Chapitre 16 : Ce qu'il advint de Reize
Le lendemain, Kyoto, collège Manyuuji…
Endou s'arrêta de marcher lorsque Kidou le retint par le bras. Le jeune homme à la cape lui fit signe de se taire et lui désigna Otonashi qui, au loin, observait Kogure. Le malicieux jeune homme semblait être en train de faire le ménage, sortant un baquet remplit d'eau d'un bâtiment pour le renverser dans les massifs de fleurs. Brusquement, il retira la serpillère posée sur son épaule et se retourna à une vitesse stupéfiante pour frapper le linge mouiller et l'envoyer à l'intérieur par la porte restée ouverte. De là où ils étaient, Endou et Kidou ne pouvaient pas voir exactement ce qu'il avait fait, mais la stupéfaction sur le visage d'Otonashi fut suffisamment parlante. La stupéfaction laissa place à la sidération lorsque Kogure retourna à l'intérieur du bâtiment.
_ Kidou, tu as vu sa façon de frapper la serpillère ? On aurait dit un ballon de foot.
_ Oui. On pourra dire ce qu'on veut de lui, mais Kogure a un sacré jeu de jambes.
Les deux amis rejoignirent Otonashi et regardèrent avec elle Kogure courir aux quatre coins de la pièce en tirant dans les serpillères pour les envoyer nettoyer les poutres du plafond, parvenant à les réceptionner et les renvoyer en l'air avant qu'elles ne touchent le sol.
_ Impressionnant…
La jeune fille laissa échapper une exclamation surprise en entendant son frère. Trop fascinée par les mouvements de Kogure, elle ne les avait pas entendus arriver. Son cri attira l'attention de Kogure qui les regarda en fronçant les sourcils, rattrapant une serpillère qui tombait à ce moment-là.
Son regard se fit plus sombre encore lorsqu'il se posa sur le ballon de foot tenu par Endou.
_ Vous êtes venu me narguer, c'est ça ? ''Regarde comme on a un beau ballon ! Tu le toucheras pas !'' Allez-y, moquez-vous ! J'ai l'habitude de toute façon, pourquoi croyez-vous que je m'entraine en cachette ?
Otonashi se mordilla la lèvre avant de mettre les poings sur ses hanches, le regard sévère.
_ Alors qu'est-ce que tu attends pour montrer aux autres ce que tu vaux ? Tu t'entraines depuis l'aube, je t'ai vu ! Et crois-moi, c'était impressionnant ! Si les autres te voyaient, ils ne se moqueraient plus de toi !
_ Kogure !
L'interpelé sursauta et se retourna vers Kakita, son capitaine, qui arrivait vers lui d'un pas déterminé.
_ Qu'est-ce que tu fais, encore ? Tu ennuies nos invités ?
_ Quoi ? Mais non ! Je…
_ Tu n'as aucune excuse ! Retourne terminer le ménage que le maitre t'a confié !
Kogure claqua la langue contre son palais et jeta la serpillère dégoulinante au visage de Kakita.
_ Ushi shi shi ! Bien fait pour toi !
Il s'enfuit en courant, se glissant souplement entre des bambous entourant le collège.
La capitaine de l'équipe de foot de Manyuuji soupira et s'inclina devant les trois Raimon.
_ Je suis désolé pour les désa…
_ Mais Kogure n'a rien fait ! Je ne suis pas étonnée qu'il soit aussi méfiant si tout le monde le traite comme vous le faites !
Otonashi s'élança à la poursuite de Kogure.
Elle rattrapa le jeune homme quelques minutes plus tard, au milieu d'une forêt de bambous.
Il était occupé à marmonner en faisant les cents pas, ourdissant mille et une façons de se venger.
La jeune fille s'avança doucement et ne recula pas, même avec le regard noir que lui lança Kogure.
_ Qu'est-ce que tu viens faire ici, toi ? Te moquer ?
_ Non ! Bien sûr que non !
Elle s'assit par terre en souriant doucement au jeune homme qui perdit son air agressif pour une expression méfiante.
_ Tu sais, je crois que je te comprends un peu, Kogure… C'est difficile de faire confiance aux gens quand on a été trahi une fois…
Kogure pencha la tête sur le côté.
_ Toi aussi quelqu'un t'a abandonnée ?
_ Abandonnée ? Oui… plusieurs personnes, même. Mes parents sont morts lorsque j'étais toute petite, et j'ai vraiment cru qu'ils nous avaient abandonnés, mon frère et moi… Puis un peu plus tard, mon frère aussi est parti en me laissant derrière lui. Mais j'ai eu la chance d'être adoptée par une famille qui m'a apprit à faire confiance à mes proches. Finalement, j'ai comprit que mes parents n'avaient pas choisi de mourir ; et que mon frère n'avait jamais cessé de penser à moi.
Kogure la regarda avant de venir s'asseoir à côté d'elle, ramenant ses genoux contre lui et les entourant de ses bras.
_oOo_
Kidou, Endou et Kakita observaient avec attention l'étrange duo discuter à l'abri des bambous
_ Le ménage que vous lui faites faire, c'est un entrainement, n'est-ce pas ?
_ Oui. Ce n'est sans doute pas la meilleure méthode, mais il est ingérable sur un terrain de football. Il a si peu confiance en ses coéquipiers qu'il cherche le moindre prétexte pour se moquer ou se mettre en colère.
Endou regarda Kogure marmonner quelque chose qui bouleversa Otonashi. La jeune fille plaqua ses mains sur sa bouche, les larmes aux yeux.
Kidou aussi le remarqua mais ne fit pas un geste. Il n'aimait pas voir sa sœur se rapprocher d'un garçon, son instinct de grand frère oblige, mais il avait l'intuition que si quelqu'un était capable d'atteindre le cœur de Kogure, c'était bien elle.
Endou secoua la tête et se tourna vers Kakita.
_ Je comprends qu'il ne vous fasse pas confiance, mais je comprends aussi que vous n'aviez pas d'autre choix… mais il aime le foot ! Vous l'auriez vu bouger ce matin, c'était incroyable ! C'est tellement injuste de l'empêcher de jouer, c'est même pire que mieux !
Il s'interrompit, l'image fugace de Gouenji s'éloignant sur fond de soleil couchant, les larmes aux yeux, lui traversa l'esprit.
_ Personne ne devrait avoir à renoncer au foot…
_ Endou…
_ Je veux que Kogure puisse jouer ! Donnez-lui une chance !
Kakita observa Endou, effaré. Il ne connaissait rien de Kogure, si ce n'était sa passion pour les mauvaises blagues, et pourtant semblait déterminé à l'aider.
Il soupira avant de se rappeler d'une demande arrivée depuis la ville le matin même.
_ J'ai peut-être une idée… Nous avons des problèmes avec un individu louche qui rôde dans les rues de Kyoto. Je consentirais à donner sa chance à Kogure si vous trouvez cette personne.
_ D'accord !
Endou n'avait pas hésité un seul instant.
En quelques minutes, il rassembla Kazemaru, Kidou, Fubuki et Someoka et s'éloigna immédiatement en direction de la ville, bien décidé à mener à bien la mission qui leur avait été confiée.
_oOo_
Ville…
Endou se gratta la tête en se demandant par où commencer leurs recherches. Si l'individu louche ne se trouvait visiblement pas dans les rues principales, la multitude de ruelles allaient prendre un temps fou à être fouillée. Peut-être aurait-il dû réquisitionner toute l'équipe…
_ Endou-kun ?
Le jeune homme se retourna et afficha un large sourire en voyant un garçon aux cheveux rouges et portant une doudoune orange se diriger vers lui.
_ Hiroto ! Qu'est-ce que tu fais à Kyoto ?
_ Je cherche quelqu'un... et vous ?
_ Nous aussi ! Mais ça m'étonnerais que ce soit la même personne. Nous devons retrouver quelqu'un de louche.
_ Je vois… puis-je me joindre à vous ?
Endou hocha vigoureusement la tête avant de se tourner vers ses amis et de faire les présentations. Le petit groupe reprit ensuite ses recherches.
Ils fouillèrent de nombreuses rues et impasses, recueillant ici le témoignage d'une mère inquiète que son fils cherche lui-même l'individu louche, là un vieillard s'agaçant de la jeunesse moderne qui ne respectait plus rien. Mais aucun indice véritablement utile leur indiquant où trouver cette personne étrange qui semait la zizanie à Kyoto. Même les descriptions physiques variaient selon chaque personne. Un garçon ? Une fille ? Très jeune ? D'un certain âge ? Cheveux courts, long, châtain, bleu, orange, blond… rien ne concordait et même Kidou peinait à trouver un point commun à tous ces témoignages.
Le groupe passait devant une ruelle particulièrement sombre lorsqu'un bruit à mi-chemin entre le gémissement et le sanglot attira leur attention.
Prudemment, les six garçons se glissèrent dans l'étroite ruelle, si étroite qui leur était impossible de marcher à deux de front.
Ils avancèrent sur plusieurs mètres avant de déboucher sur une impasse lugubre jonchée de poubelles.
Une silhouette se terrait dans le fond. Le peu de luminosité était cependant suffisante pour leur permettre de l'observer.
C'était apparemment un jeune homme dont les longs cheveux vert olive tombaient sur ses épaules et dans son dos, encadrant un visage légèrement hâlé à l'expression terrifiée et perdue. Ses yeux noirs reflétaient sa peur et son incompréhension. Les vêtements qu'il portait n'étaient pas inconnus aux joueurs de Raimon.
Un uniforme couleur marron poussière, avec un orbe bleu sur la poitrine.
_ Mais… ce garçon…
_ Reize !
L'alien recula un peu plus, se serrant contre le mur au pied duquel il se recroquevilla, comme s'il souhaitait disparaitre à l'intérieur des briques sales.
_ C'est vraiment Reize ? Il est… différent.
_ Rei…ze ? C'est... mon nom ?
Sa voix tremblait autant que son corps.
_ Tu ne te souviens pas de ton nom ?
_ Non… je ne sais pas… je ne sais pas qui je suis !
Sa peur céda sa place à la panique alors qu'il se prenait la tête entre les mains, enfouissant ses doigts dans ses longues mèches vertes.
_ Il est amnésique on dirait…
_ Tu crois que c'est ça la punition que réserve l'Aliea Gakuen à ceux qui échoue ?
_ Possible… c'est cruel.
Hiroto s'approcha alors, son visage pâle, peut-être même plus que d'ordinaire, était difficilement déchiffrable.
Il s'agenouilla aux côtés de Reize et caressa doucement son dos tremblant, jusqu'à ce qu'il se calme et retrouve une respiration normale.
_ Tu n'as rien à craindre, fais-moi confiance… plus personne ne te fera de mal, jamais… je te le jure.
Reize renifla et hocha la tête. De grosses larmes s'échappèrent de ses yeux et roulèrent sur ses joues hâlée. Il semblait soulagé par les mots de Hiroto, évacuant le stresse provoqué par sa perte totale de mémoire par ses sanglots étranglé. Hiroto l'attira finalement contre lui, passant doucement sa main sur ses longs cheveux. Il posa ses yeux vert de gris sur Endou et esquissa un léger sourire.
_ Je crois que c'est lui, celui que vous cherchiez… Ne t'inquiète pas, Endou-kun, je vais rester avec lui jusqu'à ce qu'il se soit calmé, puis je l'emmènerais en lieu sûr.
_ Tu es sûr ?
_ C'est Reize, tout de même, il est terriblement puissant !
_ Il a détruit notre collège et tué nos camarades, on ne peut pas le laisser s'en tirer comme ça !
_ S'il-vous-plait, je vous promets qu'il ne vous posera plus de problème !
Endou observa Hiroto avant de hocher la tête.
_ Venez, il faut aller prévenir Kakita que tout va s'arranger !
_ Mais Endou ! Tu n'as pas oublié que…
_ Il a blessé Miyasaka !
_ Endou a dit qu'on le laissait, alors on le laisse, est-ce clair ?
L'autorité que dégagea soudainement Kidou, ainsi que le son glacial de sa voix, suffirent à faire capituler Someoka et Kazemaru.
Endou salua Hiroto et les Raimon s'éloignèrent. Le capitaine s'arrêta et se retourna, un large sourire illuminant son visage.
_ Reize, quand tu iras mieux, rejouons au football ensemble !
L'alien l'observa, aussi étonné que Hiroto par la gentillesse se dégageant de son sourire. Il finit par esquisser un pâle sourire bien loin de son rictus habituel.
_ Oui…
Endou s'éloigna pour de bon, rejoignant Kidou qui l'avait attendu.
_oOo_
Il fallut presque une heure pour que Reize soit capable de suivre une conversation sans être prit d'une crise d'angoisse incontrôlable. La moindre question le confrontait au vide dans son esprit et le rendait incapable de réfléchir. Curieusement, les bras d'Hiroto enroulés autour de lui l'apaisaient. C'était la seule sensation lui paraissant un tant soit peu familière dans ce monde inconnu.
Il se redressa lentement et observa le visage d'Hiroto, si familier lui aussi.
_ On... on se connait, n'est-ce pas ?
Le sourire que lui adressa le jeune homme aux cheveux rouges fit chavirer son cœur. C'était un soulagement et une joie immense qui se reflétait dans ses yeux vert de gris.
_ Oui… J'aurais dû te le dire avant… Excuse-moi. La vérité, c'est que je sais qui tu es. Ton nom est Midorikawa Ryuuji.
_ Midori…kawa Ryuuji. Ce n'est pas Reize ?
_ Non, Reize c'est… euh… un surnom.
_ D'accord… Et toi ?
_ Ah, pardon ! Tu peux m'appeler Hiroto.
_ Hiroto… ça te va bien…
_ Oui, tu me l'as déjà dis, le jour de notre rencontre…
Midorikawa, puisque c'était son nom semble-t-il, se mordilla la lèvre, ne se rappelant pas de leur véritable première rencontre. La main d'Hiroto se posant sur sa joue le rassura. Il se souviendrait sans doute un jour, et s'était là l'important.
_ Aller, viens. On ne va pas rester dans cette ruelle, si ?
Midorikawa sourit en secouant la tête. Il accepta sans hésiter la main d'Hiroto pour se remettre debout et ne la lâcha pas.
Ils quittaient la ruelle sombre lorsqu'une jeune femme aux cheveux noirs surgit devant eux, visiblement paniquée.
_ Les dieux soient loués, tu l'as retrouvé !
_ Hitomiko.
_ Hiroto, je…
_ Oui ? Tu ? Tu es quoi ? Soulagée que Ryuuji soit vivant ? Indemne ? Ce n'est pas grâce à toi.
_ J'ai essayé…
_ Tu n'as rien essayé du tout ! J'étais là, j'ai tout vu ! Il est amnésique, Hitomiko ! Il ne se souvient même plus de qui il est… ni de moi !
La jeune femme plaqua sa main sur sa bouche.
_ Hiroto, je suis désolée…
_ Tu peux ! C'est de ta faute tout ça ! Tu es partie, tu nous as abandonnés, et maintenant nous payons tous les pots cassés ! Tu as fait beaucoup de mal à père, tu sais ! Moi je fais tout mon possible pour lui, mais…
Hiroto expira lentement pour retrouver un semblant de calme. Sa colère avait effrayé Midorikawa qui se cramponnait à son bras comme un naufragé à une bouée. Le jeune homme passa doucement sa main dans ses cheveux verts avant de se retourner vers Hitomiko.
_ Fiche le camp, tu n'as plus le droit de nous adresser la parole, pas après nous avoir trahi.
_ Ce que père veut faire est totalement fou, et tu le sais ! Il fallait que je fasse quelque chose pour l'arrêter !
_ Alors nous avons choisi nos camps.
Avec une douceur contrastant avec son brusque énervement, Hiroto entraina Midorikawa, sans un regard en arrière en direction d'Hitomiko.
La jeune femme sentit ses jambes se dérober sous son poids et fut contrainte de prendre appui contre le mur.
Elle regarda les deux garçons disparaitre au coin de la rue, se mêlant à la foule sans attirer l'attention.
Quand Endou et son groupe était revenu à Manyuuji et avaient rapporté l'incident dans la ruelle, elle s'était précipitée sans pouvoir se retenir.
Mais à quoi cela avait-il servi ? De toute façon, Hiroto avait raison sur toute la ligne, elle n'avait pas agit comme elle l'aurait dû.
La jeune femme enfouit son visage entre ses mains, désemparée.
_ Je suis désolée… tellement désolée…
