19
- Dépêche Ashei ! s'impatienta Kafei du couloir.
La soldate jura en enfilant son gilet à l'envers et s'empressa de mettre sa cotte de maille par-dessus.
- C'est mon jour de congé ! s'écria-t-elle énervé.
Elle avait de la difficulté à dormir, tout comme la majorité des gens habitant le royaume, et avait espéré profiter de ce moment de repos pour rattraper des heures de sommeil. Encore étourdie de son réveil brutal, elle chercha quelque chose pour attacher ses cheveux et gronda en ne trouvant rien dans sa panique. Dans le premier régiment, l'alerte avait sonné.
- Les moblins s'en foutent de ton jour de congé ! répliqua le soldat nerveux.
Elle ramassa sa tablette sheikah et courut rejoindre Kafei qui bondit à son tour à sa vue. Ils suivirent le flot de combattants qui sortaient à l'extérieur. Le groupe se scinda en deux une fois dehors et une partie prit la direction du château tandis que les autres allèrent vers un attroupement de gardiens stationnés tout près. Ashei, accompagnée de son acolyte, se dirigea vers les robots. Tout en courant, la soldate pianota sur sa tablette et observa plus loin la machine qui lui avait été attitrée. Celle-ci se redressait sur ses quatre longues pattes mécaniques alors qu'elle arrivait à sa hauteur. Le couvercle sur le dessus de l'engin se déplaça et la femme grimpa sur le gardien pour y entrer aisément. Elle s'installa sur le siège pendant que l'ouverture se refermait au-dessus d'elle. Elle posa son écran à l'endroit prévu à cet effet juste devant. Tracés un peu partout dans la charpente même du robot, des sillons circulaires bleutés, provenant du moteur d'énergie sur lequel elle était assise, éclairaient le petit espace lui servant de cabine de pilotage.
- Vérification commande numéro trois, cria Kafei dehors.
- Fonctionnelle, répondit-elle.
- Réserve d'énergie, ajouta-t-il.
- Pleine capacité !
- Parfait, je monte !
Elle entendit les pas du soldat sur la coque l'engin et enclencha l'œil de son gardien lui permettant d'avoir une vue de l'extérieur sur l'écran de sa tablette.
- Ashei, tu mènes le troupeau, expliqua Kafei dehors. Nos cibles sont à l'est près de la route du port. Ils empruntent une digue naturelle pour traverser la rivière et ont réussi à se faire un chemin jusqu'au sous-sol du château.
Approuvant de la tête en oubliant que son compère ne pouvait pas la voir, elle plaça nerveusement ses cheveux noirs derrière ses oreilles. La soldate attrapa les deux leviers de contrôle dans chacune de ses mains et fit avancer habilement le gardien dans la bonne direction. Tout autour d'elle, elle pouvait observer et entendre les autres robots et combattants de son unité en faire de même.
- Allons-y, murmura-t-elle.
Même dans cette situation, Ashei adorait être aux commandes de cette incroyable machine. D'avoir la chance de profiter de cette technologie, de ce robot qui obéissait à chacune de ses demandes, lui donnait une assurance qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant. Elle maîtrisait son gardien et elle était certaine que de son côté, lui aussi en venait à la connaître. Plus elle s'entraînait, plus leur synchronisation était parfaite les rendant tous deux capables des meilleurs exploits.
La route pour atteindre leur destination ne fut pas longue et rapidement, elle vit la horde de moblins qui traversaient la rivière. La digue n'était pas large. Elle s'entrecoupait même à certains endroits, obligeant les monstres à sauter pour continuer d'avancer. C'était loin d'être un beau chemin à emprunter. Il était utilisable que tard l'été, lorsque le niveau de l'eau était à son plus bas. Cependant, les moblins restaient des créatures puissantes et ils devaient s'en débarrasser le plus vite possible. Ou à tout le moins, les empêcher de traverser de ce côté-ci. Ashei, ses mains crispées autour des leviers, détailla les monstres. C'était de mauvais augure, pensa-t-elle, qu'un groupe de cette taille risque autant pour atteindre le château.
- Je ne vois pas de lézalfos, dit Kafei de l'extérieur.
Une chance, songea la soldate. Ces créatures pouvaient nager et traverser une rivière était facilement réalisable pour elles. Elle entendit des voix et son acolyte sur la coque de son gardien lui traduisit :
- Tu vas faire sauter cette digue, cria-t-il. Peux-tu t'approcher suffisamment sans engager le combat ?
- Oui, répondit-elle.
- OK, répliqua Kafei. Les soldats Orbo et Kiko vont t'accompagner. Vise le centre de la digue. Assure-toi qu'aucun monstre ne puisse traverser la rivière et rejoins le régiment. Nous allons mener l'attaque jusqu'au château.
- Faire exploser la digue, double vérification et ménage jusqu'au château ! résuma Ashei.
- Parfait !
Il cogna deux fois sur la coque et descendit de la machine. Elle le vit courir en avant d'elle en levant la main en signe de salutation. Une fois le champ libre, elle fit avancer son robot jusqu'à la digue à la vitesse maximale. Flanquée des deux gardiens qu'elle pouvait apercevoir sur sa tablette, elle s'arrêta, suffisamment près de son objectif. Elle enclencha alors le système de tir. Un cercle rouge s'afficha sur son écran et elle appuya en direction de sa cible. Une ligne de mire, comme un fin rayon rouge, apparut à l'extérieur, pointant l'endroit exact de la digue où elle allait faire feu. Deux autres lignes étaient apparues à sa suite provenant des gardiens de ses compagnons.
- Feu ! cria-t-elle pour être entendue.
Elle toucha une seconde fois l'écran et un puissant rayon d'énergie s'échappa de l'œil de son gardien, aveuglant momentanément sa vision. Quand elle put voir de nouveau, le barrage approximatif avait disparu en partie, mais de nombreux monstres se dirigeaient maintenant vers eux. D'autres robots vinrent à leurs rescousses et empêchèrent les moblins de les atteindre. Elle visa un nouveau point sur la digue et fut immédiatement imitée par ses deux compagnons.
- Feu !
Cette fois-ci quand l'écran fut fonctionnel, elle sut que les montres ne pourraient plus traverser la rivière sans tomber, signant ainsi leurs arrêts de mort. Elle attendit tout de même une minute entière avec impatience et vérifia à plusieurs reprises qu'aucun des moblins ne puisse tenter quoi que ce soit. Un léger sourire satisfait aux lèvres, elle se tourna vers son régiment qui déjà s'était éloigné vers le château, décimant les monstres sur leur passage. Elle fronça les sourcils lorsqu'un grondement se fit entendre.
- Un tremblement de terre ? cria un des deux soldats étonnés.
Ashei remarqua un peu plus loin un chevalier qui pointait le ciel. Immédiatement, elle redressa les pattes de devant de son robot, lui permettant d'avoir une vue de toute la hauteur du château. Sur son écran, elle put ainsi apercevoir un tourbillon de nuage sombre se former au-dessus des tours du palais. Sa bouche s'ouvrit de surprise et de frayeur en observant la fumée prendre une forme diffuse. Deux yeux lumineux apparurent, les fixant comme s'ils étaient tous des insectes.
- Par les déesses, murmura-t-elle. Il est de retour.
OoOoO
Hergo était fâché. Très fâché. Calamité ou pas, il allait botter le derrière de ce monstre qui avait vraiment mal choisi son moment pour faire son retour.
- Arrête de remuer ! dit la jeune femme excédée qui attachait vivement sa veste de ses mains habiles.
- C'est injuste, grogna-t-il. Je me fous que ton frère soit le héros ! « Je » vais tuer ce Fléau ! Tu n'as qu'à m'attendre ici, j'en ai pour cinq minutes tout au plus.
Malgré son inquiétude évidente, Arielle rit doucement en finissant de nouer les lanières du vêtement. Le guerrier la détailla avec envie. Elle était habillée seulement de son gilet qui sur son dos, paraissait trois fois trop grand. Quand elle se détourna pour aller ramasser la longue épée sur le sol, Hergo contempla ses jambes découvertes alors qu'elle se penchait pour la prendre à deux mains. Pourquoi maintenant ? pensa-t-il en retenant un soupir de déception et de colère. Il attrapa l'arme que la jeune femme lui tendait et avant qu'elle ne s'éloigne de nouveau, il l'emprisonna dans ses bras et la souleva pour embrasser sa bouche, son cou, le haut de sa poitrine et finalement respirer son odeur. Elle lui rendit son étreinte avec force.
- Ça va aller ? murmura-t-il.
- Oui, répondit-elle. Je rejoins ma mère et mon petit frère et nous allons nous réfugier dans les abris. Hergo ?
- Hmm ?
- Reviens-moi en vie et je te promets de réfléchir à ta proposition.
Il la déposa, la libéra de son étreinte et se recula légèrement.
- Tu parles d'essayer la position où tu es sur moi, sur le côté, et je masse ton…
- Non ! coupa-t-elle en roulant ses yeux. Je parle de l'autre proposition !
Un sourire doux se dessina sur les lèvres du géant et il dit en attrapant la chaîne gérudo qu'elle portait autour du cou :
- Ne l'enlève pas, d'accord ?
Elle approuva en prenant sa large main dans les siennes et embrassa tendrement ses jointures. Il eut un couinement et se plaignit :
- Arielle, ça m'énerve au plus haut point de te dire ça, mais je dois vraiment y aller.
- Je sais, dit-elle en le libérant. Vas-y.
Il l'embrassa chastement et contre son gré, prit la direction de l'avant du magasin. Un regard en arrière lui permit de la voir immobile à l'observer, une moue inquiète sur le visage. Avec un minuscule sourire - qui manquait probablement d'assurance - il sortit de la boutique à contrecœur tout en fermant derrière lui. Après avoir fait quelques mètres en courant, il se mit à jurer entre ses dents. Malgré le nuage sombre qui grossissait au-dessus de leurs têtes, il n'hésita pas une seconde à se diriger vers les régiments, contournant les habitants de la ville qui allaient prestement se réfugier à l'abri. En arrivant aux portes ouvertes de la muraille entourant le château, il s'arrêta hébété devant le spectacle qui s'offrait à ses yeux. Loin à sa gauche, il pouvait voir un groupe de moblins attaquer soldats et gardiens qui contenaient l'assaut. À sa droite, une armée de bokoblins provenant des plaines franchissait plus bas un passage rétréci de la rivière pour atteindre ce côté-ci. Il remarqua Sir Talon qui menait une partie du premier régiment pour défendre cette section. Il allait s'élancer pour le rejoindre quand, de l'énorme nuage sombre qui envahissait lentement le ciel bleu au-dessus du château et de la ville, descendit une colonne de fumée qui atterrit à l'entrée principale du palais. Sans hésitation, il courut dans le chemin légèrement en pente et arriva juste à temps pour voir l'étrange nuée se rassembler et prendre l'apparence d'un homme imposant. Hergo n'avait jamais rencontré quelqu'un de cette taille. Depuis qu'il avait atteint l'adolescence, il avait toujours été le plus grand. Hergo ne savait pas si c'était la prédisposition impressionnante du nouvel arrivant, mais quelque chose de sous-jacent, comme une sensation de malheur, émanait soudainement des environs. Le chevalier ne put pas voir les traits de l'apparition, mais il percevait le teint sombre ainsi que les cheveux roux si similaires à son peuple. À l'entrée du château, il remarqua plusieurs soldats, entourant le roi et quelques-uns de ses conseillers, qui s'étaient arrêtés en apercevant l'inconnu immobile au milieu du chemin de pierre. Il devina la princesse dans le lot lorsqu'elle se mit à utiliser son pouvoir. Elle illumina tout ce qui se trouvait autour d'elle, y compris Link qui s'était placé devant, son épée dégainée dégageant une lueur bleutée.
- Qui est cet homme ? murmura un combattant à ses côtés.
Hergo le reconnut facilement, celui-ci faisant partie de son régiment. Il se rendit compte qu'il n'était pas seul. Un petit groupe s'était formé autour de lui et observait la situation sans trop savoir comment réagir. Il pouvait toujours sentir la puissance qui émanait de l'apparition. Quelque chose de tellement sombre, qu'il eut l'impression d'être insignifiant
- Est-ce que c'est le Fléau ? enchaîna un autre.
Hergo dégaina son épée quand l'homme plus loin leva un bras vers le ciel. Avec un violent cri, venant d'outre monde, il l'abaissa brusquement sur le sol qui se brisa sous l'impact. Hergo protégea son visage lorsque l'onde de choc l'atteignit. Il était à une cinquantaine de mètres et en avait ressenti l'effet ! Plusieurs soldats étaient tombés, la plupart de ceux étant près de l'inconnu, qui lui s'avançait droit sur la princesse que le héros aidait à relever. Sans hésitation, le gérudo courut vers l'homme, suivit de ses acolytes qui l'entouraient. Le combat avait déjà commencé lorsqu'il atteignit sa cible et il n'hésita pas une seconde à abattre son arme sur l'homme qui avait fait apparaître deux longues épées et les maniait avec une dextérité incroyable. L'inconnu para facilement son coup et envoya une seconde onde de choc. Hergo, ainsi que tous ceux autour, retombèrent durement un peu plus loin. Leur ennemi n'attendit pas et s'empressa d'empaler les soldats tout près, éclatant d'un rire guttural en entendant leur souffrance. Une intense lumière les entoura tous et le gérudo se releva alors que la princesse poussait son pouvoir vers le meurtrier qui grogna dans sa direction et protégea ses yeux. Dans son dos, il forma une boule noire d'énergie et Hergo hurla en comprenant ce qui se préparait.
- Attention !
Son avertissement arriva trop tard. La sphère sombre volait déjà en direction de la future souveraine qui la reçut de plein fouet sur le ventre. Il la vit tomber lourdement sur le sol sous le cri de Link. Sans hésitation, Hergo courut vers l'homme et attaqua de nouveau, cherchant à gagner du temps. Celui-ci se tourna lentement dans sa direction, tout en parant son offensive, et planta ses yeux lumineux dans les siens. Ils étaient presque à la même taille et Hergo lui fit face, sa mâchoire crispée et ses traits concentrés. Il engagea alors le duel. Il comprit qu'il n'avait aucune chance de vaincre après un court moment à se battre. Il y avait tant de puissance dans les coups qu'il recevait, que chaque fois qu'il bloquait, il avait l'impression que ses os allaient se briser sous l'effort. L'homme en face de lui avait un rictus sur le visage, semblant avoir du plaisir à le combattre. Il ne sut pas s'il devait prendre cela pour un compliment. Quelques minutes s'étaient écoulées, et il devina que sa fin était proche. Ses membres tremblaient et comme de raison, un coup particulièrement vicieux lui entailla le bras. Penché sous la douleur, il laissa tomber son épée sur le sol. Il leva ses yeux agrandis de surprise sur la lame qui descendait sur sa tête. Paré à la dernière minute par une autre bleutée. Il recula précipitamment et trébucha en observant le héros qui avait engagé le duel contre son précédent adversaire. On l'empoigna solidement et on le traîna un peu plus loin.
- Merci, dit Sir Lafrel derrière lui en tapant sur son épaule intacte.
Hergo se tourna pour lui faire face, mais déjà celui-ci courait vers le roi à quelques mètres qui soutenait sa fille. Heureusement, soupira-t-il, elle était encore en vie malgré l'attaque. Il fronça ses sourcils incertains en découvrant l'ancien chancelier près du groupe. Avait-il été engagé de nouveau pour cette crise ? se demanda-t-il perplexe. En l'apercevant sortir un poignard de ses habits, tous les systèmes d'alarme s'enclenchèrent dans sa tête et il voulut avertir le héros. Cependant, celui-ci était en plein affrontement plus loin et dans l'impossibilité d'intervenir. Hergo se releva difficilement et tout en pointant l'homme armé, il cria :
- Le chancelier ! Derrière !
Il croisa le regard de la princesse qui se tourna pour voir le couteau pointé dans sa direction. Sir Lafrel et d'autres soldats entourèrent immédiatement le roi ainsi que la réincarnation de la déesse. Le chancelier fut rapidement maîtrisé et l'attention d'Hergo revint à l'affrontement principal. D'admirer l'élu de la lame purificatrice se défendre contre un tel adversaire était impressionnant. Pour s'être entraîné d'innombrable fois avec Link et pour avoir combattu cet inconnu un peu plus tôt, il savait que le héros devait se servir de la moindre parcelle de son talent. En regardant autour pour découvrir les monstres qui attaquaient toujours plus loin, il se dépêcha d'aller récupérer son épée sur le sol. Étant assez haut, il avait une vue des plaines à l'ouest et son visage se durcit en découvrant une autre armée de monstres à plusieurs kilomètres qui se dirigeait vers eux. Elle était encore loin, mais allait les atteindre bientôt. Le combat n'était pas terminé et il savait que toute l'aide disponible serait nécessaire pour résister à un tel assaut. Un cri le fit se détourner de ce spectacle. Il ouvrit ses yeux de stupeur en apercevant l'épée de légende, le manche tenu dans les mains du héros et la lame enfoncée dans le cœur de son ennemi. C'est tout ? ne put-il s'empêcher de penser. L'homme disparu en fumée et rejoignit les nuages dans le ciel pour former un gigantesque monstre qui vola aisément autour du château. Hergo déglutit de travers lorsque le Fléau ouvrit sa gueule géante et qu'un rugissement énorme en sortit, secouant la terre entière et provoquant un cillement dans ses oreilles. Le démon glissa jusqu'aux plaines plus loin où il reprit cette fois-ci la forme d'un immense sanglier. Une énergie sombre l'entourait et se propageait comme les nuages dans le ciel. Quatre jambes apparurent sous lui et quand il les posa sur le sol, la terre trembla de nouveau. Il ouvrit sa gueule et poussa un nouveau hurlement. Un rayon s'en échappa et pulvérisa tout ce qui se trouvait sur son chemin, atteignant même une tour du château qui éclata en morceau. Sous les cris d'horreur qui résonnèrent tout autour, Hergo fixa hébété ce qu'il savait avec certitude être la Calamité, ne croyant tout de même pas ce qu'il voyait de ses propres yeux. Du coin de l'œil, il remarqua Link et la princesse courir en direction du gigantesque monstre. Une grimace de douleur sur ses lèvres, il les suivit en murmurant pour lui-même :
- Elle va accepter. Elle porte le collier. Tu vas la revoir, l'amener visiter le désert et reprendre ce que tu avais commencé plus tôt.
Ses pas se firent un peu plus assurés alors qu'il rejoignait une partie du premier régiment.
OoOoO
Rusl avait à peine fermé l'œil deux minutes qu'on vint le secouer.
- Mon commandant ! dit précipitamment le soldat. Vous devez voir ça !
Il grogna et se leva à contrecœur. Tout autour, son quatrième régiment, qui avait pris une pause - pause bien méritée selon lui - s'empressait de rejoindre une colline tout près qui leur donnait une vision sur les plaines et surtout, le château d'Hyrule. C'était une belle journée de fin d'été. Le ciel était dégagé et le soleil avait diminué d'intensité. Ils étaient en route vers la citadelle, après une bataille longue et difficile contre l'armée de monstre qui avait attaqué la région d'Akkala. Trois semaines avaient passé depuis le début des affrontements. Il y avait à peine deux jours, ils étaient finalement sortis victorieux de la bataille. Malheureusement, ils avaient perdu plusieurs hommes, y compris le commandant du quatrième régiment, ce qui faisait de lui le successeur à ce poste. Malgré la fatigue de ses soldats, il avait donné l'ordre d'entamer le voyage de retour. Après une journée de route, ils avaient dû arrêter pour se reposer, eux et leurs montures épuisés après tant de batailles. Il avait dormi tout au plus trois heures depuis le début de la chevauchée. Tout ce qu'il souhaitait était de revoir sa famille et s'assurer qu'ils allaient tous bien. Sous les murmures inquiets des combattants, il atteignit finalement le sommet de la colline.
- Par les déesses, soupira Rusl.
Des nuages sombres, qui grossissaient à vue d'œil, se trouvaient au-dessus du château et des plaines. Un gigantesque monstre, aussi grand que les créatures divines qu'il avait pu observer de loin, était visible sur les champs fertiles du royaume, à mi-chemin entre son régiment et la citadelle. Il y eut ce qu'il crut être un tremblement de terre, mais fût à sa surprise, un grondement provenant de l'énorme apparition. Son visage blanchit lorsqu'un rayon s'échappa de la bouche du démon, qu'on aurait dit en forme de sanglier, et traça un large sillon dans les plaines, détruisant une partie de la muraille du château ainsi que ce qu'il pensa être une des tours.
- Mon commandant ? demanda d'une voix appréhensive le soldat qui l'avait suivi.
Rusl observa une armée de bokoblins, moblins et autres qui déboulaient de la montagne. Ils prenaient le pont à quelques kilomètres de son régiment pour rejoindre le monstre et sans aucun doute pour participer au combat. Ils y étaient, comprit Rusl abasourdi malgré les derniers évènements. Quelques fois, il arrivait à se faire croire que cette Calamité était en fait qu'une énorme farce pour apeurer la populace. Toutefois, ce qu'il voyait là, devant lui, prouvait le contraire. Et son fils allait se battre contre cette chose. Son fils était peut-être en train de se battre contre cet effroyable monstre !
- Que tout le monde rejoigne sa monture ! cria-t-il puissamment en se détournant du spectacle. Ceux qui n'en ont pas, accrochez-vous aux gardiens ! Nous devons atteindre les plaines le plus vite possible !
Il courut en direction du campement, les soldats répétant ses ordres, et ils furent près en tout juste dix minutes. Rusl, sur le dos de sa jument qui galopait à vive allure, mena l'assaut vers son objectif plus bas. Son régiment était derrière lui, flanqué des robots qui étaient encore fonctionnels. Malgré son épuisement, l'adrénaline s'était frayé un chemin dans chacune de ses veines et ses doigts étaient tellement crispés sur la courroie de son cheval qu'ils en étaient douloureux. Son cœur manqua un battement quand une autre secousse se fit sentir, provenant cette fois-ci de l'ouest. Il tourna la tête pour apercevoir la créature divine des zoras au sommet de la montagne à l'ouest de sa position. L'éléphant mécanique rugit en s'immobilisant et quelques secondes plus tard un mince rayon rouge apparut, prenant pour cible le monstre se trouvant dans les plaines. Rusl dégaina son épée pendant que lui et ses hommes se rapprochaient de l'armée du Fléau qui franchissait le pont leur permettant de rejoindre leur maître. Déjà, les créatures les avaient aperçus et avec un hurlement commun, elles s'élancèrent dans leur direction. Le commandant leva son arme au ciel et poussa un puissant cri en réponse, répété en écho par ses soldats. Alors que le gigantesque monstre sur les plaines rugissait et lançait un second rayon, le régiment attaqua.
OoOoO
Droit sur la mâchoire. Roule. Pied à l'estomac. Évite. Rebond sur son dos. Paume sur la nuque.
Impa, sursauta lorsqu'un monstre s'effondra inerte devant elle.
- Je t'ai dit de m'attendre ! s'écria un jeune sheikah les sourcils froncés en la rejoignant.
Elle l'ignora et se remit à courir en direction du gigantesque démon dans la plaine qui détruisait tout sur son passage. La Calamité était de retour, se répéta-t-elle comme pour se convaincre qu'ils y étaient. À chacun de ses pas, la guerrière avait l'impression que le sol allait s'ouvrir sous ses pieds. Les bokoblins et tous leurs semblables avaient commencé l'assaut sur les terres d'Hyrule. Les sheikahs, qui accompagnaient le deuxième régiment du royaume, avaient répliqué et tentaient d'atteindre le château avec difficulté. Elle avait toutefois devancé le groupe. Son seul but était de rejoindre Zelda et lui apporter son soutien. Lorsque le Fléau poussa un second grognement, Impa serra les dents en apercevant l'énergie se former dans la bouche du monstre. Elle était trop loin ! s'alarma-t-elle en s'obligeant à accélérer sa course. Ses yeux s'agrandirent d'effroi en voyant la lumière des déesses apparaître à plusieurs centaine de mètres de la Calamité.
- Bon sang ! s'écria le sheikah à ses côtés. Est-ce que c'est la princesse ?
L'attaque partit de la gueule du démon et se dirigea droit sur Zelda. Le cœur d'Impa manqua un battement. Au contact du pouvoir de la réincarnation de la déesse, le rayon d'énergie maléfique dévia vers le ciel. Toutefois, la magie de l'élue avait disparu derrière la poussière que le coup avait soulevée. Pendant que son compagnon jurait à côté d'elle, la sheikah remarqua, au loin, une ligne rouge qui était apparu et ciblait la Calamité. En plissant ses yeux, elle crut deviner la créature divine des piafs, immobile au sommet d'un mont au sud de la région d'Hébra. Deux des robots étaient parés à faire feu, s'encouragea-t-elle. Priant pour que la princesse soit toujours en vie, son attention dut revenir sur le champ de bataille. Un groupe de lézalfos l'avait prise en chasse. Elle dévia de sa course à la dernière minute pour planter un poignard dans la gorge d'un des monstres qui s'écroula, mort. Ce qui fut enchaîné d'un direct au visage d'un autre puis d'un coup de pied bien placé pour désarmer le suivant.
- Nihro ! cria-t-elle en direction de celui qui l'accompagnait.
Il évita de justesse la flèche électrique que lui avait envoyée un des monstres sans arrêter son combat contre son adversaire. Elle se précipita vers l'archer et le fit trébucher. Volant son arc avec la flèche, elle tendit la corde et la lâcha, la pointe se plantant dans le crane de la créature en forme de lézard. Son cœur se débattait dans sa poitrine, mais sans y porter attention, elle reprit sa course.
- Pourquoi ne font-ils pas feu ? dit Nihro sur ses talons.
- As-tu vu la taille de cette chose ? répliqua Impa en levant la tête pour dévisager le Fléau qui dégageait une aura maléfique. Les prodiges savent qu'à quatre, ils pourront faire beaucoup plus de dégât. S'ils manquent leur cible, le temps de recharge est de plusieurs minutes.
- Peux-tu m'expliquer pourquoi on se dirige vers ce monstre si bientôt les créatures divines vont faire feu à pleine puissance ?
Elle tourna sa tête suffisamment longtemps en direction du sheikah pour qu'il puisse voir sa moue. Il grogna simplement tout en continuant de la suivre sans ajouter quoi que ce soit. Un rugissement à sa gauche la fit s'arrêter brusquement. Son visage blanchit en apercevant le centaléo qui galopait droit sur eux. Pas de panique, s'ordonna-t-elle. Si le héros avait réussi à en vaincre deux en moins d'une minute, elle pouvait en mettre un chaos.
- Nihro, dit-elle à l'homme à ses côtés qui dévisageait la créature qui approchait à vive allure avec un regard affolé.
Il tourna son visage dans sa direction.
- Je vise sa nuque, vise son abdomen.
Il approuva de manière saccadée et d'un seul mouvement, les deux combattants s'élancèrent vers le centaléo. Le monstre ralentit sa course, étonné de la réaction de ces deux êtres qui au lieu de s'enfuir, fonçaient droit sur lui. Les deux sheikahs n'hésitèrent pas et se mirent à la portée de l'énorme hache que tenait leur adversaire à deux mains. Il l'abattit à l'horizontale sur eux et Impa sentit le vent de la lame sur son visage alors qu'elle se penchait pour éviter le coup. Sans prendre le temps de vérifier l'état de son acolyte, elle grimpa d'un bond sur les flancs du centaléo et planta son poignard encore recouvert du sang de ses dernières victimes où, elle l'espéra, se trouvait la jugulaire. Il rua soudainement et elle tomba durement sur le sol. Elle s'empressa de se relever et on la tira avec force plus loin. Elle évita ainsi de justesse les sabots du monstre qui s'effondra sur la terre et eut quelques spasmes avant de complètement s'immobiliser.
- Tu vas bien ? dit Nihro qui la retenait toujours.
- Oui, dit-elle.
Au même moment, provenant de la créature divine des gorons, un troisième rayon rouge pointa le Fléau. Impa se tourna vers la région des gérudos en cherchant le chameau mécanique des yeux.
- Que fait Nabooru ? dit-elle tout haut.
OoOoO
Link, avec Zelda et une grande partie du premier régiment, courrait vers la réincarnation du Mal droit devant. C'était la chose la plus stupide qu'il eut faite de toute sa vie. À chacun de ses pas, il avait l'impression de se rapprocher d'une mort certaine, les bras grands ouverts pour l'accueillir. Il sentait l'énergie noire que dégageait le Fléau encore à plusieurs centaines de mètres de leur groupe. Tous les monstres qui se camouflaient depuis des semaines dans les montagnes étaient sortis de leur cachette et s'étaient réunis pour mener l'assaut contre le royaume. L'adrénaline circulait avec force dans ses veines depuis qu'il avait combattu l'apparition humaine qui avait semblé les attendre, lui et la princesse, aux portes du château. Cet homme lui avait été étrangement familier pour une raison qui lui échappait. Il n'avait pas douté une seconde de sa nature, mais tout cela avait été si soudain, sa présence, suivie de son attaque sur la future souveraine, qu'il avait pris presque beaucoup trop de temps pour répliquer. Il se promettait d'offrir une pinte de bière à Hergo. Un baril même. Les quelques minutes où il avait lutté contre l'homme maléfique lui avaient permis de retrouver ses esprits et de vérifier l'état de Zelda qui avait encaissé le sort de plein fouet. Surtout, il avait eu la chance d'étudier le style de combat de leur ennemi commun. Lorsqu'il l'avait affronté, il avait cru gagner. Il avait senti l'épée légendaire, qui dégageait une vieille énergie, se planter dans le cœur de son adversaire. Il avait pensé naïvement que c'était fini. Son soulagement avait été de courte durée. Un gigantesque monstre, portant bien le nom de Calamité sous cette forme, était apparu dans les plaines, immédiatement après sa fausse victoire. Il avait déjà eu de la difficulté à combattre un homme ! Que pouvait-il faire contre un démon de cette taille ?
- Zelda ! hurla-t-il inquiet en la retenant pour l'empêcher d'avancer.
Elle le regarda, le souffle court, attendant qu'il parle. Tout autour, le tumulte était assourdissant. Les cris - à la fois des hommes et des monstres - le son du métal qui s'entrechoquaient et le bruit des gardiens en mouvement qui faisaient feu sur les ennemis, rendait difficile toute conversation. Ses yeux se promenaient vivement sur tout ce qui bougeait autour. Il eut quand même le temps de remarquer la chair brûlée à travers la robe déchirée au niveau du ventre de la princesse. Il fit une grimace, sachant qu'il ne devait pas être mieux. Il avait reçu un direct sur le visage et il était pratiquement certain que son nez était brisé.
- On ne peut pas trop s'approcher ! s'époumona-t-il d'une voix puissante en pointant le monstre. On ne peut rien faire contre ça !
- Je dois être près lorsque les créatures divines vont faire feu ! répliqua-t-elle.
Autour d'eux, le chaos se poursuivait, soldats et gardiens combattant les bokoblins, moblins et lézalfos, dont le seul objectif était la destruction de toute vie. Elle lança un regard nerveux à l'est, cherchant probablement le robot des gérudos qui se faisait attendre. Les trois autres étaient parés à attaquer depuis plusieurs minutes. Link sursauta lorsque la Calamité poussa un énorme hurlement et sans hésitation, il tira la princesse derrière une pointe de terre tout près. Il ne la laisserait pas s'interposer contre cette puissance une seconde fois. Il avait cru mourir de frayeur la première fois et même si la réincarnation de la déesse avait dévié le coup avec succès, elle lui avait semblé étourdie par la suite. Elle était la clé de cette victoire et il ne pouvait pas se permettre qu'il lui arrive quelque chose. Il devait la protéger. À peine furent-ils cachés qu'un trait d'énergie passa à quelques mètres de leur abri improvisé, où s'étaient réfugiés quelques soldats, traçant un immense sillon dans le sol. La main de Zelda, toujours dans la sienne, tremblait de manière incontrôlable. Enfin, un quatrième rugissement anticipé se fit entendre et le rayon rouge, provenant du chameau mécanique des gérudos stationné au loin, fut visible au-dessus de leurs têtes.
- Vite ! s'écria la princesse d'une voix soudainement pressante.
Link la suivit en observant nerveusement les alentours lorsqu'elle se dirigea de nouveau vers le Fléau. L'armée de la réincarnation du Mal cherchait à les atteindre avec plus d'agressivité et l'aide des soldats et des gardiens tout autour ne suffit plus. Il n'eut pas le choix de participer au combat tout en surveillant la future souveraine qui n'arrêta pas sa course malgré l'anarchie qui régnait. Ils furent tous aveuglés quand une énergie envahit le ciel. Celle-ci frappa la Calamité qui disparut sous la puissance de l'offensive. L'onde de choc les fit tous tomber sur le sol et Link s'empressa de s'étendre sur la princesse pour la protéger de la déflagration. Il sentit les débris qui percutèrent son dos et entendit le cri de douleur du démon tout près. Lorsque l'attaque cessa, un silence envahit les plaines. Les deux élus se redressèrent pour observer le démon en face d'eux qui se désintégra pour reprendre lentement la forme indescriptible qui lui permettait de voler dans le ciel. Les deux yeux lumineux du monstre pointés sur eux, Link s'étendit de nouveau sur la princesse lorsque la créature leur fonça droit dessus. Zelda brillait de plus belle sous lui et il sentit à peine l'énergie du Fléau qui passa tout près.
- Aide-moi à me relever ! clama-t-elle sous lui.
Il s'empressa de se mettre debout et tira la jeune femme sur ses pieds. La Calamité tourbillonnait dans le ciel et le combat sur terre reprit.
- Je ne dois pas le laisser reprendre forme ! dit-elle.
Elle se tourna vers lui et ajouta avec un visage concentré :
- Je m'occupe du Fléau. Protège-moi !
Elle regarda le monstre qui les survolait. Chacun de ses grondements faisait trembler le sol, ce qui ne troubla pas la princesse qui s'illumina avec de plus en plus de puissance. Link, aidé de l'armée d'Hyrule, empêcha les ennemis d'atteindre la l'élue des déesses tout en restant à sa portée. Il sentit rapidement la magie de Zelda le traverser et alors qu'il s'élançait vers un bokoblin, celui-ci s'enfuit au contact de la lumière divine. Les soldats et gardiens formèrent un cercle tout autour et tinrent ainsi les monstres à distance. Link en profita pour se placer aux côtés de la princesse qui dévisageait le Fléau s'éloignant d'eux. Elle leva son bras dans sa direction, sa main ouverte. La paume était vers le ciel comme si elle tentait de pousser l'énergie vers l'espace infini. Il avait entendu les descriptions de ceux qui avaient assisté à son déploiement de pouvoir à la tour Gérudo, mais de le voir ici même, en plus de le ressentir en personne était incroyable. Cependant, la Calamité au-dessus de leurs têtes semblait avoir deviné le danger et cherchait à s'éloigner avec plus de vigueur.
- Il essaie de s'enfuir ! s'écria quelqu'un tout près.
Link se tourna en direction de la voix pour découvrir un jeune sheikah, accroupi sur le sol, les deux yeux rivés au ciel. Impa, qui reprenait son souffle juste à côté de celui qui avait parlé, lui lança un regard significatif.
- Fait quelque chose ! lui cria-t-elle, son visage montrant pour une rare fois son inquiétude.
Elle observa ensuite Zelda en pinçant ses lèvres. Immédiatement, il fit les deux enjambées qui le séparaient de la réincarnation de la déesse et entoura sa taille de ses deux bras. L'épée, qu'il tenait dans sa main gauche, dégageant toujours une lueur bleutée. Sa poitrine contre le dos de la princesse, il approcha sa bouche de son oreille cachée derrière ses longs cheveux et il murmura assez fort pour être entendu :
- Je t'aime.
Il le répéta en continu, ses yeux levés vers le ciel, tentant de cette manière de la soutenir dans cette épreuve. Il crut voir apparaître alors, sur le dos de la main soulevée de Zelda, le symbole de la Triforce. Trois triangles d'or mythique dont l'existence était devenue aujourd'hui qu'une vieille légende transmise de génération en génération dans les contes pour enfants. Une brise fit danser ses cheveux blonds sur son front et le pouvoir de Zelda sembla exploser vers le Fléau qui hurla sa colère avant de se désintégrer au contact de la lumière dorée qui avait envahi les plaines d'Hyrule. Link s'était tu, hébété par le spectacle. La princesse baissa finalement son bras, la lumière s'évanouissant doucement tout autour. La sensation de courroux qu'il avait ressenti depuis l'apparition de la Calamité avait disparu, tout comme l'impression de fatalité. Les nuages noirs dans le ciel s'étaient évaporés comme par magie et il demeura dans l'air un simple sentiment de légèreté. Au loin, il aperçut les groupes de monstres qui s'enfuyaient tant bien que mal, pourchassés par les soldats et gardiens dont le moral était remonter en flèche en voyant le dénouement de la bataille.
- Tu as réussi ! dit Link en serrant un peu plus fort la princesse.
Celle-ci eut un rire avant que celui-ci ne se transforme en une plainte. Elle attrapa les avant-bras du héros pour les éloigner de sa taille et se tourna pour lui faire face.
- Nous avons réussi, répliqua-t-elle.
Et tout bas, au point qu'il devina les mots sur ses lèvres, elle déclara avec un sourire :
- Je t'aime aussi.
Avec une grimace sur le visage, elle gémit en posant ses mains sur son ventre :
- C'est très douloureux.
L'inquiétude de Link revint au galop, mais elle reprit avant qu'il ne puisse ajouter quelque chose :
- Est-ce que ça va ? Tu as d'horribles cernes sous les yeux.
- Un crochet du droit de la réincarnation du Mal, rigola-t-il en pointant son nez.
Elle sourit et, à la surprise du héros, se laissa tomber sur le sol pour s'étendre sur le dos, son regard tourné vers le ciel. Elle appuya ses mains sur la blessure que l'homme lui avait infligée au château avant de prendre l'apparence du gigantesque monstre. Link s'agenouilla tout près en essayant de cacher sa panique.
- Désolée, dit-elle avec une grimace. Cette brulure élance énormément.
- Je vais aller chercher un soigneur, dit Impa qui s'était approchée.
Zelda sursauta en voyant son amie, mais la sheikah avait déjà disparu. En revenant à l'observation du ciel, la princesse dit :
- J'espère que tout va bien aller maintenant.
Elle semblait épuiser. Link posa sa main sur son épaule dans un geste de réconfort. Il remarqua alors l'épée, qu'il tenait encore, avait cessé de luire. Il sourit et poussant un soupir de soulagement, il regarda avec satisfaction la retraite des monstres au loin.
OoOoO
Dohansen n'avait pas pu assister au combat à proprement parler. Lorsque sa fille et le héros avaient pourchassé le Fléau jusque dans les plaines, son armée à leur suite pour les épauler, il était resté en arrière. Cela lui avait pesé, mais quelqu'un devait être là pour prendre en charge le palais et surtout, garantir la sécurité des habitants vivants dans la ville tout près. Par contre, il avait admiré de ses propres yeux la puissance à la fois de la Calamité et de Zelda. Il s'était inquiété pour sa fille. Il avait vu sa blessure, mais n'avait rien pu faire sur le moment. Heureusement, elle était de retour et le Maître Mikael s'occupait d'elle. Celui-ci lui avait assuré qu'à part une douloureuse brûlure à l'abdomen, tout allait bien. Tout irait bien.
À genou sur la pierre de la tour la plus haute du château, la main inerte de la reine dans les siennes, il n'arrivait soudainement plus à croire à cette phrase. Rauru, debout tout près, psalmodiait doucement les prières des défunts. Le soleil était descendu à l'horizon et la fraîcheur, apportée par la disparition prochaine de l'astre, les entourait lentement. Il allait devoir annoncer cette nouvelle à Zelda. Il ne s'en sentait pas prêt. Il avait une part de responsabilité dans cet assassinat. Il connaissait le coupable. Rauru lui avait même expliqué le pourquoi de ce meurtre. Il y avait tant de choses qu'il regrettait. Tant de situation qu'il n'avait pu changer en étant prisonnier d'un rôle qui dans des circonstances comme celle-ci l'horripilait.
Avec un dernier regard pour Delia, pour cette merveilleuse femme qui l'avait accompagné depuis tant d'années et lui avait accordé sa confiance même lorsqu'elle n'aurait pas dû, il se leva difficilement sur ses deux jambes. En détaillant son corps immobile, il essaya de se convaincre sans succès qu'elle avait l'air en paix. Il pria pour que sa mort fût douce et que son esprit ne soit pas hanté par les regrets. Au bout d'un moment, il se détourna. En marchant vers les escaliers, deux servants se prosternèrent et le contournèrent. Le roi savait qu'ils se dirigeraient vers le cadavre de la reine pour la préparer à la cérémonie qui aurait lieu le lendemain. Pour honorer tous ceux qui avaient péri durant ce conflit. Cependant, avant toute chose, quelqu'un d'autre allait rejoindre le royaume des morts. Et il s'en assurerait personnellement.
Épilogue
Zelda était à genou sur le sol. Devant elle se trouvait une plate-bande vide, la terre noire fraîchement retournée. Elle baissa son regard sur les sept petites semences, toutes différentes, qu'elle avait dans sa main droite. Son front se plissa sous la réflexion. Elle n'avait jamais été bonne en jardinage et elle se demandait comment elle s'était retrouvée avec cette tâche.
- Puis-je vous être utile ?
La princesse sourit avec soulagement et tourna son visage vers la reine qui approchait. La souveraine s'installa à côté d'elle, ses yeux bleus la détaillant avec bonheur.
- Je suis heureuse d'avoir la chance de vous parler, dit-elle en posant ses doigts sur la joue de sa fille avec tendresse.
Son sourire se fit plus espiègle et elle ajouta simplement :
- Sir Link est donc votre choix ?
Le visage de la princesse devint rouge et elle dit d'une voix penaude :
- Je voulais vous prévenir, mais…
Le regard de Zelda glissa vers le sol et avec hésitation, elle se demanda pourquoi elle ne l'avait pas fait.
- Ce n'est rien, l'arrêta Delia en balayant l'air de sa main pour faire disparaître les doutes de la jeune femme.
Avec entrain, elle continua :
- La cérémonie de votre mariage approche et je sais que votre père l'attend avec encore plus d'impatience que vous. Je vous félicite et vous souhaite tout le bonheur du monde. Vous le méritez, ma fille.
La princesse regarda la souveraine qui avait toujours un sourire sur ses lèvres et murmura :
- Merci.
C'était tellement important pour elle d'entendre ses paroles. Elle ne s'était pas aperçue à quel point sa mère lui avait manqué. La reine devint soudainement sérieuse et prenant le visage de son enfant entre ses mains, elle dit doucement :
- Souviens-toi que je t'aime plus que tout au monde, d'accord ? Je m'en veux énormément de ne pas te l'avoir répété plus souvent.
Zelda cligna des paupières et fut gênée de sentir ses yeux se remplirent de larmes.
- Maintenant, déclara Delia en retrouvant sa bonne humeur, pourquoi ne pas s'occuper de ce jardin ?
La princesse approuva promptement, souhaitant faire disparaître la boule qui s'était formée dans sa gorge. Son regard retourna à sa main droite où elle compta six semences. Soudainement paniquée, elle scruta tout autour pour trouver la manquante.
- J'en ai perdu une ! s'écria-t-elle.
La reine gloussa devant le comportement de sa fille et l'interrompit dans ses recherches en disant :
- Ne vous inquiétez pas, ma chère, Sir Link l'a déjà plantée.
- Vraiment ? répliqua-t-elle abasourdie.
Elle regarda, intriguée, le jardin vide devant elle qui n'avait pas changé. Elle demanda :
- En êtes-vous certaine ? Je ne vois pas où il l'aurait placée.
Elle sursauta lorsque sa mère éclata de rire et se tourna hébétée dans sa direction. La souveraine se calma rapidement et posant sa main sur le ventre de sa fille, elle murmura :
- C'est parce qu'elle est juste là.
Zelda ouvrit ses yeux pour découvrir, dans la pénombre du lever du jour, le mur de pierre familier de sa chambre. Son bureau était aussi dans son champ de vision avec sur celui-ci, son petit gardien immobile. Elle retint son souffle. C'était un rêve, songea-t-elle étonnée. Elle pouvait encore sentir les doigts de sa mère sur son ventre. Elle se concentra sur le souvenir de l'image de la défunte reine, souhaitant graver les traits de son visage souriant dans sa mémoire. Cela lui avait semblé si réel. Elle ferma ses paupières sur les larmes qui s'étaient formées aux coins de ses yeux. Un sanglot presque inaudible qu'elle ne put retenir fit trembler ses épaules.
- Zelda ?
Le lit bougea et elle sentit les mains de Link chercher sa taille sous les couvertures. Elle se tourna pour se réfugier contre lui.
- Ça va ? dit-il d'une voix où perçait l'inquiétude.
Elle approuva et se calma lentement en se concentrant sur le rythme de la respiration du héros.
- J'ai fait un rêve, avoua-t-elle au bout d'un moment.
- Mauvais ? murmura-t-il dans ses cheveux.
Elle sourit doucement et soupira :
- Non. J'ai vu ma mère.
Link la serra un peu plus fort dans ses bras. Elle profita de la chaleur que sa peau dégageait et glissa une de ses mains sur son épaule. Elle se sentit mieux. Le décès de Delia était frais dans sa mémoire, et ce, malgré les mois qui s'étaient écoulés depuis la disparition du Fléau. Toutefois, ce rêve lui apporta un baume. Elle avait perçu tout l'amour que lui portait sa mère et la conversation qu'elles avaient eue lui laissait supposer qu'elle existait encore dans ce monde. Elle pouvait encore entendre son rire dans ses oreilles et son cœur se réchauffa. Ce que la reine avait dit lui revint en mémoire et ses yeux s'agrandirent d'étonnement. Elle posa sa main sur son ventre plat et se raidit par la même occasion. Link l'éloigna légèrement et soupira. Ayant mal interprété sa réaction, il assura de manière lasse :
- Si tu t'inquiètes du fait que nous soyons pris en flagrant délit, arrête immédiatement. C'est impossible. Et puis, même si je sortais de cette chambre avec toi ce matin, personne ne dirait un mot. Je te rappelle qu'on se marie dans moins d'un mois.
N'ayant pas porté attention à ses propos, elle planta ses yeux dans ceux du jeune homme et annonça, abasourdie :
- Je crois que je suis enceinte.
- Oh.
Il la dévisagea pensif et l'interrogea :
- Es-tu inquiète de ne plus entrer dans ta robe de cérémonie d'ici le mariage ? Car tu n'as pas à t'en faire pour ça. Je peux demander à Arielle de faire discrètement les corrections à la dernière minute.
Zelda roula des yeux et murmura, exaspérée :
- Comment peux-tu être aussi calme après une telle nouvelle ?
Il eut un sourire espiègle et glissa une main sur le ventre de la jeune femme qu'elle bloqua avant qu'il ne remonte à sa poitrine.
- Je partage ta couche depuis plusieurs mois, expliqua-t-il posément. Et tu as épuisé le stock de potion des gérudos, il y a déjà plusieurs semaines. En plus, n'était-ce pas un de nos devoirs de concevoir un héritier ? On a juste pris un peu d'avance.
Elle cacha son visage dans ses mains et eut un rire nerveux.
- C'est une bonne chose, dit-elle en écartant ses doigts pour observer le héros qui haussa un sourcil devant son comportement.
Elle précisa alors :
- Que ta réaction à cette annonce soit aussi…calme.
Link roula des yeux et elle ajouta :
- Je me demande si elle sera semblable lorsque ce sera la septième fois que je t'annoncerai cette nouvelle.
Link cligna des paupières pour la dévisager quelques secondes. Finalement, il éclata de rire et elle s'empressa de mettre sa main sur la bouche du héros pour étouffer le bruit.
- Non, tu te moques de moi, dit-il après s'être calmé.
Sans répondre, elle observa son visage qui prit un air un peu plus inquiet.
- Zelda, c'est une blague ?
Il grimaça et répéta en regardant derrière elle :
- Sept ?
Ses yeux bleus revinrent à la princesse et à sa surprise elle vit une lueur d'excitation dans ceux-ci. Ne me dites pas qu'il est d'accord avec ça ! pensa-t-elle effarée.
- Et bien, dit-il en s'approchant d'elle avec un sourire prédateur, le premier est en route, mais je crois qu'on devrait s'exercer pour les suivants.
- Nous ne sommes même pas mariés et j'ai déjà besoin de vacances, soupira-t-elle.
La signification du rêve lui échappait peut-être, pensa-t-elle. Le plus important toutefois, était d'avoir eu la chance de revoir sa mère. D'avoir eu cette discussion, même si elle était imaginaire, lui avait fait du bien. Avec une soudaine paix d'esprit, un sourire se dessina sur ses lèvres et elle laissa avec un plaisir évident le héros les recouvrir avec les siennes.
FIN.
Pourquoi sept ? Le nombre de sages dans le jeux Ocarina of Time ! Cette histoire est finalement terminée et j'en suis assez fière. J'ai mis beaucoup d'effort pour faire quelque chose de bien et j'espère sincèrement que vous avez aimé cette lecture. N'hésitez surtout pas à laisser vos commentaires/impressions qu'ils soient constructifs ou non. C'est ma récompense ! En attendant, c'est mon tour d'aller lire des fanfics ! À la prochaine :)
Chapitre mis en ligne le 22 avril 2019.
