CHAPITRE 5
Le sang de Tyrion bout encore dans ses veines, alors même que la réception est terminée depuis plusieurs heures, que les magistrats ont tous débarrassé le plancher et qu'ils sont tous rentrés chez eux, aux quatre coins de la ville.
Il pensait avoir connu la jalousie quand il regardait son frère, de temps en temps, son frère, grand, beau, blond, doré, son frère qui n'était pas un nain, son frère qui savait se servir d'une épée presque aussi naturellement qu'il savait respirer, et depuis presque aussi longtemps qu'il savait marcher, son frère que son père considérait vraiment comme son fils, son frère qui devait hériter de Castral Roc et son frère qui avait tout envoyé valser pour un bout de tissu immaculé et pour deux belles émeraudes brillantes.
(Avant, Tyrion se demandait toujours si ces émeraudes avaient vraiment la valeur de tout ce que Jaime avait balancé par la fenêtre du jour au lendemain. Il voulait tellement se persuader qu'il détestait Cersei, qu'il l'avait toujours haïe, et qu'elle le lui rendait bien qu'à chaque fois, il trouvait la même réponse à sa question – non. Mais maintenant qu'il s'est baigné à son tour dans ces émeraudes limpides, maintenant qu'il s'est noyé dans le feu grégeois, lui aussi, enverrait volontiers promener les mirages de tout ce qu'il pourrait avoir, rien que pour continuer d'y nager un peu plus longtemps.)
Maintenant, il sait qu'il n'avait aucune idée de ce qu'était la jalousie, la véritable jalousie quand il regardait Jaime.
Il ne connaissait rien de cette sensation qui embrase son cœur, qui brûle ses tripes, qui incendie tout son être à la seule pensée de Gaelon Nargaris, et au souvenir de sa voix qui résonne encore dans sa tête.
Votre sœur. Est-ce qu'elle saigne toujours ?
Rien que l'écho de cette question qui l'a profondément troublé suffit à lui faire serrer les poings de rage.
Cersei est là, à quelques pas de lui à peine, légèrement penchée sur le berceau de Joanna, qui, comme si elle avait senti la présence magnétique de sa mère, s'était réveillée et mise à gazouiller au moment même où Cersei et lui avaient passé le seuil de la porte.
Elle n'a aucune idée de ce qui s'est passé, de la conversation que Tyrion et Gaelon ont eue, de ce qui s'est dit sur elle, et de la manière dont le magistrat l'a reluquée, comme si elle ressemblait davantage à un morceau de viande particulièrement appétissant plutôt qu'à une femme, la manière dont le magistrat l'a reluquée, et que Tyrion n'a pas appréciée du tout.
Il la regarde se redresser, puis s'éloigner progressivement du berceau, non sans jeter un regard attendri à son petit lionceau endormi à l'intérieur, et, tout d'un coup, il ressent le besoin urgent et irréfrénable de se précipiter vers elle, et de l'embrasser, là, immédiatement, sans attendre.
Une autre phrase résonne à nouveau dans sa mémoire, pas une des questions dérangeantes ou des piques provocantes de Gaelon, non, une des phrases sorties de sa bouche à lui.
Pas de possessivité maladive, pas de jalousie excessive.
Mais ces quelques mots qu'il a dit pour la première fois à Cersei quelques semaines auparavant, il a lui aussi de les envoyer valser, ne serait-ce que quelques instants, un peu comme Jaime a envoyé valser chaque mot du serment qu'il avait prononcé lorsqu'il a fallu agir et planter son épée dans le dos du Roi Fou, ou comme il avait envoyé valser le glorieux avenir doré qui lui était promis.
Il est mortellement jaloux de ce que lui a demandé Gaelon Nargaris, ce magistrat qui, à cause de son statut au sein de la ville, a cru que beaucoup trop de choses lui étaient permises, il crève de cette jalousie qui lui incendie les entrailles.
Tyrion atteint Cersei, qui s'est assise au bord du lit, de son côté, commençant à dénouer les rubans qui maintiennent ses vêtements en place, et, sans crier gare, l'embrasse à pleine bouche.
Si sa sœur est surprise de ce baiser, elle le lui rend sans hésiter une seule seconde, ses lèvres charnues contre les siennes.
Ce baiser n'a rien des baisers longs et tendres qu'ils échangent habituellement, c'est affamé, c'est fugace, c'est sauvage.
Ils sont tous les deux à bout de souffle lorsqu'ils se séparent et s'écartent, pantelants.
Une autre sensation enflamme tout l'être de Tyrion, c'est différent de la jalousie, bien plus agréable, ça s'insinue dans ses veines comme un poison chaleureusement familier, c'est un sentiment qui ne l'a pas consumé depuis longtemps, bien trop longtemps, et à en juger par la lueur de Cersei, c'est parfaitement réciproque.
Ils ne restent pas éloignés bien longtemps, leurs bouches se fracassent à nouveau l'une contre l'autre, avec la même force que celle des vagues qui viennent se briser contre les rochers, laissant derrière une longue traînée d'écume mousseuse et immaculée.
Tyrion pose son front contre celui de Cersei, collant son nez au sien, lorsque leurs lèvres se détachent à nouveau, haletant doucement, son souffle se mélangeant à celui de sa sœur, alors qu'il entremêle ses doigts avec les siens.
Cette fois, ce n'est pas sur la bouche que Tyrion embrasse Cersei, mais au coin des lèvres, avant de laisser les siennes traîner sensuellement le long de sa mâchoire, puis de son cou et de sa gorge, Cersei haletant par anticipation.
Sa sœur est tout à lui, et il est tout à elle.
Elle ne proteste pas lorsque ses mains quittent les siennes, pour aller trouver dans son dos les laçages de sa robe, puis de son corset, que ses doigts expérimentés travaillent à dénouer, bien au contraire, elle se cambre légèrement pour lui en faciliter l'accès.
Il retient un gémissement lorsqu'elle est enfin nue devant lui, sa peau d'albâtre entièrement exposée.
Elle est parfaite.
Les marques laissées par cinq grossesses n'entachent en rien sa beauté, bien au contraire, elles la subliment, de la même manière que ses seins ou son abdomen, qui ne sont plus aussi fermes qu'ils ne l'étaient auparavant ne gâchent absolument pas le tableau qu'a Tyrion devant lui, digne d'une vraie déesse, selon lui.
Ce soir là, Tyrion voit des étoiles lorsqu'il se noie une énième fois dans les yeux émeraude de Cersei, et il a l'impression qu'il n'y a pas un endroit au monde où il pourrait se sentir mieux.
.
Tyrion ouvre les yeux lorsque les rayons du soleil levant viennent danser sur son visage, le réchauffant doucement, et l'entourant d'une sorte d'halo de lumière, une aura dorée.
La première chose qu'il est fait est baisser les yeux.
Au lieu d'être vraiment à sa place, chacun bien de son côté du li, Cersei a la tête posée sur sa poitrine, le bras étendu sur sa taille, toujours profondément endormie. Le drap de lin cachant le bas de leurs corps s'arrête à ses hanches, laissant ainsi apparaître ses seins dénudés, doux rappel de leurs activités de la veille.
Cette seule vue a pour effet de le faire sourire.
Il avait quelque fois imaginé coucher avec Cersei auparavant, surtout pour savoir pourquoi Jaime le faisait, pourquoi Jaime avait choisi de tout abandonner, de tout laisser tomber pour ces petits moments volés avec leur sœur, mais jamais, dans ces songes, il n'aurait pas pensé que c'était aussi merveilleux que ça.
Peut-être que le fait que la femme qu'il a eue en face de lui n'avait pas été payée pour le déniaiser ou pour lui faire plaisir, et ne le voyait donc pas que pour sa richesse, qui, de toute manière, n'était plus qu'un lointain souvenir, le vulgaire écho d'une autre vie, ou qu'elle n'était pas beaucoup trop jeune pour lui, et révulsée par son apparence, même en tentant de le cacher, piètre menteuse, ou qu'elle ne prétendait pas l'aimer pour obtenir quelque chose de lui (ou du moins, c'est ce que Tyrion essaye désespérément de croire, car il refuse d'envisager que Cersei pourrait lui avoir menti tout ce temps), mais la nuit qu'il a passé avec sa sœur est certainement la meilleure de toute sa vie.
Cette pensée, elle aussi, le fait sourire.
Si on lui avait dit, il y a quelques mois, quelques années, qu'il coucherait un jour avec sa sœur, et encore mieux, qu'il coucherait un jour avec sa sœur parce qu'il en était totalement épris, parce qu'il l'aimait plus que tout au monde, il aurait très certainement ri au nez de cette personne, lui aurait dit qu'elle délirait, que jamais, au grand jamais, cela n'arriverait.
Et pourtant, il est là, il est là, avec Cersei, dans son lit, leur lit, nus comme au jour de leur naissance, et il s'est rarement senti plus heureux.
Tyrion ne résiste pas à l'envie de faire courir ses doigts et d'enfouir sa main dans les cheveux dorés de sa sœur, brillant à la lueur du soleil.
Il repense aux moments où, quand ils étaient encore à Port-Réal, ce qui lui paraît être une éternité auparavant, il se surprenait à observer la longue crinière blonde de Cersei, et à s'imaginer faire exactement ce qu'il était en train de faire à présent, un sentiment qui lui paraissait particulièrement étrange, à l'époque, lui qui commençait à avoir aussi fréquemment envie de passer ses mains dans ses boucles dorées que de l'étrangler.
Tyrion n'a aucune idée du temps qui s'est écoulé, qu'il a passé à caresser les cheveux de Cersei quand elle se met à remuer doucement, les paupières clignant à cause de la lumière du soleil, qui s'est intensifiée depuis son réveil à lui.
Sa sœur tourne ses iris émeraude vers lui, silencieusement, se contentant de lui adresser un sourire pour toute parole.
Ils ne prennent pas la peine de se souhaiter bonjour : après la nuit qu'ils ont passé, la journée ne peut qu'être bonne.
Après de longues minutes, toujours passé dans le silence et la quiétude du matin, Tyrion, qui n'a toujours pas ôté sa main de la tête de Cersei, continuant à observer les mèches raccourcies par les Moineaux, qui voulaient s'emparer de sa couronne, brise le silence :
« Pourquoi ne t'es-tu jamais laissé repousser les cheveux ? » demande-t-il.
Instinctivement, Cersei porte sa main à sa chevelure garçonne, avant de répondre :
« Quand je suis devenue reine, je devais paraître le plus homme possible. Être une femme n'est pas quelque chose d'habituel pour un chef politique, je devais tout faire pour leur faire oublier mon sexe, et garder des longs cheveux dorés aurait été contre-productif. Et puis… D'une certaine manière, cela m'a permis de ne jamais oublier ce que j'avais perdu. La main de Jaime n'a jamais repoussée, elle. S'il n'avait pas besoin de sa main droite, je n'avais pas besoin de mes cheveux. Et quand nous sommes arrivés ici, je dois avouer que je n'y ai même pas pensé. »
Tyrion acquiesce, et enfouit son visage dans ses cheveux, inhalant leur parfum de lavande, qui lui est désormais parfaitement familier.
« Pourquoi cette question ? »
« Oh je ne sais pas, comme ça… Je les aimais bien, tes longs cheveux, moi. »
Après quelques secondes de silence, Tyrion ose demander :
« Tu ne voudrais pas les laisser retrouver leur longueur d'avant ? »
Elle le regarde dans les yeux.
« Pour moi ? »
« Si ça peut te faire plaisir… »
A l'intérieur, Tyrion hurle de joie. Que Cersei accepte quelque chose parce que cela lui fait plaisir, c'est nouveau, c'est tellement nouveau comme sensation, et il n'est pas prêt de l'oublier, ni de laisser s'échapper le moindre fragment de ce sentiment plus que bienvenu.
Il ne résiste pas non plus à la tentation d'amener ses lèvres jusqu'aux siennes, et de l'embrasser tendrement.
« Je t'aime. »
.
C'est quelques jours plus tard, alors qu'une pluie battante tombe dehors, que Joanna fait ses tous premiers pas toute seule.
Elle quitte l'étreinte chaleureuse de sa mère pour se jeter dans les bras de son oncle à seulement quelques pas de là, qui l'attrape, et, la soulevant dans ses bras, la fait tournoyer dans ses bras.
La petite fille rit aux éclats, et son oncle la redescend, pour finalement l'embrasser :
« Bravo petit lionceau… Je suis tellement fier de toi. »
Cersei la soulève dans ses bras à son tour, et corrige :
« Nous sommes tous les deux très fiers de toi… Et ton père, s'il te voyait, il serait très fier de son petit lionceau aussi. »
En regardant sa nièce qu'il a vu naître et grandir, et continuer de grandir beaucoup trop vite, Tyrion comprend qu'il ne s'en remettrait pas s'il venait à lui arriver malheur.
Il aime Joanna comme si elle était de lui, et peut-être même qu'il l'aime encore plus parce qu'elle est la fille de Jaime, Jaime qui ne reviendra pas, sa chair et son sang, et que, au fond, tout au fond, c'est comme si un petit bout de lui était toujours avec eux.
Un regard sur la boîte à reproches posée en équilibre sur le bureau au sommet d'une pile de papiers qui s'empilent au fil des jours qui passent et des affaires que Stallor leur confie suffit à lui faire comprendre quelque chose.
Je t'en veux d'avoir pensé que j'aurais pu tuer Joffrey.
Il est sûr qu'il réagirait aussi violemment que Cersei l'avait fait quand Joffrey avait commencé à convulser sur le sol, son visage devenant violet à cause du poison s'il devait arriver la même chose à Joanna, et comprend qu'il ne peut pas en vouloir à sa sœur, qui a vu tous ses enfants mourir sous ses yeux les uns après les autres.
Alors que Cersei joue avec Joanna, il se dirige vers le bureau, prend la boîte, l'ouvre, saisit le papier à l'intérieur, et le déchire.
Quand il relève la tête, il croise le regard de Cersei, qui lui sourit.
Oui, il a eu raison.
Merci pour votre lecture !
