Je l'avais déjà dit au premier chapitre, mais je vais faire un petit rappel : Dans cette histoire, je me sers de l'univers de BOTW, mais ce récit ne se passe pas à la même époque. J'ai gardé certaines choses similaires au jeu, mais si j'avais à le situer par rapport à BOTW, je dirais que ça se passe des siècles (voir des millénaires) avant. En lisant certains commentaires et en voyant vos comparaisons, j'ai décidé de vous avertir, question de vous éviter une déception à la fin - jusque au cas où ! Sinon, voici spécialement pour toi OnyxSeele, ce chapitre xD

Et un merci à Kyzo et Zergath pour vos commentaires ! J'espère que la suite va vous plaire ! Et sur ce, bonne lecture :)

15

- Biffe ce nom Zelda ! Tu ne peux pas le marier ! s'exclama sa tante.

- Pourquoi pas ? demanda la princesse en haussant un sourcil.

- Je me souviens que son père avait une haleine horrible, raconta la dame. Le surnom que les comtesses de l'époque lui avaient donné n'était pas très flatteur.

- Elle a raison, approuva Nayru. Son fils est identique. Il n'y a pas si longtemps, j'ai discuté avec lui et c'était...

La blonde fit une grimace et compléta :

- Saisissant comme odeur !

Link tenta de ne pas imiter Din, assise à côté de lui, qui pouffa en regardant la princesse prendre sa plume pour barrer le nom sur la feuille. Zelda se redressa sur sa chaise et pianota sur son parchemin posé sur la longue table de la salle à manger.

- Il n'était pas si intéressant comme choix, expliqua-t-elle à la ronde qui rit devant ses agissements.

Link l'observa lorsqu'elle croisa ses bras sur sa poitrine et dévisagea ses cousines placées autour d'elle. Elle dit alors :

- J'apprécierais un peu de sérieux. Je ne vous aurais jamais demandé votre aide si j'avais su que vous vous comporteriez de cette façon !

- Pourtant nous tentons de te donner les conseils les plus pertinents pour cette décision si importante, dit Farore d'un ton docte à sa droite.

La future souveraine prit la feuille dans sa main et pointa un nom.

- Mon meilleur choix jusqu'à présent est le comte Charles et la raison est, et je cite...

Elle baissa ses yeux sur le parchemin et y lut :

- Car je vais avoir d'adorables bébés.

Tous les gens présents dans la salle, ce qui comprenait la tante et l'oncle de la princesse, leurs trois filles, l'époux de Farore qui surveillait son petit garçon et finalement Link, éclatèrent de rire. Le héros tenta de retrouver son calme en voyant le regard noir que lui lança Zelda.

- Adorable, mais jusqu'à deux ou trois ans seulement, car ensuite, si j'en crois les rumeurs, ce sera de vrais monstres, commenta Farore.

- Et une fois adulte, des coureurs de jupons, ajouta Nayru. Moyen efficace pour répandre le sang royal partout dans le royaume !

- Vous m'avez fait biffer tous les noms pour des raisons toutes plus ridicules les unes que les autres, se plaignit la princesse alors que les rires s'estompaient lentement.

- Même Lord Ernest ? s'enquit Din. N'était-il pas ton meilleur choix ?

- Trop vieux ! s'écrièrent Farore et Nayru d'une seule voix.

La tante de Zelda, assise à la gauche de celle-ci, tira le parchemin dans sa direction et fronça les sourcils.

- Alors, il ne reste que le comte Charles, dit-elle.

- Je ne l'épouserai pas, affirma Zelda sans hésitation.

- Lord Emanuel, continua sa tante.

- Non, protesta Nayru. Cet homme ne fait que s'écouter. Il ne pourra jamais diriger un royaume convenablement.

- Comte William ?

- Qu'est-ce qu'il fait sur cette liste ? demanda Farore. Il vit pratiquement comme un moine ! Jamais Zelda ne pourra avoir d'enfant !

- Arrêter de faire allusion aux enfants, maugréa la princesse.

- Et le prochain ? s'enquit Din le sourire aux lèvres.

- Ils sont tous biffés, répondit la mère de la rousse.

- J'avais mis les quatorze noms des meilleurs choix sur cette liste, soupira Zelda.

- Quinze, corrigea la matriarche.

- J'ai ajouté le comte Charles, rigola Nayru tout bas.

Zelda laissa tomber son visage sur la table et entoura sa tête de ses bras pour étouffer un cri d'exaspération.

- Mes filles ! s'exclama leur mère en tapant dans ses mains. Quels sont les autres choix ? Qui vous semble adapté à ce rôle ? Que ce soit pour devenir un roi ou être un prince consort ?

Zelda se redressa et observa avec découragement Farore et Nayru qui chuchotaient des noms en s'amusant discrètement. À côté de Link, Din se tourna vers le petit Shad qui se dirigeait vers elle d'un pas incertain. Le père de l'enfant était juste derrière et le surveillait d'un oeil attentif, prêt à se lever de sa chaise au moindre problème. C'était un homme de taille moyenne, plutôt foncé et qui avait un caractère doux. Il n'était jamais bien loin de sa femme, probablement à cause de sa grossesse qui arrivait à terme. Link remarqua au bout de la table le patriarche de la maison qui, des parchemins devant lui, travaillait à la gestion du domaine. Il portait attention à ce qu'il se passait tout autour sans vraiment participer. Contrairement à son gendre, c'était un homme massif, même s'il n'était pas si grand, qui lui semblait bourru la majorité du temps. Cependant, ce n'était qu'une image, car il avait toujours été poli avec le héros, répondant à ses questions diverses sans démontrer une once d'impatience. Din avait pris le garçon dans ses bras et le posa sur ses cuisses.

- Dit Link ! demanda la rousse en pointant le héros.

- Ink ! répéta l'enfant.

- Non, Link !

- I-ink !

- Bink, dit le chevalier en se penchant vers le bambin.

- Bink !

- Mink, poursuivit-il en exagérant le « m ».

- M-ink ! dit le garçon.

- Tink, sourit le héros.

- Tink !

- Link ? dit-il finalement.

- Link !

- Oui ! approuva-t-il en même temps que Din.

L'enfant cessa de remuer un instant.

- Oh ho, dit Din en fronçant ses sourcils.

Une odeur nauséabonde parvint au nez de Link qui éclata de rire devant le visage affichant un air de dégoût de la rousse.

- C'est ton tour ! dit-elle en tendant l'enfant au héros qui le prit.

- Din ! Tu ne peux pas demander une telle chose à un chevalier ! s'insurgea Farore.

- Mais il sait comment le faire ! s'écria-t-elle.

Link perçut les regards surpris de la princesse et sa famille. Il expliqua alors :

- J'ai dix ans de plus que mon petit frère. J'ai appris rapidement comment changer une couche.

La grand-mère de l'enfant était debout et s'approcha de lui. Elle dit en levant ses bras :

- Donne, je vais y aller.

Le héros lui tendit le bambin qui fut heureux dans l'étreinte de la dame. Avant de sortir de la pièce, elle s'exclama moqueuse :

- Tu devrais mettre son nom sur la liste, Zelda !

- Elle a raison, l'encouragea Farore. Le mien ne sait pas encore changer une couche.

- Je sais comment faire, dit son mari. C'est juste que tu n'es jamais satisfaite du résultat, donc je te laisse cette responsabilité.

- Les excuses, sourit la mère du garçon en direction de son époux.

Nayru s'étira pour prendre le parchemin de la princesse et la plume. Elle commença à écrire sur la feuille alors que Zelda l'interrogeait :

- Es-tu en train d'inscrire le nom de Link ?

- Pourquoi pas ! rigola la blonde. Il sait comment changer des couches et en plus, tu vas avoir d'adorables bébés avec lui !

Link rit nerveusement et sentit presque la chaleur que dégageaient ses joues pendant que Zelda cachait son visage dans ses mains.

- J'abandonne, marmonna-t-elle. C'est devenu n'importe quoi !

- C'est vrai que l'élu des déesses ne peut pas être un bon choix, ironisa Nayru.

- Il ne connait pas vraiment les moeurs du château, argua Farore. Il y habite depuis plus d'un an, ce qui est beaucoup plus que tous les comtes et les lords, mais ça ne compte pas.

- Biffez-le alors, dit Din perplexe devant le comportement de ses soeurs.

Zelda avait écarté ses doigts sur son visage et ses yeux étaient fixés sur le parchemin comme si elle souhaitait le voir prendre en feu.

- Il a un rang élevé dans l'armée, continua la blonde. Encore là, être le héros de la légende ne veut absolument rien dire au niveau de son statut.

- Pas un si bon choix, soupira Farore. Il a le profil, mais...

- Mais, répéta Nayru en regardant attentivement la princesse.

- Vous savez quoi ? déclara Zelda en se levant soudainement. Je vais me débrouiller finalement.

Elle quitta dignement la salle et Link resta immobile à sa place, priant pour se faire oublier.

- Et puis ? s'enquit précipitamment Farore à Nayru.

- C'est difficile à dire, répondit l'autre avec une moue en observant l'entrée de la pièce où la princesse avait disparu. Elle arrive à bien camoufler ce qu'elle pense.

- Que vient-il de se passer ? demanda Din curieuse en s'avançant sur sa chaise.

- On essayait de voir si Zelda éprouvait quelque chose pour Link, indiqua Farore.

- Quoi ? dit le héros étonné.

Le chevalier lança un regard de côté en direction de l'homme de la maison qui avait son attention sur ses papiers. Se tournant vers l'époux de Farore en espérant du secours, celui-ci haussa les épaules dans sa direction en retenant mal un rire.

- Et alors ? interrogea la rousse en s'avançant un peu plus sur sa chaise, le sourire aux lèvres.

Link observa les trois femmes en se demandant, sans oser l'avouer à voix haute, si Zelda pouvait bien être intéressée par sa personne ou si tout cela n'était qu'une mauvaise blague. Que se passerait-il si c'était le cas ? ne put-il s'empêcher de penser.

- Je ne suis pas sûre, répliqua Nayru à sa cadette.

La plus jeune se tourna vers le chevalier en haussant un sourcil.

- Est-ce que tu éprouves quelque chose pour ma cousine ? questionna-t-elle.

Link dévisagea celle qui l'avait interrogé en n'osant pas ouvrir la bouche. La blonde éclata de rire et répondit à sa place :

- Vous n'êtes pas si difficile à lire, héros !

- Que fait-on maintenant ? dit Farore pensive.

Nayru qui regardait toujours le chevalier eut un sourire moqueur.

- Je crois qu'on a fait notre part.

Link cligna des paupières en se demandant s'il pouvait prendre la fuite.

- Peut-être qu'il faudrait lui expliquer...commença Farore en faisant une grimace.

- Non, coupa son père au bout de la table.

La femme enceinte soupira de déception, mais n'ajouta rien pendant que Nayru écrivait quelque chose sur le parchemin. Elle le glissa vers Link qui baissa les yeux vers la phrase qu'elle pointa avec le bout de sa plume.

« Embrasse la princesse. »

Din pouffa à côté et Nayru ajouta :

- Quand tu es prêt, Link.

Il fixa la blonde en se demandant si elle était sérieuse. Il se leva d'un bond en raison d'une sensation de brulure sur son avant-bras et se tourna vers la rousse qui riait une flamme à la main.

- Din, pas dans la maison, rappela le patriarche.

- Vas-y ! dit-elle en direction de Link.

- Euh...

La flamme grossit dans la main de la jeune comtesse et Link fuit hors de la pièce sous les rires des trois cousines. Ne sachant pas où était partie la princesse et n'étant pas certain de vraiment vouloir la croiser, il sortit du manoir et descendit vers la plage du lac Hylia. Le soleil était suffisamment haut dans le ciel pour éclairer l'eau de ses rayons. Ne voyant pas Zelda, il prit quelques minutes pour admirer les alentours. Il n'y avait pas de village à proprement parler dans cette région, mais les terres du domaine étaient cultivées par plusieurs familles de fermiers. Il en était de même pour plusieurs autres comtes qui habitaient tout autour. Bien entendu, la pêche faisait partie de l'économie de l'endroit et le chevalier pouvait observer plusieurs chaloupes occupées par des pêcheurs sur le lac. Parmi ceux-ci se trouvaient même quelques zoras. Des bruits de pas se firent entendre et Link se détourna de la vue pour faire face à Sir Lafrel qui le salua une fois à sa hauteur. Le héros répondit et le commandant en chef de l'armée entra immédiatement dans le vif du sujet :

- J'ai des nouvelles de tout le royaume et partout, on le confirme. Les monstres se regroupent. Tout porte à croire qu'ils cherchent à se rapprocher du centre du pays.

Link eut l'impression de sentir l'étau se resserrer sur son coeur. C'était vraiment en train d'arriver, pensa-t-il. Sans percevoir son inconfort, le chevalier continua :

- Le roi et la reine m'ont demandé de laisser la princesse choisir le moment de son retour, mais je me dois d'insister. Nous devons revenir au château dans les plus brefs délais. Plus de temps nous demeurons ici, et moins nous en possédons pour contrecarrer les plans de ses monstres.

Il ajouta plus doucement :

- Je sais que tu es proche de la princesse. Est-ce que son état s'est amélioré ?

Il approuva de la tête en pensant aux derniers jours où elle était finalement sortie de cette bulle de silence et surtout de sa chambre. Cependant, il ne savait pas ce que serait sa réaction lorsqu'il lui annoncerait que le retour au château devrait se faire le plus rapidement possible. Elle semblait toutefois tourner vers l'avenir, discutant déjà de ce qui l'attendait, comme le prouvait le sujet qu'ils venaient tous d'avoir à la table familiale un peu plus tôt. Que devait-il penser de cette histoire avec la fameuse liste ? songea-t-il confu.

- Bien, dit Sir Lafrel. Tiens-moi informer.

- Oui mon commandant, répliqua Link.

Ils se saluèrent et partirent d'un même mouvement.

OoOoO

- Où est Zelda ? demanda Link après avoir fait le tour de la maison sans avoir trouvé celle qu'il cherchait.

Malgré l'inquiétude mal camouflée du chevalier, Farore, étendue de tout son long sur un canapé, pointa vaguement le couloir et dit d'une voix lasse :

- Dernière porte, elle est dans le caveau.

- Pourquoi est-elle là ? s'alarma le héros.

Le retour au château était prévu dans moins d'une heure et déjà l'attelage attendait devant le manoir. Lorsqu'il lui avait retransmis la demande de Sir Lafrel la veille, Zelda avait eu l'air conciliante. Avait-elle des doutes à la dernière minute ?

- Je dirais la fraîcheur, maugréa la femme enceinte, mais j'ai l'impression d'être la seule à subir l'inconfort de la chaleur dans ce manoir.

Ne s'attendant pas à avoir une réponse et voulant s'assurer que la princesse allait bien, il la remercia et emprunta le couloir. En ouvrant la porte, il remarqua immédiatement la lueur et reconnut le pouvoir de la réincarnation de la déesse qui éclairait faiblement l'endroit. Il descendit les escaliers étroits, en prenant soin de fermer derrière lui, et arriva sur le sol de terre battue, sa tête à quelques centimètres de la structure du plancher au-dessus. Zelda, dans le coin le plus reculé, était assise sur une grosse caisse de bois, observant ses mains lumineuses avec un froncement de sourcils. Avec à peine un regard dans sa direction, elle soupira :

- Dans combien de temps devons-nous partir ?

- Une demi-heure environ, dit-il en s'arrêtant à sa hauteur.

À contrecoeur, il ajouta :

- Sir Lafrel nous attend dehors.

La princesse, toujours à analyser ses mains sur ses cuisses, eut une moue sur le visage et elle remua ses doigts lentement.

- Tu peux retarder le départ, dit le chevalier en voyant son manque de réaction. C'est toi qui décides.

La jeune femme hocha négativement la tête.

- Le commandant fait son possible, expliqua-t-elle. Avec ce qui se passe dans le royaume, je ne peux pas accaparer des soldats pour ma seule protection.

Même si elle avait un bon raisonnement, Link songea que dans les circonstances actuelles, elle pouvait se permettre d'être un peu plus égoïste. Il ne connaissait pas la totalité de son histoire, mais il en avait entendu suffisamment pour rattacher les bouts et comprendre que l'enfance de la future souveraine avait été difficile. Très difficile. Son silence des derniers jours avait été effrayant et il avait vu l'inquiétude de ses proches. Même si ses cousines ne l'affirmaient pas, ni devant lui ni devant la princesse, il pouvait deviner l'angoisse qu'elles éprouvaient. Et pas seulement elles. Plusieurs personnes, quelquefois de simple connaissance, l'interrogeaient à propos de la jeune femme sachant que leur espoir de survie ne venait que d'elle. La fin du monde pointait le bout de son nez et Link sentait le poids sur ses épaules s'alourdir. Si lui le sentait, il se demandait comment Zelda le supportait, elle qui, selon lui, avait un rôle encore plus important. Link s'assit à ses côtés et tous deux observèrent silencieusement ses mains lumineuses.

- J'ai une question pour toi, dit-elle après un long moment.

Elle tourna son visage vers le sien et le dévisagea plusieurs minutes sans prendre la parole.

- Tu me fais peur, affirma-t-il avec un sourire. Tu sais que tu peux tout me demander.

Elle gratta sa tempe nerveusement, un des vestiges de replacer ses lunettes qu'elle n'avait pas encore perdu. Elle laissa retomber sa main et ouvrit la bouche.

- Voudrais-tu être sur la liste ? le questionna-t-elle en plantant ses yeux dans les siens.

Depuis qu'elle ne portait plus sa monture sur son nez, le regard de la princesse était beaucoup plus pénétrant. Il avait l'impression qu'elle était maintenant capable de lire son âme et de savoir des choses sur sa personne que lui-même ne connaissait pas. Même s'il savait de quelle liste elle parlait, il répliqua ses joues devenues rouges contre son gré :

- Quelle liste ?

Elle n'afficha pas la moindre émotion lorsqu'elle répondit :

- La liste de mes choix concernant mon futur époux.

Il avait l'impression que son coeur allait sortir de sa poitrine. Zelda était tellement calme à ses côtés qu'il se questionna sur le sens de sa demande. Parlait-elle vraiment de lui en tant que compagnon de vie ? Le voulait-il ? Toutes les réflexions de ce genre avaient été reléguées dans un coin de son cerveau et même si elles revenaient souvent à la charge, jamais il n'aurait pensé avoir le choix. Toutefois, elle le lui donnait. La possibilité d'être beaucoup plus que son protecteur s'offrait à lui et pratiquement d'instinct, il affirma :

- Oui.

- Tu sais ce que cela implique n'est-ce pas ? enchaîna-t-elle en fronçant ses sourcils. En étant mon époux, tu deviendrais un prince consort. Nous...nous devrons avoir un héritier.

Elle avait détourné son visage à sa dernière phrase et Link eut un sourire en voyant des rougeurs sur les joues de la jeune femme.

- Deux, se moqua-t-il. Minimum.

Elle eut un rire et poursuivit :

- Nous discuterons de cela le moment venu.

Zelda se mit debout et lui fit face. Elle leva ses mains qui rayonnaient et les regarda en demandant :

- As-tu vu le signal que j'ai envoyé lorsque j'étais prisonnière sur la tour Gérudo ?

Il approuva, un peu surpris du changement de sujet, et ajouta :

- Je ne l'ai pas juste vu. Je l'ai senti. Nous l'avons tous senti.

- Et qu'as-tu senti ?

Link grimaça à ce moment et parla avec hésitation :

- C'est dur à expliquer. J'étais très inquiet et aussi soulagé de savoir que tu étais en vie. Mais...il y avait autre chose. Quelque chose de beaucoup plus puissant. Je...je n'arrive pas à le décrire.

La princesse lui sourit et raconta :

- Quand j'ai appelé mon pouvoir ce jour-là, j'ai dû donner tout ce que j'avais. Jamais je n'avais laissé autant de liberté à l'énergie qui m'habite et j'ai aperçu que j'avais une limite. Que si je ne dépassais pas cette limite, mon signal ne serait pas visible.

Elle se rapprocha et posa ses mains sur la poitrine de Link qui exhala l'air de ses poumons en sentant la chaleur familière s'infiltrer dans chacune de ses cellules.

- Ce que tu n'arrives pas à décrire, continua Zelda en plantant ses yeux dans les siens, est ce qui m'a permis de dépasser cette limite.

Elle eut un petit rire et ajouta :

- C'est stupide, mais je ne l'avais pas compris avant que Nayru inscrive ton nom sur cette liste.

- Qu'est-ce que c'était ? demanda Link en la dévisageant.

Elle ne répondit pas à sa question et ferma les yeux. Il n'eut pas le choix d'en faire de même lorsque la lumière entoura complètement la princesse au point d'en être aveuglante. L'énergie l'encercla et il retint son souffle en reconnaissant cette émotion qu'il avait ressentie des mois plus tôt, lors de cette fameuse journée où la réincarnation de la déesse avait disparu sous ses yeux. Il pouvait sentir la jeune femme, la deviner dans cette magie. C'était à la fois semblable et différent des fois précédentes. C'était beaucoup plus que de l'énergie, c'était aussi une part d'elle qu'elle lui donnait et il fut sidéré par la puissance de l'émotion qu'elle lui transmit de cette manière.

- C'est pour toi, murmura-t-elle. C'était aussi pour toi à la tour Gérudo.

Soudainement, il pouvait mettre un mot sur ce qu'il ressentait, car il comprit qu'elle éprouvait la même chose. Ils sursautèrent lorsque des coups se firent entendre à l'étage et la lumière disparut. Seule une lueur resta pour éclairer l'endroit et elle provenait d'un lampion accroché sur le mur. La princesse s'était reculée de quelques pas et le regarda avec un sourire. Un vrai sourire qui se reflétait dans ses yeux et qui fit retourner l'estomac du héros qui resta bouche-bée.

- Je vais aller me préparer pour le voyage. Peux-tu apporter le lampion ?

Il approuva de la tête bêtement et la dévisagea pendant qu'elle monta les escaliers. Une fois qu'elle fut disparue à l'étage, il posa une main sur sa poitrine et il expira longuement. Maintenant, il avait trouvé les mots. Ils étaient sur le bout de ses lèvres. Cependant, il allait les garder là. Il attendrait le bon moment pour les dire. Pour lui dire. Il sauta alors de la caisse, ramassa le lampion et emboita le pas à la princesse.

OoOoO

- Est-ce qu'on peut jouer la dame de la lune ? demanda Colin.

Il appuya son violon sur son épaule, ses doigts déjà positionnés sur le manche et l'archet au-dessus des cordes.

- Une chanson facile, juste pour toi Link ! se moqua Arielle en plaçant ses tambours devant elle.

- Facile ? répondit le héros en haussant un sourcil. Je ne l'ai pas pratiquée depuis des mois ! C'est avec la petite ou la grande flute ?

- La grande, dit Uli assise sur une vieille causeuse avec son époux. J'ai déjà entendu d'autres versions par contre.

- Prêts les garçons ? questionna la percussionniste.

Colin approuva verbalement et Link hocha la tête, le bout de l'embouchure de la longue flute entre ses lèvres. Sa soeur entama un rythme lent et Colin joua la mélodie doucement. Au bon moment, le héros commença à souffler dans son instrument, doublant la ligne de son petit frère tout en y ajoutant des notes d'accompagnements pour donner l'illusion d'une réponse. Au bout d'à peine trois minutes, la chanson plutôt triste se termina dans un decrescendo. Rusl, assis à côté de son fils, applaudit en commentant :

- Je ne crois pas que votre mère trouve quelque chose à redire à celle-là.

- Et bien, avoua la matriarche, faites attention à ne pas accélérer.

- Ah ! se moqua Link en direction de sa soeur. Ta faute !

- Quoi ? s'insurgea-t-elle. Je vous suivais !

- Je veux essayer la chanson du héros et de la princesse ! enchaîna Colin.

- Oh non, contredit Uli. Tu as beaucoup de répétition à faire pour celle-là.

Colin tendit son violon à sa mère et demanda :

- Peux-tu la jouer ?

- Et quelqu'un doit chanter, ajouta Rusl.

- Si on joue ça, je vais avoir besoin de mes blocs de bois, dit Arielle en fronçant ses sourcils.

- Et moi d'un autre poumon, soupira Link.

- Pourtant cette chanson a été écrite pour toi ! ria sa petite soeur.

- Le héros d'il y a dix mille ans devait être un surhomme, répliqua-t-il avec une moue sur son visage.

- On prétend qu'au départ, cette chanson racontait une histoire d'amour, continua la cadette en plaçant les percussions devant elle.

Il garda le silence et échangea de flute, les yeux concentrés sur son instrument.

- Link, t'es rouge ! s'écria Colin en riant.

Il n'arrivait pas à se contrôler. Chaque allusion à la princesse lui évoquait le sentiment qu'il avait éprouvé dans le sous-sol du manoir du lac Hylia. À peine quelques jours s'étaient écoulés et depuis, il n'avait pas discuté de cet évènement avec Zelda. Être ici avec sa famille lui rappelait aussi qu'il devait retourner à ses côtés le plus vite possible. Il n'avait plus confiance en la protection des murs de la citadelle.

- Est-ce que la princesse va bien ? demanda Rusl en fixant son fils intensément.

L'aîné des trois enfants posa sa flute et répliqua en dévisageant son père :

- Que veux-tu vraiment savoir ? Si elle est prête à accomplir son rôle ?

Link approuva de la tête avec un petit sourire aux lèvres en songeant au pouvoir de Zelda.

- Tu n'as pas à t'inquiéter pour ça.

- Colin ? dit soudainement Uli. Viens-tu placer le glaçage sur le gâteau avec moi ? Il doit être suffisamment refroidi maintenant.

- Je peux y goûter ? demanda l'enfant.

- Bien sûr, répondit sa mère.

Colin était déjà debout à courir vers la cuisine et la dame suivit tranquillement derrière lui en lançant un regard significatif à son époux. Dès qu'ils eurent disparu dans l'autre pièce, Rusl dit à voix basse :

- Plusieurs troupes de monstres ont été aperçues dans la région d'Akkala. Ils se terrent dans les montagnes et semblent longer la frontière des gorons. Ce groupe est important et sera le premier à arriver ici s'il garde sa cadence. Nous avons plusieurs alertes des différentes régions d'attroupement semblables se cachant dans des lieux où il est difficile de mener une attaque. Nous estimons que s'ils convergent tous dans notre direction, dans deux mois le centre d'Hyrule va être envahi.

- Au début de l'automne, dit Link avec l'estomac soudainement dans les talons.

- Et même avant, précisa Rusl. Dès qu'il y aura possibilité de mener l'assaut contre ses créatures, Sir Lafrel ordonnera l'offensive. Tant qu'elles se terrent dans les montagnes, toute attaque risque d'être suicidaire. Les robots sont pratiquement inutilisables sur ce type de terrain.

- Ça va vraiment se produire, murmura Link.

Rusl posa sa main sur l'épaule de son fils, assis sur le sol à côté de lui, et la serra doucement dans un geste réconfortant.

- Aujourd'hui, dit-il en laissant retomber son bras, Sir Lafrel m'a personnellement demandé de t'interroger sur la princesse.

- Pourquoi ? s'enquît Link perplexe.

- Et bien, enchaîna le sous-commandant en se grattant le menton songeur, c'est à toi de me répondre. Je sais que quelque chose s'est produit au château le jour de votre retour du Grand Plateau. Quelque chose de suffisamment grave qui a fait que vous êtes repartis aussitôt.

- Nous étions inquiets, ajouta Arielle. Nous croyions te voir le lendemain et tu n'étais déjà plus là.

- Je devine, continua Rusl, que Sir Lafrel est anxieux.

- A-t-il dit pourquoi ? questionna à nouveau Link.

- Il a dit, commença Rusl lentement, et je cite : « Ton fils semble être le seul à savoir ce que pense réellement la princesse. Demande-lui s'il croit qu'elle est toujours de notre côté. »

- Quoi…de notre côté ? répéta le héros abasourdi. Est-ce qu'il insinue qu'elle se rangerait du côté de la Calamité ?

- Tout doux, Link, chuchota Arielle.

Il avait monté le ton et ne s'en était pas aperçu.

- Désolé, murmura-t-il.

- Réfléchis à ce que tu sais d'elle, expliqua le patriarche doucement. Je suis sûr que tu connais des fragments de son histoire. Si Sir Lafrel me pose une telle question, c'est qu'il y a une raison.

- Je comprends, dit Link en serrant les dents.

Il planta son regard dans celui de son père et ajouta :

- Tu peux lui dire qu'elle est de notre côté. Je n'ai aucun doute là-dessus.

Rusl approuva de la tête. Arielle s'enquit alors :

- Qu'est-il arrivé à la princesse ?

Devant le silence de son frère, elle insista :

- Nous ne dirons rien. Pourquoi ces mystères ?

Il soupira et répliqua :

- C'est une longue histoire et je ne crois pas avoir à divulguer ça.

- C'est à propos de ses yeux n'est-ce pas ? demanda Arielle avec une grimace.

Link la dévisagea et elle poursuivit :

- Si tu savais tout ce qu'on entend en ville.

- Comme quoi ? dit le héros à la fois curieux et défensif.

- Arielle, coupa Rusl en voyant sa fille ouvrir la bouche. Non.

- Quelles rumeurs ? insista Link.

Sa sœur évita son regard, mais il pouvait comprendre qu'elle souhaitait lui dire. Il fit face à son père qui soupira ce qui donna la permission à sa cadette de poursuivre :

- Les plus vieux racontent qu'enfant, la princesse abritait un démon. Que des centaines de soigneurs sont venus au château pour essayer de la délivrer de ce mal.

- Et tu y crois ? dit Link en riant amèrement.

- Non, répliqua sa petite sœur sans hésitation. Mais il y a une part de vérité concernant les soigneurs.

Il se frotta le visage à deux mains et eut une plainte de frustration. Il n'avait jamais rien caché à sa famille et, surtout aujourd'hui, il ne pensait pas en être plus capable.

- Ne dites rien de ce que je vais vous raconter ici d'accord ?

Arielle approuva rapidement de la tête et ses yeux attentifs le scrutèrent.

- Un sort a été placé sur le lit de la princesse il y a très longtemps, expliqua précipitamment Link. Selon la sœur de la reine, ce n'était pas un sort très puissant, sinon il aurait été détecté bien avant. Cependant, il était suffisamment fort pour effrayer une enfant, car lorsqu'il s'enclenchait, la princesse pouvait voir un monstre. Personne ne l'a crue à l'époque. Ce sortilège est ce qui a probablement provoqué sa perte de vision et qui ensuite a causé une difficulté d'apprentissage d'où l'intervention d'innombrables soigneurs.

Link fronça ses sourcils et commenta à voix haute :

- Un très grand laps de temps s'est écoulé avant qu'on ne découvre que la vision de la princesse était défaillante. Je mettrais ma main au feu que quelqu'un est responsable de cela. C'est illogique que tant de soigneurs aient pu l'examiner, mais qu'aucun d'eux n'ait trouvé de solutions avant des années.

Il secoua la tête et poursuivit en regardant les deux membres de sa famille qui était à l'écoute :

- Le séjour dans le module de soin des sheikahs sur le Grand Plateau, ça a guéri ses yeux. Quand elle s'est endormie dans son lit la première nuit de son retour au château, le sort s'est enclenché et donc, elle a revu ce monstre.

Il passa une main nerveuse dans ses cheveux, et dit :

- C'est pour cela que nous sommes partis. Elle m'a raconté brièvement des parcelles de ce qu'elle a vécu enfant et…et ce n'était pas parfait. D'apprendre que toutes ces souffrances n'ont servi à rien, car elle n'avait jamais été le problème…

Il laissa mourir sa phrase et promena ses yeux de sa sœur à son père.

- Pas parfait au point que Sir Lafrel s'inquiète de sa loyauté, reprit Rusl pensif.

- Ce n'était pas parfait, répéta Link simplement.

Il observa les deux membres de sa famille échanger un regard.

- Elle avait quel âge ? demanda doucement Arielle. Quand un sort a été jeté sur son lit ?

- Deux ans, répondit le héros.

- Par Hylia, murmura Arielle. Elle n'a pas pleuré, demander de l'aide ?

- Ils ne l'ont pas crue, répéta l'aîné.

Avec le silence qui suivit, Link essaya d'imaginer ce qu'un enfant de deux ans pouvait ressentir à être obligé de dormir avec un monstre. L'envie de briser quelque chose accapara ses pensées et il dut se faire fort pour ne pas perdre le contrôle.

- Je vais rester avec elle, annonça-t-il soudain.

L'attention des deux autres revint instantanément sur sa personne et Link ajouta d'une voix plus assurée :

- Je ne connais pas avec exactitude la place que je vais occuper dans sa vie, mais j'ai bien l'intention d'en faire partie.

Cet aveu était le plus près de la vérité qu'il pouvait admettre. Il ne savait pas ce que le futur lui réservait. Avec le retour de la Calamité, il se demandait même s'il en aurait un. Toutefois, c'était une certitude maintenant. Jamais, il n'accepterait être séparé de Zelda. Pas après ce qui s'était passé au domaine du lac Hylia.

- Tu dois être prudent Link, avança Rusl. Ne la prends pas en pitié. Si tu veux être avec cette femme, ce doit être pour de bonnes raisons.

- Ce n'est pas de la pitié, contesta le héros.

- Qu'est-ce que c'est alors ? s'enquit Arielle en fronçant ses sourcils. Tu ne peux pas choisir de rester avec elle juste parce qu'elle a eu un passé…

Elle hésita avant de compléter :

- …difficile.

- Ce n'est pas le cas, dénonça-t-il en croisant les bras sur sa poitrine.

- Ne sois pas sur la défensive, dit Rusl calmement. Nous souhaitons seulement comprendre tes motivations. Rappelle-toi qu'une fois que le Fléau ne sera plus une menace, tout peut changer.

- Qu'est-ce que tu insinues ? demanda le jeune chevalier.

- Il est probable que la princesse n'aura plus besoin de tes services, expliqua sa petite sœur. Tu es déjà beaucoup trop attaché à elle.

Link s'apprêtait à répondre, mais elle le devança en exposant :

- Il y a deux sujets de conversation en ce moment en ville. Le premier, ce sont les troupes de monstres qui marchent vers le centre du pays et le deuxième, c'est le mariage de notre future souveraine. C'est ton devoir d'assister la princesse dans le premier cas, je peux le comprendre. Toutefois, dans le second...

Link haussa un sourcil et Arielle avoua à contrecœur :

- Je te connais grand frère.

Elle pointa son père et ajouta :

- Nous te connaissons. Nous savons que tu tiens beaucoup à elle. Et avec ce que tu viens de me raconter, bon sang, elle méritait quelqu'un de bon comme toi.

Link fut surpris d'entendre cela de la bouche de sa petite sœur et de voir l'approbation du patriarche.

- Cependant, continua Arielle, cela semble être à sens unique.

- Vous l'avez rencontrée une seule fois, contesta Link. Vous ne pouvez pas la juger.

- Je sais, concéda Arielle. De notre point de vue, cette situation est délicate. C'est une princesse et je ne veux pas jouer les pessimistes, mais à la fin de l'histoire, tu risques de te retrouver seul.

Comment pouvait-il leur expliquer que ce ne serait pas nécessairement le cas ? songea le héros. En racontant l'épisode de la liste ? Ce n'était pas une bonne idée. Sa famille ne connaissait pas Zelda comme il la connaissait. Ce genre de récit pourrait la rendre superficielle à leurs yeux. Son pouvoir, pensa-t-il. C'était ce qui l'avait convaincu. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle avait transmis ce qu'elle ressentait avec son pouvoir et c'est pour cela qu'il lui faisait une si grande confiance. Si jamais ils devaient se séparer, il était certain qu'elle en serait autant affligée que lui. Il en avait la preuve, surtout après ce qui avait eu lieu dans le sous-sol du domaine au lac Hylia. Comment leur décrire la magie qui habitait la réincarnation de la déesse à sa famille qui ne l'avait jamais ressentie ? À moins que…

- Vous souvenez-vous du jour de l'incident de la tour Gérudo ? demanda Link.

- Je crois fils, répondit Rusl, que tout le royaume se souvient de ce jour.

- Alors, continua le jeune chevalier, vous l'avez senti ?

- Link, assura Arielle en se penchant inconsciemment vers son frère, tout le monde l'a senti ! Nous ne savions pas à ce moment-là que c'était un signal de détresse !

- Qu'est-ce que vous avez ressenti ? enchaîna-t-il.

Sa sœur se redressa et lança un regard surpris à leur père qui fronça les sourcils.

- C'est difficile à expliquer, commença le patriarche lentement. Ton petit frère a fait cette journée-là, je crois, la meilleure comparaison possible.

Link fut étonné d'entendre cela et d'un hochement de tête, encouragea Rusl à poursuivre. Ce fut Arielle qui indiqua :

- Il a dit qu'il se sentait comme si la déesse lui avait donné un cadeau rempli d'amour et qu'il avait envie de faire des accolades à tout le monde en leur disant combien il les aimait.

Elle eut un rire et précisa :

- Ce qu'il a d'ailleurs fait toute la journée avec moi et maman.

Colin avait compris dès le début, pensa le héros la bouche entrouverte de surprise. Le benjamin de la famille avait pu mettre le doigt sur l'émotion exacte que tous les individus avaient ressentie, sur ce que même lui avait perçu à travers son inquiétude cette journée-là. Le plus incroyable était que ce sentiment ait été transmis dans tout le royaume et aussi, que cette énergie ait été créée par une seule personne. Et que cette personne, que Zelda, l'ait choisi lui.

- P'pa, je crois que Link est sous le choc, commenta Arielle.

Le héros ferma la bouche et dévisagea sa jumelle.

- Ce que vous avez senti, dit-il finalement, c'était pour moi.

La jeune femme éclata de rire pendant que son père fronçait ses sourcils dans sa direction.

- Descend de ton piédestal grand frère, se moqua Arielle.

Il croisa les bras sur sa poitrine et ajouta :

- Tu n'es pas obligé de me croire.

- C'est complètement fou ! s'insurgea-t-elle.

- Peut-être, mais c'est le cas.

- Comment peux-tu prétendre…

- Stop, gronda Rusl.

Les deux jeunes adultes se turent immédiatement et observèrent le patriarche de manière troublée. Celui-ci tourna son regard sur son fils et confia :

- Tu es un bon garçon Link. Ta mère et moi avons bien élevé nos enfants et nous sommes énormément reconnaissants envers les déesses d'avoir une si belle famille.

Il croisa ses mains devant son visage et raconta :

- Quand j'ai choisi Uli et lorsque j'ai décidé que ce serait la femme de ma vie, j'ai fait tout ce qui était possible pour la rendre heureuse. Même si cela signifiait que je devais partir.

Rusl fixa intensément son fils et poursuivit :

- Si ton choix s'est arrêté sur la princesse Link, je n'en attends pas moins de ta part. Tu dois être sûr de cette décision. D'autant plus qu'ici, c'est de l'amour d'une déesse qu'on parle. Tu ne peux pas la laisser tomber. Peu importe ce qui arrive. Tu comprends ce que je dis ?

Link hocha rapidement la tête et son père demanda posément :

- Es-tu amoureux de la princesse ?

Les joues du héros rougirent et il perçut le sourire en coin d'Arielle.

- Fils, il n'y a pas place à l'hésitation ici, gronda Rusl.

- Oui, répondit Link.

- Par les déesses, murmura Arielle.

- Es-tu prêt à tout abandonner pour elle ? continua son père. Car c'est ce qui risque d'arriver si tu choisis cette voie.

- Si tu l'as fait pour maman, je peux le faire pour Zelda, approuva-t-il.

Rusl soupira avant d'afficher un sourire satisfait. Il tapa amicalement l'épaule de son fils en l'observant quelques secondes. Il dit simplement :

- Bonne chance alors.

- T'en as vraiment besoin ! ricana Arielle.

Le héros fit la moue en direction de sa sœur qui se leva en criant :

- M'man ! Devine avec qui Link est tombé en amour !

- Pas obligé de prévenir le quartier, maugréa l'aîné.

Toutefois, il imita le rire de son père lorsqu'ils entendirent l'exclamation de surprise de la femme dans la cuisine.

OoOoO

- Le tiers ? dit Link stupéfait.

- Oui, approuva Zelda. Habituellement, nous plaçons l'excédent des revenus dans nos coffres pour les situations de crises.

Assise aux côtés de Link sur une causeuse, elle se pencha sur la table et tapa sur une fiche en expliquant :

- Ce tableau représente l'argent fait ces cinquante dernières années. C'est très visuel comme schéma. On peut y voir chacun des hauts et bas dans l'économie.

Elle pointa la courbe la plus basse en ajoutant :

- La famine de l'an vingt-trois pendant le règne du roi Gustaf, mon grand-père.

- On parle du budget pour la défense du royaume non ? s'enquit Link perplexe. Pourquoi ont-ils eu besoin d'argent à cet endroit ?

- On peut faire croire tout ce qu'on veut à un peuple affamé, indiqua la princesse avec patience. Y compris attaquer son voisin, car celui-ci a eu une meilleure récolte. En des temps difficiles, les hommes et femmes représentant l'ordre sont encore plus nécessaires.

Le héros fit une grimace, regarda la feuille et fronça les sourcils en voyant la ligne se terminer en une courbe descendante.

- C'est notre économie du moment ? demanda Link inquiet en pointant le schéma.

- C'est exact, affirma Zelda. Plutôt mauvais n'est-ce pas ?

- Au moins, elle ne l'est pas autant qu'à l'époque de cette famine. Qu'est-ce qui se passe ?

La jeune femme eut un rire sans humour.

- Pour construire les créatures divines, répondit-elle, le roi a dû puiser dans tous les coffres. Aussi, il a dû augmenter les effectifs dans tous les corps de l'armée pour la défense. Heureusement, les récoltes des dernières saisons ont toute été bonnes et nous avons plusieurs réserves dans tout le royaume.

- Que se passerait-il si la Calamité n'arrive pas avant des années ?

Zelda se tourna pour le regarder attentivement.

- Dans ces circonstances, narra-t-elle lentement, je crois que nous devrions tenter de garder l'économie à flot, car nous ne pouvons rien faire de plus en préparation à son retour.

Elle s'étira pour prendre cette fois-ci un parchemin qu'elle déroula sur la table. Sur celui-ci, plusieurs colonnes avaient été tracées et étaient remplies de chiffre.

- Ce sont les dons offerts pour les déesses, continua Zelda. Habituellement, nous nous en servons pour les œuvres charitables, pour entretenir les bâtiments religieux ou encore apporter de l'aide lors de catastrophes. Nous pourrions utiliser l'argent dans ces coffres si elle venait à manquer.

- Vous utiliseriez cet argent pour payer les soldats ? dit Link surpris.

- Je crois qu'avant d'en être rendue là, elle aurait servi à autre chose. Mais oui, nous pourrions la prendre. Le système que j'essaie de te décrire ces dernières heures a un horrible défaut.

- Un défaut ? répéta Link.

Zelda approuva et précisa :

- S'il s'arrête, tout s'arrête. Nous devons nous assurer qu'il est toujours en mouvement, que l'argent circule constamment.

- Ou bien ?

- Ou bien tu es incapable d'acheter ta miche de pain au marché chaque jour.

Link haussa un sourcil et la princesse ajouta :

- Tout le monde n'est pas nécessairement habile à chasser, à se construire un abri ou encore à se fabriquer des vêtements. Notre système a peut-être ce vilain défaut, mais il permet à tous d'avoir une monnaie d'échange pour bien vivre.

Link passa une main dans ses cheveux en regardant d'un œil démotivé la paperasse étendue sur la table en face de lui.

- Tu n'as pas besoin de tout savoir aujourd'hui, l'encouragea la princesse.

- Je ne sais même pas si un jour je vais réussir à tout comprendre, maugréa-t-il.

Link sentit les doigts de Zelda se poser sur sa joue et elle tourna sa tête vers elle.

- Tu peux encore changer d'avis, dit-elle sérieusement.

- Toi aussi, ajouta-t-il en copiant son expression. Je devine comment enseigner le fonctionnement d'un royaume à un prodige de l'épée doit être frustrant.

Un sourire apparut sur le visage de la jeune femme et sans commenter, elle se détourna pour ramasser tranquillement les papiers éparpillés devant elle.

- Je crois que c'est suffisant pour le moment, dit-elle. Nous essaierons d'en faire un peu chaque jour et je suis certaine que tu vas tout comprendre rapidement.

Link la regarda mettre de l'ordre dans les feuilles et les empiler minutieusement les unes sur les autres. Il l'aida à rouler les parchemins et le tout fut rangé en quelques minutes. Les paroles de son père encore en tête, il ne savait pas trop comment réagir en présence de la princesse. Il avait un changement dans l'attitude de Zelda depuis leur retour. Si avec lui, elle se comportait comme à son habitude - hormis le fait qu'elle s'était donné comme objectif de lui enseigner comment diriger un royaume, ce qui n'était pas rien - avec les autres c'était différent. Elle était la même personne, mais beaucoup plus fermée. Il avait eu le temps de l'observer, lors de ses retrouvailles avec le roi et la reine la veille. Si elle avait été polie avec eux, il y avait maintenant un mur qui l'entourait. Une barrière invisible qui l'empêchait, lui aussi, de voir ce qu'elle pensait réellement. Il avait deviné la tristesse dans les yeux de la reine. Il avait constaté le remords dans les larges épaules crispées du roi. Il comprenait les doutes de Sir Lafrel, surtout devant le visage de marbre de l'héritière du trône. Ils étaient tous familiers avec la personnalité discrète de la princesse. Cependant, celle qui se présentait à eux n'était plus simplement une jeune femme réservée. C'était une future souveraine qui les tenait à distance.

- Ne t'en fais pas trop avec tout ça, dit Zelda en pointant la paperasse sur la table.

Elle se positionna sur la causeuse pour lui faire face. Ses jambes repliées sous elle, elle leva sa main et frôla doucement le front du héros, juste au-dessus de ses yeux.

- Je ne sais pas à quoi tu penses, mais cela semble préoccupant, commenta-t-elle.

Il lui fit un sourire et elle acquiesça en laissant tomber son bras :

- Beaucoup mieux. As-tu pu voir ta famille aujourd'hui ?

Il approuva de la tête et précisa :

- J'ai eu droit à un bon repas de ma région natale et j'ai passé une partie de l'après-midi avec eux. Colin est de plus en plus habile avec le violon. Depuis que je lui ai dit que tu chantais, il répète sans cesse qu'un jour il veut faire un duo avec toi.

- Son anniversaire est bientôt non ? réfléchit la jeune femme. Nous pourrions arranger quelque chose.

- Avec tous les robots stationnés un peu partout, il va probablement nous casser les oreilles pour un tour dans ces machines.

Zelda eut un sourire rêveur et Link s'écria :

- N'y pense même pas ! La seule fois que tu as essayé ces gardiens tu as failli te retrouver dans le lac Hylia !

Elle croisa ses bras sur sa poitrine et fit une moue dans sa direction.

- C'était calculé, dit-elle en haussant un sourcil. Tu ne veux pas me laisser utiliser ces robots, car tu sais que je n'aurais pas besoin de ton aide pour vaincre le Fléau si j'y avais droit.

- Exactement, acquiesça-t-il la faisant sourire. J'ai eu l'emploi en premier donc l'ancienneté passe avant tout. Toi, tu te contentes de briller. De préférence très loin.

Elle retrouva son sérieux et dit en décroisant ses bras :

- La reine est incapable de voir l'avenir, hormis quelques petites visions dans le courant de l'été.

- C'est mauvais ? grimaça Link.

Elle haussa les épaules et précisa :

- Son incapacité à prédire signifie qu'il y a trop d'énergie contradictoire. Ce qui oui, est mauvais.

Inquiet, il prit une des mains de la princesse dans les siennes et demanda :

- Et toi, ça va ?

Il retint son souffle quand le pouvoir familier traversa ses paumes et eut un léger rire en voyant la lumière à travers ses doigts.

- Je vais bien, dit-elle.

Elle réfléchit quelques instants et finit par ajouter :

- Je voudrais changer de chambre. Je ne dors pas très bien...avec tout ce qui s'est passé.

- Bien sûr, formula Link en approuvant. Je peux t'aider pour déplacer tes affaires. Maintenant ?

Les yeux de la princesse s'agrandirent de surprise et elle s'empressa d'indiquer :

- Non, je vais en parler au roi et à la reine avant. C'est juste que...

Elle pinça ses lèvres et finit par avouer :

- Je ne veux pas paraître...faible ?

- Je ne comprends pas comment tu peux penser une telle chose, répondit Link en soulevant la main toujours lumineuse de Zelda.

Il la tourna, la paume vers le ciel, et glissa son index sur celle-ci, profitant de la magie qui traversait son épiderme doucement. Ses doigts étaient probablement rêches sur la peau délicate et il leva son regard vers le visage de la princesse lorsqu'il sentit son tressaillement. Ses yeux d'un vert sombre, qui lui rappelait la couleur des épines des vieux sapins dont regorgeait la région où il était né, le détaillaient avec attention. Il retourna à l'observation de leurs mains et caressa distraitement la cicatrice qui débutait à son poignet et traversait sa paume jusqu'à son petit doigt.

- J'étais très jeune quand je me suis fait ça, raconta la princesse. J'ai accroché une petite table et je suis tombée avec un vase qui s'est brisé sur le sol. Des morceaux de porcelaine se sont incrustés dans la peau.

Link dévisagea l'ancienne blessure et déclara :

- Ça a dû faire mal.

- Je t'avouerais que je ne m'en souviens pas.

- Tant mieux, dit-il.

Il éloigna son doigt et regarda la lumière s'estomper sur son index.

- Je suis curieux, entama Link. Comment c'est ? Lorsque que tu…

Il eut un rire et pointant la lueur émise par la princesse, il compléta :

- …brilles ?

Elle serra sa main autour des doigts du héros et ferma les yeux.

- Lorsque je touche une personne en activant mon pouvoir, c'est comme si je les associais à quelque chose. Dans ton cas, je peux sentir l'odeur des conifères. Comme si j'étais dans une forêt. C'est très calme et plutôt froid. Pas au point d'en être inconfortable, car…

Link la vit froncer ses sourcils et elle hésita en précisant :

- Je suis au chaud. C'est surtout l'odeur qui est caractéristique.

Elle ouvrit les yeux.

- Malheureusement, je suis incapable de lire dans la tête des gens, se moqua-t-elle. Ou prédire l'avenir. Ou encore, de lancer des boules de feu.

Link sourit en l'écoutant parler de son pouvoir comme si ce n'était rien alors qu'il n'avait, selon lui, rien de plus admirable que cette lumière qui l'habitait. Toutefois, les propos de son père tournoyaient toujours dans son esprit. Il devait le dire à la princesse, se convainquit-il. Si lui pouvait savoir ce qu'elle ressentait à son égard, grâce à l'énergie qu'elle émettait, il n'était pas certain qu'elle devine à quel point il était attaché à elle. Faisant appel à tout son courage, il annonça précipitamment :

- J'ai quelque chose d'important à te dire.

Elle attendit qu'il poursuive pendant que lui, il sentait ses joues qui rougissaient contre son gré. Après quelques instants de silence, elle déclara :

- On raconte que l'élu de la lame purificatrice a toujours été un homme grand, fort et courageux. Qu'ils pouvaient décimer une armée entière sans éprouver la moindre once de peur.

- C'est censé m'encourager ? maugréa Link.

- Cependant, continua-t-elle, dès qu'il devait prendre la parole, il excellait à rester muet.

- Tu viens d'inventer ça, douta Link.

- Je t'assure que j'ai lu cette information quelque part.

- Qui aurait perdu son temps à écrire une telle chose ?

- Quelqu'un d'exaspéré par le silence d'un des élus ?

- J'essaie d'être sérieux ici, princesse.

- En attendant, vous excellez à être muet, héros.

- C'est important, répliqua-t-il.

Elle haussa un sourcil et précisa :

- J'écoute.

- Je t'aime Zelda.

Le visage de la jeune femme afficha une surprise avant qu'un sourire illumine ses traits. Toutefois, elle retira brusquement sa main et croisa ses doigts sur ses cuisses tout en les fixant avec concentration.

- Je suis désolée, dit-elle. J'ai besoin d'une minute.

- Il y a un problème ? s'inquiéta Link.

Par Hylia, songea le héros. S'était-il trompé dans son interprétation des sentiments de la princesse à son égard ?

- Non, ria-t-elle, au contraire. C'est juste que je dois me concentrer pour le contenir.

- Contenir ? répéta le chevalier.

- Mon pouvoir, répondit-elle.

Un sourire se dessina sur les traits du héros en voyant la légère lueur que dégageait Zelda. Il pouvait sentir son bonheur et elle ne le touchait pas.

- Je suis responsable de ça ? dit-il soudainement plein d'orgueil.

Il se pencha vers son oreille et murmura tout bas :

- Je t'aime.

- Link ! protesta-t-elle tout en riant. Il y a des soldats à quelques mètres dans le couloir !

- Ils sont probablement heureux en ce moment et ne savent pas pourquoi, se moqua-t-il.

Zelda lui tapa doucement la joue pour l'éloigner et il sentit l'énergie traverser chacune de ses cellules. Elle se tourna vers les hautes fenêtres et se plaignit :

- Si j'illumine cette pièce, je vais être visible de la ville !

- La prochaine fois, ironisa-t-il, je déclare ma flamme dans un placard.

Zelda grogna dans sa direction et ferma les yeux. Sans pouvoir s'en empêcher, il se pencha et murmura de nouveau les mêmes mots. Elle ouvrit ses paupières et plaça sa main sur sa bouche, ce qui camoufla le rire qu'il avait sur ses lèvres.

- Tu brilles encore, réussit-il à prononcer d'une voix étouffée.

Elle l'ignora et il profita silencieusement de l'émotion qu'elle dégageait. Doucement, l'énergie se dissipa autour d'eux. Elle le libéra enfin et le dévisagea exaspérée alors qu'il affichait toujours son sourire.

- Votre Altesse, Sir Link ?

Les deux adultes se levèrent prestement et se tournèrent vers l'entrée de la pièce où un soldat se prosterna. Lorsqu'il se redressa, il annonça :

- Le roi et la reine requièrent votre présence dans la grande salle.

Il salua de nouveau et disparut dans le couloir. Les deux élus se regardèrent avant que la princesse, son visage n'affichant plus aucune émotion, soupire :

- Allons-y.


Chapitre mis en ligne le 12 avril 2019.