Les rayons de soleil peinaient à transpercer l'importante chape nuageuse de ce début d'après-midi. Engoncé dans un costume noir de bonne facture, Bakugo avait le menton levé vers le ciel. De ses yeux plissés, il examinait les imposants nimbus s'accumuler de plus en plus dangereusement au-dessus de la ville quand une goutte s'écrasa sur son front.
Plus cliché, tu meurs...
A cette pensée, une ébauche de sourire apparut furtivement sur son visage avant qu'il ne reprenne son habituelle moue renfrognée. Ses doigts se resserrèrent fermement sur le bouquet d'œillets blancs qu'il tenait nerveusement depuis déjà une bonne dizaine de minutes, cloué sur le perron de sa maison.
« Allez Katsuki, avance, on va finir par être en retard, lâcha chaleureusement son père en le dépassant à la hâte, parapluie en main prêt à faire feu au cas où la météo déciderait d'en faire des siennes.
— Je t'ai pas sonné, toi ! »
Il eut un simple haussement las d'épaule en guise de réponse, trop habitué aux mauvaises manières de son rejeton.
Masaru disparut hors de la vue de l'adolescent et le silence reprit sa place. Les iris carmin se perdirent dans le vide. Encore une fois. Il ne pouvait initier le moindre mouvement comme si ses pieds, ancrés au sol, refusaient d'avancer. Une deuxième goutte d'eau s'échoua entre ses yeux puis roula sur l'arrête de son nez. Au même instant, une main puissante percuta l'arrière de son crâne et lui sortit l'esprit de sa prison mentale. Décontenancé, il faillit perdre l'équilibre et dût avancer de plusieurs pas pour ne pas se rétamer.
« Nom de dieu Katsuki, bouge-toi ! » houspilla une voix féminine.
Il fit volte-face, les traits du visage courroucé. Sa mâchoire se crispa si fort qu'il crut que ses dents allaient se briser sous la pression. Il était comme une cocotte-minute, prêt à exploser à la moindre contrariété. Dans l'impossibilité de maintenir la soupape de sécurité plus longtemps, la grenade finit par dégoupiller.
« T'es malade la vioque ?! »
Afin de riposter, Bakugo arma son poing droit par habitude. Ses yeux se reportèrent en l'air et son mouvement resta en suspend. Le bouquet. Il venait littéralement de le broyer dans le creux de sa main.
« C'est malin... » souffla Mitsuki, consternée.
Quelques pétales abîmés se détachèrent de l'ensemble. Le regard éteint, il suivit leur lente trajectoire progresser irrémédiablement vers le sol, porté par un vent léger. Une fois à terre, ses lèvres s'incurvèrent légèrement vers le bas et un poids douloureux vint lui compresser la poitrine. La colère s'était dissipée aussi vite qu'elle était apparue.
A cette vision inattendue, Mitsuki s'adoucit. Elle réajusta son tailleur noir et s'avança vers son fils dont la tête était légèrement inclinée. Une fois à sa hauteur et avec une tendresse insoupçonnée, elle déposa la main sur son épaule.
« Allez... Ce n'est rien. »
Un sourire bienveillant éclairait son visage. Cette voix douce et maternelle allégea pour quelques secondes la pression dans la poitrine de son garçon. Elle tourna ensuite son attention sur le bouquet qu'elle rafistola pour lui redonner son éclat. Elle lissa le feuillage encore intact du bout des doigts et enleva les morceaux abimés sous les yeux embués de Bakugo. L'heure tournait, pourtant, elle prit le temps de retoucher avec précision le nœud blanc au liseré d'or qui maintenait en harmonie la composition florale.
« Voilà, il est comme neuf. On ne voit plus rien. »
Il y eut un long silence puis Mitsuki soupira, attristée. Elle porta cette fois-ci sa main sur le visage de Bakugo qui ne se déroba pas à son contact. Tout en le couvant du regard, elle caressa tendrement sa joue de son pouce. Il n'eut aucune réaction à ce contact comme anesthésié. Elle recroquevilla ses doigts puis finit par donner une très légère impulsion sur le menton avec son poing.
« Allez, c'est l'heure. »
Elle s'éloigna pour rejoindre son époux, resté en retrait. Il avait décidé de rebrousser chemin lorsque le ton était monté pour s'assurer que la situation n'allait pas dégénérer. Silencieux, Masaru avait assisté à toute la scène et ne put manquer la larme unique dévaler la joue de sa femme.
« N'arrivons pas en retard, » lança-t-elle avec un ersatz d'assurance.
Elle essuya sa larme d'un revers de manche. Bakugo lui emboita le pas, sans même en avoir pris connaissance. Voir son enfant plongé dans cet état de fragilité lui était insupportable. Depuis trois jours, elle s'efforçait d'agir normalement et à ne rien montrer de ses sentiments pour ne pas l'incommoder. Elle aurait apprécié le prendre dans ses bras pour le réconforter, ne serait-ce qu'une fois, mais le connaissant, il se serait braqué par fierté. Et le remède aurait été pire que le mal. Bien que son geste d'aujourd'hui ait été en deçà de ce qu'elle aurait aimé lui témoigner, au moins ne l'avait-il pas rejeté. Et elle s'en contenterait.
Le trajet en voiture se fit sans qu'aucun des membres de la famille Bakugo ne prenne la parole. Seule la radio, au volume à peine audible, rompait le silence pesant. La tempe appuyée contre la vitre, l'adolescent regardait le paysage défiler sous ses yeux sans vraiment y prêter d'attention. Sa main reposait sur les fleurs afin de les maintenir en position et éviter qu'elles ne s'abîment davantage. Il pesta intérieurement.
Regarde ce que tu me fais faire... Deku de mes deux...
Après une dizaine de minutes à rouler, ils arrivèrent sur le lieu de rendez-vous. De nombreuses personnes, de tous âges, étaient rassemblés et affichaient une mine des plus austères. En sortant du véhicule, le collégien, tiré à quatre épingles, aperçut quelques têtes familières qu'il ne prit pas la peine de saluer.
Quelle bande de faux-culs.
La famille se mêla rapidement à la foule sous l'impulsion de Mitsuki dont la main reposait discrètement dans le dos de son fils pour le faire avancer. Il se crispa l'espace d'un instant puis abdiqua. De toute manière, avec sa mère, toute résistance s'avèrerait futile. C'était une véritable tête de pioche. Peu importait la situation, elle en obtiendrait toujours le dernier mot.
A ce moment précis, Bakugo ne pouvait peut-être pas s'extraire de l'emprise de sa matriarche, mais pour autant rien ne l'obligeait à tenir une conversation. Alors pour éviter tout contact, son regard se reporta sur ses chaussures. D'un air détaché, il fourra négligemment une main dans sa poche de pantalon et de l'autre tenait les œillets la tête en bas.
L'atmosphère, particulièrement lourde, était chargée d'une intense mélancolie. Un vent frais soufflait et emportait avec lui quelques gouttes de pluie qui s'écrasaient sur les visages chagrinés. Perdu dans les méandres de souvenirs douloureux avec Midoriya, il reçut un coup de coude dans les côtes. Aussitôt, il tiqua et foudroya silencieusement des yeux la responsable de son inconfort. Mitsuki regardait droit devant elle, un sourire navré étiré sur ses joues. Dans l'incompréhension, Bakugo fronça les sourcils. En réponse, les fines lèvres se serrèrent entre elles pour montrer son mécontentement et elle lui pinça discrètement le bras pour le reconnecter à la réalité.
Bakugo reporta son regard dans la même direction que celui de sa mère et vit qu'elle fixait une petite femme aux longs cheveux verts. A cette vision, le cœur du collégien se compressa dans une violente agonie. Il ne pouvait quitter des yeux ceux rougis et dévorés par les larmes de la mère de Midoriya. Des cernes bleutés creusaient son visage qui semblait manquer cruellement de sommeil. Aucune volonté de vivre n'émanait de cette femme. Elle ressemblait à un fantôme prisonnier de son propre corps et n'était plus que l'ombre d'elle-même. Pourtant un éclat intense embrasa sa rétine lorsqu'elle aperçut Bakugo. Instinctivement, elle partit à sa rencontre, laissant en plan les personnes avec qui elle conversait.
Le corps du garçon se tétanisa. Il ne savait pas quoi faire ni comment réagir. Qu'allait-il pouvoir lui dire ? Ses parents l'avaient traîné de force ici. Lui trouvait qu'il n'avait pas sa place. Après tout, il était l'unique raison du rassemblement d'aujourd'hui. Mais ça, il ne pouvait se résoudre à leur annoncer. Bakugo ne savait pas à quoi s'attendre. Bien sûr, il n'ignorait pas qu'il allait devoir se confronter à la mère d'Izuku. C'était inévitable. Mais il n'avait élaboré aucun scénario, aucune stratégie pour s'extirper de cette situation et cela le terrifiait. Peut-être le giflerait-elle ou bien l'insulterait-elle en lui hurlant de foutre le camp. De son point de vue, cela serait amplement mérité bien que pas assez cher payé.
Contre toute attente, elle le prit dans ses bras avec une infinie tendresse. Il eut tout juste le temps d'écarter les fleurs pour qu'elles ne se retrouvent pas, une nouvelle fois, abîmées. Le visage humide d'Inko se réfugia contre l'épaule du collégien dont la veste s'imprégna rapidement de ses pleurs. Elle hoquetait, consumée par le trop plein d'émotions. Cela embarrassa le jeune homme qui ne sut comment réagir. Il aurait mille fois préféré se prendre une sévère rossée plutôt que d'obtenir une marque d'affection dont il ne pouvait se montrer digne. Il eut envie de hurler. De tout dévoiler. De dire que c'était lui qui avait suggéré à Izuku de sauter du toit mais sa voix resta prisonnière de sa gorge serrée. Comme un lâche. Il se haïssait de ne pas trouver le courage de balancer la vérité, aussi monstrueuse était-elle. Il ne valait pas mieux que tous ces hypocrites du collège venus en masse. Non, lui était pire encore. Quel genre de personne agissait de la sorte ? Un meurtrier.
Le corps de Bakugo se mit à trembler. Il eut subitement envie de vomir. La mère de Midoriya finit par rompre l'étreinte puis braqua ses iris verts dans ceux du collégien qui se fit happer par leur intensité. Instinctivement, elle prit les mains du garçon entre les siennes et les joignit ensemble sans qu'il ne rechigne.
« Katsuki, je te remercie du fond du cœur d'être venu. Je sais que ça a été très difficile pour toi. Tu étais présent quand il a... quand c'est arrivé. Tu as tout vu. Les professeurs m'ont dit que tu as essayé de le dissuader. Il t'admirait tellement. »
Inko parlait sans jamais s'interrompre. Elle déversait son flot de paroles à un débit infernal. Cela brutalisait les tympans du jeune homme qui restait figé sur place complètement aphone.
« Tu étais son modèle. Il ne cessait de parler de toi. Il me racontait tes exploits et voulait suivre tes pas et ceux d'All Might. Tu sais, il me disait qu'il voulait intégrer Yuei à tes côtés. Izuku était persuadé que vous vous y retrouverez et ça le rendait heureux. Enfin du moins, c'est ce que je pensais...»
A ces mots quelque chose se brisa dans l'esprit meurtri de Bakugo. Ç'en était trop pour lui. Plus que ce qu'il ne pouvait tolérer. Il devait tout lui avouer ou sinon la culpabilité finirait par le consumer. Afin de se donner du courage, il prit une profonde inspiration et s'apprêtait à desserrer les lèvres lorsque sa mère lui coupa la chique.
« Je le fais parce que ce grand nigaud ne le fera sûrement pas mais nous te présentons toutes nos condoléances, Inko.
— Mes condoléances, » poursuivit Masaru en s'inclinant respectueusement en avant, une main posée à plat sur la poitrine.
Tout en ébouriffant énergiquement la chevelure hirsute de son fils, elle enchaîna :
« Je l'ai connu beaucoup plus loquace que ça, mais tu sais comment il est ! Faut pas trop chercher à le comprendre. »
Les cheveux de Bakugo, légèrement humidifiés par la pluie et ainsi agités par sa mère, collaient à son front et lui conféraient une drôle de coiffure. Il en resta hébété et Inko eut un petit rire étouffé. C'est la première fois que son visage s'illuminait depuis le drame et cela lui apporta un peu de baume au cœur.
La conversation se poursuivit entre adultes sous l'oeil agacé de Bakugo qui n'avait pu soulager sa conscience. Il avait raté le coche et maintenant c'était trop tard. Alors il garderait tout ça pour lui, quand bien même ce lourd fardeau devait le pourrir de l'intérieur.
Le maître de cérémonie s'approcha finalement et appela au calme. L'hommage, très sobre et modeste, débuta. Un nombre impressionnant de personnes était rassemblé. Comme toujours lorsque le défunt se trouve être un enfant. Dans le silence le plus total, quatre porteurs arrivèrent avec le cercueil. Tous les yeux étaient braqués sur eux. La mère d'Izuku s'avança, bouleversée, et fit un bout de chemin à leur côté, la main posée sur le bois de chêne où reposait son enfant. Ce fut la première à prendre la parole, la voix étranglée par les sanglots. D'autres membres de la famille se succédèrent tour à tour. Tantôt il y eut des rires, tantôt des pleurs. Puis se fut le moment de la mise en terre. La stèle fut scellée et tous purent disposer les différents ornements mortuaires sur la tombe.
Bakugo, fébrile, préféra attendre le départ de la foule pour s'avancer. Il n'était pas du genre démonstratif, encore moins en public. Ses parents le laissèrent afin de respecter son besoin de solitude. A mesure que ses pas le rapprochaient, une boule d'angoisse gonflait dans sa poitrine et l'empêchait de respirer correctement. Il planta nerveusement ses dents dans sa lèvre inférieure afin de soulager cette douleur lancinante. Arrivé au bout de la stèle, il s'agenouilla sur l'herbe mouillée. La sensation était particulièrement désagréable. Avec une grande précaution, il déplaça quelques ornements et y déposa son bouquet de fleurs. Tous les muscles de son corps étaient crispés. Ses remords suintaient par tous les pores de sa peau mais plus personne n'était présent pour le remarquer. Lentement, il déposa la paume des mains à plat sur la pierre froide où, quelques mètres en dessous, reposerait éternellement Izuku. Son visage, sévère, était tourné en direction du sol et son buste s'inclina.
Après un long moment dans cette position, ses lèvres s'entrouvrirent pour murmurer d'une voix déchirante les mots qui auraient pu tout changer :
« Je suis désolé, Izuku...»
Il ferma les paupières de toutes ses forces. Plusieurs gouttes de liquide salin s'échouèrent sur ses mains. Sa déglutition se fit à grande peine et il déposa finalement son front à même la pierre humide.
« Pardonne-moi. »
Le vent se leva et lui chatouilla la nuque. L'espace d'un instant, il lui sembla ressentir la présence de Midoriya à ses côtés. Alors l'adolescent se redressa, toujours à genoux, et reporta sa main sur son épaule droite d'où il pouvait ressentir une étrange chaleur. Elle l'enveloppait comme un cocon protecteur et allégea la douleur dans sa poitrine.
« Je ne méritais pas ton amitié. Je ne suis qu'une sombre merde. Crois-moi, j'aurai aimé que ça se passe autrement, mais à défaut de pouvoir changer le passé, je te dis adieu, Izuku... »
Progressivement, la sensation de réconfort s'estompa et Bakugo se retrouva de nouveau seul avec sa peine.
Terriblement seul...
J'espère que la lecture de ce chapitre vous aura plu.
Je dois reconnaitre qu'il ne se passe pas grand chose, mais cela me semblait important, pour le cheminement de Bakugo, de développer ce passage. J'attache beaucoup d'importance à l'aspect psychologique des personnages. De plus, je trouve que c'était un bon moyen pour approfondir un peu la relation qu'il a avec ses parents.
Comment l'avez-vous ressenti ?
Dans tous les cas, je vous remercie d'avoir lu et je vous dis à bientôt pour la suite.
Farouche.
