Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

Malheureusement pour lui, C17 avait manifestement sous-estimé la difficulté de la tâche. Il survolait la savane depuis plus de 2 heures maintenant, sans succès. Il avait beaucoup de mal à repérer de si petits animaux depuis le ciel.

Il avait bien essayé de se rapprocher du sol, mais cette savane était immense, et il y avait tellement d'endroits où cette mangouste pouvait se cacher. Buissons, terriers, rochers… Il avait cherché absolument partout.

Bien sûr, il avait fini par en repérer, des mangoustes. Plein même. Trop, assurément. Il y en avait des tas, de ces petites belettes. Ruri lui avait bien donné plusieurs photos de celle qu'il devait ramener, mais une fois qu'il avait commencé à repérer des individus, il s'était retrouvé absolument incapable de reconnaître la femelle disparue. Pour lui, tous ces animaux étaient absolument identiques !

« Mais comment est-ce que je vais faire moi maintenant ? »

Il hésita un long moment. Devait-il ramener tous les animaux ? Mais alors, comment faire ? La perspective de retourner bredouille au campement et donc de perdre face à Ruri lui semblait inenvisageable. C'était à la fois une question de fierté personnelle, mais aussi car il redoutait fortement l'interrogatoire qu'il ne manquerait pas de subir à son retour. Regardant sa montre, C17 s'aperçut avec une certaine angoisse que le délai de 3 heures était à présent presque atteint. Il venait de repérer un groupe d'une vingtaine de mangoustes, le plus grand qu'il ait vu jusque-là.

« Bon, » se dit-il, « pas le choix. Je ne peux pas ramener toutes ces bestioles en même temps. Avec un peu de chance, elle est dans ce groupe. Ruri n'a pas pu trouver toute seule une aussi petite bête dans la savane. Donc, elle va sûrement rentrer bredouille. Alors je n'aurais qu'à la ramener ici. Soit j'ai raison, et j'ai gagné, soit j'ai tort, et c'est match nul. C'est toujours mieux que de perdre. »

Satisfait de son idée, C17 mémorisa bien les lieux afin d'être sûr de retrouver son chemin, et retourna au campement. Il y parvint juste avant l'expiration du délai. Il constata avec plaisir que Ruri n'était pas encore arrivée. Afin d'éviter de devoir discuter avec les gardes forestiers, il se dirigea immédiatement vers le rocher qu'il avait précédemment utilisé, et s'y assit pour attendre tranquillement.

Les minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles les humains présents au campement vaquèrent à leurs occupations sans tenir compte de la présence de C17. Tout au plus certains lui adressèrent des gestes de salutations, auquel il ne répondit d'ailleurs pas.

Une demi-heure passa ainsi.

C17 commençait à trouver le temps long. Non pas qu'il n'était pas patient. Avec sa sœur, il n'avait pas eu d'autre choix que d'apprendre à attendre, surtout quand elle se cherchait des vêtements. Mais il lui paraissait anormal que Ruri soit en retard. Dans ce cas précis, il ne pouvait s'empêcher de se demander si la jeune femme n'avait pas eu un problème. Bien que l'idée ne l'enchantait pas vraiment, il finit par se résoudre à aller parler aux gardes forestiers.

Il aborda alors le premier qu'il croisa, et l'attrapa par le bras pour l'immobiliser avant de le questionner :

- … tu sais où est Ruri ? demanda-t-il.

- Hey, mon gars ! Content que tu te décides à parler ! La petite ? Aucune idée, elle est partie par là-bas, lui répondit l'humain, en indiquant le nord-ouest. Tu t'inquiètes pour elle ?

- Non.

- Ah. J'ai cru. En tout cas tu fais bien, Ruri sait très bien se débrouiller, c'est une vraie pro ! Tu es son petit copain ?

- Non.

- Ah. J'ai cru. C'est pas fréquent qu'elle nous ramène un garçon, alors je me suis dit…

- Vous avez un moyen de …. la contacter ?

- Ah ben non, elle doit être en panne de batterie, son téléphone ne répond pas. Elle nous a dit qu'elle comptait revenir dans 3 heures.

- ça fait 3 heures 30.

- Déjà ? Ah oui, c'est curieux. Quand elle donne une heure, en général elle la respecte. Après, c'est vrai qu'elle a tendance à toujours aller se fourrer dans des situations pas possibles. Haha être son petit ami franchement, ça ne doit pas être de tout repos, hahaha !

- ….

- Tu n'es pas son petit ami, tu es sur ?

- Oui.

- Mais tu aimerais bien, hein ?

- Non.

- Ah, j'ai cru. Elle est mignonne la petite, hein ?

- …

- …

- …

- Moi je dis ça parce que la petite, on l'aime tous ici. On l'a connu, elle venait à peine de naître, et puis depuis, tu sais, ce qui s'est passé il y a trois ans….. on se sent tous un peu responsable d'elle, tu vois ?

- …...

- Elle a l'air d'une tête brûlée, mais elle est très prudente. Son seul vrai défaut c'est que quand elle a une idée dans la tête, c'est impossible de la faire changer d'avis, mais ça tu le sais déjà hein ?

- …...

- Bon, je dois y retourner, ne te fais pas de souci, ta petite copine ne risque rien va !

- Ce n'est pas ma petite copine.

- Ah, j'ai cru. Allez, salut mon gars !

C17 demeura circonspect. Ruri était prudente, certes. Il avait vu Ruri à l'œuvre, il savait ce qu'elle valait et lui faisait confiance dans sa connaissance des animaux. Cependant… cet humain venait tout de même de lui dire qu'elle n'était normalement pas en retard.

« J'espère que tu n'as pas agi stupidement, humaine ! ».

3h45. C17 décida de partir à sa recherche. Après tout, il l'accompagnait précisément pour assurer sa sécurité. Et de toute façon, il se déplaçait rapidement, faire un aller-retour ne lui prendrait pas trop de temps. Il s'éloigna du campement, et aussitôt qu'il fut hors du champ de vision des humains, il s'envola vers le nord-ouest, là où apparemment Ruri était partie.

En quelques minutes, il avait réussi à parcourir une grande distance en ligne droite, mais aucune trace de la jeune femme. Avec la caméra qu'il avait dans les yeux il arrivait à voir de nombreux détails au niveau du sol tout en restant suffisamment haut pour avoir une vision très large de son environnement. Si elle était dans les parages, elle ne pouvait pas lui échapper. Et pourtant, elle était introuvable. Il n'y avait qu'une seule explication : Ruri n'avait pas dû continuer en ligne droite. Il poursuivit donc ses recherches dans les directions alentours.

Au bout d'un certain temps, il aperçut en dessous de lui plusieurs voitures. Intrigué, il descendit un petit peu afin de pouvoir les observer de plus près. En tout, il y avait 5 jeeps, avec plusieurs hommes à leurs bords. C17 ne se souvenait pas d'eux, manifestement ils n'étaient pas présents au campement lors de son arrivée. En y regardant de plus près, Ruri n'était pas parmi eux. « Peut-être est-ce que ce sont d'autres gardes forestiers ? » pensa C17, « De toute façon, aucune importance. Mais où est-ce qu'elle est passée ? ».

Il lui fallut plus d'une vingtaine de minutes avant de repérer quelque chose de suspect. Au loin, il aperçut en effet une masse grise énorme et une forme bien plus petite qui s'agitait tout autour. Suffisamment petite pour être un humain. Il accéléra immédiatement, et une fois placé juste au-dessus, il constata que c'était bien Ruri. Elle se tenait proche d'un énorme animal qu'il ne parvenait pas à identifier. Ce dernier par contre restait immobile, tandis que la jeune femme en faisait le tour, tout en restant à distance. C17 descendit pour la rejoindre, et atterrit juste derrière elle.

« Je peux savoir ce que tu fiches ? » lui dit-il, passablement agacé.

En l'entendant, Ruri sursauta et poussa un petit cri de frayeur, avant de se retourner et de s'écrier :

« AAAAAAAH ! Non mais ça va pas de faire peur aux gens comme ça, j'ai failli faire une crise cardiaque ! ».

C17 allait lui répondre, mais en moins d'une seconde, Ruri se précipita à sa rencontre, passa ses bras autour de son cou et se blottit contre lui. « Oh je suis tellement contente que tu sois là, ça fait des heures que je t'attends, merci, merci de m'avoir trouvée, je ne savais plus du tout quoi faire ! ».

Sa réaction avait été tellement rapide que C17 n'eut absolument pas le temps de l'anticiper. Pendant 5 interminables secondes, il demeura parfaitement silencieux et immobile, décontenancé, les bras ballants le long de son corps.

Il ne savait pas du tout de ce qu'il devait faire. Il n'était pas très à l'aise avec le contact physique en général, mais surtout, il ne s'attendait pas du tout à ce qu'elle agisse ainsi. Il sentit qu'elle était très perturbée. Il pouvait percevoir l'inquiétude dans sa voix. Tandis qu'elle serait davantage son étreinte, il sentit son cœur battre, tout prêt du sien, et de plus en plus fort. Elle tremblait, de tout son corps. Visiblement, elle n'allait pas bien du tout. Mais s'il avait bien identifié sa détresse, il n'avait en revanche aucune idée de comment un humain était censé agir dans ce genre de situation.

- Euuuh, finit-il par dire, hésitant, pourquoi tu es…. comme ça …. je t'ai fait si peur ?

Il perçut de nouveaux tremblements parcourir le corps de Ruri, cette fois plus courts et rapides. En fait, elle riait doucement.

- Mais non, crétin, pas du tout. Pas du tout. C'est juste que …. j'ai pensé si fort à toi en espérant que tu me trouves.

- Crétin ?

Ruri se redressa alors très lentement, plongeant son regard dans celui de C17. Ruri lui sourit, de son sourire plein de malice qui l'amusait tant.

- Ça fait 2 fois que je le dis, et je suis toujours en vie. J'ai un traitement de faveur on dirait !

- En effet, lui répondit C17.

- J'apprécie. J'aime bien l'idée de ne pas être traitée comme tout le monde. D'autant que cette fois, c'est moi qui mériterais d'être traitée d'idiote.

- Pourquoi ?

- Parce que je suis partie sans penser une seconde à ce qu'on ait un moyen de se contacter.

- Tu as eu un souci ?

- Non. Elle.

Disant cela, Ruri se retourna en désignant l'animal que C17 avait aperçu auparavant. Sa forme lui paraissait familière, mais il n'arrivait pas à l'identifier clairement. Cela lui arrivait fréquemment d'ailleurs. Une partie de sa mémoire lui ayant été retirée, il y avait tout un tas d'objets ou de choses dans le monde qu'il n'arrivait plus à nommer, alors qu'il était certain de les avoir déjà vus.

Cette masse grise, avec de grandes oreilles et des espèces de cornes, il avait le nom sur le bout de la langue.

- C'est un éléphant, indiqua Ruri, qui décidément avait un don pour deviner ce à quoi il pensait. Une jeune femelle. Et elle est dans un sale état.

- Qu'est-ce qu'elle a ?

- Elle s'est coincée la patte dans un trou. Je ne sais pas pourquoi mais elle n'arrive pas à s'en extraire. Quand je l'ai trouvée, elle était déjà comme tu le vois, immobile. Elle doit être bloquée depuis des heures, peut être même plus. Elle est sans doute affamée, déshydratée et épuisée. J'ai essayé de m'approcher, elle est tellement faible qu'elle ne peut pas vraiment se défendre, mais impossible de voir ce qui se passe, et encore moins de la dégager de là. J'ai essayé d'appeler les gardes forestiers, mais mon portable n'a plus de batteries. Je suis partie sans vérifier, comme une idiote. Alors j'ai pensé à toi.

- A moi ?

- Oui, je me suis dit que si je ne revenais pas, tu finirais par partir à ma recherche.

- Et pas les gardes forestiers ?

- …. pas vraiment, ils me connaissent trop. Ils n'allaient pas s'inquiéter pour un petit retard. Tu étais mon seul ….. espoir.

- Ah bon ?

- Mais oui, parce que tu es…. Comme tu es. Toi, tu peux la sortir de là. Il faut la sortir de ce trou et la faire boire rapidement. Même si les gardes forestiers étaient venus, ils n'auraient pas pu sortir rapidement cet animal si lourd. Mais toi, soulever un éléphant, ça ne devrait pas être trop difficile, non ?

- Non.

- …..Hahaha vraiment, j'adore ce côté chez toi.

- Quel côté ?

- Soulever un éléphant ? Pas de problème. Arrêter ce cerf géant à mains nues ? Ok. Hahaha, tu es tellement sincère en plus quand tu dis ça, tu ne vois même pas que c'est …. surprenant ?

- Si.

- Hahaha tu le fais encore ! Tu es doué pour me faire rire, c'est déjà ça. Tu veux bien m'aider à la sortir de là ?

- Oui.

- Merci. Elle ne devrait pas se débattre. Fais juste doucement, d'accord ?

- Ok.

C17 se dirigea alors vers l'éléphante. Cette dernière ouvrit un œil, elle était donc encore consciente. Cependant, et comme Ruri l'avait dit, elle n'était plus en mesure de bouger, et C17 put ainsi s'approcher jusqu'à pouvoir la toucher. Il examina le trou. Il n'était pas très large, mais semblait profond. Il plaça ses mains sous le ventre de l'animal, et tenta de la soulever. Il se rendit néanmoins aussitôt compte que quelque chose retenait sa patte au fond du trou. S'il continuait à forcer, il allait sans aucun doute la blesser. Il retourna donc examiner le trou.

Ne décelant rien de particulier à première vue, il décida d'y plonger sa main. Il sentit sous ses doigts une substance étrange, collante. C'était cela qui retenait l'animal et l'empêchait de se dégager. Délicatement, C17 se saisit cette fois uniquement de la patte de l'éléphante avec sa main gauche, et il la décolla du sol, juste un petit peu. Des filaments de la substance se formèrent aussitôt, et d'un coup sec, C17 les trancha avec sa main droite. Puis, il retourna se positionner près du ventre de l'éléphante. Et cette fois, il put sans aucune difficulté la soulever. Portant l'animal sur son dos, il décolla légèrement du sol, et se tourna vers Ruri.

« Alors », lui dit-il, « je fais quoi maintenant ? »

De son côté, Ruri n'avait pas vraiment pu voir ce qu'il avait fait pour parvenir à la libérer. Mais elle était sidérée. Il était là, devant elle, portant sur son dos un animal pesant plusieurs tonnes comme si de rien n'était. Il n'avait même pas l'air de forcer, et la regardait avec un air tellement détaché et naturel qu'il parvenait presque à rendre normale une situation qui ne l'était pas du tout.

Elle se reprit cependant rapidement.

- La priorité, répondit-elle, c'est de la faire boire. Il y a un point d'eau pas très loin, sur la gauche. Tu dois l'y conduire. Vole doucement et pas trop haut. Une fois là-bas, dépose-la près de l'eau, et fais la boire. Il faudra peut-être la forcer un peu mais c'est pas grave.

- Ok. Et toi ?

- Je t'y rejoins.

- Comment ?

- T'inquiètes pas, j'ai de la ressource. Allez, vas-y vite !

C17 s'exécuta et emporta l'animal vers le point d'eau le plus proche. Une fois seule, Ruri se dirigea vers ce fameux trou pour l'examiner. Il était drôlement bien creusé et régulier. Elle tapota la terre au fond du trou, et sentit elle aussi la substance collante qui en recouvrait le fond.

Pas de doute.

« Un piège …. » murmura-t-elle, avant de se mettre en route pour rejoindre C17.