Et voilà un nouveau chapitre, qui je l'espère va vous plaire ! Plus qu'un chapitre avant la fin ^^

Bonne lecture !

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Depuis qu'il avait réalisé que Luca et Alberto étaient des monstres marins – bien que cette appellation ne lui convienne plus désormais, car qui pouvait vraiment qualifier ces garçons de monstres après avoir discuté cinq minutes avec eux ? – Massimo s'était souvent fait des frayeurs en repensant à toutes ces chasses organisées par les gens du village, et cette obsession malsaine qui l'avait lui-même dévoré. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer Alberto et sa fausse bravado au bout d'un harpon. Alberto et son sourire contagieux, ses idées folles, son besoin d'aider et cette façon qu'il avait de rechercher l'approbation de tous sans jamais l'admettre.

Ce n'étaient que des cauchemars sans fondement puisque qu'aucun monstre marin n'avait jamais été attrapé ou tué, et qu'ils étaient à présent acceptés par tous même si certains s'entêtaient bêtement à ne pas les aimer. Mais toutes ces occasions manquées hantaient tout de même Massimo à chaque fois qu'il posait les yeux sur Alberto sous sa forme aquatique.

Ce soir-là dans sa barque, alors qu'il voguait vers l'île que lui avait indiquée Luca, il repensait à ces innombrables soirs où il était venu précisément dans ces eaux dans l'espoir d'être le premier à ramener un monstre marin au village, mort ou vif. Il ne pouvait que mépriser la personne ignorante qu'il était à l'époque, car c'était son garçon qu'il aurait pu tuer alors. Le village sous-marin ne se trouvait pas dans cette zone-là. Seul Alberto écumait cette partie de la baie. Seul Alberto aurait pu se retrouver au bout de son harpon.

Massimo pouvait voir la lueur d'un feu au sommet de la vieille tour et cela remplissait son cœur de soulagement. Même si cela faisait des années qu'il n'avait pas accosté sur cette île, il la connaissait par cœur. Avant les premières rumeurs de monstres marins dans la baie près de vingt-cinq ans plus tôt, ce petit bout de caillou et sa tour de guet moyenâgeuse avaient été le terrain de jeu préféré de Massimo et sa bande d'amis de l'époque. Il ne s'étonnait pas aujourd'hui qu'Alberto y ai trouvé refuge.

L'homme coupa le moteur de sa barque suffisamment tôt pour ne pas apeurer l'adolescent par une arrivée bruyante, mais suffisamment tard pour que l'élan de l'embarcation le mène assez près du rivage pour qu'il puisse la tirer à terre sans avoir à ramer.

Le froid était mordant, même pour un mois de février. Massimo portait trois couches de vêtements et frissonnait en pensant à Alberto qui s'était enfui avec seulement un vieux pull sur le dos. La conversation qui se profilait allait être sérieuse, car il était hors de question que cette situation se reproduise. Ne serait-ce que parce que l'adolescent risquait d'attraper la mort à sortir comme ça par un froid pareil, et aussi parce que Massimo risquait d'attraper la mort à s'inquiéter comme ça pour lui.

Grimper la tour lui posa à peine plus de problèmes que lorsqu'il était adolescent. L'arbre sur le côté n'avait fait que grandir et grossir depuis cette époque ce qui lui simplifiait presque la tâche. Lui aussi avait beaucoup grandit et grossit, mais ce n'était pas une aussi bonne chose en l'occurrence.

Toujours est-il qu'il s'introduisit dans la tour sans rencontrer de difficultés majeures. Il posa un regard surpris sur les montagnes d'objets qui s'entassaient partout. Depuis combien de temps Alberto occupait-il cet endroit ? Pour avoir amassé un aussi grand nombre de babioles alors qu'il ne côtoyait officiellement le monde des humains que depuis six mois, il devait avoir commencé plusieurs années plus tôt !

Beaucoup de choses étaient cassées et poussées dans un coin comme si elles attendaient d'être rangées. Sur l'un des murs, Massimo ne fut pas surpris de reconnaître une vieille publicité sur les Vespa. Sans doute l'obsession d'Alberto et Luca pour ces véhicules venait-elle de là. À voir les résidus d'intempéries et les nids d'oiseaux installés dans les poutres du plafond, cela devait faire un moment que personne n'avait habité ici. Au moins six mois, se dit-il en sentant une bouffée d'affection le prendre pour ce garçon qui avait bousculé sa vie quotidienne.

Cette réflexion le ramena à la raison de sa présence dans la tour et il se hâta vers les escaliers qui menaient à l'extérieur. Là, comme il l'espérait de tout son cœur, Alberto était assis devant un petit brasero qu'il avait allumé malgré le froid, dieu seul sait comment. Il se retourna d'un bloc en entendant Massimo monter les marches et se replia sur lui-même en le reconnaissant, une lueur de peur dans les yeux.

« Calmati,le pria l'homme dont le cœur se brisait à cette vision, la main tendue vers lui dans un geste d'apaisement. Je suis juste là pour discuter.

- Je suis désolé ! S'exclama Alberto en se levant avec précipitation, sans lui laisser le temps de finir sa phrase. Je ne voulais pas casser l'assiette ! Je ne voulais pas t'énerver ! Je suis désolé !

- Ragazzo, je me fiche de l'assiette. Tu as disparu une journée entière ! J'étais mort d'inquiétude !

- Je suis désolé, je suis désolé. Je ne le ferais plus. »

L'adolescent se tenait lui-même dans une étreinte qui donnait à Massimo l'envie d'assommer le responsable de cette peur, même si c'était lui. Il s'approcha, mais Alberto ferma les yeux, ce qui l'arrêta immédiatement.

« Per favor, supplia le garçon en se ratatinant encore un peu sur lui-même.

- Alberto, arrête. Je ne vais rien te faire, enfin. Qu'est-ce que tu imagines ? »

Une rage sans nom bouillonnait dans le cœur de l'homme, mais il n'en laissa rien paraître. Il n'était pas idiot. Les mots de Luca couplés au comportement pour le moins inhabituel d'Alberto laissaient peu de place à l'interprétation sur ce que ce dernier pouvait redouter.

L'adolescent tenta de reprendre un peu contenance, mais il tremblait toujours, voûté comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules. Il jeta un regard circonspect à Massimo qui enferma à double tour ses envies de meurtre au plus profond de son âme, préférant plutôt tirer de son sac la veste supplémentaire qu'il avait amené avec lui.

« Enfile ça, tu vas attraper la mort. » Ordonna-t-il de sa voix la plus neutre.

Le garçon resta une seconde immobile avant de prendre le vêtement qu'il enfila en hâte.

« Je vais rembourser l'assiette, promit-il ensuite comme s'il pensait vraiment que c'était ça qui comptait. Mi dispiace davvero, Massimo.

- Alberto, regarde-moi. »

Son regard était hésitant, suppliant, et plein d'une peur qui n'aurait jamais dû s'y trouver lorsque ses yeux rencontrèrent enfin ceux de Massimo. Celui-ci s'approcha encore, doucement, comme il l'aurait fait avec un animal blessé. La mise en garde de Luca était toujours fraîche dans son esprit. Il ne tenait pas à voir Alberto s'enfuir encore, car cette fois personne ne saurait où le trouver.

Enfin il fut assez proche pour poser sa main sur l'épaule de l'adolescent, la serrant juste suffisamment pour être réconfortant, mais pas étouffant.

« Regarde-moi, répéta-t-il avec douceur. Crois-tu vraiment que j'ai fait tout ce chemin pour une simple assiette ? Penses-tu que je sois si attaché à ma vaisselle ? »

Alberto eut un rire étranglé alors que des larmes qui refusaient de couler s'accumulaient dans ses yeux.

« Je me fiche de l'assiette. Je peux la remplacer. Je ne peux pas te remplacer, toi. Je t'ai attendu toute la nuit hier. Je t'ai cherché sans relâche aujourd'hui. Pourquoi tu n'es pas rentré ? »

Massimo avait une assez bonne idée de la raison, mais il avait besoin qu'Alberto lui explique tout de même, afin de lui faire réaliser à quel point il était dans l'erreur. Celui-ci balbutia, la gorge nouée par une tristesse inexprimable.

« Je... Je ne pensais pas... Je ne pensais pas que tu voudrais que je revienne... »

C'était sans doute aussi dur à dire qu'à entendre, et tout comme il avait refoulé sa colère quelques minutes plus tôt, Massimo refoula à présent sa détresse. Cette conversation n'était pas pour son bien, mais pour celui d'Alberto.

« Je veux que tu reviennes, assura-t-il en resserrant très légèrement sa prise sur l'épaule du garçon. Je voudrais toujours que tu reviennes. C'est chez toi maintenant, et même la plus grosse dispute ne changera pas ça. »

Les larmes qui remplissaient les yeux d'Alberto depuis tout à l'heure se mirent enfin à couler et il bascula vers l'avant dans l'étreinte farouche de Massimo qui ne pensait pas être capable de le lâcher de nouveau un jour.

« Qu'est-ce que tu en dis ? Demanda-t-il au garçon qui sanglotait sans pouvoir s'arrêter contre lui. On rentre ? »

Alberto se contenta de hocher la tête.

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