Le petite déjeuner terminé, Arsène prit le temps de débarrasser la table. Il disait qu'en tant qu'hôte, il était normal qu'il le fasse sans aide de la part de Léonora. Cette dernière restait toujours très silencieuse et réservée, malgré les quelques tentatives de conversations.
Le soleil était déjà plus haut dans le ciel. Un coup d'œil sur le pendule leur indiqua qu'il était 9h15.
« -Avez-vous quelque chose de prévu aujourd'hui ?
-Excusez-moi ? demanda Léonora, incrédule.
-Je vous demandais si vous aviez rendez-vous à quelque part aujourd'hui. »
La concernée resta impassible pendant une seconde, puis elle haussa les sourcils et rit nerveusement.
« -Je suppose que non, hésita-t-elle.
-Voudriez-vous visiter Paris à mes côtés ?
-C'est une plaisanterie ?
-Je suis très sérieux. »
Léonora lui envoya un regard méfiant, s'attendant à ce qu'il éclate de rire puisqu'il la menait en bateau. Mais les yeux de Lupin rayonnaient de sincérité, peut-être trop belle pour être réelle.
« -Vous n'avez pas l'air sûre de vous.
-Pardonnez-moi, mais j'ignore la conduite que je suis censée adopter dans le cas présent. J'ai cru comprendre que j'étais votre prisonnière. Donc cette question me parait bien étrange.
-Je n'ai jamais dis que vous étiez ma prisonnière, qui vous a mis ça dans la tête ?
-Mais c'est vous !
-Je n'ai jamais dit ça.
-Je n'invente rien, vous l'avez dit !
-Prouvez-le, répétez ce que je vous ai dit.
-Si je pose un seul pied dehors vous me retrouverez et me ramènerez ici. »
Il rit doucement, sans aucune once de moquerie cette fois, mais avec une attitude joueuse. Aussi joueuse qu'inspirait son célèbre nom. Il se planta face à elle en souriant les bras croisés.
« -Si ma mémoire est bonne, je vous ai dit que si vous mettiez un pied dehors sans moi, ou dans l'optique d'aller au poste de police, en effet je vous retrouverai et vous ramènerai ici. J'aurai peut-être dû préciser que tant que je suis au courant de vos sorties, il n'y a pas de problème.
-J'ai du mal à affirmer si vous êtes sérieux ou non, avoua-t-elle.
-Dame ! Jamais je ne ferai de vous ma prisonnière. Arsène Lupin geôlier ? J'ai beaucoup de termes associés à mon nom, mais geôlier est bien le dernier que je souhaite. Vous êtes mon invitée, Léonora. J'insiste sur ce point.
-Et le point concernant le fait que vous ne me rendez pas ma liberté ?
-En effet, je la restreints, mais je pense qu'avec un peu de temps nous arriverons à trouver un équilibre entre nos intérêt.
-C'est-à-dire ?
-Prouvez-moi que je peux vous faire confiance, et j'élargirai vos libertés. En revanche, il marqua une pause, si j'ai la moindre preuve sur votre mauvaise foi envers moi, en tentant de vous enfuir par exemple, ma confiance vous passera sous le nez. Vous pourrez alors dire adieu à la liberté que je vous laissais jusque-là.
-D'accord, dit-elle docilement.
-En d'autres termes, si vous voulez un exemple. Si vous tentez de concevoir une corde avec les draps pliés dans votre armoire, et de vous en servir pour vous enfuir, alors vous me donnerez une raison de vous retirer tous les objets qui pourront avoir la même fonction, comme les rideaux. Si vous préférez, je n'ai aucune raison de rentrer dans votre chambre, j'ai énormément de respect envers vous et votre intimité, mais ne me donnez pas une raison pour y entrer sans y être invité. Ai-je été clair, Léonora ?
-Très clair.
-Bien, reprit-il avec un air plus joyeux. Maintenant que cela est réglé je vous réitère ma proposition. Voulez-vous visiter Paris avec moi ?
-Puis-je vous poser encore une question avant ?
-Evidemment, allez-y.
-Est-ce que j'ai réellement le choix ?
-Oui, si vous ne souhaitez pas m'accompagner, sachez qu'il n'y a aucun problème. Je crains simplement que vous vous ennuyiez ici. Pour vous dire, j'ai déjà essayé de lire l'un des livres de la bibliothèque dans le salon et il était tout sauf intéressant. Mais si vous préférez rester ici, je comprendrais.
-Non, c'est très bien, le coupa-t-elle en se levant avec un sourire. Je n'ai jamais eu l'occasion de visiter Paris autrement qu'en calèche. Et je suis sûre qu'avec vous, quelqu'un d'un peu plus parisien qu'Alphonse, ce ne sera qu'enrichissant. »
Elle passa alors devant un Arsène sous le choc d'un si soudain changement d'humeur. Il la suivit du regard alors qu'elle traversait le salon. Elle dut sentir son regard insistant car elle s'arrêta et se tourna vers lui, plantant ses yeux ambres brillants d'énergie dans les siens.
« -Il y a un problème ?
-Non, je suis agréablement surpris que vous preniez ma proposition à cœur, sourit-il en traversant le salon à son tour.
-Vous l'avez dit vous-même, je ne connais pas Paris aussi bien que vous. Les seules choses que j'ai vus sont l'Opéra Garnier, le Théâtre de la Rive gauche et l'Opéra Bastille dernièrement. Et encore, il faisait nuit et je n'ai vu que l'intérieur.
-Je vois, je comprends mieux votre enthousiasme. »
Elle sourit encore une fois et entra dans sa chambre. Elle resta un instant immobile derrière sa porte, le temps qu'elle entende la porte de la chambre d'Arsène se fermer à son tour. Elle posa son front contre la porte et prit une longue inspiration. Elle se tourna face à son lit et se fut à ce moment seulement qu'elle réalisa qu'elle avait un petit soucis…
Elle n'avait pas demandé à Arsène où se trouvait sa valise, ou même si elle en avait une…
« On va partir du principe qu'il est prévoyant. Après tout, il est Arsène Lupin, il a dû y penser. »
Elle vérifia alors rapidement sous son lit, en se disant qu'il s'agissait d'un endroit somme toute logique pour un voyageur comme lui. Sauf que non, il n'y avait rien. Elle s'assit alors sur son lit en réfléchissant, observant chaque recoin de sa chambre, puis elle posa son regard sur l'armoire. Elle se leva et ouvrit l'une des portes. Rien. Elle ouvrit la deuxième et soupira de soulagement en reconnaissant sa valise. Elle secoua négativement la tête en la prenant en main, pourquoi avait-elle pensé un seul instant qu'elle fut à un endroit que dans l'armoire alors qu'il s'agissait de l'endroit le plus logique.
Elle posa sa valise sur le lit et se pencha sur elle afin d'ouvrir le petit mécanisme qui servait de loquet. C'était une des valises à la mode du dernier été, ce loquet qui s'ouvrait par une combinaison de mouvement entre les engrenages et les leviers évitait les vols dans les valises pendant les voyages en train ou en zeppelin, puisque la combinaison était unique et confidentielle.
Elle ouvrit la valise et se stoppa dans ses mouvements. Bien qu'elle ait déjà eu des oublis dans cette valise, il était impossible qu'elle eût oublié une toilette complète à l'intérieur ainsi que deux corsets, et plusieurs autres sous-vêtements. Elle sortit alors chaque élément pour les étaler sur son lit, s'assurant du nombre de vêtements présents dans cette valise.
L'horloge présente dans le salon sonna, lui rappelant de se dépêcher de s'habiller, elle avait déjà perdu beaucoup de temps. Elle s'affaira à se vêtir assez rapidement, du moins, aussi rapidement qu'une jeune-femme sans servante pouvait le faire. Chemise, bas, et culotte furent enfilés sans soucis, le corset en revanche lui prit un peu plus de temps. Elle attrapa l'un d'entre eux, celui en satin beige et nota qu'un laçage à la paresseuse avait déjà été effectué. Elle l'enfila et resserra le laçage tout en se disant qu'elle ne laissait jamais un corset avec son laçage fait, encore moins ainsi.
Puis en un claquement de doigts, son jupon de dentelle blanche, sa jupe en coton bordeaux et son corsage comportant une partie d'un col de chemise blanche, furent mis. Elle laça ses bottines et passa devant le miroir afin d'ajuster le ruban qui ornait son col.
Elle soupira en réalisant qu'elle devait passer à la coiffure. Elle ne voulait pas se faire attendre plus que ça, elle imaginait déjà Arsène qui s'impatientait dans l'entrée de façon similaire à ce que Alphonse faisait lorsqu'elle était au Domaine. Elle se natta les cheveux en deux tresses qu'elle noua de façon à former un chignon serré et coincé à l'aide d'épingles, épingles présentes dans la valise également. Elle remarqua également la présence d'un de ses chapeau en soie bordeaux dont elle noua les liens sous son menton.
Elle prit une paire de gant, ferma sa valise peut-être un peu trop vivement car le loquet claqua comme s'il l'un des engrenage venait de casser, mais elle ne prit pas le temps de vérifier et se hâta à l'extérieur de sa chambre.
Elle jeta un regard dans l'entrée, mais n'y vit personne. Elle fronça les sourcils, inquiète qu'il ne l'eut pas attendu, mais elle se retourna face à la porte de la chambre de Lupin, qui était ouverte. L'homme, penché face au miroir, prenait le temps de nouer sa cravate de soie bleue et d'y attacher une épingle. Il tourna un court instant la tête vers Léonora et sourit.
« -Mince, je suis en retard, sourit-il en ajustant son gilet. Pardonnez-moi, je ne suis pas spécialement rapide.
-Ce n'est rien, j'avais pensé pendant un instant que j'étais moi-même en retard. Comme je ne vous ai pas vu dans l'entrée j'avais pensé que vous aviez perdu patiente, avoua-t-elle.
-Même si j'avais dû attendre trois quart d'heure, j'aurai patienté. Dans le cas contraire, ça aurait été indigne de moi.
-Si vous le dites. »
Il enfila une jaquette de lainage bleu marine qui tranchait avec son gilet croisé en moiré jaune or. Il prit une paire de gants à baguettes blancs, une canne dont le pommeau était décoré d'engrenages en cuivre et son haut de forme en soie qu'il passa sous le bras.
Léonora pouffa de rire quand il se tourna finalement face à elle, mais elle couvrit immédiatement sa bouche, honteuse.
« -Suis-je incroyable au point que vous riez sous l'émotion ?
-Pardon, c'était nerveux.
-Quelque chose ne va pas dans mon apparence ? s'inquiéta-t-il en se regardant dans le miroir.
-Je n'avais pas vu la moustache.
-Oui je sais, sourit-il à son tour. Augustin ne porte pas la moustache, donc je devais me raser de près, mais je n'ai pas encore le pouvoir de me la faire repousser en moins de deux jours. Donc oui, maintenant vous savez, Lupin utilise des postiches. Vous pouvez rire, ne vous retenez pas.
-Je vous ai dit que c'était nerveux.
-Et moi je vous dis que moi-même la première fois que j'en ai utilisé j'ai ri.
-Je n'oserai pas me moquer de vous.
-Croyez-moi, il m'en faut plus pour me vexer. Bien, vous êtes prêtes ?
-Je pense oui, si nous omettons le fait que je n'ai ni ombrelle ni réticule.
-Ce problème se règlera assez rapidement. Venez. »
Il s'engagea dans l'entrée, ouvrit la porte en laissant passer Léonora, puis il referma à clé derrière eux. Il proposa son bras, mais la jeune-femme se figea et l'assassina du regard.
« -Je pensais avoir été clair…
-Ma chère amie, je ne pense pas que ce soit le moment pour partager ces états d'âme, la coupa Lupin en souriant.
-Je vous ai dit que…
-Je le sais, et j'en ai compris les raisons. Ce n'est pas ça dont il est question. Allons prendre l'air afin d'éviter de déranger les voisins, nous règlerons ça plus tard. Voulez-vous ? »
Les yeux gris de l'homme étaient perçants, ils lui ordonnaient d'obéir sans rien ajouter. Un éclair de peur passa dans son cœur, son esprit venait d'assimiler ce regard à celui d'Alphonse. Elle prit une attitude plus docile et se décida d'accepter son bras. Ils partirent d'un même pas et se dirigèrent vers les escaliers. Ils croisèrent un vieux couple dans l'angle d'un couloir qui prenaient le sens inverse. Arsène les salua d'un signe de tête et guida Léonora dans les escaliers.
« -J'ai bien compris que j'avais trahis votre confiance, dit-il à mi-voix sur un ton de confidence. Mais vous devez savoir qu'aux yeux des personnes de cet hôtel, nous sommes amis vous et moi.
-Nous ne le sommes plus, rappela Léonora sur le même volume sonore.
-Je le sais, mais si nous ne sommes pas au moins amis, il n'y a aucune raison pour laquelle nous partageons le même logement. »
Ils croisèrent deux femmes qui montaient vers le deuxième étage. L'une d'entre elle fit tomber son réticule dont la hanse s'était cassée. Le petit sac retomba dans les escaliers, passant devant Léonora qui lâcha le bras d'Arsène pour le rattraper. Un peu avant qu'elle réussit à mettre la main dessus, il s'ouvrit, libérant un collier de perles qui n'attendit pas pour se briser et laisser échapper ses perles. Les deux femmes se dépêchèrent de ramasser le tout, aidées par Léonora. Cette dernière s'excusa de ne pas avoir réussi à attraper le sac à main plus tôt, en le donnant la petite poignée de perles qu'elle avait rattrapé.
« -Ne vous en faites pas, mademoiselle, dit la propriétaire du sac. Vous m'avez aidé, et je vous en remercie déjà beaucoup.
-J'espère que vous n'avez perdu aucune perle.
-Je l'espère aussi, intervint Lupin qui examinait l'une des perles qu'il venait de ramasser. Une couleur argent parfaitement uniforme… elles valent sans aucun doute une fortune.
-C'est un présent offert par ma grand-mère, sourit la femme blonde.
-Une dame avec d'excellents goût. Vous êtes bien chanceuse, mademoiselle, d'avoir un tel cadeau de sa part, déclara-t-il en rendant la perle à la concernée.
-Merci pour votre aide.
-A votre service. »
Il tendit une nouvelle fois son bras à Léonora et ils reprirent leur chemin. Il y avait beaucoup de mouvement au rez-de-chaussée, des allers et venues dans tous les sens. Léonora et Arsène, cependant, passèrent dans l'agitation sans aucun problème, comme s'ils n'étaient en aucun cas affectés par les passants. La jeune-femme remarqua qu'à aucun moment personne ne s'était interrogé sur l'homme présente avec elle. Et si un seul passant reconnaissait Arsène Lupin, que se passerait-il ? Est-ce qu'ils se douteraient même que sous cette moustache se cachait le plus célèbre cambrioleur parisien ?
Et est-ce qu'un de ces passant la reconnaitra, elle ?
Les deux femmes qu'ils avaient croisées plus tôt, elles les avaient bien regardés. Léonora avait même discuté un court instant yeux dans les yeux avec l'une d'entre elle. Est-ce qu'elle s'était douté qu'en face d'elle se trouvait la recherchée Léonora Delacroix ?
Ils arrivèrent finalement sur le trottoir devant l'hôtel et ne tardèrent pas à se mêler parmi les autres personnes qui marchaient à un rythme différents dans tous les sens possible, mais s'accordant bizarrement comme une chorégraphie répétée en boucle. Ajouté aux divers calèches et voitures dernier cri, Léonora se sentit étrangement perdue. Elle resserra imperceptiblement son bras sur celui de son guide, soudainement effrayée par la foule. Elle glissa un regard très discret à son compagnon de voyage, il était parfaitement serein, habitué à une telle ambiance.
« -Puis-je avoir un échantillon de votre pensée, Léonora ?
-Je me demandais simplement, toutes ces personnes dans l'hôtel qui vous ont vu, en particulier les deux femmes dans l'escalier, comment cela se fait que malgré tous les portraits que l'on a fait de vous personne ne vous reconnait ?
-C'est ce que j'appelle, la philosophie de Lupin, plaisanta-t-il.
-Je suis sérieuse.
-Prenez toute cette situation en riant, imaginez juste toutes ces personnes qui pourraient me dénoncer si à un seul moment elles savaient qui nous étions. Pourtant aucune ne prend le temps de se dire, et s'il s'agissait de Arsène Lupin ? Non, tout ce qu'ils voient c'est un homme et une jeune-femme se promenant dans les rues de Paris.
-Et si on me reconnaissait ?
-Les gens ne font pas assez attention aux autres pour ça. Ils lisent les journaux, mais ils se disent tous, de toutes façons la police arrivera à la retrouver. Donc ils ne font rien.
-Et si les Delacroix ont pour idée de venir à Paris dans l'optique de me chercher ? s'inquiéta-t-elle. Eux, ils me reconnaitraient sans problèmes.
-J'ai une réponse dans un premier temps, et une solution dans un second. Premièrement, Alphonse ne prendrait pas le risque de s'afficher à Paris sans sa fortune et puis croyez-moi qu'il sera bien plus occupé à savoir comment je suis entré et sorti sans qu'aucune trace ne soit trouvée. Et l'une de mes solutions afin de m'assurer de l'activité du Domaine, j'ai des yeux là-bas qui me font remonter chaque informations. »
Elle ne répondit rien et fit mine d'observer les vitrines des boutiques devant lesquelles ils passaient. Mais elle n'avait encore une fois pas tout son attention dessus. Elle sentait une anxiété profonde qui lui tiraillait les entrailles. Ni dans son monde, ni dans ce qu'elle connaissait, rien pour se repérer, rien qui pouvait la rassurer.
« -Ne soyez pas inquiète, je vous ai promis ma protection et vous l'avez. »
Elle hocha simplement la tête. Elle avait parfaitement entendu cela, mais elle gardait une réserve concernant toute cette situation. On l'avait fait monté dans une locomotive qui n'avait pas besoin de charbon pour aller à pleine vitesse. Elle ne pouvait plus rien contrôler, ni l'allure, ni la direction et encore moins la destination. Ça lui faisait affreusement peur.
En fait non, ce n'était pas dans la locomotive qu'elle se trouvait, mais dans un wagon. Elle était au départ tirée par le train des Delacroix. Arsène était le chauffeur d'une seconde locomotive qui avait décroché son wagon pour le rattacher à lui.
Mais au final, c'était le même résultat, elle ne contrôlait rien.
« -Regardez, on y est, déclara Lupin qui fit sortir Léonora de sa rêverie. Etant donné que votre garde-robe a été réduite pendant le voyage depuis le Domaine, j'ai pris la liberté de prendre rendez-vous chez le tailleur afin de vous refaire faire quelques toilettes. »
A quelques boutiques d'eux se trouvait, en effet, l'enseigne d'un tailleur. Elle regarda autours d'elle et remarqua qu'ils s'étaient éloignés de l'agitation générale. Ils se trouvaient dans une petite ruelle bien plus calme. Un passant ou deux tout au plus, sinon personne à part eux.
« -Vous êtes sérieux ?
-Très, et je vous laisse la totale liberté sur le choix. Ma seule condition est que vous preniez au minimum trois robes de jours. Evidemment, en fonction du prix de chacune, vous pourrez en prendre une ou deux autres. »
Léonora s'arrêta net. Arsène se tourna face à elle, soucieux.
« -Non, ça me gêne. Vous n'avez pas à faire tout ça pour moi.
-Alors on risque d'avoir un petit soucis, la société dans laquelle nous vivons a un petit peu de mal avec le fait que vous n'ayez qu'une seule toilette avec vous.
-Mais Arsène, je…
-Evitez de m'appeler ainsi à voix haute en public, s'il vous plait. Il y a des oreilles qui trainent.
-Je ne peux pas accepter.
-Bien sûr que si, vous le pouvez.
-Je n'ai droit à aucun mérite de votre part. Je ne devrais même pas être ici, déclara-t-elle en sentant sa gorge se serrer.
-Bien sûr que si, comme chaque personne qui travaille à mes côtés…
-Vous accordez bien trop d'importance à une poupée de chiffon ! »
Ces derniers mots claquèrent dans l'air comme le ferait un coup de feu. C'étaient des mots durs, sombres, qui éteignirent la lumière des yeux de la jeune-femme. Encore une fois elle enlaça ses bras autours d'elle et fuit le regard de Lupin.
« -Je ne serais jamais rien d'autre, ajouta-t-elle.
-Taisez-vous.
-Je n'aurai pas eu cette existence si ce n'était pas le cas.
-Taisez-vous, immédiatement !
-Alors expliquez-moi pourquoi j'ai eu besoin d'être « sauvée » par des personnes qui voulaient m'abandonner. Qui m'ont toujours abandonnée…
-Je ne suis pas Alphonse Delacroix. Mettez-vous bien ça dans la tête une bonne fois pour toute
-Pour ce que ça change.
-Vous n'êtes pas une poupée de chiffon, vous ne l'avez jamais été et vous ne le serez jamais.
-Encore une fois, pour ce que ça change. Le résultat est le même ! »
Il ne répondit rien pendant une longue minute. Il attendit patiemment qu'un groupe d'ouvriers passent leur chemin avant de reprendre doucement.
« -Léonora, ne soyez pas affligée par le regard que les Delacroix portaient sur vous. Regarder le passé avec haine ou tristesse ne fera que vous y enchaîner d'avantage. Le mal est fait, ils vous ont tellement laissé à l'abandon que vous vous persuadez vous-même que vous n'avez aucune valeur.
-Ce sont des mots Arsène.
-Très bien, ce ne sont que des mots. Suivons cette logique, mais écoutez-moi bien. Sentez-vous fière et précieuse, car ce n'est pas par pitié que moi, Arsène lupin, me suis intéressé à vous. Bien des joyaux auraient mérité mon attention, mais c'est vous que je voulais. »
La jeune-femme se redressa légèrement et planta ses yeux ambres dans les orbes grises de l'homme. Il se tenait droit, le pommeau de sa canne dans les deux mains, et sa canne ancrée dans le sol. Il parut si grand face à elle.
« -Si j'agissais par pitié, il y a bien longtemps que j'aurais mis la clé sous la porte. J'ai beaucoup de principe, mais la pitié n'en fait pas partie. Arsène Lupin est un cambrioleur, pas un petit père des pauvres. J'ai une image et une réputation, tout comme vous devriez en avoir une. Soyez fière d'avoir le privilège d'être à mon bras, je n'accorde que très rarement cette clémence. »
Il combla la courte distance qui les séparait, il lâcha d'une main sa canne et la posa sur la joue de la jeune-femme. Cette dernière se tétanisa, effrayé mais un lointain sentiment de sécurité s'alluma, l'empêchant de réinstaurer la distance.
« -Soyez fière d'être ce que vous êtes, Léonora. Et ne laissez jamais personne vous traitez de poupée sans valeur, pas même vous-même. »
L'ombre d'un sourire passa sur les lèvres de la jeune-femme tandis qu'elle hocha légèrement la tête. Il retira sa main de son visage pour prendre sa montre à gousset. Il regarda l'heure et eut à son tour un sourire.
« -Allez venez, nous allons être en retard.
-Vous connaissez ma réponse.
-Bon, on va faire simple dans ce cas : je ne vous laisse absolument pas le choix.
-Vous ne pouvez pas m'y forcer.
-Oh, Léonora, c'est mal me connaitre ! »
Il lui saisit le poignet et l'entraina jusqu'à la boutique, sans qu'elle n'eut réussi à placer la moindre forme de résistance. Il poussa la porte vitrée d'une main, qui fit retentir le carillon. Ce ne fut qu'une fois la porte refermée qu'il lâcha Léonora avec un sourire fier face au regard exaspéré de la jeune-femme. Elle fut sur le point de répliquer vertement, mais on l'interrompit.
« -Monsieur Chevallier, c'est ça ? demanda une femme aux cheveux noirs retenus dans un chignon haut décoré d'un ruban cuivré.
-Tout à fait, répondit Lupin.
-Pile à l'heure ! sourit-elle, elle planta alors ses yeux bleus dans ceux de Léonora. Et vous, vous devez être sa fameuse amie. Mademoiselle… ?
-Morel, improvisa la brune. Lola Morel. »
Elle envoya un regard en biais à Arsène qui n'avait pas quitté son sourire, il n'avait pas eu de réaction particulière à ce moment-là. Léonora se serait attendu à un rire, une remarque ou un regard. Mais non, il faisait comme si tout était normal. Il regarda une fois de plus sa montre à gousset.
« -Bien, mademoiselle Morel. Vous pouvez m'appeler Catherine. Monsieur Chevallier m'a fait comprendre que vous n'étiez jamais venu chez un tailleur parisien, c'est ça ?
-Oui, vous avez raison.
-Vous avez choisi la bonne maison, sourit la vendeuse.
-Excusez-moi, Catherine, intervint Arsène. Je dois partir une petite heure régler une affaire urgente. Pouvez-vous vous occuper d'elle pendant mon absence ?
-Evidemment, vous savez que je m'occupe de mes clientes comme les pierres précieuses qu'elles sont. »
Léonora fut soudainement secouée par une quinte de toux, comme si elle venait d'avaler de travers. Catherine lui proposa immédiatement un verre d'eau, la concernée le but lentement en envoyant un regard peu assuré à Arsène. Ce dernier hocha la tête pour lui assurer que ce n'était qu'une coïncidence et qu'elle ne craignait rien. Le sifflet lointain du tramway résonna en même temps qu'il ouvrit la porte.
« -Vous êtes entre de bonnes mains, Lola. Ne vous inquiétez pas, je reviens dans moins d'une heure. Si jamais vous avez fini avant, vous m'attendrez au café qui se trouve un peu plus haut dans la rue. »
Encore une fois, elle voulu répliquer. Mais il était déjà parti.
« -Venez, mademoiselle. J'ai reçu les derniers registres de mode pour la saison, je suis sûre que les nouvelles robes devraient vous plaire, dit Catherine en ouvrant le portillon de fer forgé qui menait à l'atelier. »
Léonora sourit et obéit. Elle suivit la femme et à peine eut-elle posé un pied dans l'atelier, elle fut émerveillée de ce qui l'entourait. Un premier bureau se trouvait de suite à sa droite, sur lequel des lourds cahiers étaient posés. Une large table se dressait au milieu, on y trouvait un nécessaire à couture et à tracé ainsi que quelques chutes de couleur mauve. Une bonne dizaine de mannequin se dressaient ça et là dans tout l'atelier, certains habillés de leurs plus belles couleurs, d'autres qu'à moitié et en toile écru simple, d'autres étaient simplement en attente de nouveau projet. Au fond il y avait de profondes étagères où s'empilaient des rouleaux entiers de tissus, rangés par couleurs et matières.
Catherine souleva un cahier dont la couverture était recouverte de brocart pourpre et doré. Elle s'installa à une table un peu plus en retrait, et invita Léonora à s'assoir sur la chaise en face.
« -Vous aimez mon atelier à ce que je vois, sourit la couturière.
-Enormément, admit Léonora. C'est la première fois que je vois tout ça.
-Vous avez beaucoup de chance d'être amie avec monsieur Chevallier. D'ordinaire tout se fait dans la boutique, mais il a insisté pour que vous veniez ici.
-Il vient souvent chez vous ?
-C'est un excellent client. Pour preuve, la tenue qu'il portait aujourd'hui a été réalisé par mes soins, et l'habit qu'il portait hier soir était aussi une de mes créations.
-L'habit qu'il portait hier soir ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
-Vous savez, celui avec la pochette et le nœud papillon bleu en soie.
-Oui, évidemment. J'ai vu tellement de monde hier soir que je ne me souvenais plus de ce détail, sourit-elle. »
La couturière sourit à son tour en ouvrant un premier registre devant elle, elle commença à lui les présenter. Des robes à crinoline principalement, des couleurs plutôt froides allant du violet au vert en passant par toutes les nuances de bleu. La mode était à la dentelle belges, teinte ou non, elle était un incontournable des robes de jour.
Mais Léonora n'y préta pas plus d'attention. Cela ressemblait bien trop aux robes que Flora portait.
« -Quelque chose ne va pas ? Votre teint est terne, remarqua Catherine.
-Ce n'est rien, c'est juste que… »
« Je n'ai jamais aimé ces robes. Elles ne m'ont jamais ressemblés. »
Elle aurait tout donné pour avoir l'audace d'avouer ça. Mais elle n'avait pas assez de courage, de plus Catherine n'y était pour rien.
« -Que… ?
-Est-ce que vous avez quelque chose de moins encombrant ? demanda la jeune-femme.
-Vous n'aimez pas les crinoline ?
-Pour tout vous dire, je ne trouve pas ça confortable du tout le jour. Je dois toujours faire attention à ce que personne ne se prenne les pieds dedans. »
A la grande surprise de Léonora, le visage de Catherine s'illumina d'un grand sourire. Elle referma ce registre et partit en direction d'une étagère où s'en empilait des dizaines d'autres.
« -Je vous comprend tellement ! Je n'ai jamais compris pourquoi on devait s'encombrer de crinoline ou de tournure ! Regardez-moi, je ne porte qu'un jupon et je m'en porte très bien ! »
Elle tira un registre dont la couverture était recouverte de coton écru imprimé d'engrenages en bronze. Sa soudaine énergie eut pour effet de détendre Léonora, qui ne put s'empêcher de sourire.
« -Et croyez-moi, mademoiselle Morel, ça ne fait pas de moi quelqu'un de moins désirable ! J'ai une petite poignée d'admirateur qui m'envoient fleurs et autres attention !
-Je veux bien vous croire, madame, rit la jeune-femme.
-Sérieusement, qui a décidé qu'il fallait porter une armature de fer pour être considéré comme belle ? Encore une fois, ce sont des hommes ! Je suis prête à le parier ! »
Elle posa ce nouveau cahier devant Léonora. Elle soupira de soulagement, ces tenues qu'elle avait toujours rêvé au fond d'elle de porter à un autre moment que pour l'équitation, elle découvrait finalement tous ces modèles. Toutes ces tenues que Eugénie, madame Delacroix, désignaient comme « ouvrières » avec un certain mépris et dégoût.
« -Monsieur Chevallier m'a rapidement donné ses directives. Etant donné le prix de ces toilettes, vous pouvez en choisir plus que trois ainsi que les accessoires qui vont avec. »
Léonora hocha la tête simplement en regardant les tenues en détail. Catherine lui donnait quelques conseil concernant certaines tenues, les matières qu'elle utiliserait ou encore les couleurs. Une bonne demi-heure passa ainsi, avant que le carillon lointain de l'entrée ne sonne.
« -Je reviens rapidement, trésor. Je vais rapidement voir de quoi il s'agit.
-D'accord, je ne bouge pas.
-Oh vous pouvez, au contraire. Je vous invite à regarder dans mes rouleaux de tissu si quelque chose peut vous intéresser.
-Très bien.
-Je ne serais pas longue, sourit Catherine.
-J'ai juste une rapide question, la coupa Léonora.
-Je vous écoute ?
-Monsieur Chevallier passe toujours ses commandes sous le même nom ?
-Oui, c'est pour ça que je le considère comme un excellent client. Il y a un soucis à ce sujet ?
-Non, c'était par pure curiosité.
-Vous voulez savoir s'il a une fausse identité à mon égard ? L'accusa-t-elle.
-Non ce n'était pas ce que…
-Vous enquêtez sur lui et vous voulez m'interroger ?
-Tout dépend si vous avez des informations sur lui que vous voulez me confier. Mais à priori je ne suis pas détective, du moins pas que je sache.
-Ça me rassure, car monsieur Chevallier est l'homme le plus honnête que je connaisse. Je ne veux pas qu'il lui arrive préjudice.
-Il fait partie de vos admirateur ?
-Absolument pas, non. Je suis peut-être un peu vieille pour lui. Mais il m'a déjà aidé à sortir un homme jaloux de ma boutique alors que sa femme était en essayage avec moi.
-Je vois, il vous est un fidèle ami.
-Je dirais ça comme ça, oui.
-Merci de m'avoir éclairée. »
Catherine sourit encore une fois et tourna les talons vers la boutique. Léonora se retrouva donc seule face aux tissus. Elle retira l'un de ses gants afin de laisser ses doigts toucher les tissus. Elle sourit en reconnaissant la doublure de l'habit d'Augustin, (devait-elle l'appeler Arsène ?), qu'elle n'avait eu que l'occasion de toucher. C'était un satin de coton bleu nuit d'excellente qualité. Elle sourit avec un peu plus d'amertume en réalisant qu'elle ne se souvenait que du toucher de la veste, le reste de ses souvenirs avant et après ça étaient inexistant.
Du moins, si elle en avait un. C'était plus une sensation, ou un sentiment. Un sentiment de sûreté, une véritable sûreté. Elle sentait presque encore l'emplacement des bras dans lesquels elle s'était évanouie. Ils étaient assurés, réconfortants et protecteurs.
L'amertume de son sourire venait du fait que, maintenant, elle était incapable de dissocier tout ceci d'Arsène Lupin…
Bonjour bonjour ^^
Comment allez-vous?
Voici un chapitre aux petits oignons réalisé avec amour (c'te blague xD).
Donc, qu'avons-nous aujourd'hui?
Les débuts entre Arsène et Léonora dont la relation semble... électrique? Je pense que le mot semble juste xD
Pour les habitués d'Arsène Lupin (écrits par Maurice Leblanc), vous remarquerez que j'ai un peu adouci le personnage concernant la gente féminine. Bien qu'à bien des moments je trouve qu'il en devient hilarant, je trouve que les relation qu'il a eut avec pas mal de demoiselles... vides (pour ma défense, je n'ai pas lu TOUS les livres mais j'y travaille). Donc j'estime que cette modification est de meilleur ton.
Au delà de ça, j'espère que ce chapitre vous a plu. Et je vous dis à la prochaine!
