Chapitre 1

Cersei ne dit rien quand Tyrion se précipite vers la porte, l'ouvrant à la volée et sortant de la pièce aussi vite que ses jambes le lui permettent.

Elle ne sait pas quoi penser, n'est même pas vraiment sûre de ce qui vient de se passer.

Tyrion l'a embrassée sans crier gare, il l'a embrassée à pleine bouche, et après, il est parti en courant, comme un voleur.

C'est donc ça.

C'est ça, qu'il s'évertuait à lui cacher depuis plusieurs jours, prenant de plus en plus ses distances avec elle.

Tyrion est amoureux d'elle.

Tyrion est amoureux d'elle, et Cersei, elle, ne sait pas quoi en penser.

Elle ne peut même pas se dire qu'elle est dégoûtée, qu'elle est révulsée par ce qu'il vient de se passer, elle n'en a pas le droit, elle a passé la moitié de sa vie dans les bras de son frère jumeau et l'autre moitié à tenter de cacher sa relation avec lui des yeux du monde.

Elle reste assise sur le lit, sans bouger, sans chercher à rattraper son petit frère pour le moment.

Elle pourrait se dire qu'elle a détesté cela, qu'elle est furieuse que Tyrion ait pris les devants de cette manière, qu'il ait pris la liberté de l'embrasser, mais elle a encore l'impression de sentir ses lèvres posées sur les siennes, et elle comprend que ce serait se mentir à elle-même.

(Le fantôme de Jaime vient planer quelques secondes dans son esprit. Que dirait leur frère, s'il pouvait les voir, s'il savait ce qui venait de se passer ?)

Le fantôme de Jaime vient planer quelques secondes dans son esprit. A-t-elle le droit de connaître à nouveau un homme après son autre moitié, après l'amour de toute une vie ?

Les questions tourbillonnent dans sa tête, et la seule chose qui est claire, c'est la sensation que lui a procuré ce baiser, qui a été tout sauf désagréable.

.

Tyrion est assis dans les jardins, à l'ombre d'un oranger quand Cersei le retrouve.

Il lève à peine les yeux quand elle approche : il n'a pas besoin de la voir pour savoir que c'est elle.

Elle tient Joanna dans ses bras, qui remue, n'ayant qu'une envie, être posée par terre pour se livrer à son activité préférée, c'est-à-dire, se promener à quatre pattes partout où elle le peut, avant que sa mère ou son oncle ne la rattrape, mais Cersei ne la lâche pas, la gardant assise sur ses genoux.

Le silence qui s'installe entre eux est lourd, pesant, aucun des deux ne sait vraiment quoi se dire, le baiser a été plus explicite que n'importe quel mot.

C'est Cersei qui finit par le briser, le silence, elle n'en peut plus, du silence, elle y a été réduite une trop grande partie de sa vie, et Tyrion s'était appliqué à le garder concernant ses sentiments :

« Alors… C'est ça ce que tu me cachais depuis quelques jours… »

Elle le regarde, et il ne parvient pas à déchiffrer la lueur qui brille dans ses yeux émeraude, ne peut pas dire si elle est en colère contre lui ou pas, et il déteste ça, à la limite, il préférerait qu'elle lui hurle dessus, qu'elle lui rejette ses sentiments pour elle à la figure, qu'elle lui dise que cela ne pourra jamais être, au moins, il serait fixé, il aurait sa réponse.

Il l'entend à peine finir sa phrase :

« Tu es amoureux de moi… »

Il hoche légèrement la tête, presque imperceptiblement.

Il s'attend à la réponse violente, aux cris, aux hurlement, à la rixe qu'il croit inévitable, et pourtant, il n'en est rien.

Le silence retombe entre eux, accablant, écrasant.

Ni l'un ni l'autre ne sait vraiment quoi dire.

(Peut-être qu'au fond, le silence est mieux, préférable. Même s'il est lourd de sous-entendus, le silence ne blesse pas. Pas dans ce cas-là.)

Cersei ne sait pas quoi penser non plus, ça fait beaucoup, il y a quelques mois, quelques années, elle pensait haïr son petit frère, elle mettait tout son cœur à le détester, et maintenant, ils en sont là, Tyrion lui avoue qu'il est amoureux d'elle, et elle, elle est complètement perdue.

Cersei pose Joanna par terre, qui ne perd pas de temps, et commence à jouer avec le sable de l'allée.

Ni l'un, ni l'autre ne sait vraiment combien de temps ils restent assis là, à contempler leur petit lionceau, sans qu'un mot ne soit prononcé, ça pourrait aussi bien être quelques secondes, minutes, ou bien une éternité, qu'importe ?

Tyrion a presque envie qu'il dure éternellement, au fond, peut-être qu'il préfère ne rien savoir plutôt que l'horreur de la réalité ne le rattrape, et que Cersei lui dise qu'elle ne l'aime pas, qu'elle ne l'aimera pas, jamais, qu'elle ne peut pas.

(S'il savait, si seulement il savait. Mais comment pourrait-il le savoir ?)

.

Quelques jours plus tard, Cersei voit Tyrion prendre une poignée de pièces d'or dans un des coffres de Stallor.

(De toute façon, il en a tellement qu'il n'en remarquera même pas la disparition. Que sont quelques pièces d'or quand on est un des hommes les plus riches de Pentos ?)

« Où est-ce que tu vas ? »

Cersei se retient de sourire, son frère a l'air d'être un enfant pris la main dans le sac.

Tyrion paraît étonné d'entendre la voix de sa grande sœur, elle ne lui a pas vraiment reparlé depuis qu'il lui a avoué son amour pour elle, il la soupçonne d'être tout aussi perdue que lui, et elle ne lui a adressé la parole que quand c'était vraiment nécessaire.

« J'ai quelque chose à faire. Rien de très intéressant »

Il met quelques pièces de plus dans la bourse qu'il tient à la main.

Cersei leva un sourcil :

« Ça ne me dit pas où tu vas. »

Tyrion la regarde à nouveau dans les yeux, et soupire :

« Je vais en ville. »

Cersei ne parait pas satisfaite de cette réponse :

« Oui mais où ? »

Tyrion hésite avant de répondre à cette question-là, il est quasiment sûr que la réponse ne plaira pas à Cersei, mais il songe que s'il veut que les choses s'arrangent entre eux, il ne doit surtout pas lui mentir, ni tenter de lui dissimuler la vérité.

« Je vais dans un bordel. »

A ces mots, Cersei se sent blêmir.

Tyrion a dit qu'il l'aimait… Il a dit qu'il l'aimait, et pourtant, il va rejoindre des prostituées…

Le baiser qu'il lui a donné lui a plu, même s'il était imprévu, et elle s'est même surprise à imaginer plusieurs fois depuis ce que ça ferait si elle lui disait que oui, qu'elle aussi, elle l'aimait, à penser que ça pourrait même être agréable, mais Tyrion a quand même envie d'aller dans un bordel…

Elle répète d'une voix glaciale :

« Dans un bordel ? »

A son ton légèrement agressif, il comprend qu'il n'aurait peut-être pas dû lui dire cette vérité-là.

(Mais elle l'aurait su – d'une manière ou d'une autre, elle l'aurait découvert, et s'il ne lui avait rien dit, cela aurait été pire.)

Avant qu'il ne réponde quoi que ce soit, elle se place devant lui, les mains sur les hanches :

« Je ne veux pas que tu y ailles… »

Tyrion semble déconcerté :

« Mais pourquoi ? »

Pourquoi, Cersei ne saurait même pas le dire, pas plus qu'elle ne saurait expliquer le pincement de cœur qui sévit dans sa poitrine.

Elle ne répond rien.

Tyrion insiste :

« Pourquoi, Cersei ? »

Comme si elle se sentait agressée, elle réplique, sur la défensive :

« Ne me demande pas pourquoi. Je n'ai juste pas envie que tu y ailles. »

(La jalousie. C'est cette émotion, certainement liée à toutes les pertes survenues au long de sa vie, qui la dévore de l'intérieur. Mais ça, Cersei n'est pas prêtre à se l'avouer à elle-même, et encore moins à l'admettre à Tyrion. C'est trop difficile, trop douloureux, bien trop, bien plus qu'elle ne pourrait le supporter.)

Tyrion plonge à nouveau ses yeux dans les émeraudes brûlantes de Cersei.

Il la connaît bien, maintenant, très bien, mieux qu'il ne la connaissait avant, mais il n'est toujours pas capable de lire en elle comme dans un livre ouvert (et peut-être que ça ne sera jamais le cas), et, encore une fois, il se retrouve à ne pas pouvoir déchiffrer la lueur qui fait briller ses yeux verts, si semblables aux siens, derniers vestiges de l'empire d'or et de sang qu'ils portaient sur leurs épaules, sans même vraiment le vouloir.

Il tente de lui expliquer :

« J'en ai vraiment besoin, Cersei… »

Elle le dévisage, suspicieuse. Il poursuit :

« C'est uniquement physique, je te l'assure… »

Elle pousse un soupir résigné.

Prenant cela comme un signe d'acceptation, il commence à s'éloigner, quand la voix de Cersei résonne dans le couloir, dans son dos :

« Tyrion ? »

Il se retourne, attendant qu'elle continue :

« Tu reviendras, n'est-ce pas ? »

(L'abandon. Peut-être le plus grande peur de Cersei.)

C'est plus fort qu'elle, cette question lui vient naturellement, elle n'est pas sûre qu'un jour, elle pourra se défaire de l'idée que Tyrion pourrait partir à tout moment, qu'il pourrait les laisser, Joanna et elle, qu'il pourrait refaire sa vie sans elles.

Mais il a dit qu'il l'aimait… Il ne partirait pas alors qu'il l'aime, si ?

(Le souvenir d'un autre homme qui disait qu'il l'aimait, qu'il l'aimait tellement, plus que tout lui revient en mémoire, un homme qui disait l'aimer, et qui est parti – les mots de Jaime lui reviennent. Je ne te crois pas.)

Elle chasse cette phrase de son esprit, Jaime l'aimait, il l'aimait, et même s'il est parti, il est revenu, aussi.

Tyrion lui sourit :

« Bien sûr. Je serai de retour avant ce soir. »

Cersei hoche la tête, et Tyrion part.

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Les heures passent, Cersei a l'impression que chacune d'entre elle dure une éternité.

Elle se ronge les sangs, ce n'est plus un pincement, c'est un véritable incendie qui embrase son cœur, à chaque minute qui passe, l'impression que Tyrion ne reviendra pas devient de plus en plus forte.

Comme il l'avait promis, Tyrion revient un peu avant le début de la soirée.

Cersei le regarde quand il entre dans la pièce, mais ne dit rien. Peut-être que si elle l'ignore, il n'y retournera pas ?

(Cela ne servira à rien, c'est complètement vain, et tout au fond, elle le sait, parce que Tyrion ne fait pas ça pour l'insulter, il n'est en rien comme Robert, qui couchait avec toutes les filles qui lui tombaient sous la main pour la blesser et l'humilier.)

Tyrion est aussi proche d'être heureux qu'il pourrait l'être, il a passé l'après-midi avec une jeune fille aux cheveux dorés et aux yeux verts, ce n'est pas la femme avec qui il désirerait être, mais il n'en a rien laissé paraître, et c'était presque comme si.

Le sourire aux lèvres, il salue sa sœur :

« Bonsoir, Cersei. »

Elle lui répond du bout des lèvres pendant qu'il se dirige vers Joanna, assise par terre avec ses jouets pour l'embrasser sur le sommet de sa tête, et passer sa main dans ses petites boucles dorées.

Les minutes passent, dans le silence à nouveau, encore et encore et toujours, jusqu'à ce que Cersei le rompe :

« Je ne veux plus que tu ailles dans des bordels. »

Tyrion réplique sur le ton de la plaisanterie, légèrement amusé par la déclaration catégorique de Cersei :

« Pourquoi ? Tu es jalouse ? »

Cersei ne répond rien.

Tyrion comprend qu'il a touché une corde sensible.

Ahuri, il demande à nouveau, sérieusement, cette fois :

« Tu es jalouse ? »

Cersei proteste, sans grande conviction :

« Bien sûr que non. »

« Tu es jalouse. »

Ce n'est plus une question. C'est une déclaration.

Mais Cersei réaffirme :

« Non, je ne suis pas jalouse. »

Tyrion s'approche d'elle :

« Si, tu l'es. »

« Non ! »

Tyrion s'exclame :

« Mais quelle mauvaise foi ! »

Malgré lui, il se retrouve à sourire.

Après tout, si Cersei est jalouse qu'il se rende dans des établissements de ce genre, c'est peut-être qu'au fond, il reste une chance, si infirme soit-elle…


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