Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

Une minute. Pas une seconde de plus.

C17 n'avait eu besoin que d'une minute pour neutraliser les braconniers.

Ruri n'en revenait pas. Il s'était dirigé vers eux en marchant d'un pas calme et détendu. Il n'avait même pas gardé le fusil qu'elle lui avait donné. Et tout à coup, les braconniers s'étaient retrouvés à ses pieds, assommés. Elle n'avait absolument rien vu, tout s'était passé si vite…

Et le voilà devant elle, toujours aussi nonchalant, debout à côté d'un tas de braconniers endormis. L'image était en quelque sorte « comique ». Mais Ruri n'en oubliait pas pour autant son caractère exceptionnel. Qui était cet homme ? Pourtant, il n'avait rien d'extraordinaire à première vue, rien dans son apparence ne laissait présager d'une telle puissance. Elle continua à l'observer pendant quelques secondes.

« Mais qui es-tu bon sang…. » se demandait-elle, « il faut absolument que tu m'accompagnes, c'est obligatoire, je ne repars pas d'ici dans toi ! ». Son regard s'arrêta ensuite sur le visage de C17. « Rooooh et en plus il est tellement beau ! » si dit-elle alors. Maintenant qu'elle avait un peu plus de temps pour le regarder, elle ne pouvait s'empêcher de lui trouver un charme fou. Ses longs cheveux noirs, ses boucles d'oreilles, et surtout ses yeux d'un bleu si clair, qui semblaient capables de vous transpercer en un instant. « Reste concentrée ma grande, il va finir par s'apercevoir que tu le dévisa…. »

« Pourquoi tu me fixes comme ça ? »

En une seconde, le visage de Ruri devint rouge vif. « Raaaaaaaaaaah mince ! Reprends-toi, reprends-toi ! ». Tentant de faire bonne figure, elle répondit :

- Mais euhhhhh pour rien, enfin, non, je ne te fixe pas d'abord, je regardais….. je regardaiiiiiiiiiiiiiiiiiiis….. ton foulard !

- …..mon foulard ?

- Oui, il te va bien tu sais. Tu l'as acheté dans une boutique du coin ?

- ….. non.

- Tu l'as volé ?

- Non.

- …. c'est vraiment pas simple d'avoir une conversation avec toi tu sais ?

- Je sais.

- ….. et bien déjà tu en as conscience, c'est un début.

- J'ai stoppé les braconniers.

- J'ai vu.

- En une minute.

- J'ai vu aussi.

- Sans les tuer.

- Je le constate en effet.

- Et donc ?

- Donc quoi ?

- Qu'est-ce qu'on en fait ?

- Ah ben oui ! »

Ruri se retourna alors et fit signe aux gardes forestiers : « Les gars, vous pouvez mettre ces idiots dans …. les ….. voitures ? »

Ce n'est qu'à cet instant qu'elle réalisa que les gardes forestiers s'étaient tous regroupés derrière les arbres, serrés les uns contre les autres. Manifestement, la petite démonstration de C17 les avaient passablement effrayés. Ruri en éclata de rire.

« Hahaha non mais quels froussards, franchement ! Mais il n'est pas dangereux voyons, regardez…..le ? » dit elle, en se tournant vers C17. Il était immobile, les bras croisés, le regard fixe, sans aucune expression sur son visage.

- Non mais si tu ne fais pas d'effort aussi, on ne va pas s'en sortir !

- Qu'est-ce que j'ai fait ?

- Tu es obligé de les regarder comme ça ?

- Avec mes yeux ?

- … boooooooooooooon laisse tomber, je m'en charge. Hey les gars, pas de panique, je gère. Donc, s'il vous plait, vous pouvez mettre ces crétins dans les voitures et vous assurer qu'ils sont en bonne santé ? Merci. C17 ?

- Oui ?

- Nous, on a du boulot, allez hop on y va.

Et alors que les gardes forestiers sortaient timidement de leur cachette et prenaient en charge les braconniers (sans quitter C17 du regard), Ruri se dirigea alors d'un pas décidé vers la barrière et le troupeau. C17 l'attrapa soudain par le bras :

- Tu vas vraiment y aller ?

- Oui, pourquoi ?

- Mais… comment… tu ne peux pas y aller.

- Ah bon ?

- Oui.

- Et pourquoi ?

- Cet animal est dangereux.

- Je sais, merci.

- Tu es une …

- Femme ? C'est ça que tu allais dire ? Ah non, pas de réflexion misogyne ici ! Alors quoi, je suis une femme, et donc je suis faible et fragile et j'ai besoin d'un homme pour m'aider parce que seule je ne peux pas y arriver ?

- ….. humaine.

- … quoi ?

- Tu es faible et fragile, comme une humaine.

- …. parce que toi tu es quoi au juste ?

C17 venait d'en dire trop. Se lancer dans une grande explication sur sa nature de cyborg l'ennuyait profondément, et de toute façon, ce n'était ni le lieu ni l'endroit.

- Laisse tomber, reprit-il, je suis juste plus puissant que toi d'accord. Tu as dit que tu étais pressée ? Alors laisse-moi l'immobiliser. Et ensuite tu iras soigner ta femelle.

- …. boooooon, puisque tu insistes autant, je t'en pris.

Il lui parut étrange qu'elle cède si facilement. Mais peu importait, l'essentiel était qu'elle accepte de le laisser faire. C17 n'avait pas l'intention de tuer ce cerf géant, mais un bon coup de poing devrait suffire à le mettre hors d'état de nuire. Il s'approcha alors de la barrière. Le cerf était toujours devant, et aussitôt qu'il aperçut C17, il se redressa complètement en pouvant un formidable grondement. Il se positionna face à lui, prêt à charger.

« Juste un coup suffira »…. pensa C17, en armant son bras. Mais alors qu'il allait s'élancer sur le monstre, Ruri se jeta devant lui et agrippa fermement son bras :

« NON, MAIS JE PEUX SAVOIR CE QUE TU COMPTES FAIRE ? » s'écria-t-elle.

Surpris, C17 s'arrêta net.

- Je vais m'occuper de lui pour qu'il reste tranquille.

- En le frappant ?

- Je ne vais pas le tuer, juste l'assommer.

- Et si tu le blesses ?

- Je sais doser ma force.

- Tu vas forcément devoir frapper plus fort qu'avec les braconniers.

- Oui mais ….

- Et donc comment tu sais que tu ne vas pas le blesser ?

- Je sais doser ma force.

- Pourquoi utiliser la force ? Pourquoi ?

- Tu veux faire comment ? Discuter avec lui ?

Ruri relâcha doucement le bras de C17. Elle s'approcha tout près de lui, et prit une profonde inspiration.

« Je t'en empêcherai », lui dit elle.

« Tu quoi ? » finit-il par répondre, interloqué

« Je t'empêcherai de lui faire du mal » reprit Ruri, toujours aussi calme.

A ces mots, C17 ne put réprimer un éclat de rire. Il fit un léger pas en avant, se rapprochant encore de la jeune femme. Tous deux étaient à présent si proches que leurs nez pouvaient presque se toucher. Il la fixa intensément. Pendant de longues secondes. Mais elle ne détourna ni ne baissa le regard. « Tu as du cran….. » se dit-il alors. Étrangement, ce n'est qu'à cet instant qu'il remarqua qu'elle avait des yeux verts, il n'en avait jamais vu auparavant.

« Tu ne peux pas m'en empêcher » murmura-t-il alors.

Ruri frissonna. Pas de peur, mais d'un sentiment étrange. C17 venait de changer de ton, et sans qu'elle ne puisse se l'expliquer, son cœur battait soudainement avec force dans sa poitrine. Elle se sentait si ….. petite tout à coup.

« J'adore ta voix…... » pensa-t-elle, cherchant par tous les moyens à soutenir son regard.

Après quelques secondes de troubles, elle reprit cependant ses esprits.

- Oui, je sais que je ne peux pas t'en empêcher.

- Alors pourquoi tu essayes ?

- Ce n'est pas parce qu'on est plus faible qu'on doit abandonner. On ne blesse pas les animaux inutilement, je ne vais pas rester les bras croisés et ne rien faire.

- Même si tu n'as aucune chance ?

- Oui.

- … admettons. Comment faire alors ?

Ruri avança alors elle aussi un tout petit peu, et cette fois elle effleura tout doucement le nez de C17, qui ne bougea pas d'un millimètre.

« Tu as de si beaux yeux » murmura-t-elle à son tour, « quel dommage de ne pas t'en servir »

C17 recula soudain. « Pardon ? »

Ruri recula également.

Aucun ne comprenait pas ce qui venait de se passer entre eux. Aucun ne voulut laisser paraître le trouble qu'ils avaient tous les deux ressentit. Ils cherchèrent tous deux par tous les moyens à garder des visages impassibles. Ce fut Ruri qui brisa la première le silence.

- Tu n'es pas très observateur, c'est un constat. Le frapper dans cette situation n'est pas nécessaire. Si j'avais ta force, je m'y prendrais tout autrement.

- Et tu ferais comment, si tu avais ma force ?

- ….. je te propose un pari. Teste ma méthode, suis mes conseils. Si j'ai tort et que ça ne fonctionne pas, tu pourras l'assommer.

- … et si ça fonctionne ?

- Alors tu me promets que tu réfléchiras à ma proposition.

- … laquelle ?

- Tu verras bien.

- Et pourquoi je ferais ça ?

- Tu as si peur de perdre le pari ?

- Peur ? Moi ? … Je n'ai pas peur du tout.

- Alors, qu'est-ce qu'on attend ?

Décidément, il n'était pas facile de la faire changer d'avis. Lassé, mais aussi amusé et de plus en plus curieux, C17 acquiesça.

- D'accord. Je dois faire quoi ?

- Entre dans son espace, laisse-le charger, saisis-le par ses bois.

- …. et ensuite ?

- Rien. Maintiens-le c'est tout. Jusqu'à qu'il relâche. Et s'il charge à nouveau, tu recommences.

- C'est tout ?

- C'est tout.

Bien que de plus en plus perplexe, C17 ne chercha pas à discuter davantage. Il pénétra à l'intérieur de l'enclos du cerf géant, qui immédiatement le chargea. Et comme Ruri l'avait suggéré, il l'attrapa fermement par les bois, et resta ensuite parfaitement immobile. Le cerf se débattit de toute sa puissance, grondant, raclant le sol, cherchant par tous les moyens à repousser C17. Mais malgré toute sa force, il n'était pas capable de le faire bouger ne serait-ce que d'un centimètre.

Au bout de plusieurs minutes de lutte infructueuse, il recula. Manifestement déstabilisé, il demeura face à C17, mais semblait hésitait à charger davantage. Son souffle était de plus en plus court, il commençait à fatiguer.

- C17 ! Maintenant, revient de ce côté, s'écria Ruri.

- Maintenant ?

- Oui, pas demain.

- D'accord.

- Attends, quand tu reviens, soulève un des poteaux et passe en dessous.

- … hein ?

- Tu soulèves un poteau et tu passes en dessous pour revenir.

- ….

- Ne pose pas de question, on teste ma méthode non ?

C17 s'exécuta, et arracha un des gigantesques poteaux ancrés au sol pour pouvoir passer en dessous. À peine venait-il de revenir dans la clairière, que Ruri lui indiqua de faire demi-tour

- Super, tu fais pareil mais dans l'autre sens maintenant.

- Tu te fiches de moi ?

- Mais non, ohlalala mais arrête un peu de discuter, soulève un poteau et rentre de nouveau dans l'enclos.

- ….. ça n'a aucun sens.

- Cherche pas à comprendre.

Encore une fois, C17 s'exécuta. Mais cette fois-ci, une fois qu'il fut de nouveau dans l'enclos, le cerf géant ne le chargea pas. Au contraire, il resta à bonne distance, secouant sa tête de gauche à droite doucement. Puis, au bout de quelques secondes, il recula. Et enfin, quand une bonne minute fut écoulée, il fit demi-tour et s'éloigna pour rejoindre les femelles (qui elles, n'avaient toujours pas bougé d'ailleurs).

C17 resta à sa place, cherchant à comprendre ce qui venait de se passer. Pourquoi est-ce qu'il n'attaquait plus ? Etait-il trop fatigué ? Il lui avait semblé en effet que le cerf commençait à montrer des signes de fatigue, mais il n'était pas à bout de forces. Pourquoi un tel changement ?

« Bon, j'arrive ! »

A peine eut-il le temps de se retourner que Ruri était à son tour entrée dans l'enclos. Immédiatement, elle se rapprocha en courant de C17 et colla son dos au sien.

- Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-il.

- Bien joué C17, tu t'en es très bien sorti.

- Je t'ai posé une question.

- Et je vais y répondre, mais d'abord laisse-moi faire ce pour quoi je suis venue. Regarde, il faut qu'on se dépêche, dit-elle en désignant le troupeau de femelles, tu la vois ?

C17 examina le troupeau. Toutes les femelles lui paraissaient identiques, des modèles réduits du mâle mais sans les cornes. Aucune différence. Sauf…. À bien y regarder, une femelle finit par attirer son attention. Elle se tenait légèrement à l'écart des autres, elle ne broutait pas, ne bougeait presque pas et sa tête était tellement penchée en avant que son museau en effleurait presque le sol.

- C'est…..

- Oui, répondit aussitôt Ruri, c'est elle. Et au vu de son comportement, elle n'est vraiment pas bien.

- Qu'est-ce qu'elle a ?

- On va bientôt le savoir. Passe-moi ton foulard.

- Pardon ?

- Ton foulard orange. Je te l'emprunte quelques minutes.

- Mais…..

- Fais-moi confiance, ma méthode marche jusqu'à présent non ?

En effet, C17 ne pouvait pas nier que pour l'instant, Ruri semblait savoir ce qu'elle faisait. Avec un léger soupir, il ôta donc son foulard, et le lui donna. La jeune femme l'enroula autour de son cou, puis déclara en riant « J'aime beaucoup le côté « cow boy » qu'il te donne, mais reconnaît que sur moi, ça a tout de suite bien plus de style ! ».

Sans attendre de réponse cependant, elle commença à s'approcher très doucement de la femelle malade, un pas après l'autre. Il ne fallut que quelques secondes pour que le mâle la repère et s'avance à son tour.

« Il va la tuer ! » pensa aussitôt C17. Il se préparait à s'interposer quand, à sa grande surprise, le cerf ne chargea pas. Il tendit son cou en direction de Ruri, puis se mit à la sentir, de bas en haut.

« Touuuuuut doux mon grand, touuuuuuut doux » murmura-t-elle alors, en restant parfaitement immobile, « tu me laisses passer n'est-ce pas ? »

Et, en effet, le cerf géant s'écarta et retourna auprès de son troupeau. Il était à présent calmé.

C17 n'en revenait pas. Pourquoi un tel changement ? Il détourna son regard de l'animal, et observa Ruri tandis qu'elle se dirigeait, cette fois beaucoup plus rapidement, vers la femelle blessée. Il devait bien l'admettre, il était impressionné. A sa place, il n'aurait su user que de la force pour maîtriser cette bête. Mais cette petite humaine, décidément, n'était pas banale. Il fallait qu'il en sache plus. Alors à son tour il s'avança, suivant Ruri en direction de la femelle.

« J'avoue que là, tu m'as impressionné », se dit-il alors, « et c'est bien la première fois qu'un humain y arrive …. »