La nuit s'est installée depuis plusieurs heures déjà, et pourtant Eridan ne dort toujours pas. Il est incapable de trouver le sommeil, pas avec les deux présences dans son lit qui respirent paisiblement, comme s'ils étaient tout naturel pour eux de se trouver là. Karkat et Gamzee ont décidé de passer la nuit chez lui, un peu sans lui demander son accord -bien que Eridan n'aurait jamais refusé. Et à présent ils en sont là : Gamzee est dû côté du mur, étalé de tout son long, un bras étendu sur Karkat qui se trouve au milieu. Karkat qui ne paraît pas dérangé par la présence sur lui, qui se contente de dormir paisiblement en boule comme un châton. Et Eridan, en bout de lit, perçoit le corps du Vantas à sa droite, et la présence du vide à sa gauche. Il lui suffit d'un simple mouvement pour tomber.
Oh, il pourrait aisément se rapprocher de Karkat pour ne pas prendre de risque, mais il craint de le réveiller en bougeant de trop. Alors il reste statique, à observer ses deux compagnons en silence.
Il n'aurait jamais cru que quelqu'un dormirait à nouveau dans son lit.
Evidemment, la seule personne à avoir toujours partagé ses draps est Feferi. Il se souvient des soirées qu'ils partageaient ensemble... et si cela n'était que des soirées ! Ces moments où, plus jeune, ils s'amusaient avec les draps et les oreillers pour créer une tente de tissus et s'y cacher, ou les après-midis de siestes qu'ils passaient blottis l'un contre l'autre. Ces souvenirs l'emplissent de mélancolie, et lentement son cœur se serre. Il soupire, se détourne de ses deux camarades pour se faufiler hors du lit.
Il connaît sa chambre par cœur et parvient à quitter la pièce sans soucis, aussi furtif qu'un ninja. Il part s'installer dans le canapé, s'y recroqueville, la fraîcheur de la nuit ayant raison de son peu de vêtement -un simple t-shirt et un jogging. Il sort son téléphone pour se connecter au réseau, comme si l'heure avancée et la fatigue lui susurrait d'avoir une piqûre de rappel, un rappel du pourquoi Feferi n'était plus à ses côtés.
Il se connecte au réseau. A présent que les autres l'ont débloqué, il peut voir leur statut, s'aperçoit qu'aucun n'est en ligne. Est-ce réellement surprenant ? Il est tard, demain ils ont cours, ce n'est pas une heure pour être sur leur messagerie.
Il clique sur le profil de Feferi, remonte leurs messages.
De Feferi : Le but était de te faire des amis, pas de te foutre des miens ! J'ai été stupide, j'ai naïvement cru que tu serais capable de te tenir, de faire un effort, mais tu ne restes qu'un crétin narcissique et odieux!
[ ... ]
De Feferi : Je ne sais même pas pourquoi je continue d'essayer. Tu n'écoutes pas, tu n'écoutes rien, tu t'en fou, tu es persuadé d'avoir raison au point d'en devenir sourd à mes arguments.
De Feferi : Va te faire foutre Eridan, je veux plus rien à voir à faire avec toi.
Les messages font aussi mal que la première fois. Il les redécouvre, chaque fois il les redécouvre, chaque fois est comme une première fois, une nouvelle blessure aussi vive qui ne guérit pas. Il se souvient de la petite fille à qui il prenait la main, qui partageait ses rires et ses larmes, qui le réconfortait. Est-ce vraiment cette même fille qui lui a parlé de la sorte ? Qui l'ignore aujourd'hui comme s'il n'était rien à ses yeux ?
Oui, bien sûr que oui. Pourquoi joue-t-il à celui qui est surpris ? Il la connaît, il la connaît si bien, depuis tant d'années. Il l'a déjà vu en colère, ils ont déjà haussé le ton l'un envers l'autre.
Il soupire, un lourd soupire venant du cœur alors qu'il laisse tomber sa tête contre le dossier du canapé. Il est fatigué mais il ne veut pas retourner s'allonger.
Son téléphone émet un bruit, signe d'une notification. Il sursaute, regarde son écran, écarquille les yeux. Sollux s'est connecté au réseau, lui a envoyé un message.
De Sollux : Réveillé ?
Eridan reste un instant bête devant le message. Puis nerveusement -il ne sait pourquoi il est nerveux- il répond :
De Eridan : Et toi ?
De Sollux : J'ai demandé en premier
De Sollux : connard
De Eridan : si vulgaire~
De Eridan : j'arrive pas à dormir
De Eridan : et toi ?
De Sollux : du boulot à finir
De Eridan : A cette heure ?
De Sollux : de la prog', ça prend du temps
Eridan se met à sourire, sans réellement en avoir conscience.
De Eridan : sale nerd, va dormir
De Sollux : va te faire foutre, t'es pas mon père
De Eridan : réplique de gamin. Ca te plairait pourtant, de m'appeler 'Daddy'
De Sollux : tu as donc ce genre de fantasme ? je note 'Daddy'
Un rire lui échappe, le fait sursauter. Il regarde autour de lui, par crainte d'avoir été trop bruyant, avant de regarder à nouveau l'écran.
De Sollux : ça s'est bien passé ce soir ? Les gosses ont pas été relou ?
De Eridan : Gamz' a ramené un putain de monocycle. J'ai peur pour mon sol
De Sollux : le fameux! Hâte qu'il te fasse une démo, que tu fasses une crise de panique
De Eridan : comment ça ?
De Sollux : il a le don de faire flipper, en se fracassant la tête la première. Chaque fois qu'il me fait le coup je m'attends à ce qu'il se tue, ce con
De Eridan : ... cette colocation va être compliqué
De Sollux : t'as proposé, t'assumes~
De Eridan : La ferme connard
De Sollux : je t'aime aussi~
Eridan s'étrangle, s'empourpre, se retient de l'insulter de vive voix. Il grommelle et passe une main dans son cou, frôle les marques, souffle et se renfrogne. Il hésite un peu avant d'oser taper :
De Eridan : je voulais te voir ce soir
Le message de Sollux prend plus de temps pour arriver, comme si l'autre était soudain tout aussi hésitant que lui :
De Sollux : ...
De Sollux : Moi Aussi
De Sollux : On se voit demain
Eridan sent un petit sourire lui échapper :
De Eridan : Ouai
De Eridan : A demain
De Sollux : Bonne nuit
Nouvelle hésitation, et...
De Eridan : Sol ?
De Sollux : Quoi ?
Eridan commence à taper "Je t'ai..." mais efface aussitôt.
De Eridan : Couches-toi stupide nerd, avant de faire un malaise
De Sollux : roh la ferme
Eridan ricane et se déconnecte. Il a hâte d'être au lendemain, s'empresse de revenir dans la chambre pour se recoucher, et bien heureusement, cette fois, il s'endort rapidement.
Il est réveillé par le téléphone de Karkat qui a pensé à mettre une alarme. Il grommelle et vient cacher sa tête sous l'oreiller, tandis qu'il sent Karkat gigoter à ses côtés, émettre une grognement et parvenir à s'extirper du lit en passant au-dessus de lui. Pourtant, Eridan a la surprise de sentir le plus petit rester sur lui. Il n'a pas le temps d'être intrigué : Karkat lui retire l'oreiller de force. Son visage découvert, l'Ampora cligne des yeux péniblement et observe son compagnon en faisant la moue.
« Allez, debout. » ordonne le Vantas, non sans un sourire amusé.
Il se penche et lui dérobe un baiser. Eridan s'empourpre, pleinement réveillé à présent, provoquant un rire de Karkat qui lui tire la langue et descend enfin. L'hôte est gêné, un peu boudeur, et se redresse à son tour en soupirant. Il s'étire, tend la main à la recherche de ses lunettes, et une fois qu'il les a sur le nez il se tourne vers Gamzee qui est toujours profondément endormi.
Incroyable, le plus grand ne semble pas du tout avoir entendu le réveil. Eridan ose s'approcher un peu et vient lui poquer la joue, curieux. Il sursaute quand une main saisit la sienne, et que Gamzee ouvre tranquillement les yeux pour lui sourire :
« Salut enfoiré~ »
Il le tire, l'obligeant à tomber sur lui, et l'embrasse plus férocement que Karkat, lui arrachant un faible couinement. Ce salop... Eridan s'écarte comme il peut, reprenant son souffle avec embarras :
« A-Abrutis, faut se lever ! »
Il a les joues en feu et le regard pétillant de Gamzee ne l'aide pas à se calmer. Il se dépêche de sortir du lit, attrape des vêtements propres et sort de la chambre. Il passe dans le salon et jette un bref regard à Karkat qui est dans la cuisine, puis gagne la salle de bain où il soupire enfin.
Bon sang, trop d'émotion dès le réveil. Il ne s'habituera jamais à être en couple. Eu... en trouble. Non, en quad. Bordel de- Pourquoi c'est si compliqué ?
Il grogne quelques insultes contre l'univers pendant qu'il retire ses lunettes et son pyjama, puis se glisse dans la douche et frissonne au contact de ses pieds contre le carrelage glacé.
Il se perd sous l'eau brûlante, soupir d'aise, les yeux fermés, laissant sa peau rougir lentement au contact de la chaleur. Il se moque bien de la température, qui est sans doute un peu trop élevée. Il aime prendre des douches chaudes, vraiment très chaudes. Se perdre dans ses pensées, sous le jet qui obstrue le moindre bruit, qui le coupe du monde extérieur et le renferme dans sa bulle. Il n'aime la solitude que dans ce genre de moment. Ce moment où il peut se détendre pleinement, où il sent son corps se relâcher.
Voilà pourquoi il n'entend pas la porte de la salle de bain s'ouvrir, et qu'il ne perçoit pas la silhouette qui se glisse à l'intérieur. Il ne remarque pas cette nouvelle présence, qui prend le temps de se déshabiller discrètement, sans un bruit. Mais il la sent enfin lorsqu'elle ouvre la porte de la douche, qu'un léger courant frais s'insinue à l'intérieur et frôle sa peau nue.
Eridan sursaute, rouvre les yeux, se retourne. Il pousse un hoquet de surprise, son visage s'empourprant, et pas seulement à cause de la chaleur :
« Gamzee ? s'étrangle-t-il. Qu'est-ce que... »
Il louche un instant sur l'entrejambe de l'autre garçon, mais relève presque aussitôt les yeux sous l'embarras. Gamzee lui sourit, toujours ce sourire si tranquille, un peu mystérieux, qui ne laisse filtrer aucune pensée, avant de se rapprocher de lui sans la moindre gêne, pour l'enlacer tout contre lui.
« Shh... Détends toi... »
L'humidité fait fondre son maquillage qui était déjà bien effacé par la nuit de sommeil. Gamzee s'en moque, se rapproche encore, finit sous le jet d'eau. Ses cheveux maintenant trempés retombent dans sa nuque, sur son visage. Eridan retient son souffle, avant de lever les mains, pour les glisser dans cette chevelure sauvage qu'il met en arrière, afin de découvrir le visage trempé de son colocataire. Ils se regardent dans les yeux, le plus petit des deux lui frotte doucement les joues. Gamzee finit par fermer les paupières, laisse Eridan nettoyer son visage, retirer le maquillage.
« ... Merde... » souffle Eridan, le coeur battant, devant cette vision qu'il ne croyait jamais avoir. Gamzee nu, démaquillé, trempé.
Son compagnon a un sourire un peu plus grand, rouvre un oeil pour l'observer malicieusement, avec une joie qu'il ne maîtrise pas :
« Est-ce que je suis aussi beau à tes yeux que tu les aux miens ? »
Eridan pique un far, s'apprête à l'insulter sous la gêne, se mord la langue avant de détourner le regard. Il finit par hocher la tête timidement, et cette fois le sourire de Gamzee est si grand qu'il en est rayonnant.
On toque fort à la porte et la voix de Karkat s'élève :
« Hey vous deux ! Magnez-vous ! »
Ils répondent un "oui" simultané et terminent de se laver, Gamzee n'hésitant pas à continuer de cajoler.
C'est grâce à Karkat qu'ils n'arrivent pas en retard, celui-ci les ayant tiré de force pour presque les forcés à courir. Finalement ils arrivent même en avance, et Gamzee tapote la tête du plus petit en souriant tranquillement, glissant un "Tu vois bro, fallais pas stressé !" ce à quoi Karkat grogne et rétorque un "VA TE FAIRE FOUTRE" qui attire l'attention d'autres étudiants. Mais pour une fois Eridan se moque des regards, amusés par ses compagnons ... avant qu'un regard en particulier ne l'arrête, et il doit se faire violence pour contenir toute la joie qui le saisit.
Sollux est appuyé contre un muret et les fixe. Ou le fixe lui en particulier ? Il ne sait pas trop, avec ses lunettes. Mais il s'en fiche, il est juste heureux de le voir -même si, encore une fois, il essaie de ne rien en montrer. Il regarde Karkat et Gamzee qui se chamaillent encore, et décide de les planter là pour rejoindre Sollux en premier, sans prendre conscience que sa rapidité trahit son impatience de lui parler.
« Hey Sol.
- Hey Eri. »
Le nerd a un sourire au coin :
« Pressé de me voir ? »
Eridan croise les bras en roulant des yeux :
« Ne t'imagines rien, je fuis une dispute de gamins.
- C'est ça~ Qu'est-ce que tu disais hier ? Que tu voulais me voir ?~
- T-Tais-toi ! Et aux dernières nouvelles, t'as répondu 'moi aussi' ! »
Sollux lui tire la langue, puis s'écarte du muret et rapproche son visage du sien. Aussitôt Eridan recule :
« Qu'es-ce que tu fous ? s'étrangle-t-il.
- Je t'embrasse ?
- Mais... non, pas ici ! »
L'autre hausse un sourcil :
« Pourquoi pas ?
- On est à l'école !
- Et alors ? J'ai envie de t'embrasser, j'ai le droit.
- Non, pas en public, je veux pas ! »
Sollux fronce les sourcils et s'apprête à répondre, mais Karkat et Gamzee les rejoignent à ce moment.
« Hey Solbro, faut absolument que tu viennes la prochaine fois ! s'exclame le plus grand en enlaçant Eridan par derrière, frottant sa joue contre la sienne en ronronnant. Je suis sûr que le lit d'Eri est assez grand pour nous quatre ! »
Eridan rougit un peu de la proximité, mais se crispe en voyant l'air contrarié de Sollux. Ce dernier ignore le commentaire de Gamzee, et malgré ses lunettes on devine qu'il fusille l'Ampora du regard :
« Comme d'habitude hein ? Quand c'est lui c'est bon. »
Eridan grimace, s'écarte de Gamzee pour se rapproche de celui aux yeux vairons :
« Mais non Sol, je-
- C'est bon, laisse tomber. »
Sollux roule des yeux et s'éloigne, se dirigeant vers le coin pique-nique pour retrouver les autres. Karkat saisit le problème et vient tapoter l'épaule d'Eridan :
« Ne t'inquiète pas, je vais lui parler. »
Puis il s'élance à la suite de leur amant, pendant qu'Eridan les regarde partir en se mordant la lèvre. Gamzee a une moue confuse et penche la tête sur le côté :
« ... j'ai fait quelque chose de mal ?
- ... non, non c'est pas toi...
- ... qu'est-ce qui se passe alors ? J'aime pas voir mes bros se disputer. »
Eridan lui jette un regard timide puis baisse les yeux, se frotte la nuque avec hésitation :
« ... je ... j'arrive pas à être aussi à l'aise avec Sollux qu'avec toi. Et il le prend mal.
- Oh, ben... c'est parce que tu l'aimes depuis longtemps, non ? »
Eridan a un bruit étouffé, ouvre la bouche, la referme, regarde Gamzee avec les yeux écarquillés. Il lui faut de longues secondes pour se rappeler comment respirer, et presque hurler :
« Quoi ?!
- Sollux, tu l'aimes depuis un moment, depuis l'année dernière ? C'est pour ça que t'es mal à l'aise ?
- Mais je suis pas- J'ai pas- A-Attends, pourquoi tu affirmes que...? »
Gamzee rigole, passe un bras autour de ses épaules pour l'inviter à reprendre leur route, tout en lui souriant:
« Du calme bro, c'est pas grave, je suis pas jaloux ou quoi~ Mais je veux dire, en tant que copain de Sollux et Karkat, je repère vite si des enfoirés veulent un peu trop s'en approcher. C'était pas compliqué de voir tous les regards que tu lui lancent depuis votre rencontre ! »
Eridan s'empourpre complètement, ne sait plus où se mettre tant il est confus et abasourdis :
« Non, non, y'a un malentendu ! C'est juste... Feferi s'est toujours intéressé à lui, alors...
- Ouai, elle l'aime beaucoup, et c'est vrai qu'au début je pensais que t'étais juste jaloux qu'elle soit amoureuse de lui et pas de toi. Mais bon, même quand elle n'était pas avec lui tu le regardais. Et puis... »
Il s'arrête et hésite, ayant visiblement envie de dire quelque chose sans savoir s'il en a le droit. Eridan l'interroge du regard, toujours aussi confus en essayant d'assimiler ce que l'autre lui dit, en prenant lentement conscience de ses propres sentiments. Depuis tout ce temps il n'était pas jaloux de Sol... mais de Feferi...?
« ... hey, Eridan. »
Surpris qu'il utilise son prénom, l'Ampora se tend :
« O-Oui ?
- Tu te souviens l'année dernière, quand vous vous êtes disputés sur la messagerie du groupe et que tu l'as défié de te battre à la salle d'arcade ?
- Ouai... J'ai passé l'après-midi à me faire massacrer, cet enfoiré a battu tous les records.
- Son frère était hospitalisé. »
Eridan se fige :
« ... quoi...?
- Son frère était à l'hôpital à cause d'un accident. Il était dans le coma, à cause d'un choc crânien. Les médecins n'étaient pas sûrs qu'il allait s'en sortir sans liaison. »
Gamzee a un sourire triste :
« ... Karkat et moi on savait pas quoi faire. Il nous en parlait pas, il sortait plus du tout en dehors des cours, il voulait que personne soit au courant. Quand vous vous êtes engueulés, il s'est vraiment défoulé. Je sais que ça sonnait comme s'il était ironique, mais il t'engueulait vraiment, et je pense que ça lui a fait du bien, d'arrêter de prendre sur lui. Et quand tu l'as défié, et qu'il a accepté... j'étais vraiment heureux. Tu l'as fait sortir, tu lui as changé les idées, et il allait tellement mieux après ça... »
Eridan est muet, l'émotion nouant sa gorge. Sa voix est terriblement faible quand il parvient à répondre :
« ... J'en avais aucune idée...
- Je sais... Mais crois-moi, on t'est vraiment reconnaissant pour ça, tous les trois. Je sais que t'as la sensation qu'on a jamais été proche, mais justement. Le fait que tu nous viennes en aide alors qu'on était pas particulièrement amis, ça a juste fait grandir ces sentiments qu'on a pour toi. »
Gamzee perd son sourire :
« ... et ça ne fait qu'aggraver ce qu'on t'a fait. Te bloquer sur le réseau comme ça... Te laisser tout seul... Tu es du genre à nous tenir tête, à ne pas te laisser faire. On voulait juste continuer ce jeu, se moquer de toi comme tu te moquais de nous. Mais on est allé trop loin. »
Eridan prend une inspiration, souffle longuement pour calmer les battements de son cœur. Il est touché, vraiment. Il aurait pu pleurer, s'ils n'étaient pas à l'université. Alors il se contente de donner un coup de coude amical à son compagnon, et lui faire un sourire au coin :
« Mais tout va bien maintenant. On est ensemble. »
Gamzee retrouve son sourire et prend sa main :
« Ouai enfoiré, on est ensemble et on va plus se lâcher ! »
L'Ampora se permet un faible rire ainsi qu'un regard plus doux :
« Je vais parler à Sol et... et faire un effort. Je veux pas continuer à bloquer comme ça.
- Prends ton temps bro, et hésite à faire appel à moi ou à Karkat.
- Ouai, bien sûr. »
Ils échangent un sourire doux et rejoignent les autres. Ce n'est que lorsqu'il entend le ricanement de Vriska que Eridan se souvient qu'ils se tiennent toujours la main, et il lâche Gamzee précipitamment, les joues rouges et le regard fuyant, tandis que son compagnon rit et que les autres affichent de petits sourires moqueurs. Malheureusement Sollux et Karkat ne sont pas là, probablement que celui aux yeux vairons fait la tête au point de partir en cours en avance.
Mais ce qui inquiète vraiment Eridan, c'est lorsqu'il ose relever les yeux pour faire bonne mesure et qu'il croise le regard de Feferi. Un regard dur, presque colérique, qui manque de le faire blêmir. Mais il prend sur lui et salue les autres comme si de rien était.
Cependant, son amie d'enfance à ce pouvoir terrible sur lui. Ce pouvoir de lui retourner le coeur et d'emplir sa conscience de pensées qu'il déteste, ce pouvoir de lui faire entendre des voix, la voix de la jeune femme qui lui crache froidement au visage "Va te faire foutre Eridan, je veux plus rien à voir à faire avec toi."
Il espère de tout coeur que jamais on ne lui redira cette phrase. Que jamais Gamzee, Karkat, ou Sollux, n'auront un jour cette pensée à son égard.
Ils ne tardent pas à devoir aller en cours. Pour une fois Eridan est heureux d'avoir pris littérature, cela lui donne l'occasion de rester avec Gamzee, et puis cela vaut le coup ne serait-ce que pour la tête ahuris du prof lorsqu'il voit Gamzee Makara arrivé à l'heure et être attentif au cours. Eridan rit sous cape, dissimule son sourire en faisant mine de se concentrer, même si cette leçon l'intéresse toujours aussi peu. Mais il voit le regard pétillant de Gamzee, un regard qu'il n'a pas eu l'occasion de voir souvent, pas à l'école. Son amant a quitté son petit boulot, et on voit que pouvoir dormir correctement sans se soucier de payer un loyer lui fait grand bien.
Les heures défilent tranquillement, Eridan passe plus de temps à jeter des regards à son voisin qu'à réellement suivre le cours. Lorsque l'intercours survient, il est presque déçu, jusqu'à ce que Gamzee vienne poser un discret baiser sur sa joue et lui chuchote :
« On se retrouve au déjeuner~ »
Eridan rougit, peine à contenir son sourire ravi et hoche la tête. Le Makara lui fait un clin d'œil et s'éclipse vers son prochain cours.
Heureux, l'Ampora prend la route de sa propre classe. Il a la bonne surprise de croiser Tavros et ils échangent quelques mots. Cela lui réchauffe le cœur de voir le plus petit être aussi content de le voir. Quoique... Il dit que Tavros est plus petit seulement parce qu'il est assis, mais après réflexion il se demande si le Nitram n'est pas plus grand.
Il a dû le fixer trop longuement car Tavros commence à rougir d'embarras :
« H-hum... Eridan ? J'ai quelque chose sur le visage ?
- Hein ? Oh, non, c'est... Je me demandais combien tu mesurais ? »
Etonné, Tavros y réfléchit :
« Mm... La dernière fois que j'ai été à l'hôpital, je faisais 1m85.
- Oh... »
Ouai, donc il le dépasse bien de plusieurs centimètres. Tavros le regarde nerveusement :
« ... pourquoi ?
- C'est juste que je pensais que tu étais... petit ?
- Ahah... parce que je suis, hum, assis ?
- ... Oui. »
Tavros remarque sa gêne et lui fait un sourire rassurant :
« Ne t'en fais pas, hum, ça ne me dérange pas, tu sais, les remarques sur mon handicap ?
- Ouai, j'espère. Enfin... Je veux dire, je ne sais pas trop comment aborder le sujet, je n'aimerai pas te blesser sans le faire exprès ? »
Tavros grimace :
« Tu pourras difficilement faire pire que Vriska. Elle n'a... enfin, aucun filtre de ce côté là.
- Oui, c'est vrai que je l'ai déjà entendu se moquer. Tu es vraiment... tu sais... fort, pour ne pas le prendre mal ? »
L'autre soupir et lui fait un piètre sourire :
« En fait, je le prends mal. Mais pas complètement. Enfin... Je sais que c'est sa manière à elle de hum, vivre la chose, et essayer de m'encourager. Elle est toujours maladroite pour réconforter les autres et, hum, généralement elle encourage en venant secouer, même si c'est un peu violent.
- Quand même... Si ça te blesse, tu devrais lui dire.
- Je lui ai déjà dit, mais, comment dire... Elle se sent déjà coupable pour tout ça, et elle arrive pas vraiment à être juste, douce et patiente. Mais je sais qu'elle veut mon bien, elle n'a pas un mauvais fond. »
Eridan fronce les sourcils, sceptique :
« ... elle se sent coupable ? »
Tavros se crispe, triture ses doigts avec anxiété sans savoir comment se sortir de cette situation :
« ... C'est... comment dire... Disons que... A une époque on était pas vraiment, hum, amis. Elle ... Enfin...
- C'est elle qui te harcelait ? »
Le Nitram se fige et le regarde :
« C-Comment tu sais ça ? »
Eridan se crispe à son tour et rougit de honte, mordant sa langue pour se faire taire. Merde, merde ! Il était pas censé en parler ! Quel manque de tact. Lui qui veut s'améliorer, il recommence à dire des choses que les gens ne veulent pas entendre.
« C'est... désolé, on m'en a parlé, mais je voulais pas te mettre mal à l'aise.
- C'est Gamzee ? »
Tavros fronce les sourcils :
« Il n'y a que Gamzee qui est au courant. »
Karkat et Sollux également, mais ça Eridan se retient de le dire. Tavros prends son silence pour une réponse positive, et au lieu de la colère, c'est l'inquiétude qui apparaît sur ses traits :
« Pourquoi t'en a-t-il parlé ? »
Il n'a pas bégayé. Il est bien trop sérieux, bien trop inquiet à présent, et Eridan a un mouvement de recul en sentant une légère panique l'envahir :
« ... C'est... C'est venu au cours d'une conversation, et... »
Il entend la sonnerie, et ça sonne presque comme une douce délivrance. Alors il se racle la gorge, reprend contenance et dépasse l'handicapé :
« Désolé, je dois aller en co- »
Mais Tavros lui saisit le bras, et Eridan s'arrête net en ne parvenant pas à cacher sa surprise devant sa force.
« Eridan... S'il te plaît... On pourra reprendre cette discussion ? »
L'Ampora déglutit. Comment peut-il dire "non" alors que son ami le supplie de la sorte, avec un tel regard ?
« ... Oui... D'accord... »
Il accepte, mais il n'en a aucune envie. Il s'enfuit dès qu'il le peut, rejoignant sa prochaine salle avec angoisse. Les heures suivantes lui sont terribles, il regarde l'heure avancée en priant pour que le temps ralentisse. Il ne veut pas refaire face à Tavros, il ne veut pas reprendre cette conversation. Il ne saura pas quoi dire, il ne saura pas comment expliquer les faits, comment expliquer ces événements dont il a honte.
S'ouvrir à Sollux, Karkat et Gamzee était déjà difficile, et il ne l'aurait probablement pas fait s'il n'avait pas avoué la chose par accident.
Le cours se termine presque trop vite. Il est tellement stressé qu'il ne remarque pas tout de suite que Karkat n'est pas venu le chercher pour l'emmener déjeuner. Il comprend pourquoi, lorsqu'il jette un bref coup d'œil sur la messagerie du groupe et qu'il voit un mot de Karkat s'excusant de son absence, qu'il ne déjeunera pas car il a un souci à régler avec le secrétariat.
Ca ne le rassure pas de voir également un message de Gamzee prévenir qu'il s'absente aussi, visiblement un des professeurs a fini par le convoquer au sujet de ses retards répétés.
Le cœur lourd, Eridan inspire, songeant qu'il va devoir faire bonne figure devant Sollux et Tavros sans la présence rassurante de ses deux compagnons. Mais il peut le faire. Il espère qu'il peut le faire.
Cependant, il a le droit à une autre mauvaise surprise lorsqu'il arrive sur l'aire de pique-nique. Sollux n'est pas là non plus, et cette absence injustifiée l'inquiète bien plus. Il s'assoit à côté de Aradia, nerveux.
« Sollux est en retard ? »
La jeune fille fait la moue :
« Je crois ? Mais il n'avait pas cours durant l'heure précédente, donc ça m'étonne. Pourtant il n'a pas dit qu'il s'absentait, si ?
- ... Il ne m'a rien dit, je pensais que tu le saurais toi. »
Ils échangent un regard un peu inquiet, et Eridan se relève et parle assez fort pour que les autres entendent :
« Je vais voir où se trouve Sollux et je reviens. »
Il s'apprête à partir alors que certains hochent la tête, mais il est arrêté net par Feferi qui se lève à son tour, qui claque la table de sa paume, assez fort pour faire sursauter tout le monde. Mais elle semble fulminer depuis ce matin... non, depuis déjà plusieurs jours. Et cette fois, Eridan le sait, elle craque. Dès l'instant où il la regarde, que leurs yeux se croisent, il comprend que, d'une façon ou d'une autre, il a franchi une limite qu'il n'aurait pas dû dépasser.
Feferi le fusille du regard :
« Arrête Eridan. Laisse Sollux tranquille.
- ... Quoi ? »
Le garçon n'a pas d'autres mots pour exprimer sa stupeur. Il regarde sa vieille amie trembler de rage, mais au-delà de la colère il lit dans son regard de la peine, de l'inquiétude ainsi que de la rancœur.
« C'est pathétique ! Tu ne peux pas continuer comme ça ! Que tu veuilles te venger de moi, surtout d'une telle façon, c'est puéril ! Tu as pensé à Sollux, à ce qu'il pouvait ressentir ? »
Eridan croit rêver, il est sous le choque :
« ... Attends ... Tu penses que je flirt avec lui pour te rendre jalouse ?
- Ne joue pas à ça avec moi ! Je te connais, je te connais depuis qu'on est gamin ! T'as toujours été comme ça, menteur et manipulateur, tout ça pour me garder auprès de toi ! »
Les lèvres de Eridan tremblent, de peur, de colère. Il oublie presque les gens qui l'entourent, serre les poings :
« Tu te fous de ma gueule ? C'est comme ça que tu me vois ?
- Je t'en prie, on sait tous que tu n'as toujours eu que moi ! Depuis qu'on est petit, dès que je m'éloigne, tu cherches à me garder ! Quand on était gamin et que j'allais avec mes autres amis, tu les menaçais de parler à ton père pour virer leurs parents ! Ils voulaient plus m'approcher!
- Tu me parles d'une connerie que j'ai faite ENFANT ! Tu me reproches un comportement que j'avais il y a de ça dix ans !
- Parce que t'as TOUJOURS agit comme un gosse ! Le coup de te suicider, seulement pour me suivre jusqu'en étude sup' ! Tu me prends pour une conne ?! »
Eridan a la sensation d'être frappé dans l'estomac. Il a un haut le coeur, ignore ses ongles qui percent ses paumes :
« MAIS SALE CONNASSE ! T'AS CRU QUE J'AI FAIT CA POUR TON ATTENTION ?! T'AS CRU QUE J'AI FAIT CA POUR CONVAINCRE QUI QUE CE SOIT ? »
Feferi écarquille les yeux. Oh, ce n'est pas la première fois que Eridan l'insulte, ils se sont déjà engueulés de nombreuses fois au cours de leur vie, mais leur dernière dispute orale remonte à il y a quelque temps déjà. Pourtant elle ne se laisse pas déstabiliser et hurle à son tour :
« EVIDEMMENT ! T'EN EST BIEN CAPABLE, T'AS TOUJOURS ÉTÉ CAPABLE DU PIRE ! LE COLLÈGE, CA TE PARLE ?! LE JOUR OU TU T'ES JETÉ DANS L'ESCALIER ET QUE TU T'ES EXPLOSÉ LE TIBIA, POUR QU'ON AI UNE EXCUSE POUR LOUPER LES COURS SEULEMENT PARCE QUE JE T'AVAIS DIS QUE J'EN AVAIS MARRE DE L'ÉCOLE ! T'AS TOUJOURS ETE UN PUTAIN DE TARE QUAND CA ME CONCERNAIT ! »
A dire vrai, Eridan ne s'en rappelait pas très bien. Il en avait fait, des conneries. Toujours pour elle, pour Feferi, pour essayer de combler le moindre de ses désirs. Il ne s'était jamais aperçu que ça ne lui plaisait pas, elle ne lui avait jamais dit que ça la dérangeait. Elle lui lançait des regards inquiets oui, mais lorsqu'on annonçait qu'il n'était pas en danger, qu'il irait bien, elle finissait par rire et par le remercier.
Peut être qu'au fond, elle riait pour essayer de dédramatiser. Ce n'était qu'une enfant, elle aussi.
Feferi a un sanglot étranglé :
«JE SUIS LA SEULE POUR TOI, MAIS TOI T'AS JAMAIS ÉTÉ LE SEUL POUR MOI ! J'AI UNE PUTAIN DE VIE ! UNE PUTAIN DE VIE QUE J'ESSAIE DE MENER, MAIS T'ES LA, T'ES TOUJOURS LA, ET CHAQUE FOIS JE DOIS M'ADAPTER, JE DOIS TE SURVEILLER, JE DOIS TE GERER OU CE SERA MA FAUTE ! SI TU CRÈVES, CE SERA MA FAUTE ! PARCE QUE LE MONDE A DÉCIDÉ QUE JE DEVAIS M'OCCUPER DE TOI ! MAIS J'EN AI MARRE ERIDAN ! J'EN AI MARRE DE TE GERER PUTAIN!»
Eridan sans son ventre se tordre, ses épaules s'affaisser, alors qu'elle déverse sur lui tout le ressentiment qu'elle retenait depuis des années. Il tremble, parle d'une voix blanche :
« Je voulais pas être un poids ... ! Je voulais juste être avec toi, te rendre heureuse ! Je voulais juste...
- Me rendre heureuse ? Tu sais à quel moment je me suis sentie putain d'heureuse ? Au lycée ! Quand t'étais pas là pour me faire chier ! »
Il est sur le point de s'écrouler. Il ne sait même pas comment il peut tenir encore debout.
Feferi se passe une main sur le visage, ne le regarde plus, les larmes aux yeux.
« ... Dégage...
- ... Fefer...
- DEGAGE PUTAIN ! »
Il sursaute, n'entend pas le silence qui suit. Il a comme un bourdonnement dans ses oreilles, un éclat de verre qui lui perce le cœur. La main de Aradia saisit la sienne, le ramène à la réalité. Il cligne des yeux, et soudain il se souvient de ses amis, leur jette un œil tremblant.
Ils ont tout entendu. Ils le fixent, les yeux écarquillés et Eridan sait. Il sait ce qu'ils pensent. Il sait comme ils ont honte, comme ils le détestent, comme ils ne veulent pas de lui.
Il réagit avant qu'il ne puisse y réfléchir, il prend la fuite. Il se dégage de l'emprise d'Aradia et ignore son appel, n'entends même pas Vriska hausser le ton contre Feferi. Il court juste de toutes ses forces, se précipite dans l'établissement avec une vitesse qu'il ne se connaissait pas.
Il a besoin de trouver quelqu'un, une présence rassurante, n'importe qui. Gamzee, Karkat, Sollux... Quelqu'un, il a besoin de quelqu'un, il a besoin d'enlacer et d'être enlacé. Il a besoin d'un mot rassurant, il a besoin qu'on ai besoin de lui, il a besoin d'être important pour une personne.
Il court dans les couloirs, son sang pulse, il est blême. Il a la nausée.
Quand il percute Karkat, ils manquent de tomber tous les deux. Le plus petit a un hoquet de surprise, le regarde avec colère :
« Bordel, fais gaffe... ! »
Mais il s'interrompt en voyant la mine défaite de son compagnon, et il s'inquiète :
« Eridan ? Qu'est-ce qui se passe ? »
L'autre n'a pas les mots, il ne sait pas quoi dire, est dans un état qu'il ne saisit pas. Il s'apprête à parler, mais est interrompu par une voix qui provient de derrière lui :
« Karkat ! »
Ils sursautent tous deux et se retournent, pour voir Sollux débarquer vers eux. Bien qu'il ait ses lunettes, sa colère est perceptible par son froncement de sourcils, ses dents serrées et sa mâchoire contractée. Il se plante devant eux avec rage mais essaie de se maîtriser :
« Tu te fais harceler ? Pourquoi je l'apprends que maintenant ? »
Eridan et Karkat se crispent, et aussitôt le quiproquo est fait. Le Vantas regarde l'Ampora, relie son air défait à la colère de Sollux.
« Tu avais promis que tu ne dirais rien ! » accuse Karkat, et sa voix évoque à quel point il se sent trahi.
Mais Eridan blêmit :
« ...Mais je... j'ai rien...
- Comment ça, promis ? coupe Sollux, dont la voix est devenue glaciale. Tu étais au courant ? »
L'Ampora ne trouve pas les mots. Il accuse le coup, le regard froid, mais s'il sent la culpabilité remonté, venir serrer son coeur, le presser fort, si fort.
Karkat comprend trop tard qu'il n'y est pour rien, mais il n'a pas l'occasion d'intervenir que Sollux le fusille du regard :
« J'ai entendu des types parler de toi, se vanter de ce qu'il te faisait subir. Je suis obligé de surprendre une conversation pour apprendre une chose AUSSI GRAVE ? Et en plus, Eridan est déjà au courant ?! »
Le ton est monté. Eridan comme Karkat sont figés, honteux, et ne parviennent pas à soutenir son regard. Mais celui qui attise toute la colère de Captor, c'est bien l'Ampora :
« Tu lui as promis de ne rien dire ? Tu as découvert qu'il se faisait harceler et tu as juste fermé ta gueule? Tu t'es pas dit un instant que tu pouvais faire quelque chose ?!
- ... C-Ce ne sont que des bousculades ... répond Eridan d'une voix blanche, répétant ce que lui a dit Karkat. O-On était inquiet que vous suréagissiez, alors... alors on a pensé qu'on ne dirait r-
- SUREAGIR ? PARCE QU'AGIR C'EST SUREAGIR ? TU RÉFLÉCHIS PARFOIS AMPORA, OU T'AS VRAIMENT AUCUNE CONSCIENCE DE CE QU'EST LE HARCÈLEMENT ?! »
Le hurlement le fait devenir plus pâle encore, avoir un mouvement de recul. Sollux est fou de colère... Non, c'est pire que ça même. Il y a de la colère, mais aussi de la déception, de la rancœur. Il leur en veut. Il lui en veut à lui, plus spécifiquement.
« S-Sol, c'est pas ... essaie d'intervenir Karkat.
- Je ne veux plus t'entendre, interrompt sèchement Sollux. Si c'est pour me supplier de ne rien faire, je ne veux plus t'entendre. Si c'est pour défendre Ampora, je veux encore moins l'entendre. Maintenant tu me suis jusqu'au bureau du directeur, qu'on règle ça correctement ! »
Sollux attrape le poignet de Karkat, assez fort, et le tire froidement. A dire vrai, c'est même surprenant qu'il ne craque pas davantage, qu'il ne hurle pas plus ou ne casse quoique ce soit.
Eridan n'ose même pas relever les yeux lorsqu'ils s'éloignent, et ce n'est qu'une fois seul dans le couloir qu'il retrouve le bon sens de respirer, de relever la tête, d'observer l'endroit à présent vide.
Toute la colère de Sollux lui a retourné l'estomac. Ses jambes tremblent, il a peur de faire un pas et de s'écrouler. Il a fait une erreur. Une connerie. une véritable connerie. Sollux n'avait même pas besoin de lui hurler dessus ainsi pour lui faire prendre conscience de ça.
Il aurait dû prendre les choses en main, ne pas faire cette promesse, simplement en parler. En parler au moins à un enseignant, ou au directeur, à quelqu'un de compétent. Mais non, non à la place il a fermé les yeux, il a fermé sa gueule, et il est resté là, inutile. Inutile et stupide.
Il se sent tellement stupide.
« J'EN AI MARRE DE TE GERER PUTAIN! »
Il parvient à faire demi-tour. Ses genoux sont faibles, semblent sur le point de se dérober à tout instant.
« Tu sais à quel moment je me suis sentie putain d'heureuse ? »
Il est nauséeux, l'esprit embrumé et pourtant clair. Il connaît la route qu'il emprunte, perçoit les couloirs, puis l'entrée du bâtiment, la cour, le portail...
« Quand t'étais pas là pour me faire chier ! »
Il quitte l'université machinalement, s'en éloigne sans que cela ne l'aide à se libérer du poids qui pèse sur sa poitrine. Il a dû mal à respirer, il veut seulement fondre en larme.
Mais il ne peut pas pleurer. Pas comme ça, pas au milieu de la rue, pas devant un public. Il se sent pourtant suffisamment misérable, et il est persuadé que n'importe qui peut le remarquer au premier coup d'œil.
Mais il ne peut pas pleurer. Un Ampora ne pleure pas.
