Dans le premier chapitre, Link était en visite chez son oncle avec sa famille. Je faisais allusion à sa grand-mère (Mémé) à quelques reprises, mais je n'avais pas réussi à lui donner un rôle plus important dans cette histoire. J'étais quand même déçue de ça MAIS, je me reprends enfin avec ce chapitre. Merci Zergath, Mytsuu et OnyxSeele pour les reviews ! J'espère que la suite va vous plaire ! Bonne lecture à tous :)
13
- Elle ne peut plus continuer, dit Link d'une voix ferme.
Il leva les yeux sur Sir Talon qui gratta sa barbe nerveusement. La large route où ils se trouvaient était flanquée de chaque côté par des précipices presque impossible à escalader et mis à part quelques végétaux desséchés qui, dans cette région aride, annonçait l'arrivée de l'hiver, il n'y avait pas de vie. À environ deux kilomètres de là, en haut des montagnes, on pouvait voir la silhouette de l'énorme robot - ayant une forme de chameau et supposé à la base appartenir aux gérudos - dans le ciel. Ce chemin, qui suivait la voie naturelle d'un canyon, était le seul praticable en cette saison pour se rendre au château à partir du désert. C'est pourquoi le convoi de soldats escortant la princesse l'empruntait. Ses yeux se perdirent au loin et fixèrent la créature divine plus haut. Il avait entendu par Sir Hergo que celle-ci serait bientôt en phase d'essai. Toutefois, cette information n'avait plus d'importance, car il ne voyait plus l'intérêt si Zelda n'était pas apte à profiter de ce spectacle.
- Si nous voyageons de nuit, nous pourrions atteindre le château en trois jours tout au plus, observa Sir Lafrel.
Link se tourna vers le commandant en chef et répliqua :
- La soigneuse Kotake et l'apprenti de Maître Mikael sont du même avis, elle ne peut plus voyager.
Le héros voulait lui aussi s'arrêter. Il voyait l'état de la princesse se dégrader rapidement. Elle n'arrivait plus à manger. Ce qu'elle buvait, elle peinait à le garder. Pour lui permettre de supporter le trajet de retour, la gérudo et le jeune médecin hylien mélangeaient leur remède sédatif pour qu'elle dorme le plus possible. Elle ne se plaignait pas, ne geignait pas non plus, mais elle tremblait de manière saccadée, comme si quelque chose la faisait souffrir de l'intérieur. Ce qui, pensa-t-il en se souvenant de son récit de l'incident de la tour Akkala, était le cas. Il pouvait constater son état se détériorer depuis la traversée du désert, traversée qui avec l'aide des guerrières et de créatures nommées morses s'était faite en un temps record. Toutefois, il n'avait rien pu faire pour la soulager. Elle l'appelait le héros, mais il était incapable de la sauver. C'était son rôle de la protéger et il ne pouvait qu'observer la vie quittée tranquillement son jeune corps affaibli. Link remarqua Sir Lafrel qui fronça les sourcils et regarda le régiment d'un oeil distrait. La courte pause que l'on avait donnée aux soldats pour se nourrir allait bientôt être terminée et plusieurs préparaient leurs montures pour le départ. Du coin de l'oeil, le chevalier vit Ashei marcher d'un bon pas dans sa direction. Avec la peur soudaine que quelque chose se soit produit, il courut vers la soldate et demanda :
- Tout va bien ?
- La princesse est réveillée et veut te parler, répondit la femme.
Link approuva et se dirigea sans attendre vers le centre du convoi où une caravane immobile se trouvait. Sans hésitation, il alla à l'arrière et s'apprêtait à grimper à l'intérieur quand il croisa le regard de Zelda. Soutenue par Kotake et Impa, elle et les deux femmes marchaient tranquillement sur la route de terre battue, surveillées discrètement par tous les soldats autour. L'apprenti soigneur était près d'un feu et Link le regarda à peine pendant qu'il mélangeait des ingrédients dans un minuscule chaudron. En deux pas, il fut devant Zelda et celle-ci lui sourit doucement. Elle ne portait pas ses lunettes, avec comme raison qu'il n'y avait plus de différence, et il pouvait voir les cernes sous chacun de ses yeux. Le fait que soudainement, les verres auxquels elle tenait tant et dont elle ne voulait jamais se séparer ne lui importaient plus avait fait grimper l'urgence qu'éprouvait le héros face à la situation.
- Link ? demanda-t-elle.
- Oui princesse, répondit le jeune homme.
- J'ai besoin de m'asseoir, dit-elle aux deux femmes.
Celles-ci la dirigèrent vers la caravane où elle put se placer. Elle respira difficilement quelques instants et finalement, regarda Link qui attendait patiemment debout en face d'elle. Impa resta tout près, tandis que la gérudo alla rejoindre l'autre soigneur.
- Kotake et...
Elle hésita un moment et reprit :
- ...l'apprenti Borville m'ont expliqué la situation et j'ai compris qu'il serait préférable que je ne fasse plus de route.
Elle passa une main tremblante sur son visage et murmura plus pour elle-même :
- Mon père m'a toujours dit que le lieu le plus sûr à Hyrule était le territoire du Grand Plateau.
Elle laissa tomber son bras sur ses cuisses et son regard se fit plus assurer quand elle affirma d'une voix influente malgré sa faiblesse :
- Sir Link, vos ordres sont de m'escorter sur le Grand Plateau. Vous avez de la famille là-bas ?
- Oui, indiqua-t-il surpris de la soudaine autorité.
- Vous leur faites confiance ? insista la future souveraine.
- Oui, répéta le jeune homme.
- Alors, allez-y en tant que messager pour les avertir de mon arrivée ainsi que celle du convoi. Je vous laisse gérer les détails avec Sir Lafrel et Sir Talon. Impa ?
- Oui Votre Altesse, dit la sheikah.
- Vous êtes rapides. Retourner au château pour les prévenir du changement d'itinéraire. Le guerrier Taf a probablement déjà expliqué ma situation au roi, mais assurez-vous que Pru'ha puisse me rejoindre le plus vite possible.
- Bien Votre Altesse.
La princesse hocha la tête en direction de son amie et le héros sursauta lorsque celle-ci disparut en fumée.
- Link, murmura Zelda.
Il s'approcha un peu plus près pour entendre la suite de ses paroles :
- Tu dois être sûr de toi. Je viens de désobéir à un ordre du roi. Quand tu vas transmettre cette information à Sir Lafrel et Sir Talon, n'hésite pas.
Elle posa sa paume sur la poitrine du héros et Link sentit plus qu'il ne la vit l'énergie traverser ses vêtements et réchauffer son coeur. D'une voix sans appel, il dit :
- Je reste ici. Je vais trouver quelqu'un d'autre pour avertir mon oncle. Je ne peux pas te laisser dans cet état.
Les yeux de la princesse se perdirent au loin et elle éloigna sa main.
- Entendu, dit-elle soudainement épuisée. Maintenant, va.
Sous le regard des autres soldats, il s'élança à l'avant du peloton et s'arrêta à hauteur de Sir Talon et Sir Lafrel qui avait ouvert une carte et l'étudiait scrupuleusement.
- Je crois que si nous passons par l'ouest, commença son entraîneur, nous pourrions sauver plusieurs heures. Je vais envoyer quelques éclaireurs, mais...
- Nous n'allons pas au château, coupa Link.
L'attention des deux chevaliers aussitôt sur sa personne, il enchaîna :
- La princesse nous ordonne de nous rendre sur le Grand Plateau.
Les deux hommes le dévisagèrent un instant, mais Sir Lafrel fut le premier à regarder la carte. Sans contredire le héros quant à la nouvelle destination, il dit :
- Si nous continuons sur cette route, nous atteindrons la porte Est dans six heures. Nous pourrions être au village du temple du Temps cette nuit.
- Nous devons envoyer un messager pour les prévenir de notre arrivée, ajouta Link.
- Je vais y aller, répondit Sir Talon. Je vais me charger de trouver un endroit pour le campement.
- Mon oncle vit là-bas, précisa le héros. S'il y a quoi que ce soit, il pourra nous aider.
- Bien, dit simplement son entraîneur.
Sir Lafrel le dévisagea et soupira :
- Je vais devoir envoyer un messager pour prévenir le roi.
- Impa est déjà en route pour les avertir de ce changement et je prends l'entière responsabilité de cette décision, répliqua Link sans hésitation.
Sir Talon, tapa amicalement son épaule et dit :
- J'y vais immédiatement. Prions que les déesses soient avec nous.
Il s'éloigna vers son cheval et grimpa sur sa monture avec une aisance venant de plusieurs années d'expérience. Il partit au grand galop sur la route de terre. Au loin, Link pouvait apercevoir le sommet des montagnes enneigées du Grand Plateau. Entourée d'une énorme muraille, la région était bien évidemment la plus sécuritaire du pays. Mais à cause de cette vieille infrastructure, c'était aussi une des plus isolées, n'étant accessible que par deux chemins seulement. Sir Lafrel leva un bras pour faire signe au régiment de se remettre en marche. Le commandant en chef affirma alors :
- Je prends la responsabilité de cet ordre. Retourne à la princesse.
Link fit un sourire reconnaissant et obéit sans attendre.
OoOoO
- Nous avons développé une technique de soin à partir de l'énergie utilisée pour faire fonctionner tous nos appareils, narra Pru'ha.
- Pourquoi n'ai-je jamais entendu parler de ça ? demanda la reine Delia d'une voix posée.
Link l'observa attentivement. La femme n'avait rien d'une souveraine en ce moment. Si ses habits reflétaient son statut élevé, ils étaient simples en comparaison à ce qu'elle portait en temps normal. Ses traits fatigués ne cachaient en rien l'inquiétude qu'elle éprouvait.
- Nous sommes toujours à la période des tests, expliqua la scientifique. Je vous avouerais qu'avec le blocus obligatoire concernant notre technologie, nous n'avions pas prévu un quelconque intérêt de votre part.
- Croyez-vous que cela puisse la guérir ? enchaîna Delia.
Pru'ha appuya ses coudes sur la petite table autour de laquelle Link, la princesse à ses côtés - qui peinait à rester concentrer sur la conversation - et la reine en face s'étaient placés. À sa surprise, à l'arrivée du convoi de soldats sur le Grand Plateau, on avait choisi de le loger lui et Zelda dans la demeure de sa grand-mère. Décision très probablement prise par son oncle qui, s'il ne servait plus à temps plein le roi de ce pays, semblait avoir un pouvoir assez élevé dans son village natal. Il devait admettre que la maison était bien située. Un peu en retrait du reste de la population, elle avait été construite sur une colline et était entourée à l'arrière par des montagnes qu'il serait impossible d'escalader sans équipement adéquat. Aussi, leur hauteur permettait de bien voir les alentours et d'assurer facilement la sécurité des deux femmes de sang royal. La souveraine venait, avec Pru'ha, quelques sheikahs et plusieurs soldats, de faire le voyage du château jusqu'au Grand Plateau, atteignant leur destination moins de deux jours après le premier convoi. Link n'avait pas vraiment quitté Zelda plus de dix minutes depuis qu'ils étaient chez sa grand-mère, laissant le soin aux autres chevaliers de s'occuper de toute la logistique que ce séjour forcé avait provoquée. À son arrivée, Delia avait immédiatement rejoint sa fille et voyant son état, elle avait compris qu'elle devait tenter le tout pour le tout. C'est-à-dire, faire confiance à la technologie qui, à la base, avait mis la princesse dans cet état. Et ce, pour espérer la guérir.
- Nous avons fait des tests et avons pu constater que dans la majorité des cas, toutes les formes de blessures physiques étaient soignées, dit Pru'ha.
- La majorité des cas ? répéta Delia en fronçant ses sourcils.
- Cette manipulation n'a aucun effet sur certaines maladies, répondit posément la sheikah. Ni sur la vieillesse du corps.
- Juste…
La reine balaya l'air de sa main et continua :
- …décrire ce qu'il va se passer.
Link croisa le regard de Pru'ha qui dévisagea la princesse avant de reprendre son explication :
- Nous sommes en train d'installer notre matériel dans un endroit isolé où la température ne risque pas de descendre en bas du point de congélation ni de monter au-dessus de quinze degrés.
- Dans les grottes situées tout près, ajouta Link.
Pru'ha approuva et poursuivit :
- Dans cette pièce qui sera presque hermétiquement fermée, la princesse devra s'immerger dans un liquide aux propriétés régénératrices. Dans ce liquide, nous placerons l'énergie de notre technologie avec un code pour activer la guérison de chacune de ses cellules.
La sheikah se tourna vers Zelda et dit dans sa direction :
- Pendant ce processus, vous allez être endormie. Vous ne pourrez pas vous réveiller tant que vous ne serez pas totalement guéri. Il faut aussi préciser que personne ne pourra être présent à vos côtés.
Il ne pourrait pas être avec la princesse ? s'inquiéta Link. Et si cela tournait mal ? Comment pourrait-il lui venir en aide ?
- Êtes-vous en train d'insinuer que vous allez enfermer ma fille dans une pièce où elle devra rester sans surveillance ? s'insurgea la reine en écho aux pensées du héros. Et qu'elle n'en aura même pas conscience ? Que fait-on si son état empire ?
- Pour que cette technique de soin fonctionne, le patient doit être dans un état similaire au coma, commenta la scientifique. Si le patient se réveille avant que l'opération soit terminée, les soins ne seront pas appliqués.
Pru'ha soupira et passa une main dans ses cheveux blancs, abimant le chignon qui les retenait.
- C'est difficile à expliquer, reprit-elle. Toutefois, ce que vous devez comprendre est que si on veut avoir une chance de guérir votre fille, il faut attendre le temps nécessaire. Nous n'avons pas le choix.
- N'y a-t-il pas un autre moyen ? insista la reine.
- Dans des délais aussi serrés, c'est dur à dire, répondit la sheikah doucement. Le cas semblable qui s'était produit à la tour d'Akkala nous confirme que nous n'avons pas de temps à perdre. Le jeune homme qui avait subi une téléportation manquée est décédé au bout de seulement deux semaines. Si une décision doit être prise, elle doit l'être maintenant.
Zelda remua à côté du héros et il se tourna vers la femme malade lorsqu'elle demanda tout bas :
- Qu'elles sont les chances de réussite ?
- Je ne sais pas princesse, répondit tristement Pru'ha.
- Combien de temps risque-t-elle d'être enfermée pour que la guérison soit complète ? interrogea la reine.
La sheikah soupira et admit :
- C'est très variable. Des situations comme des bras cassés ou une plaie ouverte prennent quelques heures. Nous avons par contre déjà essayé cette technique sur un homme ayant une infection généralisée et presque quatre semaines se sont écoulées avant que le processus de guérison soit terminé.
La reine se raidit sur sa chaise.
- Des effets secondaires ? dit Zelda aveugle à la réaction de sa mère. Au réveil ?
- Un peu de confusion, s'empressa de répondre Pru'ha. Ce patient, que je viens de décrire, a eu une amnésie de court terme. Il ne se souvenait pas des quelques heures précédant l'opération, si on peut appeler cela ainsi.
Link observa la princesse. Enveloppée dans une couverture appartenant à sa grand-mère, son regard était perdu droit devant elle et il se demandait si elle comprenait l'ampleur de la décision à prendre. Sa peau, déjà pâle d'avance, avait maintenant une teinte presque grise. Ses yeux blanchissaient et Link savait qu'elle ne voyait que les ombres, sans plus. Elle avait besoin d'aide pour tout et il remerciait les déesses que sa grand-mère se soit occupée avec dévouement de la réincarnation d'Hylia ces deux derniers jours. Même si l'apprenti soigneur était toujours là, il pouvait comprendre que Zelda eut préféré être accompagnée d'une autre femme.
- Je n'ai plus beaucoup de temps, dit-elle doucement. Qu'en pensez-vous mère ?
- J'aurais voulu avoir une alternative, soupira la reine.
- Voyez-vous quelque chose ? demanda la princesse.
- Je ne vois plus rien vous concernant, avoua-t-elle.
Un silence pesant entoura le petit groupe. Link écouta les craquements du bois brûlant dans le foyer ainsi que le sifflement provoqué par le vent qui frappait la fenêtre situé sur le mur tout près. Il se tourna vers l'ouverture et observa la neige qui tombait à l'extérieur. À côté, Zelda prit une respiration qui se coupa dans sa gorge et questionna difficilement :
- Avez-vous tenté de…voir l'avenir de Sir Link ?
- Non, dit la reine.
Le héros pivota son visage vers la souveraine qui avança ses bras sur la table.
- Essayons, dit-elle avec un sourire sans joie. Donnez-moi vos mains, jeune homme.
Il obéit et les posa dans les paumes de Delia. Celle-ci ferma les yeux quelques secondes. Elle les rouvrit, le libéra et soupira soudainement lasse :
- Je le vois monter la garde près de l'entrée d'une grotte.
La princesse sourit et confirma :
- Nous avons donc notre réponse.
- Zelda, murmura la reine.
La souveraine croisa ses mains devant elle en une prière. Elle planta ses yeux dans ceux de sa fille et enchaîna :
- Je ne vous vois pas, ce qui signifie que vous êtes toujours dans cette grotte.
Après quelques secondes, elle compléta avec réticence :
- Et c'était le printemps.
Link sentit une boule au fond de sa gorge. Le printemps ? pensa-t-il. Il attendait encore son réveil le printemps ? Mais l'hiver venait tout juste de commencer !
- Combien de temps peut-on rester dans ce…ce type de soin ? demanda-t-il les sourcils froncés.
- Je…je ne sais pas, hésita Pru'ha.
- Qu'est-ce qu'il se passe si elle ne se réveille pas ? s'emporta le héros.
La scientifique le regarda d'un air désolé. La reine avait enfoui son visage dans ses mains et Link devinait que c'était pour cacher ses larmes. Il sentit les doigts de Zelda sur son avant-bras alors qu'elle interrogeait :
- Dans combien de temps serez-vous prêt ?
- Un ou deux jours tout au plus.
- C'est mon dernier recours, soupira-t-elle.
Elle ferma les yeux et dit tout bas :
- Je dois m'allonger un peu.
Link était debout en une seconde et l'aida à se lever. Lentement, il la guida dans le couloir et fut rejoint par sa grand-mère qui s'était éclipsée pendant cette rencontre décisive. Tous les trois entrèrent dans la chambre de la vieille dame et ils installèrent la princesse dans le petit lit. Dès qu'elle eut posé la tête sur l'oreiller, ses yeux se fermèrent. Sa grand-mère n'avait pas fini de la border, qu'elle dormait déjà.
- Mémé ? murmura-t-il en observant Zelda.
La vieille dame avait une tête de moins que le héros. Son dos était penché vers l'avant sous le poids de la vieillesse et son visage ridé montrait une inquiétude que Link n'avait jamais vue sur ses traits. Elle se tourna dans sa direction tranquillement et il avoua presque silencieusement :
- J'ai peur.
- Oh mon petit, dit-elle en s'avançant.
Elle le prit dans ses bras et il répondit à son étreinte en respirant son odeur caractéristique qui lui rappelait à la fois la nourriture qu'elle préparait pour lui ces derniers jours et les fleurs de lavande. De vieux souvenirs de moments d'enfance où elle était venue passer l'été au village d'Elimith revinrent à sa mémoire. Si Arielle avait préféré leur grand-mère maternelle, lui, il avouait que Mémé était sa favorite. Il aurait tant aimé la voir dans d'autres circonstances. Il aurait tant souhaité lui présenter la princesse en santé, celle qui était attentive, celle tellement intelligente, celle qui souriait discrètement juste pour lui, celle qui avait toujours une anecdote à raconter ou encore celle qui avait ce tic de jouer avec la monture de ses lunettes lorsqu'elle était nerveuse.
- Retournons à nos invités, dit Mémé en lui tapotant le dos mettant fin à ses pensées. Ton oncle devrait bientôt arriver avec un lit et nous pourrons le préparer pour la reine.
- Je m'excuse de vous avoir impliqué dans toute cette histoire.
- Non petit, lui sourit la vieille dame. Je suis contente que tu l'aies fait. Et maintenant, je prie pour que cette jeune femme retrouve la santé et puisse vraiment goûter à ma soupe.
Link eut un léger rire triste.
- Merci, Mémé.
Elle lui tapota le dos et se dirigea vers le couloir. Link suivit et tout en regardant Zelda, il ferma la porte doucement, envoyant ses prières vers les déesses.
OoOoO
- Tout est prêt, avait annoncé Pru'ha.
Et Link avait pensé sur le coup :
« Je ne suis pas prêt. »
Comment pouvait-on se préparer à une telle chose ? Zelda allait être enfermée dans une grotte il ne savait combien de temps, et le pire, est qu'elle pouvait ne jamais en ressortir. Si la majorité des personnes s'inquiétaient de leur avenir, des conséquences que la disparition de la réincarnation de la déesse pourrait avoir au retour de la Calamité, Link ne songeait qu'au fait que peut-être jamais plus il ne reverrait la jeune femme. Il voulait lui parler, lui dire combien elle comptait pour lui et promettre qu'il l'attendrait jusqu'à sa mort s'il le fallait. Cependant, la reine passait tout son temps avec la princesse, ne lui permettant pas d'expliquer cela à sa fille. Il était emprisonné avec ses pensées, obligé de la vouvoyer en présence de la souveraine comme si elle n'était qu'une lointaine connaissance et ça le rendait fou. Il aurait voulu prendre ses mains dans les siennes et même, la prendre dans ses bras et la garder là, l'empêchant ainsi d'aller dans cette stupide grotte. Il voulait lui demander pardon de ne pas avoir su la protéger, s'excuser d'avoir échoué à son rôle de gardien et d'être la cause de sa perte. Il aurait souhaité la voir pleurer pour pouvoir la consoler et se consoler lui-même, car ces derniers jours, il avait juste envie de s'écrouler et sangloter dans un coin. Il aurait voulu qu'elle se fâche, qu'elle lui hurle des injures qu'elle lui mette cette responsabilité sur le dos. Et il aurait pris cette responsabilité. Il l'aurait pris et aurait été content de la porter sur ses épaules. Cette punition aurait été son paiement pour le restant de sa vie, pour lui rappeler qu'il avait échoué et que d'être le meilleur épéiste du royaume ne voulait absolument rien dire.
- Sir Link.
Il sursauta de sa position immobile dans le couloir de la maison de sa grand-mère et dévisagea la reine, le malaise dans ses entrailles grossissant devant les yeux rougis qui ne semblaient pas le voir.
- La princesse veut vous parler avant de…
Delia, son front plissé, ferma ses paupières et cacha son visage dans ses mains en faisant quelques pas plus loin. Machinalement, Link s'avança vers la pièce où Zelda l'attendait assise sur le lit. Elle se leva difficilement et le héros se précipita pour la soutenir. Link remarqua une fois debout qu'elle était légèrement plus petite que lui. Ce n'était toutefois pas le cas en temps normal. Il savait qu'ils étaient de la même taille. Il était presque certain qu'elle était un peu plus grande que lui. Il pouvait deviner sous le long manteau qu'elle avait revêti, son corps courbé sous la douleur.
- Je t'avais fait une promesse, dit-elle.
Ses yeux verts se fixèrent sur son visage et elle les plissa, comme si elle cherchait à le voir. Doucement, elle leva ses doigts et les posa sur ses joues.
- Je t'avais promis de rester avec toi et d'être à tes côtés face à la Calamité.
Les mains de la princesse glissèrent sur sa nuque et elle le tira sans force tout en s'avançant pour se lover contre lui. Elle appuya son menton sur son épaule alors qu'il l'encerclait de ses bras, la collant sur lui et l'englobant dans sa chaleur. Mais soudainement, l'énergie familière traversa son corps, entourant son cœur dans une douce étreinte et il ferma les yeux avec rage pour retenir le sanglot coincé dans sa gorge.
- Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour respecter cette promesse, murmura-t-elle à son oreille.
- Je vais t'attendre, gémit-il.
Il crispa sa mâchoire en sentant une larme coulée sur sa joue. Il était le héros ! pensa-t-il en colère contre lui-même. Né sous la protection de Farore, déesse du courage ! Et il ne pouvait pas s'empêcher d'être effrayé au point de geindre comme un enfant ! Il pencha son visage contre la nuque de la princesse, se réfugiant dans son odeur, tentant de l'enregistrer et la garder à tout jamais dans sa mémoire. Il pouvait sentir chacun de ses tremblements et la serra un peu plus fort. Il ne sait pas combien de temps ils restèrent ainsi, mais Zelda finit par laisser tomber ses mains et il prit cela comme étant le signal pour mettre fin à l'étreinte.
- Mon petit.
Link s'empressa d'essayer les larmes sur ses joues qu'il n'avait pas pu retenir et se tourna vers sa grand-mère qui le regardait à l'entrée.
- Ils vous attendent, dit-elle en tentant de sourire sans succès.
Il approuva de la tête, ne voulant pas répondre verbalement. Zelda enroula son bras autour du sien et tous deux quittèrent la pièce tranquillement. Ils furent à l'extérieur trop tôt à son goût et le vent glacé fouetta leurs visages. Le chemin était coulant et Link dut la retenir pour l'empêcher de s'effondrer sur le sol. Cependant, plusieurs soldats étaient présents et rapidement Sir Lafrel vint soutenir l'autre bras de la princesse. Si ça n'avait été que de lui, il l'aurait pris dans ces bras pour le court trajet les séparant de la grotte. Il entendit le soupir de Zelda une fois qu'ils furent cachés dans la caverne et si l'entrée était la même, un peu plus loin, une petite salle avait été creusée à même la pierre. Au centre de celle-ci, se trouvait une sorte de baignoire surélevée, avec de chaque côté, Pru'ha et sa fille. Impa se dirigea vers Zelda avec un verre et dit :
- Buvez cela quand vous serez prête.
Sir Lafrel recula de quelques pas pendant que la princesse agrippait le récipient dans une de ses mains. Elle hésita longuement en fixant le liquide. Toutefois, une fois décidée, elle l'approcha de ses lèvres et avala le contenu d'une traite, son visage affichant une grimace de dégoût. Le verre tomba sur le sol dans un bruit mat et Impa, aidée de Link, attrapa la princesse lorsque celle-ci roula de l'œil à peine une minute plus tard.
- Vite ! dit Pru'ha en prenant une tablette, apportez-là ici ! Sir Lafrel, allez surveiller l'entrée !
Link entendit les pas du chevalier se diriger vers la sortie alors qu'Impa retirait le manteau de Zelda. En dessous, elle ne portait qu'une courte chemise lui arrivant à mi-cuisse. Link paniqua en songeant que la température était beaucoup trop froide pour la laisser ainsi.
- Enlève ses bottes, lui ordonna Impa.
- Elle va mourir geler ! rétorqua-t-il scandalisé.
Sans son aide, la sheikah souleva son amie et la posa dans la baignoire peu profonde. Elle retira les souliers et prit le temps de bien placer chacun des membres de Zelda. Elle releva doucement sa tête et décala sa longue tresse sur le côté de son corps.
- Elle est prête, dit Impa.
Après un coup d'œil de la scientifique, celle-ci appuya sur sa tablette et la grande cuve se remplit d'un liquide ressemblant à de l'eau. Pru'ha ordonna :
- Sortez.
Le héros resta figer en voyant le corps de la princesse être immergé dans le liquide. Impa le poussa violemment et il recula de quelques pas.
- On sort ! dit-elle sèchement.
Son regard tomba de nouveau vers l'alité et Impa ajouta :
- Maintenant Link !
Il s'en alla à contrecœur pendant que Pru'ha plaçait la tablette sur un module tout près de la porte coulissante qu'ils avaient franchie pour être dans la salle. Une fois de l'autre côté, celle-ci glissa lentement et la scientifique sortit avant qu'elle soit complètement fermée. Link resta prostré devant l'unique entrée impossible à ouvrir de l'extérieur. Qu'avaient-ils fait ? pensa-t-il sous le choc.
- Maintenant, nous n'avons plus le choix d'attendre, dit Impa derrière eux.
OoOoO
Link se réveilla avec le chant presque cacophonique des oiseaux. Il s'assit sur le lit et roula ses épaules en bâillant. Il se leva, prit son pantalon et sa veste, les enfila tout en regardant par la fenêtre le soleil encore bas dans le ciel. Il s'empressa de mettre ses souliers, plaça l'épée légendaire dans son dos et quitta la minuscule chambre pour se diriger vers la salle de séjour.
- Bonjour Mémé, dit-il en se penchant pour embrasser les cheveux blancs de la vieille dame qui se berçait sur sa chaise.
Celle-ci tapota son avant-bras en réponse et en pointant un petit sac sur la table lui dit :
- Je t'ai fait un sandwich au jambon. Reviens-tu diner ?
- Oui, cette semaine mon tour de garde est l'après-midi.
Il prit le casse-croute et le rangea dans la poche de sa veste. En deux enjambées, il fut devant la porte et l'ouvrit. Déjà, il sentait les rayons du soleil qui réchauffait à la fois son visage et la terre. Il n'aurait pas besoin d'un par-dessus aujourd'hui.
- J'y vais Mémé !
- À plus tard mon petit, répondit-elle.
D'un bon pas, il prit le chemin qu'il connaissait par coeur et monta le sentier menant à la grotte si familière maintenant. À destination, il fit signe au vieux soldat qui se leva de la souche leur servant souvent de banc improvisé pour les heures de surveillance.
- Salutations, jeune Link, dit-il joyeusement.
Le héros sourit et ne posa pas la question qui lui brulait les lèvres. De toute façon, s'il s'était passé quelque chose, il serait déjà au courant.
- Ça n'a pas gelé cette nuit on dirait, dit-il à la place en regardant autour.
- Non, répondit l'homme âgé. Je crois bien que l'été est à nos portes.
- Mémé va peut-être me demander de mettre ses plants de tomates au jardin.
Le soldat hocha négativement la tête et ajouta :
- Mon père affirmait, de la pleine lune précédent le solstice, qu'elle apportait toujours un dernier coup de froid avant le vrai début de l'été. D'attendre qu'elle soit passée avant de mettre les plants de légumes au jardin.
- Encore deux semaines donc, calcula Link.
Il regarda le château au loin, visible au-dessus de la cime des arbres de la forêt juste en dessous d'eux. Il dansa un peu sur ses jambes et le vieil homme dit :
- L'heure de courir ?
Link approuva et le salua de la main. Il entama alors son jogging matinal et redescendit le sentier qui le mena au village. Il contourna les maisons et se dirigea vers la montagne située à l'est sur le grand plateau. Son corps prit rapidement les commandes et il garda un rythme soutenu en longeant la rivière. Il sentit le froid qu'elle dégageait sur son visage et ses mains découvertes en cette fin de printemps. Il continua un moment pour arriver au pont qui enjambait le cours d'eau. Sans hésitation, il l'emprunta et se retrouva à la base de la montagne la plus haute de la région. Sa respiration s'accéléra alors qu'il s'efforça de ne pas ralentir sa course malgré l'altitude qui ne cessait d'augmenter. La sueur perla sur son front et derrière sa nuque. Il se concentra sur le bruit de ses pas, sur la pente à pic qu'il avait tant de fois montée et finalement, la vue s'ouvrit devant lui et le pays d'Hyrule s'étala à ses pieds. Là, il s'assit sur une pierre plate et malgré le paysage impressionnant qui l'entourait, il ferma les yeux. Le vent fit danser les mèches libres de ses cheveux et il arriva à sentir l'odeur aromatique des fleurs du printemps qui avaient éclos ces dernières semaines. Il n'y avait plus autant d'oiseaux au sommet et leurs chants étaient comme un lointain murmure. Le soleil avait grimpé dans le ciel et Link profitait de sa douce chaleur alors qu'il reprenait son souffle.
Au bout d'un moment, il ouvrit les yeux et sortit son petit déjeuner. Tout en observant le château au loin, il mangea son repas avec appétit. Il plissa son front et eut l'impression de voir des petites formes se déplacer dans les plaines entourant la citadelle. Peut-être était-ce les fameux robots dont il avait tant entendu parler ces derniers mois. Il changea le cours de ses pensées immédiatement, ne voulant pas se remémorer d'autres souvenirs en lien avec ces robots. Avec l'été qui approchait, il se sentait pris au dépourvu. Pas juste lui. Le royaume tout entier retenait son souffle. Les signes annonciateurs du retour de la Calamité se faisaient de plus en plus ressentir. Si aucune armée de monstres n'avait été découverte depuis l'accident de la tour Gérudo, tous les peuples étaient sur le qui-vive. Plusieurs croyaient que Zelda était morte et on avait dû interdire les visites sur le Grand Plateau, certains cherchant à voir le tombeau de la princesse.
Link secoua sa tête et se leva prestement. Il prit le temps de faire quelques étirements et rebroussa chemin. La descente ne fut pas plus rapide que la montée, le héros faisant attention à ne pas trébucher. Lorsqu'il repassa à la rivière, il croisa un pêcheur qui le salua de la main. Il répondit de la même manière et en un rien de temps, il était de nouveau au village. Il finit sa course devant la maison de sa grand-mère et il s'arrêta en face du baril empli d'eau de pluie pour se laver le visage et y enlever l'excédent de sueur. Le village s'était finalement réveillé et il put observer quelques jeunes enfants se diriger vers l'unique école du Grand Plateau. Il se tourna lorsqu'un bruit d'aile se fit entendre derrière lui et sourit en reconnaissant Médolie qui se posa tout près de lui.
- Je suis contente de te trouver aussi facilement, dit-elle en secouant ses plumes.
- C'est loin d'être la cité d'Hyrule, répliqua-t-il en pointant l'agglomération tranquille.
Elle sortit une lettre roulée d'un sac en bandoulière qu'elle portait par-dessus ses habits et lui tendit. Il la prit et enchaîna perplexe :
- Je ne savais pas que tu livrais le courrier.
Elle s'approcha un peu plus près et expliqua à voix basse :
- Le chef Scaff m'a envoyé personnellement pour te transmettre cette information. Une fois que tu l'auras lu, tu devras bruler cette lettre.
- Qu'est-ce qu'elle contient ? demanda Link soudainement inquiet.
- Je ne suis pas sûre, dit-elle en haussant les épaules. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a eu du remue-ménage au château à la suite de ce qu'il s'est produit à la tour Gérudo. Sir Rusl...
- Mon père ? coupa Link surpris.
- Oui, répondit la piaf. Il a demandé à ce que tu sois mis au courant étant donné ton implication dans toute cette histoire. Cette requête a toutefois été refusée et donc, me voilà.
Elle se recula et son regard se porta sur la grotte un peu plus loin. Avec hésitation, elle interrogea :
- La princesse est...toujours à l'intérieur ?
Link approuva silencieusement. La femme oiseau lui fit un sourire triste et annonça :
- Je ne te dérangerai pas plus longtemps. Au revoir, Link.
Il renvoya la salutation et un courant d'air venu de nulle part poussa la piaf haut dans le ciel. Le héros abaissa son regard sur la lettre et s'empressa d'entrer à l'intérieur de la maison.
- Mémé ?
Il jeta un coup d'oeil à la salle de séjour vide et n'ayant pas eu de réponse, se dit qu'elle était chez une de ses amies. Il se laissa tomber sur une chaise entourant la petite table à manger et décacheta l'enveloppe. Il fronça les sourcils en lisant les quelques lignes sur la feuille.
« Sir Thomas a été retrouvé mort au pied de la tour Gérudo. Il a tenté d'assassiner le soldat au poste de surveillance juste avant l'arrivée de la princesse.
Pru'ha a déterminé que le même programme informatique avait été utilisé lors de l'incident à la tour d'Akkala il y a quelques années et celui de la tour Gérudo.
Ce même programme a été lancé à partir de la tour de la Plaine au moment exact où la princesse s'est téléportée.
Seul un nombre limité de personnes connaissait l'heure de la téléportation. Il y a deux suspects majeurs. Un conseiller du chef Scaff et le chancelier du roi. Pas de preuve jusqu'à maintenant.
Garde un oeil ouvert. R. »
Link se leva machinalement et se dirigea vers le foyer. Il s'accroupit devant et tira la porte qui grinça bruyamment. Après avoir remarqué encore quelques tisons rouges, il chiffonna la lettre et la lança à l'intérieur. Elle prit rapidement en feu et ne fut que cendres au bout de quelques secondes. Son esprit vagabonda jusqu'à ses souvenirs de ce premier été passé au château et de l'entraînement de Sir Thomas. D'avoir enfin la preuve de la culpabilité du chevalier ne lui apporta pas le réconfort qu'il avait souhaité. Ces informations ne seraient pertinentes que s'il retournait à la citadelle. Cependant, après plus de cinq mois d'attente, il doutait. Il commençait à perdre espoir et cette grotte ne représentait plus le moyen de sauver Zelda à ses yeux, mais était devenu son lieu de repos éternel. Il se redressa et serra les poings de chaque côté de son corps. Si lui aussi n'avait plus confiance, il n'y aurait plus personne pour défendre le royaume de la Calamité. Il soupira et relâcha ses muscles qui s'étaient contractés. Il se répéta mentalement le mantra qui l'accompagnait lorsqu'il courait pendant de longs kilomètres chaque jour.
- Un pas à la fois, murmura-t-il. Juste un pas à la fois.
OoOoO
- Regardez-moi ce visage, dit Mémé. Il doit avoir une bonne main pour sourire ainsi.
Link tenta de garder son sérieux sans succès. Il faut dire qu'il avait un triple et un double, et qu'il était certain de gagner cette partie.
- Peut-être qu'il simule, dit une des amies de sa grand-mère.
- Ou bien il a vraiment un jeu parfait, dit une autre.
Elle laissa tomber ses cartes et soupira :
- Je passe.
Celle d'avant la copia et déposa ses cartes sur la table. Link regarda Mémé en souriant et elle jeta les siennes sur la surface de bois en ordonnant :
- Montre ce que tu as, petit.
Il plaça son jeu et ramassa immédiatement la pile de jetons au centre en se retenant de rire.
- J'arrête, dit une des dames. Ce gamin est trop chanceux aujourd'hui.
- Il est toujours chanceux tu veux dire ! répéta l'autre. C'est terminé pour moi aussi. Je dois rejoindre mon mari pour compléter le jardin.
Les deux amies de sa grand-mère se levèrent et se firent la bise tout en discutant où aurait lieu la prochaine partie de cartes.
- On se revoit demain en fin d'avant-midi alors, dit Mémé.
- Ne l'amène pas ! rigola une des vieilles dames en pointant Link. Je suis fatiguée de ne jamais gagner !
- Ne sois pas si mauvaise perdante, dit l'autre en la poussant à l'extérieur. À demain !
Le héros rangea les cartes et les jetons dans la petite boite et se leva pour mettre l'épée dans son dos.
- La pluie a cessé depuis un moment, dit-il en regardant par la fenêtre. Je crois bien que le soleil va bientôt sortir.
- Vas-tu courir ? demanda Mémé en s'installant sur sa chaise berceuse.
Il approuva de la tête.
- Fais attention, la route sur la montagne risque d'être coulante avec cette eau.
- Je vais être prudent.
Il ouvrit la porte et dit :
- À tantôt Mémé !
Elle le salua et Link sortit à l'extérieur. Il s'étira à côté du carré de jardin où les petits plants de tomates semblaient avoir pris racine, et ce, quelques jours seulement après leur transplantation. Le héros décida de ne pas se rendre à la grotte, sachant que sa garde commencerait dans quelques heures. Ses jambes s'activèrent d'elle-même et il longea le village, prenant le trajet qu'il avait emprunté de nombreuses fois. Son cerveau se vida de toute pensée et, de manière presque automate, il se retrouva au sommet de la montagne du Grand Plateau en un rien de temps. Les nuages s'étaient dissipés pendant sa course et le soleil réchauffa son visage en cette fin d'après-midi. Assis sur la roche plate, il se laissa glisser sur le sol et s'étendit de tout son long. Fermant les yeux, il croisa ses mains derrière sa tête et soupira longuement. Son coeur avait repris un rythme normal après la montée et ses muscles se détendirent lentement. Le vent était presque inexistant et il écouta le silence. Sa respiration devint calme et l'image de cette grotte lui revint à la mémoire. Il pouvait reconnaître la baignoire surélevée au centre. Il se souvenait de sa couleur, d'un gris presque noir avec les symboles de la technologie sheikah, d'un bleu lumineux sur les parois. Le mur circulaire l'entourant et formant une salle pas très grande. Et pourtant, il n'avait vu cet endroit qu'une seule fois. Toutefois, c'était comme s'il y était. Il tourna la tête et derrière lui, l'épaisse porte était fermée. Une tablette était posée sur un module juste à côté. Son attention revint sur la baignoire et il marcha quelques pas pour se poster à côté de celle-ci. Il pouvait voir Zelda dans le liquide trop bleu pour n'être que de l'eau. Il approcha sa main au-dessus du visage de la jeune femme. Ses yeux étaient fermés et il ne pouvait pas déterminer si elle respirait ou non. Il avança ses doigts qui touchèrent le produit presque visqueux. Il y eut un déclic et il sursauta en s'éloignant. L'eau s'écoula, il ne sait où, dévoilant le corps de la princesse immobile. Soudainement paniqué à l'idée d'avoir commis une bêtise, il regarda autour de lui en se prenant la tête dans les mains.
- Sir Link.
Il se tourna immédiatement vers la voix et debout tout près, juste de l'autre côté de la baignoire, il la vit. Il n'y avait pas de mots pour la décrire, mais il se souvenait l'avoir déjà aperçu. Il y avait presque deux ans de cela, juste avant qu'il ne retire l'épée de légende. La déesse Hylia. Elle lui sourit et avança sa main au-dessus de la jeune femme inerte dans la large cuve. Link remarqua la poitrine de la princesse qui se souleva en réponse et perçut clairement sa grande inspiration. Il cria son nom en faisant un pas dans sa direction.
- Zelda !
La bouche ouverte, il fixa le magnifique paysage d'Hyrule qui s'offrait devant lui. Ses paumes sur le sol sentaient la chaleur de la pierre de la montagne et subitement, il se retrouva debout à dévaler le sentier. Son coeur se débattant dans sa cage thoracique, il entendit le cor sonné alors qu'il traversait le pont sur la rivière. Ses jambes douloureuses accélérèrent, l'adrénaline se répandant dans chacun de ses muscles. Il fut au village en un temps record et monta la colline menant à la grotte sans porter attention aux gens qui étaient sortis de leurs maisons. Il rattrapa un des soldats qui tout comme lui, avait un poste de surveillance et tous les deux atteignirent la caverne sans échanger un mot. Link entra et son oncle se retourna à son arrivée.
- La porte s'est ouverte, dit-il.
Le héros n'attendit pas la suite et courut à l'intérieur de la salle pendant que l'autre homme restait derrière. La princesse était debout, juste en face du module, la tablette dans une main. Le front plissé de concentration, sans porter attention à lui, elle lisait le code sur l'écran. Un long drap qu'elle retenait de sa main libre recouvrait son corps.
- Zelda ?
Elle sursauta et lui sourit. Elle dit immédiatement :
- Est-ce que Pru'ha est encore ici ? Je crois que ça a fonctionné ! Je me sens très bien et je n'éprouve plus aucune douleur !
Son visage se tourna vers la tablette et elle poursuivit d'une voix passionnée :
- Je n'ai jamais vu ce genre de code. Je n'arrive pas à comprendre comment elle a réussi à incorporer...
Link, pratiquement sous le choc, l'observa alors qu'elle tentait de lui expliquer ce qu'elle lisait sur l'engin électronique. Elle était en vie, pensa-t-il. Elle était en vie, se répéta-t-il de nombreuses fois. Il pouvait voir que son visage avait retrouvé de ses couleurs malgré la pénombre de la grotte, ses yeux vifs se promenaient de lui à la tablette et son dos bien droit n'avait plus l'air de supporter le poids du monde. En deux pas, il fut en face d'elle et sans hésitation, l'entoura de ses bras. Elle sursauta, mais après quelques secondes, répondit un peu maladroitement à son étreinte.
- Je vais bien Link, dit-elle.
Elle ajouta avec un léger rire :
- Et je te promets que c'est la vérité cette fois.
Le héros sourit en retour, la libéra et s'éloigna à peine pour planter ses yeux dans ceux de la princesse.
- Tu as pris ton temps, dit-il.
Soudainement, la pression qui portait sur ses épaules s'était envolée. Link poussa un long soupir et essuya la sueur sur son front. Son coeur battait encore avec puissance dans sa poitrine.
- Arrives-tu de la forêt perdue ? se moqua-t-elle. J'ai l'impression que tu as couru un marathon.
- En quelque sorte, éluda-t-il simplement.
- Depuis combien de temps suis-je ici ? demanda la princesse soudainement sérieuse.
Link fronça les sourcils dans sa direction et dit :
- Tu ne le sais pas ?
- Je n'ai pas le sentiment d'être là depuis très longtemps, répondit-elle.
- Oh, répliqua le jeune homme. En fait, tu es dans cette grotte plus de six mois.
Les yeux de la princesse s'agrandirent d'étonnement et il ajouta en grimaçant :
- Ton anniversaire est dans moins de deux semaines.
- Par Hylia, murmura Zelda.
Link eut le réflexe de regarder en direction de la baignoire pour voir si la déesse n'y était pas. Comme il s'en doutait, rien ne laissait supposer qu'elle fut venue dans cette grotte. Et pourtant, ce rêve avait semblé si réel.
- Je...je crois que je vais devoir retourner au château rapidement, hésita la princesse.
- Le royaume entier attendait ton réveil. Alors, je pense que tu as raison.
Il posa son bras dans le bas de son dos et la poussa doucement vers l'extérieur en constatant qu'elle restait immobile.
- Nous devons aller chez ma grand-mère, dit-il. Il y a des vêtements et...je ne sais pas comment tu te sens, mais tu dois probablement t'hydrater et manger.
Ils passèrent devant le vieux soldat et son oncle qui se prosternèrent. Zelda les regarda en fronçant ses sourcils et il se rendit compte qu'elle ne les avait, techniquement, jamais vus. Lorsqu'il fut dehors, elle cligna plusieurs fois les paupières et se figea en admirant le paysage au loin.
- Peux-tu tenir ça ? dit-elle en lui donnant la tablette.
Il prit l'objet sans rien dire et l'observa alors qu'elle passait une main devant ses yeux comme pour tenter de replacer ses lunettes qu'elle ne portait pas.
- Je peux voir le château, dit-elle en laissant retomber son bras.
- La région du Grand Plateau est surélevée comparativement à la cité d'Hyrule. On a une très belle vue d'ici.
Elle hocha négativement la tête et ajouta en se tournant vers lui :
- Non, je veux dire que je peux le voir. J'arrive à tout voir sans mes verres. C'est...
Elle pinça les lèvres et détailla le paysage tout autour. Son regard s'arrêta en bas de la colline et ses yeux s'agrandirent de stupeur :
- Il y a des gens, murmura-t-elle.
- Ne t'inquiète pas, dit Link. Ce sont des habitants du village.
Elle pencha son visage sur sa longue couverture et ajouta entre ses dents :
- Je ne suis pas convenable.
Link retint un rire et passa un bras autour de la taille de la princesse pour la diriger vers le sentier menant à la maison où il logeait.
- Ma grand-mère reste tout près, dit-il. Les villageois peuvent comprendre la raison de cette tenue.
- Allons-y avant que le royaume débarque alors, dit précipitamment Zelda. Six mois ! Je ne sais même pas comment le roi et la reine ont pu gérer cette situation au château !
- J'ai des nouvelles, dit Link.
La princesse tourna son visage vers le sien alors qu'ils descendaient la pente vers le village.
- Je t'expliquerai tout cela une fois à la maison, murmura-t-il en s'approchant du petit groupe de gens.
OoOoO
- Link, tu ne devrais pas faire cela, hésita Zelda.
Elle était assise sur le petit lit, les jambes croisées sous elle, et fixait l'unique fenêtre de la chambre. Link était positionné derrière elle et répliqua :
- Pourquoi pas ?
- Parce que ce n'est pas ton rôle, indiqua la princesse.
- Nous ne le savons pas, contredit-il. C'était peut-être une des tâches des précédents héros.
La jeune femme tourna la tête et haussa un sourcil dans sa direction.
- Vraiment ? se moqua-t-elle. Brosser mes cheveux ?
Link arrêta son mouvement sur la longue mèche qu'il tenait dans ses mains et répondit :
- Il faut traiter la réincarnation d'Hylia aux petits oignons. Sinon, elle tombe malade et en a pour un minimum de six mois à guérir.
Zelda exhala, exaspérée, et se détourna pour montrer le dos de sa tête au chevalier qui continua sa tâche.
- Je ne croyais pas que cela aurait pris autant de temps, déclara-t-elle.
Link déposa la mèche qu'il venait de finir et en sélectionna une autre. Délicatement, il passa les poils fins de la brosse dans celle-ci tout en faisant attention à ne pas tirer.
- Le convoi va arriver demain, observa la princesse. Peut-être faudrait-il accélérer le processus ?
- J'essaie d'y aller doucement ici, indiqua Link.
- Je ne suis pas une poupée de porcelaine.
- Laisse-moi faire, la coupa-t-il.
Elle grogna d'impatience et croisa ses bras sur sa poitrine. Soudainement plus sérieuse, elle remarqua tout bas :
- Je suis surprise que le chancelier Léonard soit un des suspects pour ce qui s'est produit à la tour Gérudo.
- Pourquoi ? s'enquît Link.
- Le roi lui fait énormément confiance, poursuivit la jeune femme sur le ton de la conversation. Lui et le chancelier se connaissent depuis leur plus tendre enfance.
- Cela ne l'innocente pas, argua le héros.
La princesse laissa tomber ses mains sur le petit lit et réfléchit quelques instants avant de continuer :
- Tu ne sembles pas apprécier le chancelier du royaume. Pourquoi ?
Il haussa les épaules et dit :
- C'est lui qui a recruté Sir Thomas pour en faire mon entraîneur.
- On ne peut pas prouver que Sir Thomas servait les intérêts du chancelier, exposa posément Zelda.
- Je ne suis pas bon pour démontrer mon point, indiqua Link. Par contre, le chancelier a eu une confiance aveugle en Sir Thomas. Il n'a pas pris la peine de venir me voir pour faire un suivi une fois pendant ces trois mois.
Et, pensa Link sans le dire à haute voix, c'était cet homme qui avait osé insinuer que la princesse était stupide pendant son enfance. Juste pour ça, il avait perdu tout crédit à ses yeux. Tout d'un coup, les souvenirs de son entraînement avec le défunt Sir Thomas lui revinrent en mémoire et il demanda avec curiosité :
- Pourquoi n'es-tu pas venu me voir cet été-là ? J'ai passé la saison à te chercher du regard.
Avec un rire, il précisa :
- Sauf que je cherchais une copie de la reine en plus jeune. J'étais sûre que tu étais blonde.
La princesse hésita longuement avant de répondre :
- Je...je n'avais pas l'autorisation.
Link arrêta son mouvement et répéta :
- L'autorisation ?
Lentement, elle ajouta :
- Le roi jugeait que nous n'étions pas prêts.
- C'est le roi qui avait décidé ça ! s'exclama Link stupéfait.
Zelda précisa à contrecœur :
- Le chancelier Léonard disait que tu n'étais pas prêt.
- Ha ! s'écria le héros. On revient au chancelier !
La princesse passa une main sur son visage et admit :
- Je crois que tu as deviné que je ne portais pas le chancelier dans mon coeur.
- Tu sembles le défendre pourtant, commenta Link.
Zelda attrapa ses cheveux à deux mains et les ramena sur sa poitrine.
- Hé ! Je n'ai pas fini ! rouspéta-t-il en brandissant la brosse.
- Si je répète les propos du roi, commença-t-elle en se tournant sur le lit pour lui faire face, le chancelier est un être qui a grandement contribué à l'essor du royaume. Je pourrais te nommer quelques-unes des résolutions auxquelles il a participé...
- Ou pas, coupa le héros. Reprend ta position, que je finisse mon travail.
- Avoue que ça n'aurait aucun sens d'investir autant de temps dans un royaume pour au final vouloir le détruire, continua la princesse.
- Il a porté atteinte à la sécurité des deux élues des déesses, déclara Link sûr de lui.
- Sir Thomas a porté atteinte à ta sécurité, corrigea-t-elle en fronçant ses sourcils. Le chancelier ne m'a rien fait.
Link haussa les épaules, ne souhaitant pas rappeler les difficultés qu'elle avait vécues pendant son enfance.
- Je crois que le plus important dans cette histoire est de garder un oeil ouvert, dit Link en répétant les propos de son père. On parle de plus en plus de l'arrivée de la Calamité et de plus en plus de personnes disent que c'est pour très bientôt.
- Cet automne ? s'inquiéta Zelda.
Link lui fit un sourire triste avant de répondre :
- Rien de précis malheureusement.
- Plus les prédictions sont à court terme, plus la reine peut être exacte. Souhaitons qu'à notre retour elle ait de plus amples informations.
Link approuva de la tête et changeant d'attitude, il ordonna :
- Tourne-toi maintenant.
La princesse roula des yeux et la main ouverte devant elle, répliqua :
- Donne-moi la brosse et je vais terminer.
Link fit une moue sans lui remettre l'accessoire.
- Même si tu prends cet air, tu ne gagneras pas. Ce n'est pas convenable de...
Link grogna en fixant Zelda qui par réflexe, plaça les lunettes qu'elle ne portait plus. Le héros eut un léger rire en voyant son manège.
- Ce n'est pas drôle, dit-elle outrée. Donne-moi la...hé !
Link s'était levé et l'avait contournée pour s'installer derrière et continuer son travail en prenant immédiatement une nouvelle mèche.
- J'abandonne, soupira la princesse.
- Bonne décision, dit Link.
Elle se tourna juste assez pour lui taper la joue affectueusement. Son sourire s'agrandit en voyant les yeux de Zelda pétillants de vie dans sa direction.
Chapitre mis en ligne le 29 mars 2019.
