18
- Je dois admettre que cette entaille est parfaite, Votre Altesse.
Kotake, tout en nettoyant la blessure sur le bras de la princesse, ajouta :
- J'ai entendu dire qu'un des prodiges vous avait fait ça…
La soigneuse leva ses yeux sur le visage de sa patiente tout en laissant sa phrase en suspens. Le regard de Zelda se promena de Kotake à Nabooru qui était assise sur le coin du lit, juste à côté d'elles.
- Je crois que vous savez qui est le coupable, dit-elle lentement. Avec l'information que vous m'aviez donnée, je ne pouvais pas permettre à Sir Gerald détenir le titre de prodige.
- On peut dire que cela s'est retourné contre vous, commenta la chef. Je suis soulagée qu'il n'y ait pas plus de dégât.
Avec un sourire moqueur, la guerrière demanda :
- Est-ce que Sir Link a tué le coupable ?
Surprise, Zelda répondit :
- Non, pourquoi ferait-il une telle chose ?
Kotake eut un petit rire pendant que Nabooru reprenait :
- Ce jeune homme est, selon les rumeurs, très attaché à vous. Je suis même étonnée qu'il n'ait pas tenté d'infiltrer la cité.
- Tu as doublé la surveillance, observa Kotake. Il ne pourra jamais faire un pas ici sans que personne ne s'en aperçoive.
- En sommes-nous si sûres ? pensa l'autre tout haut.
La princesse fut surprise de voir le doute sur le visage de la chef des guerrières. La soigneuse avait remis le bandage autour de son bras et elle se leva, imitée par Nabooru.
- Nous vous souhaitons une agréable nuit de repos, Votre Altesse, dit la dirigeante. Étant donné l'heure très avancée, n'hésitez pas à faire la grasse matinée demain. Je crois bien que votre bénédiction, suivi de cette fête, a épuisé la majorité de mes sœurs.
Elle était aussi fatiguée, pensa la princesse. Elle n'avait pas l'habitude de se coucher tard à ce point. Cependant, avec tout ce qu'elle avait vu de nouveau aujourd'hui, elle savait qu'elle était encore loin de pouvoir dormir. Surtout dans un environnement tellement peu familier.
- Merci, Nabooru, dit-elle en se levant pour se prosterner légèrement.
Les deux gérudos l'imitèrent et quittèrent la pièce par la suite. Zelda fit le tour pour éteindre les quelques bougies qui éclairaient l'endroit tout en observant les détails de ce qui l'entourait. Elle ne garda que le lampion qui brûlait sur la petite table de pierre à côté de son lit. Tout ce qui était ici était à l'opposé de ce qu'elle avait l'habitude de voir. Il y avait peu de choses en bois, que ce soit les meubles et encore moins les habitations, cette ressource étant presque inexistante dans le désert. L'architecture rectangulaire des maisons, la couleur sable prédominante des structures et les voiles colorés qui ornaient les fenêtres, tout cela n'avait rien de similaire avec ce qu'elle pouvait observer au château. Chaque village qu'elle avait visité, que ce soit celui des sheikahs, des zoras, des gorons ou des piafs, lui avait montré une facette différente du royaume et elle admettait que les gérudos étaient le peuple ayant toujours le plus attisé sa curiosité. La journée avait été remplie de la visite de la cité, que ce soit des personnes, des boutiques, du palais et, à son grand étonnement, d'un jardin irrigué par une source souterraine. Elle avait rencontré ces femmes qui se cachaient dans la forteresse, certaines depuis plusieurs années et qui, pour la plupart, rêvaient de retourner chez elle. De lire leur histoire avait été difficile, de l'entendre de leurs propres bouches était à un tout autre niveau. Elle aurait voulu avoir la possibilité de leur apporter un réconfort, mais elle se rendait compte que les injustices ne pouvaient être résolues en un claquement de doigts. Elle s'était silencieusement promis, qu'une fois de retour au château, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que ces femmes soient libres d'aller où bon leur semblait. Même si elle savait déjà que cela allait prendre beaucoup de temps.
Secouant la tête pour oublier ces pensées, Zelda alla s'installer sur son lit, les jambes croisées sous elle, et agrippa le livre que Nabooru lui avait remis en cadeau. S'approchant de la lueur du lampion, elle caressa la couverture où un symbole étrange était gravé dans le cuir usé. C'était une méthode de langue, un outil qui lui permettrait d'apprendre le langage des guerrières du désert. Elle savait la valeur d'un tel cadeau et elle se ferait une joie de mémoriser chacun des mots par respect pour la personne qui lui avait offert ce présent. Dehors, elle attendait un peu la musique qui jouait faiblement dans la ville, la fête n'étant pas encore totalement terminée pour certaines. Malgré l'heure tardive, elle ouvrit le bouquin à la première page et commença sa lecture le front plissé de concentration. Son cœur manqua un battement quand une main se posa sur sa bouche et elle s'apprêtait à hurler quand la voix familière de Link murmura à son oreille :
- C'est moi Zelda ! Ne crie pas !
Elle se retourna soudainement en colère, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Face à elle, le héros n'avait plus rien de l'homme qu'elle connaissait.
- Par Hylia, chuchota-t-elle abasourdie.
À genou sur son lit se trouvait, au premier regard, une jeune gérudo qu'elle n'avait jamais vue. Le teint était plutôt pâle. Par contre, les cheveux blonds avaient disparu sous une tignasse rousse. Une des caractéristiques principales du peuple des guerrières. Elle était retenue prisonnière dans un chignon un peu négligé. Les habits ayant la couleur du ciel, avec des motifs circulaires, consistaient en un haut sans manche dévoilant un ventre plat et un pantalon légèrement bouffant qui se fermait aux chevilles. Il portait même un foulard autour de la bouche, camouflant habilement sa mâchoire, ce qui aurait pu le trahir. Un large trait noir avait été tracé au pourtour de ses yeux et la lueur de la bougie lui permit de deviner le bleu de ses iris qu'elle connaissait par coeur.
- Impressionnant, n'est-ce pas ? dit-il tout bas.
Ses yeux s'étaient plissés montrant son amusement et si elle n'avait pas entendu sa voix masculine, Zelda ne l'aurait pas reconnu au premier regard. Elle prit un air perplexe quand son regard s'arrêta sur la poitrine qui avait maintenant des formes féminines. Comment avait-il réussi à se déguiser de manière aussi parfaite ? s'étonna la jeune femme. Rapidement, l'enjeu de la situation lui rappelait que son chevalier avait infiltré une cité interdite aux hommes et que s'il était découvert, il risquait beaucoup.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? paniqua-t-elle les dents serrées.
- Je voulais m'assurer que tu allais bien, expliqua-t-il avec plus de sérieux. Et aussi confirmer l'heure du départ demain. Les gérudos devront t'accompagner jusqu'à la muraille, mais…
Zelda, qui le dévisageait toujours, l'écouta à peine alors qu'il répétait les consignes de sécurité. Elle n'en revenait pas de ce déguisement. Jamais il n'aurait pu faire ça tout seul. Si elle l'avait croisé dans la citadelle d'Hyrule, elle n'aurait jamais deviné sa vraie identité. Par contre, ici sa sûreté pouvait facilement être compromise. Les gérudos se connaissaient entre elles et même quelqu'un d'aussi bien costumé que Link pouvait attirer l'attention. Elle ne pouvait s'empêcher de le détailler, cherchant à reconnaître les traits familiers bien camouflés sous ses habits.
- Zelda, murmura-t-il, en passant une main devant ses yeux, arrête de lorgner ma fausse poitrine.
Le regard exaspéré de la jeune femme se planta dans celui du héros. Elle attrapa le foulard qui recouvrait la partie inférieure du visage du chevalier et l'abaissa dans son cou pour voir le sourire moqueur qui était auparavant caché.
- Tu pourrais te faire tuer, grogna-t-elle doucement.
- Je te promets que je vais quitter cette cité dès que je serai assuré que tu vas bien, murmura-t-il.
- Tu as enfreint leurs lois ! continua la princesse en contenant sa voix. Si jamais elles le découvrent…
Link posa de nouveau sa main sur la bouche de Zelda et écouta un moment les bruits provenant de l'extérieur. Elle fronça ses sourcils dans sa direction et il la libéra au bout d'un moment avec un sourire penaud. Elle croisa les bras sur sa poitrine, une moue sur son visage.
- Tu dois t'en aller, dit-elle.
- Tu sais ce que tu dois faire si jamais ça tourne mal…
- Oui Link ! chuchota-t-elle impatiente. Nous avons déjà eu cette discussion ! Et je te rappelle que je suis entourée de guerrières qui, si elles venaient à découvrir ta présence ici, t'arrêteraient sur le champ !
Son visage était sérieux alors qu'il analysait sa chambre d'un œil critique et Zelda ne put s'empêcher de constater que le héros restait tout autant séduisant en homme ou en femme. Elle grimaça intérieurement en souhaitant que ces joues ne soient pas rouges.
-Je m'inquiétais, murmura-t-il inconscient des pensées de la princesse. Tu n'es pas venu me voir aujourd'hui.
- Je ne suis ici que deux jours, répliqua-t-elle avec un peu plus de douceur. J'ai eu un horaire très chargé.
- Je ne suis pas rassuré de te savoir seule, répéta-t-il.
Avec un léger sourire, Zelda leva ses deux mains et les posa sur le visage du héros.
- J'appellerais bien mon pouvoir, mais je ne veux pas attirer l'attention, murmura-t-elle. Tu dois me faire confiance. Et faire confiance à celles qui sont chargées de ma protection. Honnêtement, c'est toi qui me places dans une situation dangereuse à l'heure actuelle.
- J'essaie de faire mon travail.
- Moi aussi, Link.
Elle remit son foulard sur son visage et lui tapota amicalement la joue. Il resta immobile un moment avant de déclarer :
- J'ai vu ta bénédiction.
Il fronça ses sourcils pâles et murmura :
- Je t'aime énormément, tu sais.
Elle replaça nerveusement une mèche derrière son oreille et dit en se concentrant sur un point sur le mur, tout en tentant d'oublier les papillons qui s'étaient formés dans son ventre :
- Link, on ne peut pas avoir cette discussion maintenant...
Si le moment et même l'endroit étaient mal choisis, elle pouvait deviner l'hésitation du héros. Qu'attendait-il d'elle exactement ? pensa Zelda à la fois timide et perplexe.
- Je sais que j'ai l'air stupide et jaloux en disant ça, continua-t-il, mais j'ai entendu quelques commentaires lors de cette bénédiction et...et ça m'a fait réfléchir.
Zelda resta silencieuse, patientant le temps que Link parle malgré l'inquiétude qu'il soit découvert.
- J'ai...j'ai l'impression de devoir te partager. Quand tu utilises ton pouvoir, cet amour que tu crées - c'est égoïste ce que je vais dire, mais - cet amour, je le croyais pour moi. Toutefois, je me rends compte que ce n'est peut-être pas le cas. Je n'en sais trop rien. Je me demande donc, es-tu certaine de vouloir être avec moi ?
- Oui, affirma-t-elle rapidement.
Immédiatement, Zelda remarqua les épaules du héros qui se relâchèrent.
- Alors pourquoi ne me réponds-tu pas ? l'interrogea Link tout bas en fronçant ses sourcils.
- Te répondre ?
- Lorsque je te dis que je t'aime, précisa-t-il.
Elle ouvrit la bouche stupéfaite, mais la referma aussitôt. Elle dut réfléchir un moment avant d'expliquer doucement :
- Au château, ce n'est pas convenable de montrer autant d'émotion. Je n'ai pas été élevé ainsi.
Link la dévisagea.
- Pourquoi est-ce que je suis ton choix ? demanda-t-il.
- Mon choix en tant que prince consort ?
- Non, répliqua-t-il. Ton choix en tant que compagnon de vie.
Il doutait de ses sentiments, songea Zelda. Elle avait pensé que la démonstration de ces pouvoirs avait été suffisante pour le convaincre. Suivant les propos de plusieurs de ses proches, elle avait l'impression d'avoir persuadé la moitié du pays le jour de son enlèvement ! Que pouvait-il bien avoir entendu comme commentaire ? Cependant, si c'était une confirmation verbale qu'il voulait, elle pouvait la lui donner et faire disparaître cette inquiétude. Rassemblant son courage, elle murmura alors avec un petit sourire gêné :
- Je t'aime Link.
Il sembla surpris. Elle en profita pour reprendre un masque sérieux et ajouta :
- Il y a une chose très importante que tu dois savoir, et ce, le plus vite possible. En devenant souverains, notre priorité sera le royaume. Cette magie qui fait partie de moi est une preuve de mon amour pour toi. Mais aussi, et principalement, ma responsabilité envers tous les habitants.
En pointant un doigt dans sa direction, elle précisa :
- Je peux comprendre ton impression d'avoir à me partager. Par contre, ce n'est pas parce que je ne te favorise pas que tu ne comptes pas pour moi. C'est simplement que le respect du protocole, des lois et même les attentes des citoyens sont plus importants que les sentiments que je te porte.
Il resta silencieux.
- C'est pour cela qu'avant de divulguer mon choix officiellement, je veux te préparer, ajouta Zelda. Lorsque seront annoncées nos épousailles, la responsabilité du royaume ne tombera pas seulement sur mes épaules, mais aussi sur les tiennes. C'est un lourd fardeau.
- Que je porte déjà, sourit-il tristement.
- C'est vrai, soupira-t-elle.
- Je crois que je voulais être sûr d'être ton choix, chuchota-t-il. Je ne souhaite pas être celui qui comble une place vide.
- Pourquoi penser ainsi ?
Il haussa les épaules et gratta nerveusement sa joue.
- Tu pourrais avoir beaucoup mieux que moi, dit-il tout bas.
Elle grimaça intérieurement en entendant la dernière phrase et répliqua :
- Toi aussi.
Il ne sembla pas la croire, mais l'heure tournait et son opinion était qu'il avait passé suffisamment de temps dans la cité pour le restant de ces jours.
- Tu dois partir, ordonna-t-elle toujours à voix basse.
Link plaça une main à sa fausse poitrine et simula être choqué.
- Ma présence ici est si peu appréciée ! murmura-t-il d'une voix ridiculement aiguë.
Elle s'empressa de recouvrir sa bouche cachée sous le voile décoratif et grogna :
- J'aime habituellement ton sens de l'humour Link, mais ce n'est pas le moment !
Elle pouvait percevoir l'amusement dans ses yeux bleus, leurs éclats accentués par le trait noir. Comment pouvait-il rester aussi séduisant même dans cet accoutrement ? Sa joie était contagieuse et son coeur battit plus vite en réponse. Elle pouvait détecter son sourire sous sa main et l'envie soudaine d'y goûter accapara ses pensées. Sans trop y réfléchir, elle abaissa le foulard, approcha prestement son visage de celui du jeune homme et posa ses lèvres sur les siennes tout en fermant les yeux. Le contact dura à peine quelques secondes, mais c'était juste assez pour, elle l'espérait, faire disparaître pour de bon son hésitation. Et aussi, égoïstement, toucher à ce bonheur qui la tentait depuis plusieurs jours déjà. Quand elle se recula, les joues probablement rouges, elle remarqua immédiatement l'intensité dans le regard qui lui faisait face.
- Je voulais faire ça depuis un moment, murmura-t-elle nerveusement, mais...
Elle fut incapable de terminer sa phrase, car Link l'embrassait de nouveau. Et elle le laissa faire ses paupières s'abaissant d'elles-mêmes. Elle admettait qu'une situation comme celle-ci, elle l'avait imaginé de nombreuses fois sans vraiment croire que cela se produirait un jour. Les limitations causées par son titre l'avaient convaincue qu'elle ne devait pas espérer une histoire digne des quelques romans à l'eau de rose qu'elle avait lus. Et pourtant, lorsque Link posa sa main sur sa taille, le contact provoqua une décharge électrique sur sa peau recouverte d'un mince tissu. Son autre main caressa délicatement le creux de son cou et il ouvrit légèrement la bouche, passant doucement sa langue sur ses lèvres. En réponse, elle noua ses doigts derrière la nuque du jeune homme et l'attira contre elle, lui donnant l'occasion d'approfondir le baiser. Elle se laissa tomber sur le lit et il la suivit. Elle perdit le fil à ce moment-là, plusieurs sensations se mélangeant dans son esprit lui faisant oublier l'espace d'un instant où elle était. Une main frôla son genou et remonta sous sa robe le long de sa cuisse. Soudainement, elle se rappela sa mère et surtout la vision qu'elle avait eue d'elle.
« Je vous vois embrasser une femme. Une gérudo... »
Immédiatement, elle poussa Link sans force et il se redressa au-dessus d'elle, le visage troublé.
- La reine avait prédit cela, dit-elle stupéfaite.
Les yeux de Link s'agrandirent à la fois d'étonnement et d'inquiétude.
- Hum...elle nous a vus...
- Elle pensait que j'embrassais une femme !
- Quoi ?
Zelda retint un rire nerveux et se releva sur son lit en fixant attentivement le chevalier qui l'imita.
- Elle croit vraiment que tu es une femme, répéta-t-elle. Comment vais-je lui expliquer ça ?
- Euh…
- Que le héros élu de lame purificatrice s'est déguisé en gérudo ? murmura-t-elle avec un ton dérisoire.
Ses derniers propos ainsi que son observation de l'homme tout près, qui était resté silencieux, lui permirent de constater quelque chose de très important.
- Où est ton épée ? demanda-t-elle.
Il se gratta l'arrière de la tête et répondit :
- Je ne pouvais pas entrer dans la cité avec mon épée.
- Où est ton épée Link ?
- Une gérudo se fait passer pour moi à l'extérieur et c'est elle qui l'a...
Comment avait-il pu faire quelque chose d'aussi irresponsable ? songea Zelda exaspérée. En plus d'être entré illégalement dans la cité des gérudos ! Une moue sur le visage, elle répliqua tout bas :
- Tu as deux secondes pour sortir de cette pièce et retrouver ton épée sinon je te promets qu'au retour de la Calamité, tu vas devoir te défendre avec une brindille.
D'un geste trop rapide pour qu'elle puisse l'arrêter, il l'embrassa de nouveau sur les lèvres et il disparut par une fenêtre donnant sur la bâtisse avoisinante. Elle se leva curieuse de vérifier à l'extérieur et fut surprise de découvrir le nombre de mètres qui la séparaient du sol. Comment avait-il pu grimper autant d'étages ? pensa-t-elle en voyant son ombre s'évanouir au coin d'une ruelle. Elle se recula et posa une main sur sa bouche, camouflant le sourire qui s'était formé contre son gré. Tout en se retenant de sautiller, elle retourna à son lit et reprit le livre qu'elle savait être incapable de lire actuellement.
OoOoO
- Qu'est-ce que c'est que ça ? dit Link.
À bord de la créature divine des piafs, alors qu'ils survolaient le canyon séparant le désert des plaines centrales d'Hyrule, Zelda, le héros, ainsi que Médolie pouvaient apercevoir au loin deux larges colonnes de fumée. Une au-dessus de la région d'Akkala et l'autre environ à mi-chemin entre le lac Hylia et la région d'Elimith.
- Deux gigantesques feux, répondit la princesse d'une voix neutre.
Elle avait suffisamment étudié la cartographie du pays pour deviner l'emplacement stratégique de ces deux brasiers.
- Est-ce que ces incendies étaient là ce matin ? demanda-t-elle à la piaf.
La femme oiseau hocha négativement la tête tout en observant le spectacle sinistre qui s'offrait à eux. Elle secoua nerveusement ses grandes ailes blanches et affirma :
- Je peux estimer que le feu dans la région d'Akkala est sur la section des terres fertiles. Par contre, l'autre…peut-être dans la forêt de Firone ?
- Non, répliqua Zelda. Cette forêt est trop humide pour avoir un brasier d'une telle ampleur.
- Dans les hauteurs d'Huko, dit Link en écho aux pensées de la princesse. Ces feux ne sont pas la conséquence d'une sécheresse.
Cette affirmation avait été prononcée d'une voix dure et Zelda se tourna vers le héros dont les traits étaient crispés.
- Ce sont deux endroits fournissant près du quart de la nourriture du pays. Par le passé, il y a déjà eu de lourdes pertes dues à un ou plusieurs incendies involontaires dans ces régions. Cependant, deux brasiers en même temps, à deux emplacements aussi éloignés…les probabilités d'une cause naturelle sont faibles, répondit-elle.
- Est-ce que le roi avait anticipé une diminution drastique des récoltes ? interrogea Médolie.
- Nous avons plusieurs réserves, indiqua la princesse.
La nourriture n'était pas ce qui la tracassait. C'était le moral des habitants, ceux qui subissaient de plein fouet ces feux intenses. Ceux qui peut-être défendaient au moment même leurs terres contre une armée de monstres. Le château allait être en alerte à son arrivée. Depuis plusieurs années déjà qu'on la préparait au retour de la Calamité, mais en voyant ce spectacle de destruction, elle n'avait pas l'impression d'être prête à quoi que ce soit.
- Est-ce que cela veut dire que le Fléau est de retour ? questionna Link.
Elle détourna son visage dans sa direction, détailla sa posture droite et ses poings fermés de chaque côté de son corps. Ses yeux trouvèrent ceux du jeune homme et elle déclara :
- Je ne crois pas.
Mais c'est pour bientôt, lui dit-elle en pensée. Il devina la signification de son regard et elle remarqua le tressaillement de ses doigts. Malgré la présence de la piaf, elle attrapa la main du héros dans la sienne et la serra. Link lui fit un minuscule sourire. Médolie commenta d'une voix morose en dévisageant les brasiers au loin :
- Il semble que le combat, lui, ait bien débuté.
La princesse retourna à l'observation du royaume, l'inquiétude bien camouflée derrière son visage fermé.
OoOoO
Zelda observa avec un visage qu'elle souhaita impassible le chaos qui régnait dans la grande salle du conseil. Des paroles fusaient de toute part depuis plus de trois heures maintenant, un disant une chose pour être immédiatement contredit par quelqu'un d'autre. Elle n'avait jamais vu cette pièce aussi remplie, et ce depuis qu'elle assistait assidument aux réunions. Les conseillers étaient présents, les chefs de chacune des garnisons - y compris ceux venant des régions les plus éloignées - ainsi que deux ou trois représentants de chacune des races du royaume. Piafs, gorons, zoras, gérudos et sheikahs. L'état d'alerte avait sonné, marquant le début des hostilités. Les bokoblins, moblins, lézalfos et centaléos avaient lancé l'attaque en deux points stratégiques. Ils avaient détruit le quart des récoltes du pays en à peine quelques jours. Un grand nombre de gens dépourvus avait été obligé de prendre la fuite, personne n'ayant été préparé à cet assaut. On surveillait attentivement l'avancement des troupes ennemies, mais leur jeu de cache-cache dans les montagnes ne permettait pas d'avoir un œil sur la situation complète. Les piafs faisaient leur possible pour leur venir en aide, mais eux aussi avaient un territoire à protéger et c'était difficile, même s'ils réunissaient tous les êtres volants, d'être à l'affût de l'entièreté du royaume. Cette rencontre décisive déterminerait le moyen qu'emprunterait tout un chacun pour défendre de manière efficace les terres, et les gens qui y habitaient, de ce pays.
La princesse pouvait sentir les tensions sous-jacentes régnant dans la salle. Les gérudos, deux femmes de hautes statures encadrant Nabooru qui, les bras croisés sous sa poitrine, observait les différents commandants des garnisons avec un dédain presque visible. La fille du chef des sheikahs Reynald, qui discutait tout bas avec Impa. Son amie avait une posture droite et approuvait silencieusement en dévisageant un point en face d'elle. Les deux gigantesques gorons tout près avaient un air renfrogné que la princesse n'avait jamais vu sur eux. Le roi des zoras Mikau et un de ses conseillers étaient là et regardaient la scène avec un visage impassible. Le chef Scaff quant à lui s'était réfugié avec Médolie dans un coin de la pièce. La chaleur maintenant presque suffocante de l'endroit, causé par la présence d'autant d'individus, nuisait aux deux piafs dont le corps était recouvert d'un épais duvet. Si la princesse avait supporté la température élevée du désert, il y avait tout juste quelques jours, le climat à la citadelle n'était guère mieux. Le temps était lourd et un nuage de fumée avait envahi le ciel, conséquence des brasiers qui avaient encore lieu au sud du pays. La pluie se faisait cruellement attendre.
Zelda, assise à côté du roi, sur une grande table en forme de cercle où pouvaient se placer vingt personnes, décelait la présence discrète de Link derrière elle. Elle retint un soupir en songeant que c'était la première fois qu'il l'accompagnait à une réunion du conseil. Elle aurait voulu lui préciser que, en temps normal, ce n'était pas ainsi. Seuls les dirigeants du royaume, ses conseillers et un ou deux représentants de chaque espèce étaient admis. Le pays d'Hyrule était en paix depuis bien des années, et ce même avant sa naissance. C'était la première fois qu'elle assistait à une crise de cette ampleur. Elle espérait que ce que Link voyait aujourd'hui ne le ferait pas changer d'avis concernant sa décision de se marier avec elle. De son côté, elle tentait d'oublier ce que signifiait le début de ces hostilités. Elle essayait de ne pas penser au retour imminent du Fléau dont personne dans cet endroit n'osait parler. Son attention revint sur le roi à sa gauche qui leva une main. Lentement, le silence se fit dans la salle et il prit la parole :
- Nous devons prioriser la sécurité des civils. Est-ce que la forteresse d'Akkala peut accueillir les réfugiés ?
Le commandant de la garnison à cet endroit répondit :
- Oui, nous le pouvons. C'est d'ailleurs l'ordre qui a été donné à tous les habitants qui ont été touchés par les dernières attaques. Nous avons toutefois un obstacle de taille. Nous n'aurons pas suffisamment de réserve de nourriture pour un si grand nombre.
- Nous puiserons du côté de nos entrepôts, concéda le roi. Pour la sécurité ?
- La forteresse nous prémunit contre les invasion et a une des meilleures défenses du pays. L'aide des gorons nous permet d'avoir un contrôle de la situation. Par contre, l'ouest de la région est devenu dangereux. Des hordes de monstres y circulent en toute liberté. Le nombre d'hommes nécessaire pour repousser ces ennemis est trop élevé. Si j'ai juste assez de soldats pour protéger les réfugiés, je n'en ai pas suffisamment pour mener une attaque.
- Mais nous devons répliquer maintenant ! s'insurgea un autre commandant. Ces monstres ont élu domicile sur nos terres et détruisent tout sur leur passage !
Le roi caressa distraitement sa barbe, ses sourcils froncés.
- Combien avez-vous de robots gardiens dans le quatrième régiment ? demanda-t-il.
- Soixante-douze, Votre Altesse, indiqua l'officier de la garnison. La moitié est stationnée à l'est du château et l'autre surveille la frontière d'Hébra.
- Et le nombre de soldats ?
- Deux cent trente-huit ici, répondit-il. Une centaine à Hébra.
Le roi acquiesça et ordonna :
- Le premier régiment se chargera de la surveillance du château. Laissez vos soldats à la frontière d'Hébra. Tous les autres doivent se rendre à Akkala.
Il se tourna vers Sir Lafrel et dit d'une voix puissante :
- Vous avez mon approbation pour commencer l'offensive au sud des plaines.
Il y eut quelques murmures d'assentiment dans la salle.
- Souvenez-vous que ceci n'est que le début, dit le roi. Nous devons impérativement demeurer sur nos gardes. Je compte sur vous tous, peu importe votre race pour faire tout ce qui est en votre pouvoir pour défendre le royaume.
Le monarque se leva, imité par tous ceux qui étaient présents. Ils se prosternèrent alors que le souverain quittait la pièce. Zelda était restée assise et regarda les hommes sortir à la suite de son père, les conversations reprenant en petit groupe séparé. Maintenant que Sir Lafrel avait eu l'autorisation du dirigeant, le combat allait officiellement débuter, pensa la princesse. Une moue sur le visage, elle se leva à son tour et se tourna vers Link. Elle s'empressa de déclarer :
- Ce n'est pas un bon exemple pour une première séance de conseil.
- Mon père est dans le quatrième régiment, dit-il en cachant bien ses émotions.
Comment avait-elle pu oublier ? se morigéna-t-elle en l'observant silencieusement. Elle n'avait rien à dire pour le réconforter. Les nouvelles de partout dans le royaume étaient mauvaises et les pertes touchaient toutes les races habitant Hyrule. Impa s'était avancée entre-temps et Zelda hocha la tête poliment dans sa direction.
- Des informations des moines de Lanelle ? demanda-t-elle à contrecœur.
- C'est pour très bientôt, répondit la sheikah sans fioriture.
Une boule se forma dans la gorge de la princesse, mais elle cacha son inconfort. Le roi Mikau, la piaf Médolie, la chef des gérudos Nabooru ainsi que le goron Darunia approchaient.
- J'avais entendu parler d'une cérémonie en l'honneur des quatre prodiges qui avaient été choisis pour être les pilotes des créatures divines, commença la guerrière du désert. Cependant, je crois qu'elle n'aura pas lieu.
- J'en suis vraiment désolée, s'excusa la princesse. Avec les évènements en cours, nous ne pouvons réaliser ce genre de fête sans compromettre la sécurité de chacun d'entre vous.
- Son Altesse a raison, dit Mikau. La dernière fois que nous avons essayé…
Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres et il poursuivit en pointant la future souveraine :
- Un homme l'a pratiquement coupé en deux.
Zelda eut une moue en direction du roi des zoras et le corrigea prestement en précisant :
- C'est une simple entaille.
- Quel piètre gardien vous faites, Sir Link ! se moqua tout de même la gérudo.
Son chevalier haussa un sourcil en direction de Nabooru, qui rit légèrement de sa mine boudeuse.
- J'étais juste à côté, gronda l'énorme goron Darunia sans sourire. Je n'ai pas réussi à intervenir à temps.
- Ne t'en fais pas avec ça, dit Médolie pour consoler la créature de pierre. Imagine comment nous, les piafs, nous nous sentions lorsque la princesse a été enlevée dans notre village ?
- La tour Gérudo est sur mon territoire, précisa Nabooru avec une grimace. Nous avons une part de responsabilité dans cet enlèvement.
- Cet enlèvement a été réalisable grâce à la technologie de mon peuple, ajouta Impa d'une voix neutre.
En se grattant nerveusement la tempe, Zelda dit avec hésitation :
- Ne prenez pas la responsabilité de mes…mésaventures.
Cette conversation la rendait mal à l'aise. Elle avait lu d'innombrables livres sur les différentes histoires des réincarnations de la déesse Hylia et elle savait que ses prédécesseures étaient toujours les premières attaquées lors du retour du Fléau. Ils n'avaient pas à éprouver une culpabilité face à tout ce qui lui arrivait. Link en avait déjà beaucoup trop sur ses épaules, et ce en croyant qu'elle ne le remarquait pas.
- Personne n'est parfait, soupira Mikau.
Le sourire qui dévoila ses crocs était réapparu sur son visage et il ajouta :
- À part le peuple des zoras, bien entendu. Il n'est rien arrivé à la princesse lorsqu'elle était sous notre responsabilité.
Zelda savait que le roi taquinait le petit groupe. Si Nabooru roula des yeux et qu'Impa claqua sa langue en réponse, le reste d'entre eux rit doucement. La tension s'était un peu atténuée dans la pièce, mais rapidement ils redevinrent sérieux.
- C'est dommage que les créatures divines n'aient été conçues que pour défendre le royaume contre le Fléau, remarqua Médolie. Leurs grosseurs et leurs puissances en font des armes beaucoup trop lentes pour attaquer des troupes en mouvement.
- C'est pour cela que les gardiens ont été construits, expliqua la princesse. Les créatures divines restent tout de même nécessaires. Dans la majorité des écrits sur la Calamité, on décrit sa réincarnation comme un gigantesque monstre possédant un pouvoir maléfique presque infini.
Elle leur épargna le récit de la vision que la reine avait eue de son retour, il y avait de cela presque deux ans.
- D'un côté, dit Darunia en croisant ses bras énormes sur sa poitrine, je suis impatient de combattre le Fléau. Être dans l'attente n'est pas mon fort.
- Je suis d'accord, dit Mikau. Ses sbires s'amusent sur nos terres et attaquer est souvent impossible, car ils se cachent dès que nous en montrons l'intention.
- C'est une tactique, dit Nabooru. Oppresser sans relâche un ennemi. Ainsi, le jour du vrai combat, la victoire devient plus accessible, surtout contre un adversaire épuisé.
Un silence lourd se fit dans la salle pratiquement vide maintenant. Zelda aurait voulu avoir les bons mots pour les enhardir. Elle-même en avait tant besoin.
- Vous devriez faire une bénédiction, dit Link dans sa direction.
Perplexe, Zelda tourna son visage vers le jeune homme en fronçant ses sourcils.
- Sans être quelque chose d'officiel, poursuivit-il en plantant ses yeux bleus dans les siens.
Elle le dévisagea un instant, tentant de comprendre la raison sous-jacente de cette demande. Ce fut cependant le silence devenu soudainement rempli d'attente qui lui permit de deviner que les quatre prodiges souhaitaient la protection de la déesse. D'observer quatre êtres exceptionnels qui, malgré leurs exploits et leurs statuts élevés, cherchaient un réconfort à travers elle, l'étonna. Ses yeux dévièrent vers Impa qui avait croisé les bras sur sa poitrine tout en la regardant posément. La présence de son amie lui rappela qu'elle ne devait pas être surprise. Elle était la réincarnation de la déesse. Le pouvoir qui circulait dans ses veines était quelque chose de si familier qu'elle en oubliait souvent son importance. Les autres n'avaient pas la chance de voir la beauté du royaume comme elle le percevait malgré les temps difficiles qu'ils vivaient. Si la crainte d'exercer une influence sur ses compères était toujours présente, elle souhaitait partager ce don particulier qui l'habitait et ainsi, apporter l'appui que les prodiges attendaient de la déesse. Soudainement un peu plus déterminée, elle fit un pas vers le roi Mikau. Son pouvoir commença par illuminer ses doigts pour finalement englober la jeune femme toute entière. Le zora posa un genou au sol sans qu'elle le demande et elle leva sa main à la hauteur de son front qu'il avait penché. Elle admira un court moment les reflets de sa magie sur les écailles bleues de l'homme poisson avant d'annoncer d'une voix paisible :
- Roi du peuple des zoras, élu parmi les vôtres, vous qui avez comme qualité sagesse et intégrité, recevez aujourd'hui la bénédiction de la déesse Hylia. À travers les épreuves, par-delà les joies et les peines, vous et votre créature divine...
- Vah'Ruta, s'empressa de dire Mikau.
Zelda eut un sourire et reprit :
- Vous et Vah'Ruta ne faites qu'un. En ce jour et pour toujours, que nos prières vous donnent le courage de surmonter les épreuves futures et de ramener la paix sur cette terre.
La princesse se tourna alors vers Médolie qui fit les quelques pas pour s'agenouiller devant elle. Mikau était debout et elle remarqua son sourire tranquille avant de se concentrer sur la piaf. Relevant de nouveau son bras, elle reprit son discours avec une aisance qui la surprit. Les mots s'échappaient de sa bouche sans hésitation. Sans se tromper, elle bénit par la suite Darunia. Nabooru se prosterna avec assurance et Zelda termina en douceur. Les quatre prodiges la remercièrent et elle put voir dans chacun de leurs yeux, malgré l'inquiétude, une nouvelle résolution. Elle pria la déesse alors de les protéger tous. Et regardant le héros qui lui sourit discrètement, elle pria de plus belle.
OoOoO
Zelda observa le paysage qui s'offrait à elle par la fenêtre. Dans un des petits salons, celui situé le plus haut dans tout le palais, elle détaillait du regard les plaines d'Hyrule. De l'autre côté des murailles, au-delà de la rivière qui entourait la montagne sur laquelle le château avait été construit, elle avait l'impression d'admirer un océan d'or, le blé étant presque prêt pour la récolte.
- C'est une belle journée, dit Link tout près.
La princesse leva ses yeux vers le ciel bleu et approuva. Le silence perdura un long moment par la suite. Aucun des deux élus ne sachant quoi dire pour briser cette tension, cette impression de fatalité qui faisait maintenant partie de leur quotidien. Avec un soupir, elle annonça :
- Je dois faire mes prières, autant y aller immédiatement.
Link n'hésita pas et attrapa son bras gauche de sa main droite avec familiarité et l'entraîna dans le couloir. Elle aimait qu'il la touche ainsi, sans aucune réticence. Cela lui faisait oublier, un court moment, l'inquiétude qui habitait constamment ses pensées. Tout en descendant les escaliers circulaires, il dit :
- Ma mère a temporairement fermé sa boutique.
- N'est-ce pas encore la haute saison ? l'interrogea-t-elle surprise.
- Les gens ne sont pas intéressés par des tissus actuellement. Je crois qu'elle n'a plus la tête à travailler depuis que mon père est parti à Akkala.
- As-tu reçu du courrier ?
Link répondit négativement.
- Pas depuis deux semaines.
Zelda pinça ses lèvres. Elle savait qu'à plusieurs kilomètres de leur position, de nombreux combats avaient lieu. Toutefois, elle avait l'impression d'être dans une bulle hors temps, sa seule indication de l'activité extérieure étant les messagers qui allaient et venaient dans les couloirs peu importe le moment de la journée. L'anxiété la gardait éveillée de longues heures la nuit. La ville d'Hyrule était envahie de réfugiés et si elle suffisait encore à tous les logés, bientôt le château devrait ouvrir ses portes. Le premier régiment était la dernière défense de la cité, les trois autres envoyés pour assurer la sécurité du royaume ou protéger les fermiers pendant la saison des récoltes.
- Combien de temps cela va-t-il durer ? demanda Link avec les lèvres pincées.
Pour l'avoir croisé quelques fois dans les couloirs une fois la nuit tombée, elle savait que le héros était aussi appréhensif qu'elle. Il souffrait tout comme elle d'insomnies et il devait probablement se faire du mauvais sang face à ce qui les attendait.
- Tu ne dois pas t'en faire avec ça, dit-elle calmement. Le roi et ses conseillers sont là pour gérer cette crise. Nous aurons notre rôle à jouer bientôt et nous devons être prêts.
- Tu me répètes exactement ce que la reine t'a dit plus tôt, se moqua doucement Link.
Elle eut un rire nerveux et déclara, penaude :
- J'essaie encore de me convaincre.
Ils longeaient le couloir principal et se déplacèrent lorsqu'un messager arriva en courant.
- Je déteste ne pas savoir ce qu'il se passe, maugréa Link.
- Tu en sais pourtant beaucoup plus que la majorité, l'encouragea-t-elle.
Elle tira sur son bras lorsqu'il resta immobile et il soupira, reprenant sa marche tout en regardant derrière son épaule.
- Tu devrais aller t'entraîner, suggéra-t-elle. J'ai l'intention de prier un peu plus longtemps aujourd'hui.
- Non, indiqua le héros. Je reste avec toi.
Devant le ton presque autoritaire du jeune homme, elle n'ajouta rien. Son inquiétude était palpable et elle ne pouvait pas lui en vouloir. Un voile invisible de noirceur était tombé sur le pays et tout le monde était atteint. Ils arrivèrent à la petite chapelle et Zelda fut soulagée de ne voir que le prêtre Rauru. Celui-ci, derrière un solide lutrin près de l'hôtel où il présidait les messes, l'accueillit avec un sourire. Sans un mot, il retourna à la lecture de son énorme livre. Link la libéra et s'assit sur le dernier banc de bois massif, le dos droit. Avec une habitude qu'avaient forgée des années de dévotion, elle alla à l'avant et s'agenouilla face à la statue de la déesse dont elle était la réincarnation. Elle ferma les yeux et tout en exhalant, elle vida son esprit tourmenté de pensées pour débuter ses prières. Elle ne pouvait pas s'autoriser à réfléchir à l'état du royaume. D'imaginer des scènes horribles de guerre qui peut-être se produisaient en ce moment. Elle se concentra sur les mêmes mots, les mêmes phrases qu'elle avait si souvent répétées que leur sens avait changé au fil du temps. Leur signification avait parfois disparu ou encore évolué, mais le principal était que ces mots lui permettaient de se déconnecter de la réalité, de se donner corps et âme à la déesse, au pays qu'elle devait protéger.
- Zelda.
Elle sursauta et ouvrit les yeux en entendant son nom prononcé tout bas. Elle fut surprise de découvrir Link à ses côtés. Un doigt sur la bouche lui faisant comprendre de ne pas parler, il tendit sa main et l'aida à se relever. Une fois debout, elle analysa la chapelle vide et vit le prêtre franchir la large porte pour se diriger dans le couloir. Elle fronça ses sourcils en entendant des cris lointains. Rauru revint rapidement accompagner de deux soldats.
- Un groupe de moblins est entré dans les sous-sols du château, dit l'un d'eux précipitamment.
- Comment est-ce possible ? demanda le curé.
- Nous ne le savons pas, dit l'autre. Nos ordres sont d'escorter la princesse jusqu'à la salle du conseil.
Link les devança et se rendit jusqu'au couloir pour vérifier les lieux. Zelda le rattrapa flanquée des deux hommes en armure et de Rauru. Tous, d'un bon pas, marchèrent dans les corridors en étant attentifs aux bruits qui leur parvenaient. Un peu hébétée et perplexe, Zelda s'arrêta à une des fenêtres donnant sur la cour royale où des soldats franchissaient la porte principale quelques étages plus bas. On lui agrippa le bras et on la tira sans force.
- Nous devons continuer d'avancer, murmura Link qui marchait maintenant à ses côtés.
Un des gardes avait pris les devants alors que l'autre et le prêtre Rauru restèrent derrière.
- C'est impossible qu'un groupe de moblins soit entré dans les sous-sols du château sans se faire apercevoir, chuchota Zelda.
- Je sais, répondit le héros avec les sourcils froncés.
À chaque fenêtre qu'ils passaient, elle tentait de voir une quelconque différence, que ce soit dans le ciel bleu qu'elle pouvait observer ou les murailles qui les entouraient et protégeaient le palais. Cependant, rien ne prouvait qu'ils subissent à l'heure actuelle une attaque. Le groupe arriva finalement à la salle du conseil et la princesse se dirigea rapidement vers le roi qui lui fit un sourire forcé. Trois des conseillers étaient présents ainsi que plusieurs soldats. Son père allait prendre la parole quand un serviteur, qui était entré au pas de course, s'arrêta devant lui. Il déclara en se prosternant précipitamment :
- Votre Altesse, on m'a chargé de vous dire que la reine est introuvable.
Sans laisser le temps au monarque de répondre, il continua :
- Nous avons vérifié tous les endroits où elle a l'habitude de se rendre, y compris les jardins. Sir Lafrel a dépêché un peloton pour fouiller tout le château.
Le souverain eut un hochement de tête et la princesse put lire l'inquiétude dans ses yeux.
- Tenez-moi informer et dites à Sir Lafrel de me rejoindre le plus rapidement possible.
Le serviteur acquiesça et repartit au pas de course.
- Zelda, murmura Link à côté. Tu trembles.
Elle le dévisagea et remarqua son regard en direction de ses mains. En suivant son observation, elle constata sans trop de surprise qu'il avait raison.
- J'ai un mauvais pressentiment, répliqua-t-elle tout bas.
Sa poitrine se serra quand elle devina une peur identique à la sienne dans les yeux bleus de son chevalier.
OoOoO
Delia aurait voulu avoir la capacité de hurler. Ce n'était pas dans sa nature de crier. Elle pouvait compter sur les doigts d'une main le nombre de fois que cela lui était arrivé depuis qu'elle était adulte. Par contre, lorsqu'elle était enfant, elle excellait dans ce domaine. Elle s'était amusée aux dépens de sa grande sœur beaucoup trop souvent, un de ses jeux favoris ayant été de la faire sursauter à la moindre occasion. Cela était si facile à cette époque. Il fallait simplement ouvrir la bouche et les cordes vocales accomplissaient le reste du travail. Cependant, en ce moment même, son corps tout entier la trahissait.
Ses pensées se tournèrent vers son unique fille qui avait été si différente d'elle. Delia avait toujours aimé le caractère paisible de son héritière et avait rarement eu besoin de se plaindre de quoi que ce soit la concernant. Elle avait eu peur toutefois. La jeunesse de Zelda avait été difficile, et cela à cause en grande partie de son inaptitude en tant que mère. Il y eut une période où dans les yeux presque aveugles de son enfant, elle avait vu la lumière s'éteindre doucement. Elle se souvenait avoir prié les déesses d'innombrables heures. Elle avait supplié son époux d'abandonner l'espoir de guérir la princesse en faisant appel à tous ces soigneurs et ces sorciers étranges. Quand elle lui avait avoué que s'il continuait ainsi, sa lignée s'arrêterait avec sa fille, il avait accepté vaincu. Peu de temps après, ce vieil homme de petite taille, la peau aussi noire que la nuit et son visage couvert de rides, avait débarqué au château affirmant qu'il pouvait peut-être aider l'héritière. Elle était passée à deux doigts de le renvoyer sans lui donner une chance. Toutefois, ses explications et la confirmation que la princesse n'aurait pas à endurer la moindre douleur l'avaient convaincue de tenter une dernière fois. Elle se remémorait avec une clarté presque irréelle sa fille muette et immobile, les joues inondées de ses larmes, derrière l'étrange machine de l'homme foncé. Elle se rappelait que quelques jours plus tard, Zelda portait cette monture ridicule avec ces verres qui déformaient un peu son visage. Et elle voyait. Pourquoi encore personne, jusqu'à ce moment-là, n'avait-il découvert le problème ? Elle avait tant pleuré, cherchant la faille, essayant de trouver où elle avait commis l'erreur qui avait provoqué cette chaine de conséquences néfastes. Sa tristesse avait atteint un tel point qu'elle n'arrivait plus à la cacher. Elle avait dû envoyer son héritière chez sa sœur, avec qui elle avait à peine parlé depuis des années, le temps de retrouver une forme de contenance. À son retour, sa petite fille qui ne pipait jamais un mot posait des tas de questions, s'intéressait à tout et apprenait ce qu'on lui enseignait avec une facilité déconcertante. Et surtout, elle avait réveillé un pouvoir si pur que son don de clairvoyance n'était rien à côté du sien. À partir de ce moment, elle avait laissé à son enfant la liberté de s'instruire sur ce qu'elle souhaitait. Elle se souvenait du désaccord de Dohansen quand leur héritière avait développé une passion pour la technologie du peuple des sheikahs. Toujours, elle avait répété à son époux que tant que cela ne nuisait pas à son devoir de princesse, elle pouvait apprendre ce qu'elle voulait. Il l'avait alors laissée faire.
Dernièrement, Delia se questionnait. Elle imaginait Zelda autrement, avec un caractère plus proche du sien, moins docile. Aujourd'hui, avec le recul, elle aurait préféré qu'il en soit ainsi. Peut-être que si sa fille s'était rebellée juste un peu, cela aurait été différent. Ou peut-être pas. De toute façon, elle n'y pouvait rien maintenant. Surtout maintenant.
Elle essaya de nouveau de toutes ses forces d'ouvrir la bouche et d'expulser l'air de ses poumons, sans succès. Ses membres étaient paralysés et elle n'arrivait même pas à remuer le petit doigt. Étendue sur le sol de pierre, elle pouvait voir au-dessus d'elle le ciel bleu exempt de nuage. Elle avait deviné depuis son réveil où elle était. Sur la plus haute tour du château. Ce qui l'avait chamboulée par contre avait été de découvrir avec qui elle y était.
- C'est une belle journée n'est-ce pas, Votre Altesse ?
L'ancien chancelier du royaume s'était avancé dans son champ de vision et elle pouvait apercevoir son léger sourire. La dague qu'il portait à sa ceinture attira son attention. Cette arme était remplie d'un pouvoir maléfique qui lui donnait la chair de poule malgré le soleil qui la réchauffait. Elle essaya de remuer son corps, de crier à nouveau en y mettant toutes ses forces, mais sans succès. Léonard perdit sa bonne humeur et ses traits se durcirent.
- Ce n'était pas vous qui deviez être ici, continua-t-il en observant les alentours.
Elle tenta de prononcer un mot. N'importe quel. Les questions se bousculaient dans son cerveau. Le seul son qu'elle réussit à produire fut un grognement étouffé. Pourquoi n'avait-elle pas vu cela ? Pourquoi ses dons de clairvoyance ne lui avaient-ils pas révélé un quelconque indice sur ce piège qui lui avait été tendu ? Pourquoi cet homme, malgré toute la générosité qu'il avait eue envers le royaume pendant des années, s'était-il retourné contre eux ? Est-ce que tout ce temps de service n'avait été qu'une farce ? Et comme elle le croyait de plus en plus, sans avoir un moyen de le prouver avec certitude, avait-il une part de responsabilité dans l'enfance pénible de Zelda ? Il était si bon avec les mots, qu'elle avait déjà, par le passé, été manipulée par cet être. Jamais rien de bien méchant. C'était toutefois suffisant pour douter de sa bonne foi. Aujourd'hui, elle regrettait amèrement de ne pas avoir poussé plus loin l'investigation à son égard. Elle se détestait d'avoir ignoré les inquiétudes de sa fille sous prétexte qu'elle n'y pouvait rien.
- Ce ne sera plus très long, dit-il en appuyant un genou au sol.
À sa merci, Delia le regarda se positionner au niveau de sa poitrine. Il prit la dague à sa taille à deux mains et la leva au-dessus du cœur de la reine. Dans l'impossibilité de bouger, elle observa la pointe de la lame avec un sentiment d'impuissance. Son incapacité à prédire le futur lui fit comprendre que, tout simplement, elle n'en avait pas. C'était la fin. Sa fin. Les émotions tournoyaient en elle, prisonnière de son corps qui ne lui obéissait plus. Elle pensa à son époux, à combien il s'en voudrait lorsqu'il découvrirait la raison de sa mort. Elle songea à sa fille. À tout ce qu'elle aurait souhaité lui expliquer pour lui faire comprendre que même si elle avait pris d'innombrables mauvaises décisions la concernant, elle avait toujours cherché à la préparer à son avenir, à la rendre forte. Et aussi, surtout, elle aurait voulu lui dire à quel point elle l'aimait. Lui répéter une centaine de fois qu'elle l'aimait de toute son âme et qu'elle était fière de ce qu'elle était devenue. Elle désirait s'excuser, lui demander pardon encore et encore. Elle savait qu'elle n'aurait pas cette chance de son vivant. Léonard approcha une de ses mains de sa joue et la caressa. Elle aurait voulu lui cracher au visage, mais déjà il avait retiré ses doigts qui étaient humides de ses larmes.
- Vous avez compris ce qui allait arriver, dit-il avec une certaine satisfaction.
En empoignant de nouveau la dague à deux mains, il la leva et ajouta :
- Soyez honoré, car au sang de votre lignée, mon maître pourra prendre une forme humaine à son retour.
La reine eut l'impression de devenir spectatrice de cette scène, d'observer la lame s'abattre sur elle comme si cela se produisait sur quelqu'un d'autre. Pas de douleur. Un léger inconfort tout au plus. Toutefois, la sensation que la vie la quittait était bien réelle. De même que les nuages d'un rouge sang qui apparurent et tourbillonnèrent haut dans le ciel au-dessus de la tour où elle était. Elle entendit le rire lointain du chancelier, enterré par un grondement qui fit trembler le château. Ses yeux se fermèrent et le monde extérieur s'évanouit.
Chapitre mis en ligne le 22 avril 2019.
