Je suis quand même fière de ce chapitre. J'avais cette intrigue dans la tête depuis des mois et de voir ça enfin sur papier (virtuel)...c'est fou ! J'espère que vous allez avoir du plaisir à lire, parce que j'en ai vraiment eu à l'écrire. Et du cassage de tête aussi, lol ! Un GROS merci OnyxSeele et Tracy pour les reviews ! Et sur ce, bonne lecture :)
12
Zelda savait que quelque chose n'allait pas alors qu'elle n'était pas encore arrivée. Et pourtant, elle était loin d'avoir l'intuition de sa mère dans ce domaine. Cependant, elle connaissait la technologie des sheikahs. Elle s'était téléportée assez souvent pour voir la différence. Plutôt sentir la différence. Lorsqu'elle se matérialisa, l'impression que son corps avait été étiré de tous les côtés fut horrible au point où elle tomba à genou. Elle prit une grande bouffée de l'air frais et une sueur froide lui recouvrit le front et la nuque. Ses membres tremblaient de faiblesse et elle laissa glisser par inadvertance sa tablette sur le sol. Ses yeux suivirent l'objet électronique et rencontrèrent ceux vides d'un chevalier étendu tout près dans une position grotesque.
- Par les déesses, murmura-t-elle son visage horrifié fixé sur le cadavre de l'homme.
Il y avait des cris autour, beaucoup trop de hurlements, et quelqu'un passa juste à côté d'elle en coup de vent la faisant sursauter. Elle leva son regard sur la personne qui venait de croiser son champ de vision et dut cligner des paupières plusieurs fois pour reconnaître une gérudo. Elle était de haute stature et avait les habits typiques de son peuple avec en plus une veste épaisse qui recouvrait ses épaules jusqu'à ses genoux. Sans porter attention à la princesse, la femme arrêta sa courte course, banda son arc et tira la flèche. Déjà, elle en avait une autre prête et l'envoyait. Zelda regarda en direction de sa cible et ses yeux s'agrandirent de stupeur en voyant une passerelle de bois remplie de bokoblins qui se dirigeait droit sur leur emplacement. Le sang dans ses artères se retrouva soudainement à ses pieds et elle fut debout en une seconde. Une rapide observation autour lui permit de comprendre qu'elle se trouvait sur une tour sheikah. Un soldat qu'elle n'avait pas remarqué accompagnait la gérudo et envoyait des flèches sur la horde de monstres qui courrait sur le pont étroit sans s'arrêter, malgré le fait que leurs confrères tombaient dans le vide chaque fois qu'ils étaient atteints par les deux archers.
- Vama ! hurla quelqu'un derrière elle.
Zelda tressaillit et tourna son visage vers une autre gérudo. En raison de sa petite taille, elle devina qu'elle était plus jeune, à peine sortie de l'enfance. Celle-ci tenait dans ses mains tremblantes une épée recourbée et un bouclier. Leurs regards se croisèrent et la fille à la chevelure flamboyante essuya rageusement les larmes coulant sur ses joues. À côté se trouvait une femme accroupie sur le sol, un bambin entouré de ses bras et disant, la princesse la reconnut, une prière aux déesses pour les accueillir dans le royaume sacré.
- Non, murmura-t-elle en faisant face aux bokoblins qui arrivaient.
Elle attrapa sa tablette d'un seul mouvement, actionna la fonction de création de bombes. Elle courut vers les deux archers pendant que l'explosif se matérialisait dans sa main.
- Lancez-le ! hurla-t-elle à la fois à la gérudo et au chevalier.
La guerrière fut la plus rapide et prit la bombe créée par l'engin de la princesse pour l'envoyer sur leurs ennemis. Zelda l'activa et les monstres qui furent dans son rayon de déflagration chutèrent de la passerelle dans le vide immense sous eux. Certains réussirent à s'accrocher, mais déjà l'attaque avait ralenti la progression.
- Une autre ! cria la gérudo dans sa direction.
La princesse créa une bombe qui fut immédiatement lancée par la guerrière. Suivant la deuxième explosion, les bokoblins hésitèrent à s'approcher trop prêt de la tour et ils hurlèrent leurs mécontentements. Soudainement, un grondement se fit entendre et Zelda sentit le sol bouger sous ses pieds.
- Qu'est-ce qui se passe encore ? s'enragea la gérudo.
- La tour ! cria le soldat. Elle descend !
La princesse fronça les sourcils en regardant autour d'elle. L'endroit était flanqué par des montagnes, ce qui l'empêcha de se situer. En observant plus bas, elle reconnut une gigantesque mine, celle-ci entourant la tour de manière presque symétrique prouvant que l'homme était derrière ce paysage. Les deux gérudos présentes lui permirent de faire le lien et elle sut qu'elle s'était téléportée à la tour Gérudo. Une des tours les plus isolés du royaume, seulement visibles de la cité des femmes guerrière et ayant pour utilité principale l'extraction des nombreux minerais disponibles dans la région. Une mine qui, elle le constata en jetant un coup d'oeil plus bas, était envahie de monstres qui semblaient n'être là que pour eux. Que pour elle, songea-t-elle terrifiée.
- On doit la stopper ! cria la gérudo en quittant la rambarde.
- Je ne sais pas comment faire ! répliqua le soldat désespéré.
Il s'était plié en deux, une grimace douloureuse sur le visage et Zelda remarqua du sang coulant le long de sa cuisse. Soudainement, la passerelle où se trouvaient les monstres, dans un craquement effroyable, se démantela alors que la tour descendait doucement en direction du sol. Les créatures sur celle-ci tombèrent dans le vide et la princesse détourna ses yeux agrandis d'horreur vers le module central. C'était l'endroit où toutes les fonctions de la tour étaient stockées et pouvaient être contrôlées. Elle s'avança précipitamment vers celui-ci en contournant le chevalier mort à ses pieds et plaça sa tablette sur l'unité qui se connecta à son engin. Ses doigts tremblaient sur son écran alors qu'elle découvrait le programme et détectait un code qu'elle ne connaissait pas. Emplissant sa vision et défilant devant ses yeux sans qu'elle ait le temps de lire dans sa panique.
- Allez petite Vai, dit la gérudo en posant sa main sur l'épaule de la jeune femme. Arrête-là.
- Je...je ne sais pas...dit-elle le souffle court.
- Essaie n'importe quoi ! s'écria le soldat affolé. Fais tout pour stopper la descente ! On ne peut pas finir en bas ! Par la déesse, on ne doit pas se rendre là !
La dame plus loin pleurait, la jeune gérudo agenouillée tout près regardait Zelda avec espoir. La princesse décida alors de tenter tout ce qu'elle connaissait. Elle ne comprit pas comment ses doigts tremblants réussirent à taper les codes sans erreurs, mais après quelques tentatives, le texte arrêta son défilement et au bout d'un court moment, la tour se figea dans un grincement sonore. La lueur bleutée habituelle vira à l'orange signifiant, Zelda le savait, un dysfonctionnement. Au moins, ils ne bougeaient plus et elle l'espérait, étaient assez haut pour être en sécurité. Le silence qui les entourait fut soudainement brisé par des cris effroyables de monstres tout autour d'eux, ceux-ci s'étant aperçus de leur immobilité.
- Saksak petite Vai, remercia la gérudo tout bas en libérant l'épaule de la princesse.
En direction du soldat, elle demanda :
- Est-ce qu'ils peuvent nous atteindre d'ici ?
- Non, nous sommes suffisamment haut.
Il jura à mi-voix et se laissa glisser sur le sol en grognant de douleur, sa respiration saccadée.
- Ce bâtard ne m'a pas manqué, dit-il en regardant dédaigneusement le cadavre du chevalier.
- Riju, appela la gérudo, viens.
L'adolescente la rejoignit et toutes deux aidèrent le soldat à se positionner adéquatement tout en vérifiant sa blessure. Zelda se détourna et s'avança vers la rambarde pour observer ce qui l'entourait. Si à son arrivée, elle avait pu remarquer le ciel nuageux autour d'elle, la tour s'était suffisamment enfoncée dans le sol que, hormis loin au-dessus de leurs têtes, il n'y avait que du roc visible. Un chemin circulaire ascendant était grugé à même les montagnes et sur celui-ci, d'innombrables créatures criaient leur colère en direction de leur abri improvisé situé au centre de cette gigantesque excavation.
- Je...je ne t'ai jamais vu.
La princesse se tourna vers la femme qui la dévisageait les sourcils froncés.
- Que s'est-il passé ? répliqua Zelda.
Le visage de la mère se contorsionna de douleur un instant, mais elle prit une grande inspiration et expliqua :
- L'offensive a commencé il n'y a pas une heure. Ils sont arrivés par l'entrée du désert et piégés la seule route fréquentable en cette saison. L'armée de monstre a suivi le chemin en s'attaquant à tout ce qu'il y avait de vivant. Ils ont...
- Est-ce qu'ils ont réussi à s'enfuir du campement ? demanda précipitamment le soldat.
- Ne bouge pas, ordonna l'imposante gérudo.
- Ma femme, continua l'homme en se redressant malgré les avertissements, l'as-tu vu ? A-t-elle réussi à s'enfuir ?
Elle ne parla pas et il s'enragea :
- Olga ! Réponds-moi !
- Je ne sais pas, murmura-t-elle à contrecœur.
- Les as-tu vus attaquer le campement ? A-t-elle eu une chance ? hoqueta-t-il avec un visage désespéré.
- Nous étions déjà tout près de la tour quand cela est arrivé et c'est tout juste si nous avons réussi à nous réfugier ici et... et ils ont réussi à...mon mari...
Ces yeux se perdirent au loin et les larmes coulèrent silencieusement sur ses joues. Le soldat baissa la tête et ferma les paupières pendant que les deux femmes pansaient la plaie sur sa jambe.
- Voï, dit sèchement la gérudo à l'homme.
Elle s'était redressée laissant le soin à la plus jeune de terminer l'application du bandage au blessé.
- Ne perds pas espoir, continua-t-elle lorsqu'il la regarda. Ma fille et moi avons couru pratiquement du désert jusqu'ici. Il y a certainement d'autres survivants qui ont pu se réfugier en hauteur ou qui se cachent en attente d'une aide.
L'imposante femme observa avec une moue sur le visage les montagnes qui les entouraient.
- Vama, dit la dénommée Riju toujours accroupie à côté du soldat. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- On doit avant tout envoyer un appel de détresse, répondit sans hésitation la gérudo.
Elle se tourna vers Zelda et demanda :
- Est-ce possible de faire ça ?
- Je ne connais pas une fonction permettant cela, indiqua la princesse. Habituellement, nous nous servons du signal lumineux pour toutes communications.
Elle se pencha un peu plus au-dessus de la rambarde et fronça les sourcils.
- L'énergie dans la tour est orange, ce qui signifie qu'il y a un problème.
- Personne ne peut nous voir, contesta la gérudo. Nous devons trouver un moyen d'envoyer un message au-dessus des montagnes qui nous entourent. Mon peuple sait que je suis ici avec ma fille. Je dois simplement les avertir du danger.
- Nous n'avons pas de nourriture, pas d'eau et à peine de quoi nous protéger du froid, énonça le soldat.
- Alors, il faut faire vite, acquiesça la guerrière. Petite Vai ?
Elle s'était adressée à Zelda qui en réponse se dirigea de nouveau vers le module central. Sa tablette toujours appuyée sur celui-ci, elle se concentra et tenta de trouver la voie d'accès au moteur ce qui pourrait lui permettre de se servir de l'énergie. À partir de là, il serait envisageable de remonter la tour à sa position initiale. Toutefois, elle ne pensait pas avoir les aptitudes nécessaires pour accomplir cela. Elle n'avait pas idée de ce qu'elle pouvait faire d'autre. Il y avait, de toute façon, beaucoup trop de variables et ses connaissances limitées la faisaient douter de la possibilité de faire quoi que ce soit.
- Qui est ce chevalier ? dit la gérudo derrière elle.
Le soldat répondit :
- Je ne sais pas. Il est arrivé un peu avant vous. Je croyais qu'il cherchait à se mettre en sureté, mais...
- Nous l'avons vu t'attaquer, coupa la guerrière. Tu n'es pas en faute ici. Et de toute façon, chevalier ou pas...
Zelda se tourna juste à temps pour voir la femme imposante attraper le cadavre et le tirer sans effort vers la rambarde. Sa bouche s'ouvrit pour intervenir, mais déjà le corps inerte fut balancé dans le vide comme un vulgaire pantin. En apercevant les yeux froncés de la plus jeune gérudo sur elle, la princesse se détourna précipitamment et fixa sa tablette, les doigts figés sur son écran. Que se passait-il ? Le visage de Link traversa ses pensées et ses mains se mirent à trembler en songeant au héros. S'était-il téléporté juste après elle comme il était convenu ? Si c'était le cas, avait-il réussi à se rendre à destination ? Paniquée, elle alla voir la carte d'Hyrule et remarqua que tous les points de téléportation étaient fermés. Elle comprit alors que l'option de se téléporter pour aller chercher de l'aide n'était même plus possible. En cliquant sur la tour du Grand Plateau pour voir le diagnostic, son front se plissa d'incompréhension. Elle n'y avait pas accès. C'était comme si la tour n'existait plus. Pour qu'une telle chose se produise, cela signifiait que le système avait été complètement éteint. Elle vérifia d'autres tours pour en venir à la même conclusion. Elle retira sa tablette du module et instantanément se retrouva déconnectée de la tour Gérudo. Quelqu'un avait forcé la fermeture du réseau. Son intervention avait empêché la tour où elle se trouvait de subir un sort identique. Mais ils étaient seuls, sans possibilité de contacter quiconque. Elle passa une main glacée sur son visage et l'autre laissa tomber la tablette sur le sol. On avait fait ça pour lui tendre un piège, comprit-elle, frappé d'effroi.
- Doucement petite Vai, dit la gérudo en l'agrippant fermement par les épaules.
Et si Link s'était téléporté à sa suite, les chances étaient élevées qu'il n'ait pas atteint sa destination.
- Est-ce qu'elle est sous le choc ? questionna Riju.
Elle l'avait senti alors qu'elle se matérialisait. Le processus de fermeture des points d'arrivée et des tours était déjà enclenché. Si Link s'était téléporté entre temps...
- Respire, ordonna la gérudo.
Il était mort. Ces cellules éparpillées dans l'espace-temps, incapable de reprendre forme.
- Je suis désolée, murmura-t-elle.
Par les déesses, faites qu'il n'ait pas pu se téléporter. Faites que le système fut déjà coupé avant qu'il n'ait pu activer la fonction. On la tira un peu plus loin et on la força à s'asseoir sur le sol froid. Des doigts claquèrent devant elle et la princesse leva sa tête pour croiser les yeux caractéristiques aux iris jaunes des gérudos. Un visage carré entouré d'une chevelure rouge retenue grossièrement par un chignon lui fit face.
- Reste avec nous petite Vai, dit la femme. Tu es notre plus grande chance pour sortir d'ici.
- Je suis désolée, répéta-t-elle tout bas.
C'était de sa faute. La raison de cette attaque était pour elle. Que ce soit pour sa capture ou sa mort, toute cette mise en scène était à cause d'elle. Jamais elle n'aurait songé que les serviteurs de la Calamité puissent avoir accès à la technologie sheikah. Ou bien, pensa-t-elle en se souvenant du cadavre du chevalier qui était sur la tour, le Fléau avait corrompu bien plus que certains hyliens. Toutes les races pouvaient tomber sous son joug et si elle avait toujours cru que les sheikahs étaient un peuple intègre, elle avait ici la preuve du contraire. Elle ne connaissait pas d'hylien capable de maîtriser leur technologie suffisamment pour accomplir une telle chose. Créer un code qui permet de fermer le système en entier dans tout le royaume en à peine quelques minutes ? Sans que personne s'en aperçoive ? Cela devait avoir demandé des jours et même des semaines de travail. Et maintenant, plusieurs innocents avaient péri dans cette attaque et Link...sa respiration se coinça dans sa gorge. Elle laissa son visage tomber dans ses mains pour cacher les larmes qui s'échappaient de ses yeux.
- Petite Vai, ce n'est pas de ta faute, répliqua la gérudo en lui secouant les épaules.
La femme soupira et dit :
- Tu dois te concentrer et tenter de nous sortir d'ici. Nous devons avertir tout le pays de cette attaque. Il y a sûrement une raison derrière un tel rassemblement de monstres.
- Cette mine a fourni une grande partie des matériaux pour construire les créatures divines, précisa le soldat. Je crois cependant que les gorons utilisent leurs propres minerais.
- C'est peut-être une des explications, affirma la guerrière, mais...
- C'est ma faute, coupa la princesse en levant son visage.
Zelda enleva ses lunettes un instant et essuya les larmes sur ses joues. Elle prit plusieurs inspirations dans l'espoir d'oublier la boule qui s'était formée dans sa gorge. Elle se redressa avec l'aide de la gérudo qui la dévisageait incertaine.
- Je ne comprends pas, dit Riju plus loin. Qu'a-t-elle dit Vama ?
- Qui es-tu ? demanda l'autre femme hylienne. J'ai vu ton arrivée. Comment se fait-il que tu sois venue ici ?
Son ton avait grimpé et elle était sur la défensive. Le bambin geignit dans ses bras. Zelda s'accroupit pour ramasser sa tablette et fixa la carte d'Hyrule qui y était encore affichée.
- Cette tablette te permet de te téléporter, continua la dénommée Olga. Pourquoi ne pas s'en servir ?
- Vraiment ? dit le soldat avec espoir. Le portail de la tour de la Plaine est toujours ouvert pour les situations d'urgence. Si...
- Il est fermé, coupa la princesse d'une voix contenue.
Ses yeux étaient sur la carte, vérifiant avant de poursuivre :
- Tout est éteint dans le royaume. Peu importe qui a réussi à prendre le contrôle des tours, son but était de nous empêcher de nous servir de la technologie sheikah.
- Pourquoi ferait-on une telle chose ? demanda la gérudo son attention toujours sur la future souveraine.
Zelda ne savait pas si elle devait révéler son identité. Elle se souvint qu'avec Impa, elles avaient discuté des possibles scénarios d'enlèvements ou bien encore de situations d'attaques. Un cas comme celui-ci, entouré d'inconnus qui malgré eux s'étaient retrouvés dans la même situation qu'elle, elle était incapable de faire un choix. La gérudo la détailla de la tête au pied et s'avança d'un pas pour prendre son menton dans une main. Plantant ses yeux jaunes dans les siens verts, Zelda remarqua l'inquiétude qui traversa ses pupilles.
- C'est un piège, devina la guerrière.
Et après un instant, elle murmura :
- Dis-moi que tu n'es pas la princesse.
- Que...quoi ? bégaya Olga qui avait compris les mots prononcés.
- Ça ne peut pas être la princesse, ria le soldat nerveusement.
Devant le silence qui perdura, l'homme jura et lança rageusement son arc sur le sol. L'imposante femme libéra le visage de la future souveraine et ses épaules s'affaissèrent.
- Ça explique la raison de cette attaque, maugréa-t-elle. Il ne pouvait pas choisir un meilleur endroit. Cette tour est tellement isolée qu'elle n'est visible que de la cité des Gérudos.
Elle s'éloigna de quelques pas et eut un rire sans joie :
- Était visible, car à cette hauteur, il n'y a que ces monstres qui peuvent nous voir.
- Mais, s'écria la jeune fille en regardant Zelda pleine d'espoir, tu peux remettre cette tour en marche non ?
- Je ne pense pas, répondit la princesse anxieuse.
- Essaie, dit la gérudo qui se faisait appeler Vama. Si toutes les tours du pays sont hors services, il est certain que le royaume doit être sur le qui-vive. On doit juste attirer leur attention.
Zelda songea que son retard au château devait avoir mis toute l'armée en alerte. Depuis combien de temps était-elle ici ? Pas longtemps. Dix minutes tout au plus.
- Si vous êtes la princesse, entama Olga en se levant, vous n'avez qu'à appeler le pouvoir des déesses.
- Elle a raison ! renchérit la jeune fille. On raconte que la lumière d'Hylia coule dans vos veines et que celle-ci peut illuminer les ténèbres sur des kilomètres !
- Riju, grommela la gérudo en direction de l'adolescente. Ce sont des rumeurs.
Zelda fit quelques pas vers la rambarde et leva la tête vers le sommet des montagnes. Elle fronça les sourcils derrière ses verres et estima la distance à un minimum de trois cents mètres. C'était énorme et jamais elle n'avait poussé son pouvoir aussi loin.
- Je...je vais essayer, dit-elle en déposant sa tablette sur le sol.
Sans porter attention à ce qu'ils dirent derrière elle, la princesse ferma les yeux et expira longuement. Ces pensées tourbillonnèrent quelques secondes et elle se força à se détendre, reléguant le danger qui l'entourait en second plan. La première sensation qui lui vint à l'esprit fut l'odeur de conifère. Depuis des mois, chaque fois qu'elle appelait son pouvoir, cette senteur si caractéristique revenait et aujourd'hui, sa familiarité lui permit de se concentrer davantage. Zelda savait qu'elle ne devait en aucun cas retenir cette magie. La Calamité n'était pas encore là, mais ses sbires avaient déjà commencé le travail et tentaient de l'arrêter. Elle était séparée du château par une énorme chaine de montagnes et son seul espoir était le peuple des gérudos situés dans le désert. Elle pouvait sentir l'énergie vibrée tout autour d'elle et elle la poussa loin au-dessus de sa tête. Ses pensées dérivèrent sur Link et elle se recourba sur elle-même en s'inquiétant de son sort.
- Tout va bien, murmura-t-elle.
Elle ouvrit les yeux pour voir que la lumière l'entourait. Levant son visage vers le ciel, elle plaça ses mains sur son coeur et la visualisa s'étendre jusqu'aux nuages. Elle comprit alors qu'elle avait une limite. Quelque chose en elle l'empêchait de pousser ce pouvoir plus loin. Zelda se remémora les paroles de sa tante à qui, en tout premier, elle avait montré ce don qui l'habitait. Elle avait été tellement heureuse lorsque la lumière était apparue sur le bout de ses doigts à la fin de cet été passé au lac Hylia. Les déesses lui avaient accordé un pouvoir, tout comme ses cousines.
« Non, princesse, avait ri doucement sa tante. Mes filles ont reçu leurs dons des déesses, mais toi, tu l'as toujours eu en toi. »
Elle n'avait pas compris les propos sur le coup et la femme avait ajouté :
« Mes filles se servent de l'amour de ce qui les entoure pour utiliser leur magie. Pour tout un tas de raisons comme protéger et venir en aide. Mais toi, tu crées cet amour. N'aie pas peur des limites, car tu n'en as aucune. Il n'y a pas de limites à aimer. »
L'amour, se morigéna-t-elle. C'était à la base de toute cette puissance et cette limite invisible qui l'empêchait d'aller plus loin n'était qu'une barrière créée par sa propre personne. Elle pouvait la faire tomber. Elle songea alors au roi, à ses sourires satisfaits qu'il lui accordait. Elle revit la reine, ses gestes posés, la sensation délicate de sa main posée sur sa joue, son sourire calme et ses yeux intelligents. Soudainement, ses doigts tressaillirent sur sa poitrine et elle se rappela ses mains dans les cheveux du héros. Elle visualisa son sourire en coin, ses yeux brillants de gaieté, l'inquiétude qu'il camouflait mal et aussi, la sollicitude silencieuse qu'il avait à son égard. Elle souhaita sa présence à ses côtés, son ombre protectrice et sa calme assurance. Elle se souvint malgré elle de moments anodins. Sa position grotesque et probablement très inconfortable pendant son sommeil, lorsqu'ils avaient dormi tous deux dans la même hutte au village des gorons. Là où il avait voulu s'installer sur une surface inégale par crainte de la lave. Elle l'avait détaillé à son insu ce matin-là et avait ri de sa grimace douloureuse à son réveil. Elle se rappelait de la moue enfantine qu'il lui avait adressée, mais surtout de son rire qui avait suivi. Et alors elle le sentit. Cette chaleur pas seulement dans son coeur, mais dans son ventre et tous ces membres jusqu'à leurs extrémités. Elle se concentra sur des souvenirs précis, comme l'image de Link, l'épée à la main, chacun de ses muscles tendus à l'extrême, ses yeux rivés sur son adversaire. La sensation de ses bras puissants autour d'elle, sa respiration sur sa nuque et le tressaillement de sa poitrine dans son dos pendant qu'il riait doucement. Elle leva les bras au-dessus de sa tête et poussa à la fois l'énergie et un cri vers les cieux. On la tira brusquement sur le sol et son pouvoir s'éteignit d'un coup alors qu'elle tombait le visage sur la surface dur.
- Désolé princesse, dit la gérudo. Personne n'est touché ?
- Nom d'un moldarquor, souffla le soldat. Avez-vous vu ça ?
Zelda sursauta lorsqu'une flèche frappa le plafond de la tour et atterri à côté d'elle. Son regard glissa sur l'homme qui s'était lui aussi accroupi sur le sol pour se cacher des volatiles et l'observait hébéter. Tout près, Riju, assise derrière le module central, évitait ses yeux pendant que Olga, un peu plus loin, tentait de calmer son bambin qui malgré la pluie de flèche gazouillait le sourire aux lèvres.
- Est-ce que c'était suffisant ? demanda-t-elle à la gérudo qui - elle l'avait compris - l'avait fait tomber pour la protéger.
Celle-ci partit d'un grand rire et s'écria :
- Petite Vai ! La moitié du royaume a probablement vu ce que tu viens de faire et l'autre l'a senti ! Tu peux en être certaine !
- Vama ! maugréa la jeune fille. Arrête de l'appeler ainsi ! C'est la...
Elle hésita et le soldat compléta ébahi :
- Quant à moi, c'est la déesse Hylia qui est juste là !
Sa joie disparut et il regarda derrière lui en disant inquiet :
- J'espère que ma femme a pu voir ça. J'espère vraiment qu'elle est cachée, qu'elle a vu ça et qu'elle sait que l'aide ne tardera pas.
La pluie de flèche avait finalement cessé et Riju vint se placer au côté de sa mère qui s'était installée le dos appuyé sur la rambarde. La princesse s'étira pour attraper sa tablette sur le sol et la ramena vers elle tout en s'assoyant à son tour. Elle afficha la carte d'Hyrule et fut déçue de la voir toujours vide.
- À partir de maintenant, on attend, dit la gérudo dans sa direction.
Elle entoura les épaules de sa fille avec son bras et fixa un point en face d'elle. Zelda ferma les yeux, un court instant. Elle pouvait encore sentir l'énergie qui vibrait en elle. L'inquiétude prit alors le pas sur ses pensées et elle croisa les mains en priant silencieusement.
OoOoO
Zelda n'avait pas fermé l'oeil de la nuit. Elle tremblait de froid dans ses vêtements épais et malgré la présence d'Olga et le bambin collé à elle, elle n'arrivait pas à se réchauffer. Elle avait faim et était tellement assoiffée qu'elle avait oublié l'inconfort du sol sous ses jambes et la rambarde dans son dos. Le quart de lune dans le ciel éclairait les alentours ce qui lui permettait de voir les silhouettes des autres personnes. Riju était dans les bras de sa mère et dormait d'un sommeil agité. Plus loin, le soldat était silencieux depuis que l'astre lunaire était apparu de derrière les montagnes. La princesse n'avait plus la notion du temps et par réflexe, elle tapa sur l'écran de sa tablette pour afficher l'heure. Elle dut la prendre dans sa main tremblante et l'approcher pour y lire les chiffres. Trois heures du matin. Elle évita de regarder la température inscrite qui devait frôler le point de congélation et déposa l'engin sur ses jambes.
- Je suis certaine que mes soeurs sont tout près, murmura soudainement la plus vieille des gérudos.
Zelda tourna sa tête vers la femme et put distinguer les traits de son visage sérieux dans la noirceur de la nuit.
- Votre nom est Vama si j'ai bien compris ? demanda-t-elle.
La guerrière eut un léger rire et sa fille remua dans ses bras.
- Vama est un mot gérudo qui signifie mère, expliqua-t-elle. Mon nom est Beterah. Et s'il te plaît, laisse tomber le vouvoiement. Surtout ici.
La bouche de la princesse s'étira en un petit sourire malgré l'inconfort général qu'elle éprouvait.
- Les gérudos vont vraiment venir ? dit-elle incertaine à voix basse.
- Je n'en doute pas une seconde, répondit Beterah. Peut-être même sont-elles déjà là. Les bokoblins et les moblins sont vulnérables la nuit, car eux aussi doivent dormir. Notre chef Nabooru est la meilleure pour organiser des attaques furtives. Et cette mine, malgré son emplacement défavorable, est un terrain de jeux pour nous. Un terrain de jeux que nous connaissons beaucoup mieux que toutes ces créatures.
- Vama, murmura la jeune gérudo. Quelle heure est-il ?
- Je dirais trois heures avant le lever du soleil.
- Je dois aller au petit coin, ajouta Riju.
- Moi aussi, ria doucement Beterah.
Le silence revint sur le groupe et les bruits singuliers de la nuit les entourèrent. Les pensées de Zelda dérivèrent sur le roi et la reine, se demandant comment ils géraient la situation au château. Avaient-ils aperçu son signal lumineux dans le ciel ? Est-ce que son père avait envoyé l'armée à sa recherche ? Est-ce que sa mère tentait de prédire son avenir ? Elle aurait souhaité avoir le pouvoir de la souveraine. Pas pour voir son futur, mais bien celui de son chevalier. Si elle s'inquiétait de ce que sa disparition avait provoqué à la citadelle, penser à Link la rendait presque malade. Elle avait dédié toutes ses prières - et elle en avait fait beaucoup ses dernières heures - pour le héros. Faites qu'il aille bien, songea-t-elle en fixant le noir de la nuit. Faites qu'il soit entier et en santé. Son front se plissa de douleur et elle se massa les tempes avec ses mains. Si sur le coup, elle n'avait pas senti les répercussions de sa téléportation avortée, un mal de tête avait immédiatement pris place une fois l'adrénaline disparue de ses veines. Ajouter à cela la faim, la soif, la fatigue et la raideur de ses muscles en général, elle était incapable de dormir. Elle ferma les yeux et récita intérieurement pour la millième fois une prière de protection. Il lui sembla qu'une éternité s'était écoulée quand elle les rouvrit à l'entente d'un hurlement au loin. Le ciel pâlissant au-dessus de la tour annonçait le début d'une nouvelle journée. La voix du soldat brisa le silence tendu pour demander :
- Avez-vous entendu ça ?
- J'ai entendu, dit Olga.
Le bambin dans ses bras chigna un instant, mais se tut quand sa mère lui murmura des mots doux à l'oreille.
- C'était un cri de centaléo, dit Beterah perplexe. Un cri d'agonie.
- Qui provenait pratiquement du sommet de la mine, ajouta le soldat.
- Est-ce que les habitants du campement se seraient regroupés pour attaquer ? demanda la gérudo surprise.
- Je...je ne crois pas, répondit l'homme. Les gérudos peuvent-elles déjà être au sommet ?
- Non, déclara la guerrière. À moins de faire le détour par l'est.
Celle-ci déplaça doucement sa fille et se mit debout pour faire quelques pas vers la rambarde opposée.
- Mais, ajouta-t-elle, ce chemin les rallongerait de deux jours au minimum.
D'autres hurlements se firent entendre et les otages de la tour se levèrent un à un pour se diriger vers la gérudo.
- Peut-être attaquent-ils, dit le soldat qui sembla étonné.
Ils sursautèrent tous lorsqu'une chaine d'explosion retentit cette fois-ci plus bas dans la mine, immédiatement suivie de cris poussés par des voix féminines.
- Elles sont ici ! s'écria Riju avec à la fois excitée et soulagée.
Un bruit d'aile se fit entendre tout près et Beterah avait son arc à la main. Elle le tendit avec une flèche pointée en direction du nouveau venu et héla :
- Identifiez-vous !
Un piaf s'était posé sur la rambarde et Zelda appela son pouvoir sur le bout de ses doigts pour éclairer suffisamment l'inconnu.
- Tout va bien ! assura-t-elle en reconnaissant la silhouette du guerrier Taf.
Elle s'approcha de l'homme oiseau et dit précipitamment :
- Est-ce que Link va bien ?
Le piaf sauta de la garde sur le sol et répondit :
- Il va bien et m'a demandé de vous mettre en sureté.
Il regarda les alentours et ajouta :
- Cependant, pour le moment, je crois que cet endroit reste le lieu le plus sûr.
- Mes soeurs combattent plus bas, dit Beterah en s'avançant. Est-ce possible de m'amener à elles ?
- Mes ordres sont de rester auprès de la princesse, dit le piaf avec une grimace d'excuse.
- Juste un aller-retour, insista la gérudo.
- Vama, dit Riju en regardant sa mère anxieuse. Je veux y aller aussi.
- Ma fille est une guerrière et pourra la protéger le temps que je rejoigne mes soeurs.
Les yeux du piaf glissèrent du haut de la colline au petit groupe et Zelda prit la parole.
- Vous pouvez accéder à cette requête, dit-elle à l'homme-oiseau. Cet endroit est impossible à atteindre hormis pour votre espèce et il n'y a rien à craindre.
Même si son souhait le plus cher était de quitter cette tour au plus vite, pensa-t-elle. Taf hésita quelques secondes pour finalement rouler ses épaules et s'avancer vers la guerrière.
- Les gérudos ont attaqué l'entrée du désert et remontent actuellement le chemin de la mine. Sir Link et quelques personnes du campement sont au sommet et tentent de faire fuir la horde de monstres vers les montagnes au nord.
- Il y a des survivants ? demanda plein d'espoir le soldat.
- Environ une centaine, répondit le piaf. J'ai cru entendre qu'ils s'étaient réfugiés dans les grottes tout en haut de la mine.
L'homme regarda plus haut même si la faible lueur dans le ciel ne lui permettait pas de distinguer quoique ce soit.
- Accrochez-vous à mes épaules, dit le piaf en direction de Beterah.
- Vama...gémit sa fille en agrippant le poignet de sa mère.
- Tout va bien aller, la rassura-t-elle en se libérant doucement de la prise. Je reviens te chercher très vite.
Beterah s'approcha de Taf et grimpa sur son dos. Le piaf exhala un souffle en se courbant sous le poids de l'imposante femme. Il s'envola tout de même avec facilité et Zelda les perdit de vue alors qu'ils descendaient plus bas dans la mine. La plus jeune gérudo croisa ses bras sur sa poitrine en fixant les silhouettes disparues de sa mère et du piaf.
- J'aurais été apte à participer à ce combat, maugréa-t-elle.
- Je n'en doute pas une seconde, répondit le soldat avec son visage toujours levé vers le haut de la mine. Cependant, si nous sommes attaqués, je ne suis pas en état de venir en aide à la princesse.
Il se tourna vers la gérudo et ajouta en pointant la future souveraine :
- Elle a besoin de quelqu'un qui pourra la défendre en cas de danger.
Riju décroisa les bras de sa poitrine et si elle regarda la réincarnation de la déesse, ses yeux glissèrent rapidement vers le sol et elle approuva. En plus des cris des monstres plus bas, un autre son qu'ils avaient précédemment entendu résonna au-dessus de leur tête.
- Bon sang, grogna le soldat. C'est encore un centaléo.
- Ce sont des créatures qui habituellement restent seuls dans des coins isolés, commenta Zelda avec inquiétude. Combien peut-il y en avoir ici ?
- Avec ma mère, répondit Riju, nous en avions compté trois.
Ils écoutèrent sans parler un moment et la princesse sentit la présence d'Olga à ses côtés. Un bruit d'aile résonna derrière eux et ils se tournèrent tous de concert pour faire face à Taf.
- Les gérudos avancent rapidement, dit-il après avoir repris son souffle. Elles devraient être à cette hauteur dans peu de temps.
Si tout autour, des cris se faisaient entendre, le petit groupe sur la tour resta silencieux. Link allait bien, pensa Zelda pour se réconforter. Toutefois, chaque hurlement était une source d'inquiétude. Même si elle s'en savait incapable, elle aurait souhaité pouvoir participer à ce combat. Apporter tout du moins son soutien à ceux en ayant besoin. La princesse n'arriva pas à voir l'avancement de la troupe des gérudos malgré la pénombre qui se dissipait tranquillement. Elle tenta de passer un tissu sur ses lunettes, les croyant tâchées, mais rien à faire. Sa vision avait perdu de sa précision. Les exclamations poussées tout bas de ses voisins lui permirent de suivre le déroulement. Toutefois, l'inconfort grandissait en elle devant son incapacité à voir. À court de moyens, elle croisa les mains sur sa poitrine et pria en regardant le paysage s'éclaircir tout autour. Lorsqu'un cri commun de joie éclata et brisa le silence qui s'était installé, elle soupira de soulagement.
- Est-ce qu'on peut y aller maintenant ? dit Riju d'une voix excitée à l'intention du piaf.
Taf observa fixement les montagnes un long moment et finit par répondre :
- Oui, dit-il en se tournant la princesse. Votre Altesse ?
- Est-ce que tu vas revenir pour nous ? questionna précipitamment la jeune gérudo avec un air anxieux sur le visage.
Le piaf eut un court rire et dit simplement en direction de Riju :
- Oui, donne-moi une minute.
Il se retourna et s'accroupit devant Zelda qui resta figée sur place.
- Ne vous inquiétez pas, dit Taf. Tenez-vous à mes épaules et tout ira bien.
Elle n'était pas prête à ça, pensa la princesse. Elle ne se sentait pas bien, ses muscles étaient faibles et elle remarqua que ses mains tremblaient de plus belle lorsqu'elle rangea la tablette dans une pochette de son manteau. Elle fit un pas vers le piaf et s'agrippa solidement à ses épaules recouvertes de plumes qui, même s'il s'était accroupi, étaient au niveau de la tête de la jeune femme. Il prit le temps de s'assurer qu'elle était bien solide et d'un puissant bond, ils se retrouvèrent dans le vide. Elle n'avait jamais eu de problème avec la hauteur, mais pour la première fois, un mal de coeur lui étreignit la poitrine et elle ferma les yeux en se concentrant pour rester bien attachée au dos de l'homme-oiseau. Heureusement, le vol fut très court et il atterrit doucement. Immédiatement, elle le lâcha et se laissa glisser sur le sol maladroitement. Elle perdit pratiquement pied, mais deux bras solides l'attrapèrent et malgré sa tête qui tournait, elle sourit en levant son regard sur Link.
- Tu vas bien, soupira-t-elle soulagée.
- Maintenant oui, répondit-il simplement.
Étant près, elle put constater ses cheveux défaits, son visage avec ses traits tirés, ses vêtements tachés et même du sang au niveau de son coude. Il dut voir son inquiétude, car il répliqua :
- C'est une petite égratignure.
Il se déplaça à côté d'elle, mais au soulagement de Zelda, il laissa un bras protecteur autour du sien. Si cela avait été possible, elle se serait blottie contre lui et aurait profité de sa chaleur à la fois pour se réchauffer et pour se réconforter. Il regarda les alentours et elle fit de même pour voir - elle la reconnut - la chef des gérudos avec les siennes qui approchaient. Elle put constater quelques cadavres de monstres et elle espéra de toute son âme qu'aucune autre perte, que ce soit du peuple des femmes guerrières ou de son peuple, ne soit à déplorer. Un groupe d'hyliens restèrent en retrait pendant que Taf faisait les quelques allers-retours pour rapatrier les otages de la tour. Elle ne se sentait pas prête à ce qui allait suivre. Présentations et remerciements, elle devait respecter un protocole et elle n'arrivait pas à se souvenir. Ou plutôt, elle n'avait plus la force. Cependant, les gérudos n'étaient déjà pas en bon terme avec la couronne et elle ne pouvait se permettre d'envenimer la situation. Comment gérer ce type d'évènement ? Les femmes guerrières avaient combattu pour elle. Même si c'était indirectement, car deux des leurs étaient prisonnières sur la tour avec elle. Est-ce que Nabooru voudrait une compensation ? Pouvait-elle retarder sa réponse sans insulter celles qui étaient venues à sa rescousse ? Par Hylia, faites qu'elle ne soit pas malade, pria-t-elle alors que le malaise dans sa poitrine grossissait. Prenant une grande inspiration et se redressant imperceptiblement, elle fit de son mieux pour faire face à ce qui allait suivre. La chef des gérudos s'arrêta à quelques pas d'elle et la dévisagea de haut, son visage basané figé dans une moue sérieuse. Si certaines des femmes guerrières avaient une taille sensiblement identique à celle des hyliens, la plupart étaient de haute stature, tout en muscle ce qui n'enlevait absolument rien à leur beauté. Zelda se redressa pour croiser les yeux de Nabooru et s'apprêtait à prendre la parole quand celle-ci se laissa tomber sur un genou. La tête penchée vers le sol, ses cheveux d'un rouge vif attaché en une couette simple glissèrent sur son dos. Derrière elle, toutes les gérudos l'imitèrent et même le petit groupe d'hyliens suivit l'exemple. La princesse ouvrit la bouche stupéfaite devant une telle dévotion. C'était l'accueil d'un roi et elle n'avait pas l'impression de mériter un tel respect.
- Chef Nabooru, vous pouvez vous relever, assura-t-elle avec un peu trop de véhémence.
Celle-ci fit cela, imitée tranquillement par tous, et sourit doucement à la princesse une fois debout.
- C'est un honneur que de vous accueillir sur ce territoire, dit-elle d'une voix calme. J'aurais aimé que ce soit en d'autres circonstances. Beterah m'a expliqué brièvement la raison probable de votre présence ici et je crois qu'à cause de cela, nous ne puissions profiter de votre compagnie.
Elle soupira et regarda autour avec un air désolé. Elle reprit alors avec plus de fermeté :
- Je vais laisser une faction de mon armée pour veiller à la sécurité de cette mine d'ici à ce que le roi envoie du secours.
Elle se tourna vers la princesse et enchaîna :
- Je vais vous accompagner personnellement jusqu'aux limites du désert et plus loin s'il le faut. Si mes calculs sont bons, les soldats d'Hyrule devraient avoir eu le temps de faire le chemin du château à notre territoire et pourront vous escorter par la suite.
Avec un petit rire, elle précisa :
- Je suis absolument certaine que l'on attend votre retour avec impatience à la citadelle.
- Chef Nabooru, dit Zelda en penchant légèrement la tête.
Elle prit une inspiration qui se coinça dans sa poitrine. Sans montrer son inconfort, elle continua :
- Je vous remercie pour cette généreuse aide. Vous ne pouviez mieux anticiper mes besoins.
Elle releva lentement son visage et remarqua l'observation silencieuse de la gérudo. Et pas que. Elle pouvait sentir le regard de Link sur elle et devinait son inquiétude. Ce qui voulait dire qu'elle n'arrivait plus à cacher le malaise qui l'habitait.
- Riju ! héla la chef en se tournant.
L'adolescente avait rejoint sa mère qui, Zelda l'aperçut, semblait bien aller, sursauta à l'entente de son nom. Elle courut immédiatement vers Nabooru et s'arrêta d'un geste sec à sa hauteur.
- Apporte de l'eau et de la nourriture pour la princesse, ordonna la chef. Assure-toi qu'elle ne manque de rien. Ensuite, va chercher Koumé ou bien Kotake.
Nabooru se tourna vers Zelda et expliqua :
- Ce sont deux très bonnes soigneuses. J'aimerais qu'elle vérifie votre état.
Même si la future souveraine eut envie de refuser, son bon sens lui dicta de consentir. Elle approuva de la tête tranquillement et Nabooru termina :
- Nous allons partir très vite, je vous suggère de vous reposer le peu de temps qu'il vous reste.
Et elle s'éloigna, donnant des ordres autour et préparant le retour. Link la tira doucement vers le mur de la falaise le plus près. Elle n'avait pas trop remarqué, mais Taf l'avait transporté un peu plus haut sur la montagne et de sa position, elle pouvait voir le désert au loin, beaucoup plus bas. Elle se laissa glisser sur le sol quand le héros lui suggéra de s'asseoir. Il s'agenouilla face à elle et demanda les sourcils froncés :
- Est-ce que ça va ?
Zelda savait qu'elle devait se concentrer sur la situation en cours, mais entendre la voix de Link et constater qu'il allait bien, déjà elle se sentait un peu mieux. Elle retira ses lunettes et prit le temps de bien passer un bout de sa manche pour enlever la poussière.
- Ça va, répondit-elle en replaçant les verres sur son nez.
Les traits du héros n'étaient pas plus définis et elle comprit une seconde fois que son état avait influencé sa vue. Elle espérait que ce ne soit que provisoire.
- Épuisée et assoiffée, continua la jeune femme.
Riju, qui avait disparu, revint en courant avec une gourde et un petit sac. Elle s'agenouilla à côté de Link et dit d'une voix nerveuse :
- Voici de l'eau, princesse.
Elle tendit le récipient que Zelda prit avec soulagement. Elle pointa le contenant en tissu et expliqua :
- J'ai aussi des galettes de fruits. Elles sont très consistantes donc vous n'aurez pas à en manger énormément pour vous sentir rassasier. Je peux aller voir s'il n'y aurait pas des petits fruits oubliés dans les arbustes si vous voulez quelque chose de frais.
- C'est suffisant, merci, Riju.
La jeune gérudo se leva d'un bond et ajouta :
- Alors, je vais chercher les soigneuses. Je reviens dans un instant.
Déjà, elle était partie et la princesse en profita pour boire quelques gorgées du liquide qui lui sembla divin.
- Tu trembles, déclara Link alors qu'elle soulevait la gourde pour se désaltérer à nouveau.
- Je sais, dit-elle simplement.
- Tu dois manger, argua-t-il avec insistance.
Elle sourit au héros et répondit d'une voix moqueuse :
- Oui, Maître Link.
Pour faire bonne mesure, elle sortit une galette du sac et prit une minuscule bouchée qu'elle mâcha longuement avant d'avaler.
- Continue ainsi et je crois que tu l'auras fini à notre arrivée au château, soupira le jeune homme anxieux en observant les alentours.
- Je n'ai pas tellement faim, s'excusa la princesse. Je n'ai pas pu fermer l'œil cette nuit.
- Tu as l'air malade, répliqua le héros en plantant ses yeux bleus dans les siens.
- C'est la fatigue, répondit-elle simplement.
Il n'ajouta rien et Riju revint avec une femme d'âge mûr. De petite taille pour une gérudo, ses cheveux gris étaient retenus dans un chignon impeccable. Elle portait une longue robe noire dont la jupe s'ouvrait sur chaque côté ce qui dévoila ses jambes lorsqu'elle se pencha devant Zelda.
- Je suis Kotake, dit-elle comme introduction. Notre chef a demandé à ce que je vérifie votre état de santé. Donc, comment vous sentez-vous princesse ?
- Je vais bien, répéta la jeune femme.
À sa surprise, la soigneuse eut un léger rire et enchaîna :
- Et bien, vous venez de me ramener dans le passé, juste là. Je me souviens avoir entendu ces mots de votre bouche il y a…
La plus vieille leva les yeux au ciel et continua pensive :
- Plus de quinze ans maintenant.
Elle prit le menton de Zelda d'une main et agrippa ses lunettes de l'autre pour les relever sur son front. Instantanément, la princesse se raidit et elle perçut le mouvement de Link à ses côtés.
- Ne t'inquiète pas, Voï, dit la gérudo en replaçant les verres. Je vérifiais s'il y avait une différence. Et, soit dit en passant, vos yeux sont toujours aussi parfaits, Votre Altesse.
Zelda ne comprit pas ce qu'elle voulut dire et fit un petit sourire crispé au héros. Son attention revint sur la soigneuse qui avait agrippé un de ses poignets pour prendre son pouls.
- Vous n'avez pas subi de blessures quelconques ? demanda-t-elle en libérant sa main pour attraper de nouveau son menton.
- Non, dit la princesse alors que la gérudo tournait son visage.
Elle sentit qu'on déplaçait ses cheveux au niveau de son oreille ainsi que le mouvement d'arrêt subit.
- Qu'est-ce qu'il y a ? questionna la jeune femme troublée.
- Un peu de sang, expliqua Kotake. Douleur au tympan ?
- Je…non, répondit-elle.
Elle avait tellement mal à la tête qu'elle n'aurait pas pu le dire. La soigneuse tourna son visage de l'autre côté et déclara :
- Même chose ici. Est-ce que vous sentez une douleur, un inconfort ?
- Je… je vais bien, hésita Zelda.
Non, ça n'allait pas, pensa-t-elle. Même si elle était incapable de l'avouer, elle était loin d'être au mieux de sa forme. Elle préférait cependant se débrouiller seule. De savoir que cette Kotake faisait partie de ceux qui étaient venus dans le passé pour tenter de guérir ses yeux, la plaçait immédiatement sur la défensive. Elle n'arrivait pas à se remémorer la femme, étant trop jeune à cette époque. De toute façon, sa vue déficiente à ce moment-là l'avait empêchée de voir les visages avec précision et encore moins de se souvenir d'eux. La gérudo soupira d'impatience et se leva.
- Je vais revenir, dit-elle simplement.
Kotake n'avait pas fait quelques mètres que Link lui murmura :
- Tu dois lui dire comment tu te sens.
- Je vais bien, répéta la princesse par habitude.
- Zelda...maugréa Link en s'agitant à côté d'elle.
Elle l'observa alors qu'il réfléchit quelques instants. Finalement, il sembla prendre une décision et dit :
- Il faut que tu exagères la moindre douleur que tu éprouves en ce moment.
- Vraiment Link, je ne pense pas…
- Un centaléo a réussi à m'atteindre au mollet avec son sabot, coupa-t-il.
Il leva son pantalon et Zelda poussa une exclamation horrifiée en voyant l'énorme bleu présent sur la jambe du héros.
- Ça a fait un mal de chien. J'ai vraiment eu peur que quelque chose se soit brisé.
- Tu devrais montrer cette blessure aux soigneuses.
Il planta son regard dans le sien et éluda :
- Je vais bien Zelda.
Elle fit une moue en réponse.
- Et si tu t'étais cassé quelque chose ? argua la princesse.
- Mais, je vais bien, dit-il borné.
Zelda laissa son visage tombé entre ses mains et expira longuement. Elle porta attention à la douleur qui se frayait un chemin dans son corps et eut l'impression que celle-ci doubla d'intensité.
- D'accord, soupira-t-elle. Je ne vais pas bien.
Elle souleva sa tête et observa le héros en expliquant :
- Te souviens-tu de l'inconfort que l'on éprouve lorsque l'on se téléporte ?
Il acquiesça, alors elle poursuivit :
- C'est cet inconfort. Multiplié par…
Elle haussa les épaules et fit une grimace :
- Je ne sais pas, cent ? Tout est difficile. Bouger, regarder et même respirer…
Elle détourna sa tête et cligna des paupières. Maintenant qu'elle avait dévoilé ce malaise qui l'habitait, elle avait juste envie de se recroqueviller pour pleurer tout son soul. Link prit sa main et la serra dans les siennes.
- Je ne suis pas un spécialiste de la technologie sheikah, dit-il, mais ce que tu as dû vivre…cette téléportation manquée si on peut dire, est-ce que c'est déjà arrivé ?
Zelda se remémora immédiatement l'incident à Akkala et elle approuva de la tête de manière automatique. Cela s'était produit il y avait plus de deux ans. Pourquoi ne s'en était-elle pas rappelée avant ? Est-ce que cet évènement pouvait être lié à ce qu'il se passait aujourd'hui ? songea-t-elle en fronçant ses sourcils. Si oui, sa situation était plus critique qu'elle le pensait. Elle se souvenait du dossier qu'elle avait lu et relu à la demande du roi. Celui-ci souhaitait de cette manière lui faire accepter sa décision d'avoir limité l'accès à la technologie des sheikahs. Décision qu'elle avait eu beaucoup de mal à comprendre. Sauf aujourd'hui.
- Ne me laisse pas dans le noir, maugréa Link. À quoi penses-tu ?
Elle n'avait plus le choix. S'il y avait vraiment un lien, le temps pressait. Elle avait besoin d'aide. Elle murmura à contrecœur :
- La personne qui avait subi une téléportation avortée, elle ne s'en est pas sortie.
- Que…qu'est-ce que tu veux dire ? balbutia le héros.
Elle fit face à son chevalier et précisa :
- Elle est décédée.
Link la dévisagea plusieurs secondes et dit tout bas :
- Combien de temps ?
- Je ne peux pas m'avancer sur ce point, indiqua-t-elle incertaine.
- Combien de temps ? coupa le héros avec un grondement.
- Mon cas est peut-être différent, c'est une hypothèse…
Il attrapa son visage à deux mains et protesta d'une voix contenue, la colère et la peur imprimées sur ses traits :
- Si c'était moi Zelda ? Si c'était moi qui m'étais bousillé en me téléportant ? Qu'est-ce que tu ferais ? Est-ce que tu me laisserais souffrir ? Est-ce que tu resterais là à m'observer alors que j'ai mal juste à…à essayer d'avaler une minuscule bouchée de galette ? Parce que c'est juste une hypothèse ?
Elle trembla entre les mains du jeune homme. Jamais elle ne l'avait vu de la sorte. Jamais il ne lui avait parlé ainsi. Il lui faisait peut-être peur, mais seulement à cause de l'effroi qu'elle pouvait lire dans ses yeux bleus.
- Non, murmura-t-elle.
- Alors, dis-moi ce que je dois faire ! Parce que je n'ai pas ton cerveau incroyable et je ne peux pas te sauver ! Tu dois m'aider maintenant ! Ok ?
Elle approuva de manière saccadée et réfléchit rapidement avant de poursuivre.
- Va chercher la chef Nabooru et aussi Kotake, décida-t-elle. Nous allons avoir besoin de leur aide.
Link acquiesça et en un mouvement éclair, il était debout et s'éloignait en courant. Zelda le suivit du regard et constata la présence de Riju qui resta en retrait en baissant les yeux sur le sol. La princesse se tourna vers la vue du désert et admira l'immensité de sable. C'était la première fois qu'elle avait la chance d'observer ce paysage en personne. Et avec un soudain effroi, elle songea que ce pourrait être la dernière.
Chapitre mis en ligne le 22 mars 2019.
