ses réflexions :

- Et bien, cette comtesse disait qu'elle aurait aimé passer ses mains dans vos cheveux. Que vous sembliez avoir une chevelure assez dense et hum...la discussion a un peu dégénérée à partir de ce moment. Les dames vous comparaient à un loup et...bref. J'admets que ça a piqué ma curiosité.

- Un loup ? À cause de mes cheveux ? demanda Link intrigué.

Elle approuva avec un sourire un peu gêné et en réponse, il se rapprocha de la jeune femme.

- Tu veux vérifier ? dit-il en penchant sa tête dans sa direction.

- Je...je ne suis pas sûre que...

Sa phrase mourut sur ses lèvres et le héros sentit les doigts de Zelda dans son cuir chevelu. Il s'empressa d'enlever l'élastique qui les retenait à la base et alors qu'elle glissait sa main jusqu'à sa nuque et essayait de placer les mèches indomptables, il demanda :

- Et alors ?

Elle tourna délicatement la tête du jeune homme en répondant :

- Cette comtesse avait raison. Tu as réellement des cheveux très…fournis.

Elle tenta d'attraper une bonne touffe et lui gratta doucement le fond de la tête dans le processus. Il grogna de contentement pendant qu'elle riait tout bas.

- Je crois que je comprends l'allusion au loup, commenta-t-elle.

- Ça fait du bien, soupira Link en fermant les yeux.

- Tes cheveux partent dans tous les sens, constata la jeune femme.

- C'est pourquoi je les laisse attacher.

- Pourquoi les garder longs ? Ce serait beaucoup plus simple les avoir courts.

Il haussa les épaules. Les mains de la princesse disparurent de son crâne et il couina déçu :

- Qu'est-ce que je peux faire pour que tu continues ce massage improvisé ?

- Je peux te présenter à la comtesse en question, proposa-t-elle.

Il leva son visage vers le sien et fut surpris de la voir aussi près. Elle éclata de rire plaça les bras de chaque côté de sa tête. Étonné, il resta immobile quand il sentit de nouveau ses doigts dans ses cheveux.

- Donne-moi ton élastique que je puisse corriger cette coiffure désordonnée ! dit-elle.

- Continue le temps que je le cherche, éluda-t-il en fermant les paupières.

Elle tira légèrement sur son crâne et il ouvrit les yeux avec une moue sur ses traits.

- Link, le réprimanda-t-elle, donne-le.

Il cacha sa main avec l'attache dans son dos et répliqua :

- Perdu.

Un sourire en coin apparut sur le visage du héros et il ajouta moqueur :

- Tu n'as plus le choix de placer mes cheveux par toi-même.

Zelda souriait, mais elle le libéra et le poussa sans force en disant :

- Nous sommes devenus beaucoup trop familiers l'un envers l'autre. Je suis certaine que nos comportements frôlent l'indécence.

Link roula des yeux et répliqua :

- Princesse, ce n'est pas comme si vous vous promeniez en petite tenue devant ma personne.

Il posa un doigt sur sa bouche, feignant être en pleine réflexion, et il reprit :

- Maintenant que j'y pense, je me souviens de ce joli maillot conçu par les zoras...

- Link, coupa Zelda.

- Tu es peut-être de sang royal, dit soudainement le héros, mais je te considère comme une amie.

Devant sa surprise, il précisa :

- Une très bonne amie.

- Link...

- Je sais respecter le protocole concernant la royauté, se dépêcha-t-il d'expliquer. Mais ici, surtout lorsque nous sommes seuls, je peux en profiter pour te taquiner. Bien entendu, tu peux en faire de même.

Elle détourna le regard et sourit plus pour elle-même quand elle dit :

- Tu gagnes. Tourne-toi.

- Quoi ?

Zelda lui fit signe de se tourner et elle s'agenouilla pendant qu'il s'assoyait à l'opposé d'elle. Il poussa une faible exclamation de joie lorsque les doigts de la jeune femme se retrouvèrent dans ses cheveux et se mirent à le masser doucement.

- Tu peux aussi descendre sur la nuque et les épaules, proposa-t-il. Et le dos.

- Je crois que ton manteau va nuire, dit-elle simplement.

D'un mouvement, il retira sa veste chaude et son épée par la même occasion, et les lança un peu plus loin.

- C'était rapide, commenta la princesse.

Link sursauta lorsqu'il ressentit l'énergie familière.

- Ne le dit pas à la reine, chuchota Zelda en faisant danser une de ses mains devant le visage du jeune homme.

Celle-ci était entourée d'une faible lueur et elle disparut pour rejoindre l'autre à sa nuque. Link ferma les yeux et profita de cette chance.

- Est-ce que je t'ai dit que tu étais ma meilleure amie ? soupira-t-il soudain d'une voix indolente. Parce que tu viens tout juste d'accéder au premier rang.

- Quel honneur, dit-elle.

- Je me sens privilégié en ce moment, continua-t-il. J'ai un massage. Divin.

Link perçut le tressautement des mains Zelda qui accompagna son rire presque silencieux. Un sourire sur les lèvres, il se tut et se laissa porter par le traitement de faveur qu'elle lui accordait.

OoOoO

- Ok les poussins ! hurla Médolie de la passerelle. La partie est terminée !

Il y eut un concert de cri de déception alors que les jeunes piafs - et moins jeunes -sortaient de leur cachette pour retourner à la place centrale.

- Ne soit pas si abattu, ria la princesse aux côtés de Link.

Le héros fit une moue en direction de Zelda. De la buée s'échappait de la bouche de la femme à chacune de ses respirations, ses joues étaient rouges du à l'air froid et ses yeux brillaient, à la fois à cause du soleil et de sa joie.

- Je suis certain que tu es aussi triste que moi que ce jeu doive se terminer, dit-il.

Ils se dirigèrent vers le groupe et il continua :

- Je devrais proposer ce type d'entraînement au château.

- Le jeu de cache-cache ? répliqua la princesse surprise. Attends-toi à perdre beaucoup de crédibilité.

Plusieurs petits piafs atterrirent autour des deux hyliens et marchèrent en papotant :

- Est-ce que vous allez revenir bientôt ?

- On pourrait continuer la partie à votre retour ?

- Il va y avoir une autre bénédiction ?

Zelda ria doucement devant l'assaut de questions et la dénommée Médolie les rejoignit pour pousser les enfants de sa race un peu plus loin.

- Excusez-les, Votre Altesse, dit la piaf blanche. Ces petits ne s'attendaient pas à pouvoir s'amuser autant, surtout avec le héros et la princesse.

- Tout le plaisir était pour moi, répondit-elle en souriant.

Pointant Link, elle ajouta :

- Et indéniablement Sir Link.

Médolie eut un rire et ils arrivèrent sur la place centrale qui était en fait une grande plateforme de bois dont se servaient les piafs pour s'envoler ou bien atterrir. Si les membres les plus importants étaient présents, dont le dirigeant Scaff, les autres habitants envoyaient leurs salutations d'un peu partout du village.

- Votre Altesse, dit le chef en se prosternant devant eux.

Il se redressa et avec un sourire satisfait dit :

- Au nom de tous les piafs, je vous remercie de nous avoir accordé la bénédiction de la déesse. Ce fut tout un honneur d'assister à quelque chose d'aussi divin et sachez que nous ne l'oublierons pas.

Link garda son visage sérieux, mais l'envie de rire devant la gêne bien camouflée de la princesse était présente.

- Au nom du roi et de la reine, je vous remercie de votre soutien et loyauté en ses temps incertains, énonça Zelda d'une voix posée.

Et alors qu'un sourire apparaissait sur ses lèvres, elle poursuivit :

- Ce fut un privilège pour moi, ainsi que Sir Link, d'être reçu par un si bon peuple et avoir pu profiter de ce court séjour pour apprendre à vous connaître un peu plus.

Elle se prosterna légèrement en direction du chef et Link l'imita derrière elle.

- C'est l'heure, dit un vieux piaf à côté de Scaff.

Le héros attrapa le sac de voyage qui attendait sur le sol pour le placer sur son épaule pendant que la princesse sortait sa tablette sheikah de son manteau. Après quelques secondes de préparation, il hocha la tête en direction de la jeune femme lorsqu'elle le regarda. Alors que tout le monde disait au revoir autour, elle appuya sur l'écran de son engin et se dématérialisa en plusieurs rayons bleus devant les yeux de tous. Link prit la tablette qu'on lui avait prêtée pour l'occasion et la para pour suivre Zelda. Il sourit en entendant les petits piafs crier son nom au loin et appuya sur l'emplacement du château sur la carte affichée sur son écran. Rien ne se produisit. Il fronça les sourcils et appuya de nouveau.

- Ça ne fonctionne pas, dit-il inquiet.

Taya s'était approchée et détaillait la tablette qu'il tenait dans ses mains.

- Les points de téléportation sont tous désactivés, dit-elle. Tael !

Plus loin, le piaf mauve dit d'une voix perplexe :

- Ils sont aussi désactivés sur notre tablette !

Link leva son regard sur le chef Scaff qui s'avançait quand un grondement se fit entendre. Tous ceux présents sur la plateforme se tournèrent vers la tour de Tabanta, bien visible au loin en haut de la montagne à l'est du village. Celle-ci descendait lentement dans le sol et Link pouvait sentir le tremblement de terre que le mouvement d'une telle construction provoquait même à cette distance.

- Qu'est-ce qui se passe ? murmura Taya aux côtés du héros.

Les tours étaient gigantesques et Link savait que pour les supporter, on avait dû creuser l'équivalent de la hauteur des structures dans le sol. Ceci permettait de les descendre à un niveau donné pour une quelconque raison, qui souvent était l'entretien. Ces occasions étaient toutefois rares et lorsqu'elles se produisaient, on avertissait la populace. La lueur bleutée visible à l'intérieur de la tour et qui signifiait que celle-ci était fonctionnelle disparut au bout de quelques minutes quand la construction fut enfoncée dans la montagne.

- Je dois m'assurer que la princesse est bien au château, dit Link en tentant de cacher sa panique.

Il appuya de nouveau sur sa tablette sans succès. Rien ne se produisit et il leva un regard désespéré sur Scaff.

- Médolie ! cria le dirigeant des piafs.

Celle-ci s'avança et attendit.

- Tu es la plus rapide, poursuivit le chef. Va au château et vérifie que la princesse est en sécurité. Maintenant !

Un puissant vent venu de nulle part tournoya autour du groupe et en quelques secondes, la piaf blanche était haut dans le ciel et volait en direction de la citadelle du royaume.

- Taf !

Un piaf bourgogne assez imposant que le héros savait être un des plus forts guerriers du village avança d'un bon pas vers son chef pendant que celui-ci demandait :

- Es-tu capable de porter Sir Link jusqu'au château ?

Le piaf approuva de la tête sans hésitation et fit face au chevalier. Scaff s'était éloigné précipitamment en compagnie de Taya, Tael et ses conseillers pendant que les habitants autour discutaient à voix basse, leur regard en direction de la tour disparue.

- Vous allez devoir vous accrocher à mes épaules, dit le dénommé Taf.

Il se tourna pour montrer son dos à Link et enleva l'arc qu'il portait en tout temps. Un autre piaf lui prit des mains et Taf pointa la courroie qui était attachée à son torse.

- Tu pourras te retenir à cette ceinture, expliqua-t-il. Allons-y.

Link hésita, mais son inquiétude pour Zelda étant grande, il oublia ses craintes et grimpa sur le dos du piaf qui s'était accroupi. Une fois bien installé, Taf gonfla ses ailes et d'un puissant coup, ils se retrouvèrent à quelques pieds du sol. Le piaf répéta son manège et en un rien de temps, ils furent tous deux dans le ciel. Ébahi, Link observa les alentours et son coeur se serra dans sa poitrine. Ce n'était pas à cause qu'il était haut et qu'il pouvait profiter d'une vue incroyable.

- Toutes les tours ont disparu, constata-t-il à voix haute.

- Ce n'est pas normal, répliqua le piaf.

Link jura dans sa tête et ils prirent la direction du château dans un silence pesant.


Chapitre mis en ligne le 15 mars 2019.