Année : 771
Un peu plus de 3 ans après le Cell Game
- Tu reprends du café C17 ?
- Non, merci. On ne devrait pas y aller ?
- Oui. Je vais vite faire la vaisselle, et ensuite on part au point de rendez-vous.
Ruri se hâta de laver leurs tasses et de tout ranger dans le coffre de son pick up. Après plusieurs jours en solitaires, il était en effet temps de rejoindre le lieu de leur nouvelle mission.
Elle avait soumis C17 a plusieurs jours « d'entraînement intensif ». Se déplacer sans se faire repérer, être attentif au langage corporel des animaux, maîtriser les bases du tir à l'arc et de la survie… Ruri avait voulu lui donner en un laps de temps assez court le maximum de connaissances pour qu'il puisse l'épauler au mieux pour la suite.
En fait, alors qu'il était relativement indifférent au départ, l'intérêt que C17 portait aux animaux semblait grandir de jour en jour. Ruri l'avait constaté, il faisait preuve d'un réel souci de leur bien être. Et de ce qu'elle avait pu observer ces derniers jours, C17 était vraiment un élève sérieux et attentif quand le sujet l'intéressait. Il lui posait des questions, l'observait longuement, faisait et refaisait jusqu'à ce qu'il soit satisfait de lui. Il ne faisait plus « juste » que l'accompagner, il participait pleinement. Elle en était enchantée.
Le fait de camper pendant quelques jours était également quelque chose de complètement différent par rapport aux semaines précédentes. En effet, pendant les premiers jours du voyage, Ruri s'était mise assez logiquement à dormir sur la banquette arrière pendant que C17, qui lui ne dormait jamais, conduisait toute la nuit. De sorte qu'en fait ils avaient passé la plupart de leur temps sur la route.
Mais être cette fois arrêtés au même endroit n'avait plus rien à voir.
Ils s'étaient aménagés un réel espace de vie, préparaient des repas, certes simples, mais cela changeait beaucoup de choses dans leurs relations. C17 aimait par exemple beaucoup le café, et tous les deux avaient donc commencé à en boire ensemble au petit déjeuner, côte à côte, en discutant. Une certaine intimité s'installait progressivement entre eux. Par exemple, alors que jusqu'à présent ils avaient utilisé des hôtels ou des stations services pour se laver, cette fois ils utilisaient la rivière. Bien sûr, ils y allaient chacun leur tour, mais Ruri avait remarqué que quand elle y allait, C17 ne s'éloignait pas, il restait non loin d'elle. Pas du tout pour la regarder, il n'avait absolument jamais eu le moindre comportement déplacé. Mais il restait proche, comme pour s'assurer que rien de mal ne lui arrivait.
C'était une parenthèse délicieuse, que la jeune femme appréciait énormément, bien qu'elle ressentait en même temps un sentiment de frustration. C17 était plus attentif à elle, bien plus loquace, il était même prévenant, et pourtant. Ruri voulait « plus », même si elle ne savait pas vraiment quoi.
Tandis qu'elle finissait de tout ranger, elle l'observa discrètement. Il attendait, les bras croisés, le regard fixé vers l'horizon.
« Mais pourquoi tu restes aussi loin triple crétin ! » se dit-elle soudain. Pour attirer son attention, elle se mit à faire plus de bruit, faisant s'entrechoquer la vaisselle et fermant avec force le coffre du pick-up.
« Raaaaah mais regarde-moi un peu ! »
Mais C17 ne bougeât pas, il patientait, toujours immobile et silencieux. Comprenant qu'elle ne parviendrait pas à ses fins ainsi, Ruri renonça. Elle le rejoignit, l'air renfrognée, et tous deux se mirent à marcher vers leur destination.
Mais marcher près de C17 la fit assez rapidement se sentir de nouveau très heureuse. Sa présence lui était tellement agréable qu'elle en oubliât vite de faire la tête.
Il leur fallut une petite heure pour arriver. De loin, C17 aperçut des constructions humaines. Il pensa tout d'abord à un village, Mais en s'approchant, il comprit que ce n'était pas le cas. C'était une sorte d'immense ferme, avec plusieurs bâtiments distincts et de grands espaces clôturés dans lesquels des animaux étaient parqués. Des vaches essentiellement, mais pas seulement. Il y avait également des chevaux, des canards, des cochons... Une telle infrastructure paraissait étrange en plein milieu d'une si vaste étendue de nature.
- C'est là ? demanda C17
- Oui, on est au bon endroit, lui répondit Ruri. Ça t'intrigue ?
- C'est … bizarre une ferme ici.
- Oui. En fait le territoire ici est encore très sauvage, et peu habité. Plus précisément, il y a plusieurs tribus qui vivent dans les parages. Ce sont de petits groupes isolés, qui survivent un peu en autarcie. J'en ai déjà rencontré il y a quelque temps. Ce sont des peuples qui n'aiment pas trop le monde moderne, ils préfèrent vivre dans la nature. Cela ne fait pas si longtemps que des fermiers sont installés ici. De ce que je sais, ce n'est pas toujours facile.
- Pourquoi ?
- Parce que les fermiers cultivent les terres, et chassent les anciens habitants des lieux où ils s'installent. Leur présence n'est pas sans impact sur la faune et la flore. C'est une cohabitation un peu tendue… J'avoue que je ne sais pas trop où ça va mener tout ça. Et encore, ici, ce n'est pas le pire.
- C'est-à-dire ?
- Plus au Sud, il y a une tribu spéciale. Je ne l'ai jamais rencontrée, ils interdisent à quiconque de venir chez eux. Je n'ose même pas imaginer ce qui se passerait si des fermiers venaient s'installer…
- Pourquoi interdisent-ils aux autres de venir ?
- Aucune idée. Leur terre est « sacrée », mais je n'en sais pas plus.
C17 ne comprenait pas grand-chose aux histoires des humains. Mais un point venait de l'intriguer dans le discours de Ruri.
- Pourquoi est-ce que tu as accepté d'aider les fermiers, demanda-t-il, si leur présence perturbe la nature ?
Ruri se mit à sourire. C'était en effet une excellente question. A ses yeux les fermiers du coin ne valaient guère mieux que les braconniers. Comme eux, ils n'avaient pas un grand respect pour les animaux, en particulier sauvages. Elle avait hésité à accepter cette mission quand elle avait été contactée. Mais elle avait une bonne raison.
- Ce n'est pas pour les fermiers que je viens, répondit-elle finalement, mais parce que je connais deux personnes qui sont ici et qui m'ont demandé un coup de main.
- Qui ?
- En fait …
Ruri n'eut pas le temps de finir sa phrase, car soudain son téléphone se mit à sonner. Elle décrocha immédiatement.
- Allo ? Oui, oui, on arrive. Juste devant. Ah, vous aussi ? Écoute, 5 minutes ? Parfait !
Quand elle eut raccroché, elle se tourna vers C17 pour lui donner quelques explications.
- Ce sont deux amis à moi. Ce sont eux qui m'ont appelé. Ils ont accepté cette mission en premier. Mais ils ont besoin de moi.
- Pour faire quoi ?
- Tu te rappelles du briefing de ce matin ?
- La ferme est attaquée depuis quelque temps. Des bêtes disparaissent, et personne n'arrive à savoir quel est le problème.
- Voilà. Mes amis sont zoologistes, on s'est connu à l'université. Ils sont un peu plus âgés que moi, ils sont déjà en droit d'aller sur le terrain. Ils sont là depuis des jours et n'arrivent pas à trouver la solution. Donc ils m'ont appelé.
- Parce que tu es la meilleure, c'est ça ?
Cette petite phrase de C17 ravie Ruri. Quand elle le regarda, il était en train de sourire. Elle répondit en riant :
- J'espère pour toi que ce n'était pas ironique, parce que oui, je suis la meilleure !
Ils continuèrent en silence, jusqu'à rejoindre le bâtiment principal. Deux personnes les attendaient sur le perron. Le premier était un jeune homme grand et mince, avec des cheveux gris argentés coupés courts. Il était accompagné d'une femme, jeune également, assez petite. Elle était blonde et avait remonté ses cheveux en chignon. Ils étaient vêtus de façon semblable, portant des pantalons marrons et des t-shirts verts. Aussitôt qu'ils aperçurent Ruri, ils lui firent de grands signes et se précipitèrent à sa rencontre.
Cette dernière courut les rejoindre, tandis que C17 resta en retrait, se contentant d'écouter.
- Eh bien, tu en as mis du temps ! s'écria la femme blonde, avant de prendre Ruri dans ses bras. Ça fait tellement longtemps, tu m'as manqué !
- Pardon Iris, j'ai été occupée ! Tiens, il faut que je te présente quelqu'un. Il s'appelle C17, c'est lui qui m'accompagne. C17 ! Rapproche-toi, que je te présente mes amis !
Bien que Ruri lui fit signe de venir plus près, C17 se contenta de faire un signe de la tête en guise de salutation. Ruri éclata de rire.
- Ne fais pas attention Iris, c'est un ours, mais il est super sympa !
- Aucun problème, répondit cette dernière en regardant C17 attentivement, un homme aussi mignon que lui est forcément pardonné.
- Euh….
- Alors ma petite lune, on ne me présente pas ?
Ruri se figea instantanément. C'était le jeune homme qui venait de l'interpeller ainsi. C17 s'aperçut alors que le visage de Ruri était en train de devenir rouge comme une tomate. Il ne comprenait pas pourquoi il l'appelait ainsi, mais cette familiarité ne lui plut pas du tout. Sans qu'il ne puisse dire pourquoi, il ressentit une antipathie immédiate pour cet avorton.
Le jeune homme ne sembla pas remarquer quoi que ce soit, et se dirigea vers C17. Il lui tendit la main, et déclara :
- Salut, je m'appelle Spike. Enchanté de te rencontrer C17.
Mais il n'obtint en réponse qu'un long silence, C17 restant parfaitement immobile.
- …
- …. euh ….
- Boooon, intervint Iris en s'interposant entre eux, les présentations sont faites je crois, mettons-nous au travail, on vous a assez attendu !
Et sans attendre de réponse, elle se mit en route, suivie immédiatement par une Ruri toujours rouge vif et silencieuse. C17 et spike, eux, restèrent quelques secondes face à face, s'observant sans un mot.
- ….
- ….
- euh… bon, ben j'y vais aussi ! finit par dire Spike.
La matinée passa assez rapidement. Après quelques minutes de confusion, Ruri avait repris ses esprits et avait donc commencé par faire une inspection de la ferme et des environs avec l'aide de C17. Iris et Spike étaient également venus pour faire part de leurs propres observations.
Depuis quelques semaines de mystérieuses attaques se produisaient et des animaux disparaissaient pendant la nuit. Ce qui était étrange, c'était l'absence de traces. Pas de sang, de signe de lutte, de barrières cassées… Rien. C'est pour cela que les amis de Ruri avaient fait appel à elle. Ils n'arrivaient pas à expliquer ce qu'il se passait dans cette ferme.
Ruri avait également tenu à rencontrer le fermier. C'était un petit homme bedonnant et très peu sympathique. Il était très agacé par la situation, mais il était évident qu'il était bien plus préoccupé par la perte d'argent occasionnée que par le bien être de ses animaux. Cela n'avait pas particulièrement surpris Ruri d'ailleurs, elle connaissait ce genre d'individus et avait prévenu C17 de ne pas réagir. Le plus important était que eux, ils s'en souciaient, et allaient faire le maximum pour protéger les animaux de la ferme.
Pendant tout le temps de l'inspection, C17 était resté, comme toujours, en retrait. Il avait cherché de son côté des traces comme il l'avait appris, et avait principalement parlé avec Ruri. Mais dès que Spike s'approchait, il redevenait muet comme une tombe et l'ignorait superbement. Mais s'il ne disait rien, il observait très attentivement. Ce Spike se montrait très proche de Ruri. Il cherchait constamment son attention, lui touchait le dos ou les épaules… et il n'arrêtait pas de l'appeler « ma petite lune ». C17 n'en montra rien, mais il ressentait une forme de colère telle qu'il n'en avait jamais connu. Il n'avait rien de particulier à reprocher à cet homme, mais il ne pouvait pas le supporter, tout simplement.
Ce n'est qu'en fin de matinée que Ruri et lui purent se retrouver un peu seuls. La jeune femme lui demanda en effet de venir avec elle pour examiner le comportement des animaux de la ferme, tandis qu'Iris et Spike allaient préparer le repas de midi. C17 la rejoignit donc. Appuyés sur une clôture, ils observèrent pendant quelques minutes un troupeau de vaches, avant que Ruri ne prenne la parole.
- Bon. Alors. Tu en penses quoi C17 ?
- De quoi ?
- De tout. Depuis que nous sommes arrivés, qu'est-ce que tu peux dire ?
- … a première vue, rien de spécial. J'ai raté quelque chose ?
- Non, pas du tout. Tu as parfaitement raison. Moi non plus je n'ai rien vu d'anormal. Que ce soit des humains ou des animaux qui attaquant cette ferme, ils ne laissent aucune trace derrière eux.
- Tu crois que le fermier ment ? demanda C17, intrigué.
- C'est pour ça que je voulais voir les animaux de la ferme. Qu'est-ce que tu peux me dire en les regardant ?
C17 pris quelques secondes. Ruri lui avait bien expliqué que les animaux pouvaient exprimer beaucoup de choses par leur comportement ou de petits détails dans leur attitude. Il n'était pas du tout à son niveau, mais il commençait à percevoir ce dont elle parlait.
- Elles … restent regroupées ensemble, au milieu, commença-t-il.
- Oui, continue, quoi d'autre ?
- Il y en a plusieurs qui grattent le sol avec leurs pattes. Elles sont … agitées.
- Et donc ? Conclusion ?
- Je dirais qu'elles ont peur.
Ruri lui adressa un grand sourire.
- En effet. Elles ont peur, c'est évident. Donc il se passe bien quelque-chose.
- Tu as une idée ?
- Aucune. Mmmmmmmmmmmmmmm
- Quoi ?
- Rien, je me dis que je ne suis pas sûre qu'on trouve la réponse ici. On va rester en observation cette nuit. Et ensuite, j'aimerais bien partir explorer les environs… Qu'est-ce que tu en dis ?
- Ok.
Sur ces mots, Ruri et C17 rentrèrent à la ferme pour le déjeuner. Quand la jeune femme parla de son idée, Spike proposa immédiatement de les accompagner, ce qui donna des envies meurtrières à C17. Le fermier leur conseilla d'utiliser des chevaux pour se déplacer. C'était un moyen de transport plus silencieux que la voiture, c'était donc aux yeux de Ruri une excellente solution.
L'après-midi se passa assez tranquillement. C17 avait décidé de s'occuper de préparer le matériel. Il avait remarqué que les affaires de Ruri étaient particulièrement en désordre dans le pick-up, et depuis des jours il avait envie d'y mettre de l'ordre. Il profita donc de l'occasion pour discrètement s'occuper de faire un peu de rangement.
Pendant ce temps, Spike était parti acheter de la nourriture.
Iris et Ruri, quant à elles, avaient la responsabilité de choisir les chevaux. Etant toutes seules, elles en profitèrent pour discuter. C'était de très bonnes amies, et cela faisait vraiment longtemps qu'elles n'avaient pas eu l'occasion de parler « entre filles ». Iris avait d'ailleurs beaucoup de questions à poser…
- Bon, dit-elle, on s'en occupe maintenant ?
- De quoi ? répondit Ruri, occupée à inspecter un cheval.
- Du sujet le plus important.
- Ben c'est ce qu'on fait, on a déjà choisi 2 chevaux pour demain.
- Mais non, le vrai sujet. C17.
- Quoi, C17 ? s'écriait Ruri, interloquée.
- Tu m'avais prévenue que tu voyageais avec un mec, mais tu t'es bien gardée de me dire quel BEAU GOSSE c'était, cachottière va !
- Mais … euh …. enfin …. non, il n'est pas ….
- Il ne te plaît pas ? Tant mieux. Je peux y aller alors !
Ruri se redressa immédiatement. Elle ne savait pas quoi répondre… mais elle se sentit instantanément paniquée. Oh, oui, Iris était plus âgée qu'elle, elle avait plus d'expérience. Si elle souhaitait se rapprocher de C17, bien sur qu'elle saurait comment faire. Ruri donnait l'impression d'avoir une confiance en elle inébranlable, et c'était en partie vrai. Mais pas concernant les affaires de coeur. Elle s'était toujours concentrée sur les études et la préparation de son expédition. Pourquoi était-elle si mal à l'aise tout à coup ? Si Iris le voulait…
- Arrête de réfléchir comme ça Ruri tu vas te griller les neurones…
- Hein ?
Ruri se rendit compte qu'Iris était en train de sourire.
- Mais de quoi tu parles ? lui demanda-t-elle, confuse.
- Ma petite, on va arrêter de plaisanter. Il te plaît, non ?
- Euh … je …
- Ce n'était pas vraiment une question. Si tu avais vu ta tête quand j'ai parlé de tenter ma chance…
- Ah ? Tu ne le …
- Bon écoute ma puce, quand il s'agit des animaux, tu es un génie.
- Ah.
- Mais question mec, tu crains.
- Ah.
- ça avance comment avec lui ?
- Euh … ça avance … bien … on ….. boit des cafés ensemble…. le matin…
- …..
- ….
- D'accord. Je m'en occupe.
- Hein ?
Iris avait donc entrepris d'expliquer son « plan » à Ruri. Qui se résumait en un mot.
A l'attaque.
