Eridan s'éveille avec l'impression d'avoir dormi sur du béton. En vérité, il s'est surtout endormi assis, avec le poids de trois idiots sur lui. Enfin, trois idiots... Il lui faut quelques minutes pour pleinement retrouver ses sens, grimacer devant son corps ankylosé, s'adapter à la lumière du soleil qui éclaire le salon -toujours mal rangé- de Gamzee.
Puis il réalise que Sollux n'est plus là.
Il cligne des yeux, balaie la pièce du regard. Du bruit provient de la salle de bain, celui de l'eau qui coule. Eridan soupir, soulagé. Sollux n'est pas parti, il prend seulement sa douche.
Il attarde ensuite son regard sur Karkat, qui s'accroche à son bras comme il l'aurait fait à une peluche :
« Mm- nAh... pas Nicolas Cage... ! Arrête... ! »
Karkat grogne, sourcil froncé. Son rêve - ou cauchemar ?- a l'air de profondément l'outré.
Eridan hausse un sourcil, avant de se laisser aller à un rire. Hey, il est encore à moitié endormi, et de toute façon personne ne peut le voir, donc il peut se lâcher un peu non ?
C'est ce qu'il se dit, jusqu'à ce qu'un mouvement sur ses jambes le fasse sursauter. Il baisse les yeux, regardant Gamzee qu'il croyait endormi, mais qui l'observe avec des yeux pétillants :
« ... Bro, ton rire est adorable. »
Eridan manque de s'étrangler. Il rougit, grogne, lui donne une légère tape sur la tête :
« La ferme, t'as rien entendu, y a eu aucun rire. »
Gamzee pouffe, se redresse doucement :
« J'ai vraiment trop de chance... Pouvoir l'entendre comme ça, au réveil... un pur miracle~ »
Il va pour l'embrasser, mais Eridan l'a vu venir et l'esquive légèrement. Les lèvres de l'autre garçon termine sur sa joue, ce qui ne l'empêche pas de s'en sentir gêné, alors que Gamzee fait la moue :
« Mais... ! »
En réponse Eridan lui tire la langue. L'attitude est immature, il en convient, mais encore une fois il a l'excuse d'être mal réveillé -du moins, il essaie de se convaincre que c'est à cause de ça.
Karkat fini par gigoter, resserrer sa prise contre Eridan :
« Mm... stop...nhg... »
Gamzee retrouve son sourire, vient passer une main dans les cheveux du plus petit, se penche pour l'embrasser sur le front, la tempe, puis la pommette et le coin des lèvres :
« Hey ptit bro, c'est l'heure...~ »
Karkat cligne lentement des yeux, la vision un peu flou. Il baille, se frotte le visage, reconnaît la silhouette de Gamzee. Ca le pousse à relâcher Eridan, à tendre les bras pour venir se lover contre le plus grand :
« ...'jour... grommelle-t-il.
- Hey, bien dormi ?~
- Nah... rêve nul... »
Gamzee se marre. Lui ne cache pas son hilarité, contrairement à Eridan.
La porte de la salle de bain s'ouvre, Sollux apparaît, lavé, habillé, mais les cheveux encore humides qu'il cherche à sécher avec une serviette.
« Salut, dit-il aux trois autres. On doit être prêt dans max 20 minutes.
- Ouai ouai ! répond tranquillement Gamzee en portant Karkat sans le moindre mal. On va se doucher ptit coeur ?~
- Mm... m'appelle pas comme ça... » se plaint Karkat, qui paraît se rendormir dans ses bras.
Ils disparaissent à leur tour dans la salle de bain
Sollux échange un regard avec Eridan, l'un comme l'autre paraissent de marbre, mais en réalité ils sont aussi gênés l'un que l'autre.
« ... Ca va ?
- Ouai... et toi ?
- Ouai... »
Merveilleuse discussion, beaucoup de propos et d'arguments, 20/20, Eridan s'en rappellera toute sa vie.
Cessons l'ironie un instant : ils retiennent tout deux un soupir devant cet échec et Sollux essaie de prendre les devant :
« Tu déjeunes quelque chose en particulier ? Gamzee a un peu de tout.
- Autre que de la pizza moisie tu veux dire ?
- Ouai, il doit aussi avoir du lait périmé. »
Sollux a un sourire au coin, sourire que lui rend Eridan qui se lève du canapé, avant de le suivre dans la cuisine :
« Je prendrai un café.
- Bien, pareil que toi. »
Pourtant Eridan hausse un sourcil en le voyant faire bouillir de l'eau via une casserole, et sortir de petits sachets qu'il verse dans deux tasses. Il se crispe :
« ... Oh non. Non non non, tu vas pas me faire avaler du soluble, c'est immonde !
- Tout le monde n'a pas les moyens de s'acheter une vraie machine à café. Ou du vrai café.
- Moi si ! Putain, la prochaine fois on va chez moi, qu'on prenne un VRAI petit déjeun- »
Mais Eridan se tait, réfléchit, et s'outre :
« Attends un peu, on est chez Gamzee ! Comment ça, il a pas les moyens ? C'est un Makara ! »
Sollux le regarde, longuement, un sourcil haussé comme s'il avait l'impression qu'il se foutait de lui. Il finit par pousser un vrai soupir, jette un oeil vers la salle de bain toujours close, avant de regarder à nouveau Eridan et baisser le ton :
« Je pensais que t'étais au courant... Il en a pas trop parlé mais... la bande au complet le sait quoi, donc ça m'étonne que tu l'ignores...
- ...Attends...ignorer quoi ? De quoi tu parles ?
- Gamzee a été foutu dehors. Enfin... Non, il avait déjà son appart. Mais il a été déshérité. Ses parents ne veulent plus le voir. »
Eridan blêmit :
« ... j'étais pas au courant.
- Je vois ça... Enfin, si personne ne te l'a dit, tu ne pouvais pas deviner.
- ... Ça fait longtemps ?
- Quelques mois. »
Sollux regarde l'eau en ébullition, saisit le manche de la casserole, remplit leurs tasses. Il paraît amer.
« ... Je lui ai proposé de l'héberger. Il peut plus payer son loyer, et le petit taff qu'il a lui fait déjà loupé trop de cours. Mais il a refusé. »
Eridan sent sa gorge se nouer. Il pensait que Gamzee loupait les cours par flemme, pas par obligation. La culpabilité le pousse à détourner le regard :
« ... pourquoi il a refusé ?
- Je vis avec ma famille. Il veut pas s'imposer. Et Karkat, n'en parlons pas, ses parents ont trop de mal à joindre les deux bouts. »
Eridan se mordille la lèvre, prend la tasse que l'autre lui tend. Il réfléchit à toute vitesse, assimilant les informations. Il s'en veut, il s'en veut vraiment d'avoir ignoré tout ça, de ne pas s'être renseigné davantage. A croire qu'il était vraiment trop obnubilé par Feferi pour se soucier suffisamment des autres.
« ... Moi je pourrais...! réalise-t-il. Mon père me fait des virements, je vis seul dans un appart assez grand pour deux personnes. »
Sollux le regarde avec une vrai surprise :
« ... Vraiment ?
- Je... Oui, bien sûr, pourquoi pas ?
- Ça m'étonne, enfin... T'es le genre de personne qui a l'air de tenir à son espace vital. Je me rappelle pas que tu ais déjà invité qui que ce soit chez toi.
- J'ai...jamais eu l'habitude d'inviter qui que ce soit. A part Feferi. »
Sollux a une grimace, mais c'est si rapide que Eridan a presque l'impression d'avoir rêvé.
« ... Faudra que t'en parles à Gamzee, mais ça serait cool. » approuve enfin celui aux yeux vairons.
Eridan hoche la tête. Bien sûr qu'il va lui en parler ! Il doit juste trouver l'occasion de glisser ça, sans que ça paraisse trop bizarre.
Mais pour le moment, il doit se focaliser sur le plus important : aller en cours.
Eridan déglutit, mais il n'a aucun moyen de faire marche arrière. Gamzee le tient par la taille et le pousse à avancer, alors que Karkat et Sollux ne cherchent pas à lui venir en aide. Pire : ils marchent tranquillement à côté d'eux et semblent prêts à rattraper Eridan si celui-ci parvient à s'échapper !
« Je le sens pas ! s'énerve Eridan pour la énième fois. Je veux pas les voir, ils veulent pas me voir, donc on s'arrête là, stop ! »
Sollux roule des yeux :
« Arrête ça, toute la bande sera ravie de te revoir.
- Ils m'ont BLO-QUE !
- Nous aussi, pourtant on veut que tu reviennes.
- Et Feferi ?! Tu crois qu'elle voudra me voir ?! Elle m'en veut ! »
Gamzee lui ébouriffe les cheveux :
« Du calme bro, tout va bien se passer, je t'assure ! »
Mais Eridan ne parvient pas à simplement se calmer. L'optique de revenir auprès de la bande l'anéantit. Les regards curieux et perçants des autres étudiants le paralysent. Il a peur. Peur ? Non : il est terrorisé. Il force sur ses jambes pour ralentir la marche, arrêter Gamzee, et ça fonctionne : le plus grand s'arrête, le regard avec étonnement, puis inquiétude.
« ... Hey, Eri, vraiment tout va bien. »
Eridan secoue la tête, fixe le sol, se sent traversé de sueur froide. Il jette des coups d'œil nerveux autour d'eux, remarque encore, ENCORE, les regards des autres étudiants. Il fixe à nouveau le gravier, la gorge nouée, avec cette impression d'étouffer.
Mais on lui saisit le visage, et il se retrouve contraint de se pencher pour regarder Karkat droit dans les yeux. Karkat qui, les sourcils froncés, le tient fermement :
« Ecoute moi bien crétin. Nous on est là. Gamzee, moi et Sollux, on est là POUR toi. AVEC toi. Si y en a un qui te regarde de travers ou qui dit de la merde, on le défonce, c'est clair ? Parce que ça marche comme ça, et c'est tout. C'est bien ce que t'avais fait pour moi, non ? T'es venu à mon secours sans sourciller. Ben aujourd'hui c'est nous qui allons te protéger ! »
Eridan a retenu son souffle, mais lentement les mots de Karkat on fait le chemin jusqu'à son esprit. Les battements de son cœur ralentissent, se calment. Il ne voit plus les regards autour d'eux, il ne voit que le regard de Karkat. Il hoche la tête :
« ... Ouai... Ouai, t'as raison. »
Et sa réponse arrache un sourire à Karkat, qui le relâche doucement.
Ils ne se dirigent pas directement vers le bâtiment, mais font le tour par la cour, pour gagner l'espace pique-nique qui est constitué de plusieurs tables placées ici et là. Eridan se crispe : la bande est là, au complet, installée à l'une des tables comme à leurs habitudes.
Vriska est la première à les remarquer. Assise sur la table sans la moindre gêne, elle relève les yeux de son manuel de jeu de rôle et aborde un immense sourire, avant de s'exclamer en ricanant :
«Ah bha revoilà mon compatriote de JDR ! Bordel Eridan, on a pris du retard sur la campagne par ta faute!»
L'interpellé cligne des yeux, l'observe comme si elle était tarée - elle l'est, dans une certaine mesure - avant de froncer les sourcils et rétorquer avec rage :
« Mais va te faire foutre ! Tu triches à chaque lancé de dé, comme si j'allais rejouer avec toi !
- Allez, je sais que t'en meurs d'envie~ »
Elle lui fait un doigt d'honneur et il y répond par automatisme. Bordel, si un jour il avait sût que ça lui ferait tant de bien, de se reconfronter au caractère merdique et sans gêne de cette fille... Elle l'accueille comme s'il n'y avait rien de plus naturel, et il y trouve une forme de réconfort presque semblable à celle qu'il trouve auprès des garçons.
Heureusement qu'elle agit ainsi, car le reste de la bande est douloureusement silencieux, évitant son regard avec une gêne palpable. Certains, comme Tavros et Nepeta, se triturent les mains avec une moue gênée, tandis que d'autres, comme Equius, continuent simplement leurs activités comme si de rien était.
Vriska jette un œil à tout ce beau monde, roule des yeux, se lève et se rapproche d'Eridan. Elle dégage Gamzee -ne faisant d'ailleurs aucun commentaire sur leur étrange proximité- et fusille le reste du groupe :
« HEY LES BOLOSS ! UN PTIT BONJOUR, C'EST TOUJOURS COOL ! »
Eridan grimace. Bon sang, elle a crié si près de ses oreilles...
Equius soupir, remonte ses lunettes de soleil, finit par regarder en direction de Eridan et lui fait un signe de tête en guise de bonjour - un classique venant de lui, Eridan ne s'en offusque pas.
Mais personne d'autres n'a le temps de dire quoique ce soit : Nepeta arrive à sa limite la première, se lève, se plante devant Eridan, et baisse honteusement la tête -proche de s'incliner devant lui.
« Eridan, je suis tellement, tellement désolée ! Je t'ai débloqué sur le réseau, je te rebloquerais plus jamais, promis ! Je suis vraiment désolée ! »
Eridan cligne des yeux, ouvre la bouche, la referme. Comment est-il censé réagir ? Il ne s'attendait pas à être dans le vif du sujet dès son arrivée. La jeune fille est vite rejoint par Tavros, qui mène son fauteuil roulant juste à côté de Nepeta avant de baisser la tête à son tour :
« Moi aussi, je suis désolé. Mais pour notre défense, tu as vraiment dit des choses horribles, je pense qu'on avait le droit d'être en colère ! »
Eridan échange un regard avec Karkat, puis soupir et se masse la nuque. Il finit par croiser les bras et reprendre son air hautain, mais son regard fuyant trahit son malaise :
« C'est bon, je m'en moque. Vous avez eu raison, j'ai ... dépassé les bornes. »
Il se tait un instant, puis ajoute plus doucement :
« ... moi aussi, je suis désolé. »
Nepeta et Tavros le regardent avec de grands yeux, et ils ne sont pas les seuls. Il faut dire qu'entendre Eridan s'excuser, c'est vraiment un événement rare.
Vriska donne une grande claque dans le dos de Eridan, lui arrachant un cri étouffé, alors qu'elle rit à gorge déployée :
« Ahah, il va grêler, c'est pas possible ! Eridan Ampora qui s'excuse, c'est une dinguerie !
- Un miracle ! » s'exclame Gamzee, en l'accompagnant dans son rire.
Eridan s'empourpre et grogne des insultes à leur encontre. Sollux se rapproche, seulement pour lui ébouriffer les cheveux :
« Eridan est juste un petit chien a éduqué~ »
Le concerné claque sa main et lui lance un regard noir, outré :
« MAIS ARRETE ! JE SUIS PAS UN CHIEN ! »
Et le reste de la bande, Vriska compris, ne peut que regarder la scène avec stupéfaction, parce que voir Sollux et Eridan se chamailler gentiment comme des gamins, qui plus est avec un sourire aux lèvres, c'est un événement encore plus rare que Eridan qui s'excuse.
En retrait, Feferi ne dit rien. Elle observe juste, les poings serrés, celui qui fut autrefois son meilleur ami.
Eridan retrouve le quotidien d'être accompagné. Quoique ce quotidien semble avoir changé, un peu. Un tout petit peu. Il n'y a plus cette tension invisible avec les autres, comme si ces quelques jours où il s'est montré absent avait ébranlé le groupe, qu'il leur avait vraiment manqué. Et honnêtement ça fait du bien, d'avoir l'impression qu'on désire votre présence.
Il parvient à parler normalement avec tout le monde. Tout le monde, à l'exception de Feferi qui évite son contact. Ça ne le surprend pas vraiment, il ne cherche pas à crever l'abcès, sans doute par peur de lui refaire face. Car il a bien conscience qu'entre eux, les choses se sont déjà trop effritées. Autant ne pas aggraver la situation.
De toute façon, Sollux, Karkat et Gamzee ne lui laissent pas l'occasion de réfléchir de trop et de se mettre à l'écart du groupe. Quand ce n'est pas Karkat qui l'accompagne jusqu'à sa salle de classe, c'est Gamzee qui le tire jusqu'au toit avec Terezi pour boire et discuter, ou bien Sollux qui veille toujours à s'asseoir à côté de lui lorsque la bande se réunit au déjeuner.
Eridan se sent choyé, peut-être un peu trop. Ca lui fait étrange, de ne plus avoir un instant pour lui. Il traîne à nouveau avec la bande après les cours, que ce soit pour participer au JDR de Vriska, ou bien s'incruster chez Tavros pour jouer à des jeux, ou simplement traîner dans le parc pour discuter et boire. Ca repousse le moment où il doit rentrer chez lui, mais sa maison n'est plus si oppressante à présent, il ne s'y sent plus seul. Au contraire, il souffle de bien être, s'écroule sur le lit, prend plaisir à retrouver un peu d'intimité, bien que les journées lui semblent merveilleuses. Et finalement il s'endort, pour retrouver -avec joie- ses amis le lendemain.
La semaine s'écoule ainsi, paisiblement, et Eridan a presque l'impression que leur dispute n'est à présent qu'un vague souvenir. Durant ces jours, il a prit un moment pour tirer Gamzee à part :
« Il paraît que tu cherches un autre appart... » Eridan ne savait comment aborder la chose, alors il l'avait simplement amener ainsi, un peu mal à l'aise et en soutenant bien mal le regard de l'autre.
Gamzee l'avait observé avec de grands yeux surpris, avant de reprendre son sourire -et son regard s'était voilé d'une honte que Eridan avait rapidement remarqué.
« Ouai bro... c'est Sollux qui te l'a dit ?
- Mm, ouai. Du coup, je me disais... Je vis seul, mais mon appart est assez grand pour prendre un colocataire. Et mon père paie tout, donc t'aurait rien à payer. T'en penses quoi ? »
Gamzee s'était figé :
« ... Tu... m'invites à vivre chez toi ? »
Eridan avait remonté ses lunettes en rougissant, mal à l'aise :
« Seulement le temps que tu stabilises tout ça ! Genre que tu finisses les cours, que t'économise, toutes ces merdes qu- »
Il n'avait pu finir sa phrase, Gamzee l'avait saisit dans ses bras. Il était tactile, bien plus tactile que Sollux ou Karkat, venait toujours le prendre dans ses bras et le serrer fort. Mais cette fois-ci son étreinte était tremblante, il avait caché son visage contre son épaule, et Eridan ne s'était même pas soucié du maquillage qui allait marquer ses vêtements.
« Merci... putain, merci... »
La voix de Gamzee était si fébrile, et en même temps tellement soulagée... Eridan avait senti sa gorge se nouer, avant de répondre à son étreinte.
Gamzee n'emménage pas avant la semaine suivante, le temps de finir quelques détails, faire les cartons et s'organiser pour savoir comment ils vont déplacer tout ça. Mais Eridan est au moins heureux d'avoir réglé ce souci.
Il songe à cela alors qu'il fait un signe au groupe, les saluant avant de partir. Encore une fois ils se sont tranquillement posés au parc pour la soirée, mais les heures ont défilé et Eridan préfère rentrer avant qu'il ne fasse trop tard et que la fatigue le gagne.
Il s'est à peine éloigné de quelques pas qu'il entend quelqu'un le rattraper, et une main se poser sur son épaule :
« Je te ramène ? »
Sollux lui sourit en lui tendant un casque. Eridan observe ledit casque, puis Sollux, avant de tourner son regard vers la moto garée non loin. Il se mordille la lèvre nerveusement :
« ... Je suis pas sûr...
- Ne t'en fais pas, je suis prudent.
- Je m'en doute, mais... non, vraiment, je suis pas sûr. »
Sollux roule des yeux en se dirigeant vers le véhicule :
« T'es aussi parano que Kanaya. C'est bon, ce sera bien plus rapide, et si tu as peur de tomber tu peux te tenir à moi. Je t'assure que ça me dérange pas. »
Eridan fait une petite moue avant de soupirer, accepte enfin le casque qu'il enfile prudemment :
« ... Je te préviens, si tu nous tue, je t'entraîne avec moi en enfer !
- Mais oui, c'est ça. »
Sollux à son fameux sourire au coin, et Eridan ne peut s'empêcher d'en faire de même. Il monte derrière lui, pose ses mains sur ses hanches. Mais Sollux saisit ses mains et le force à lui enlacer la taille :
« Tiens toi bien, n'ai pas peur de serrer.
- O-Okay... »
Trop nerveux, Eridan essaie d'ignorer les regards de leurs amis. Certes ils sont un peu loin, mais il se doute que certains doivent les observer. Il comprend leur surprise : avant la dispute, lui et Sollux s'entendaient assez mal, lorsqu'ils s'engueulaient s'étaient pour de vrai, dans le but de blesser l'autre. Pas de petites chamailleries comme ils le font maintenant. Sans parler qu'ils n'avaient jamais été très tactiles, et aujourd'hui Eridan enlace Sollux qui le ramène en moto. Il y a de quoi être surpris, vraiment.
Le vrombissement du moteur retentit, la moto démarre. Eridan sent son cœur faire un bond, s'accroche plus fort, traversé d'un élan de panique. Il ferme les yeux sous la peur. La sensation de vitesse le terrifie, c'est tellement différent d'une voiture ! Rien pour les protéger du monde extérieur, si ce n'est leurs casques. Rien pour protéger ses jambes, qu'il colle à la moto autant que possible par peur de cogner quelque chose sur la route. Il sent le vent siffler, serre les dents, sa poitrine lui fait mal.
Ils s'arrêtent à un feu rouge à quelques minutes de là, mais Eridan a l'impression d'avoir vécu un enfer de mille ans.
« Hey, ça va ? l'interroge Sollux en lui jetant un œil.
- Non, non non non ça va pas ! Pourquoi t'as pas une voiture, comme n'importe qui de sensé ! »
L'autre roule encore des yeux, mais Eridan devine un sourire dans sa voix :
« Tu dois juste prendre l'habitude. C'est toujours flippant de tester de nouvelles choses. Essaie un peu d'ouvrir les yeux.
- Jamais ! »
Le feu passe au vert, Sollux redémarre. Eridan s'apprête à refermer les yeux... Mais ils sont en ville, la circulation est plus dense, Sollux conduit moins vite et avec prudence, esquivant les voitures, les piétons, prenant le temps de ralentir aux intersections et s'arrêter quand les panneaux lui indiquent. C'est moins violent que ce qu'Eridan s'était imaginé, moins intense que leur premier départ depuis le parc.
Il soupire d'aise, se colle un peu plus contre Sollux en observant le paysage d'effiler. Il n'aime pas vraiment l'agitation de la ville, la foule, les bruits de moteur et les klaxonnes. Mais depuis cette moto, ainsi accroché à son ami, Eridan a l'impression de voir ce paysage sous un autre angle.
Après un peu de route, ils arrivent enfin dans le quartier d'Eridan. Sollux gare la moto en bas de l'immeuble, retire son casque, jette un oeil à l'édifice, siffle :
« ... Ah oui, on voit le quartier de luxe.
- La ferme... » grommelle l'autre avec gêne, en comprenant bien qu'il se fout de lui.
Eridan retire son casque à son tour, frémit quand le vent s'engouffre dans sa nuque. Il remet correctement son écharpe, ses lunettes, prend une inspiration. Il tremble un peu, même s'il n'a plus eu si peur. Il descend du véhicule, rend le casque, cherche ses mots :
« ... Ca va, tu conduis bien.
- Je te l'avais dit. »
Ils échangent un regard, mais le détournent très vite sous le malaise qui s'installe. A croire qu'il n'y a que ça quand ils sont seuls : les moqueries ou la gêne.
Eridan s'humecte les lèvres :
« ... Bon... bonne nuit.
- Eridan. »
L'interpellé, qui avait commencé à faire demi-tour, se retourne. Sollux attrape son col, le tire doucement, et Eridan ferme les yeux par automatisme, sent les lèvres venir quérir les siennes. Il se sent devenir chaud, son visage s'empourpre, mais il n'a pas le courage de s'éloigner.
C'est Sollux qui s'écarte, un tout petit peu :
« ... Est-ce que... ça te dérange...? »
Eridan plisse les yeux pour l'observer, son embarras est visible mais il se permet quand même de grogner :
« Généralement, on demande ça AVANT d'embrasser...
- ... Ahah, c'est vrai... »
Quelques secondes de doute s'écoulent, et finalement c'est Eridan qui s'ose à se rapprocher, à revenir l'embrasser non sans une certaine timidité. Ce n'est rien de bien intense, ils posent seulement leurs lèvres l'une contre l'autre, une fois, deux fois, trois... Ils cherchent le bon angle, maintiennent le contact un peu plus longtemps à chaque essai.
« ... Je... me sens stupide... avoue Eridan, les joues rouges.
- ... Ouai, pareil ... répond Sollux, aussi rouge que lui.
- ... t'as pas l'habitude d'embrasser les gens toi ? Je veux dire, t'es avec Karkat et Gamzee, vous avez bien dû faire ... enfin...tout un tas de choses. »
Eridan se passe nerveusement une main dans les cheveux, Sollux a un sourire amusé devant son attitude :
« Ouai.. On a fait pleiiiiin de choses. Mais on a eu le temps d'apprendre à se connaître, à trouver nos marques entre nous. Et encore, y a quelques fois où on se cherche encore, tout n'est pas... toujours clair.
- ... Oui, ouai, je crois que je vois.
- T'as jamais eu ce genre de relation avant nous ? »
Eridan s'étrangle, le fusille du regard, croise les bras :
« Ouai, et alors quoi ? grogne-t-il, sur la défensive.
- Non non, rien, c'est pas grave. Chacun va à son rythme. »
Sollux a l'air sincère, mais Eridan se sent profondément mal à l'aise, peut-être même un peu triste. Il détourne le regard :
« ... je sais que c'est ridicule... qu'à notre âge on devrait tous l'avoir déjà fait... »
Sollux lui donne une pichenette sur le front :
« Mais qu'est-ce que tu racontes comme connerie encore... Sérieux Eridan, tu me désespères. Tu vas pas te forcer à coucher avec quelqu'un juste pour entrer dans des normes débiles.
- Qu- Hey, te fou pas de moi !
- Mais ... pourquoi t'as toujours l'impression que je me fous de toi ? Je suis sincère ! Ouai, Karkat et moi on l'a déjà fait, mais faut dire que Gamzee sait mettre en confiance et guider. Faut le faire quand tu trouves un partenaire qui te met bien et qui te donne envie ! Y en a plusieurs dans la bande qui on jamais fait quoique ce soit et ils le vivent bien. »
La curiosité d'Eridan est piqué à vif :
« ... Qui ?
- Non, je balancerais aucun nom, c'est pas à moi d'en parler. »
Eridan grommelle, Sollux lui répond par un sourire narquois avant de remettre son casque :
« Allez, on se voit demain. Bonne nuit Eridan.
- Ouai... Bonne nuit. »
La moto démarre, et ce n'est qu'au moment où elle disparaît dans une autre rue que Eridan rentre dans l'immeuble, les joues en feu. Il passe un doigt sur ses lèvres, songe aux mots de Sollux. "Un partenaire qui te met bien" hein... ? Est-ce que son ami a conscience de ce qu'il dit ? Est-ce qu'il a tenté de lui sous-entendre qu'il voulait être ce partenaire, ou bien voulait-il dire que Eridan pouvait trouver quelqu'un d'autre ?
"T'as jamais eu ce genre de relation avant nous" lui a-t-il demandé... quel connard. Eridan se passe une main sur le visage, son cœur bat vite. Comment est-il censé décrire sa relation avec ces trois idiots au juste? Car Gamzee et Sollux ont beau l'embrasser quand ils le veulent, Eridan peine à se dire qu'il fait partie de leur couple...
« ... Est-ce qu'on dit 'couple' quand c'est à trois...? » s'interroge soudain Eridan.
Il va songer à regarder sur le net, quand il sera chez lui.
