Année : 771
Un peu plus de 3 ans après le Cell Game
Transporter l'éléphante n'avait pas été trop compliqué pour C17. Pour lui, elle ne pesait pas grand-chose. Elle était également tellement faible qu'elle ne bougeait pratiquement pas. En quelques minutes il avait localisé et rejoint le point d'eau.
Mais une fois arrivé sur place, il avait été confronté à un tout autre problème. Comment la faire boire ?
C17 ne s'y connaissait pas plus en comportement animal qu'en comportement humain à vrai dire. Pour commencer, il avait essayé d'arroser un peu l'éléphante en prenant un peu d'eau dans ses mains et en la faisant couler sur sa tête. Sans grand succès. Elle avait un peu réagi en remuant, mais sans boire pour autant.
« Il faudra peut-être la forcer un peu »… Les paroles de Ruri lui revinrent en mémoire. Facile à dire, mais pas si simple à faire. Il essaya donc de prendre la tête de l'éléphante et de la plonger partiellement dans l'eau. Mais cette fois-ci, cette dernière ne se laissa pas faire et se secoua vivement pour se dégager. C17 la relâcha immédiatement. Il contrôlait sa force, mais il n'était pas sur d'y arriver si elle se débattait. En maintenant une telle pression sur elle, il prenait le risque de sérieusement la blesser.
Sans solution, C17 décida de prendre quelques minutes pour réfléchir. L'option la plus simple était d'attendre que Ruri arrive, elle saurait sans aucun doute quoi faire. Mais elle lui avait aussi dit qu'il fallait faire vite. Est-ce qu'il ne serait pas trop tard ? « Dans quel pétrin je me suis encore mis moi…. ». Cette pensée lui vint subitement. Après tout, rien ne l'obligeait à rester ici, à prendre soin d'un éléphant. Cette situation était tout simplement ridicule pour lui. Toutes ces histoires ne le concernaient pas. Alors, pourquoi rester ?
À peine cette pensée avait-elle affleuré dans son esprit qu'il fut saisi d'une sensation étrange. Soudain, il repensa à Ruri, blottie contre lui, quelques minutes auparavant. Il avait été plus que surpris de son attitude, mais sur le moment il n'avait pas vraiment eu le temps d'analyser ce qu'il se passait. C17 n'aimait pas vraiment qu'on le touche. Après avoir été capturé par le Dr Gero, lui et sa sœur étaient restés des années dans son laboratoire. Le processus de cybernétisation qu'ils y avaient subis avait été long, et douloureux. Son corps l'avait fait souffrir pendant de longs mois avant qu'il n'acquière sa force et sa résistance actuelle. Marqué au plus profond de lui, il en avait gardé une aversion pour le contact physique. Comme si par réflexe il associait la sensation du toucher aux souffrances qu'il avait enduré.
Mais il n'avait pas repoussé Ruri. Pourquoi ? En fait, quand il l'avait senti tremblante près de lui, soudain elle lui était apparue si frêle, si fragile. Elle lui avait dit avoir besoin de son aide, et c'était bien la première fois que quelqu'un lui faisait ressentir ça.
En y repensant, ces quelques secondes n'avaient pas été si désagréables que cela finalement...
C17 regarda de nouveau l'éléphante. Elle ne bougeait pratiquement pas, mais c'était évident qu'elle souffrait. Elle était haletante, gardait ses yeux fermés et poussaient de temps de temps des très faibles gémissements. Elle aussi, avait besoin de son aide.
« D'accord, tu as gagné… je reste » finit-il par dire, avant de retourner au point d'eau. Il prit dans sa main la plus grande quantité d'eau qu'il put, et la versa doucement dans la bouche de l'animal. Cette dernière réagit, mais ne but pas pour autant. Mais cette fois, C17 ne comptait pas abandonner. Avec la femelle cerf, il avait constaté qu'il était possible de se faire comprendre d'un animal et de le rassurer en prenant un ton calme. Alors il recommença, encore et encore, lui amenant toujours un peu plus d'eau, et en prenant le temps de lui parler doucement.
« Allez, tu dois boire. Je ne te veux aucun mal, tout va bien se passer. Mais tu dois boire. »
Et finalement, petit à petit, l'éléphante sembla en effet se calmer. Elle cessa de haleter. Elle finit par ouvrir un œil, puis deux. Son regard était fixé sur C17, elle observait le moindre de ses mouvements. Et enfin, elle accepta de boire. D'abord doucement, puis de plus en plus.
« Oui, c'est bien ma grande, continue ! » l'encouragea immédiatement C17. À sa grande satisfaction, l'éléphante finit par tenter de se relever. Il vint aussitôt l'aider, et la souleva délicatement pour qu'elle puisse se remettre sur pieds. Il la guida ensuite vers le rebord du point d'eau, et enfin, l'éléphante se pencha et se mit à boire toute seule.
« Haha super ! Voilà, allez, continue encore, ça va te faire du bien ! » s'écria-t-il.
C17 se sentit envahi par une nouvelle sensation qu'il n'expliquait pas. Il était réellement joyeux, fier d'avoir réussi et surtout, il était très sincèrement heureux de voir cet animal qui paraissait sur le point de mourir en train de guérir.
« Alors là, vraiment, tu m'épates C17 »…
Il se retourna immédiatement. Ruri était là, à quelques mètres de lui.
Il s'arrêta net, confus. Il espérait sincèrement qu'elle ne l'avait pas vu « exulter » comme il venait de le faire. De son côté, la jeune femme n'avait rien raté des dernières secondes. Voir C17 se démener autant l'avait emplie de satisfaction, elle était ravie de voir qu'il pouvait être sensible au sort d'un animal. Mais elle avait été surtout très surprise de la tendresse et de l'intérêt dont il avait fait preuve. Dès leur première rencontre, elle avait tout de suite perçu qu'il n'était pas aussi froid que son attitude détachée pouvait le laisser paraître. Il n'était non plus clairement pas dangereux, mais elle n'imaginait pas qu'il pouvait être aussi attentionné, aussi…. gentil. Tout à coup, il lui apparut sous un jour complètement nouveau. Comme si une part de sa personnalité venait de transparaître, de refaire surface.
En y réfléchissant, lors de leurs conversations des derniers jours, il lui était arrivé de lui répondre de façon différente qu'au tout début. Une forme de complicité commençait à se faire entre eux. Ruri aimait beaucoup rire, et elle avait tendance à taquiner ses interlocuteurs. C17 était resté relativement hermétique à ses plaisanteries mais de temps en temps, il paraissait rentrer dans son jeu. Elle l'avait même surpris à sourire discrètement à quelques blagues. En fait, elle en était sûre à présent, il n'avait pas toujours été cet être silencieux, distant et relativement imperturbable. Cette personnalité qu'il montrait, ce n'était pas C17. Pas le vrai. Quelque chose avait dû advenir qui l'avait rendu comme ça. « Sans doute rien de très agréable…. Qu'est-ce qui t'as donc tant fait souffrir C17 ? » pensa-t-elle.
Cette simple pensée lui déclencha une vive douleur. Elle voulut soudain tout savoir sur lui. Qui était-il ? Et que lui était-il arrivé ? En tout cas, dès cet instant, Ruri cessa de voir en C17 un « simple » garde du corps dont elle cherchait le soutien dans sa future expédition. Un sentiment bien plus fort commençait à naître en elle. Un mélange d'attendrissement, de curiosité, une envie d'être auprès de lui, de le connaître, de le comprendre, de le soutenir, de le faire rire….
C'était la première fois qu'un homme lui faisait ressentir quelque chose d'aussi fort. C'était étrange, instantané, complètement illogique.
« Alors, tu nous as retrouvés ? »
Entendre la voix de C17 permit à Ruri de reprendre ses esprits. Elle le regarda, et nota immédiatement qu'il n'était pas tout à fait comme d'habitude. Son regard était différent. Il avait les yeux grands ouverts, en fait… il était…. gêné, et tentait visiblement de ne pas le montrer. Aussitôt qu'elle le comprit, le cœur de Ruri lui sembla fondre dans sa poitrine.
« Ooooooh mais tu es trop mignoooooooooooooooooooon ! » se dit-elle, « hahaha mais tu es irrésistible C17 en fait ! ».
Elle décida de ne pas trop le tourmenter, et se contenta de sourire.
- Ben oui, je sais où se trouve le point d'eau, c'est moi qui t'en ai parlé.
- Ah.
- Tu es très doué avec les animaux.
- Ah.
- Franchement, bravo. Elle s'est remis à boire. C'est très bien. Est-ce que tu as vu si elle a des blessures ?
- Non, je n'ai rien vu de particulier.
- Parfait. De toute façon les éléphants cicatrisent bien en général, ils guérissent vite. Du moment qu'elle a bu, c'est l'essentiel. Elle est sauvée. C'est vraiment une chance que tu sois avec moi C17, grâce à ta force et à ta vitesse on a pu l'amener ici en un temps record ! Seule, ou même avec les gardes, nous n'aurions peut-être pas pu faire grand-chose.
- ….Vraiment ?
- Comment tu fais au fait ?
- Comment je fais quoi ?
- Voler.
- Je ne sais pas.
- C'est vraiiiiiiiiiiiment pas sympa de pas partager.
- Non, vraiment, je …. ne sais pas. C'est …. compliqué.
- … mmmmmmmmmmmmmmmh.
C17 eu un éclat de rire en l'entendant marmonner.
- Quoi ?
- Non, rien. Tu prends note, c'est ça ?
- En effet.
- ….. mais, et toi, comment as-tu fait pour arriver si vite ? Cela ne fait pas si longtemps que je suis ici.
- Avec ça.
Ruri lui fit alors signe de regarder derrière elle. C17 aperçut alors une petite moto, garée juste derrière.
- …. d'où sort….
- De ma boite à capsule.
- …...Tu ne m'avais pas dit que tu avais une moto.
- Tu ne m'as pas posé la question, répondit Ruri en lui faisant un clin d'œil. J'ai toujours ma petite mobylette sur moi au cas où. Tu croyais quand même pas que j'allais parcourir la savane à pied aller-retour en moins de 3 heures non ?
- ….Ah.
- Tu comptais sur le fait que j'allais me déplacer à pied pour gagner le défi ?
- …. non.
- Hahahahaaaaaaaaa alors là, tu mens. Tu pensais vraiment avoir un énorme avantage hein, avouuuuuuuuuuuuue !
- Peu importe, aucun de nous n'a trouvé cette belette.
- Mangouste. Et puis parle pour toi C17, je l'ai trouvé moi.
- ….. pardon ?
Sans répondre, Ruri se dirigea vers la moto, et détacha un objet qui était arrimé sur le siège arrière. Puis, elle revient près de C17, et lui présenta alors ce qu'elle venait de saisir. Une cage. Et dans cette cage, il y avait bien une mangouste.
- Elle n'a pas été difficile à trouver. Les gardes forestiers ici sont très gentils, mais ce ne sont pas de grands pisteurs, expliqua Ruri, elle n'était pas très loin de son terrier d'origine. J'ai mis environ une heure à la retrouver. Elle va parfaitement bien, mais sans doute que la pile de son collier de suivi ne marche plus.
C17 restait sceptique.
- Comment tu sais que c'est la bonne ? demanda-t-il.
- C'est la bonne.
- Comment tu le sais ?
- Sur la photo, tu peux voir qu'elle a une tache noire en forme de croix sur le crane. C'est très reconnaissable, non ?
Après vérification, C17 dut se rendre à l'évidence : il n'avait pas du tout remarqué cette tâche que l'on voyait pourtant très bien sur la photo. Et que l'animal qui était dans la cage présentait bien. « Quel idiot ! » se dit-il immédiatement, quand soudain un détail lui revint.
- …. d'où sort cette cage ?
- De ma boite à capsule aussi.
- Je me doute. Et si j'avais vu cette belette ….
- Mangouste.
- Oui, peu importe. Si je l'avais trouvé avant toi, j'étais supposé la capturer comment ?
- Ben dans ta cage.
- … quelle cage ?
- Celle que je t'ai donnée.
- …..
- …
- Tu ne m'as donné aucune cage.
- Bien sûr que si.
- Bien sûr que non.
- Si.
- Non.
- …. tu es sur ?
- OUI je suis sur !
- Ah ben mince, répondit Ruri après avoir vérifié qu'en effet, elle avait toujours sa seconde cage dans sa boite à capsules, c'est vrai. J'ai oublié !
- Tu as oublié ? s'exclama alors C17.
- Ben oui, j'ai pas l'habitude de travailler en équipe moi ! Roooooooh c'est bon, tu vas pas en faire toute une histoire hein !
- …
- De toute façon, ça n'a pas d'importance. Nous avons perdu tous les deux.
- Tu as capturé la mangouste.
- Oui, mais comme après j'ai croisé l'éléphante, je ne suis pas retournée au camp dans le délai imparti. J'ai donc perdu aussi. Tant pis, match nul. Ça te va ?
C17 n'était pas vraiment en colère. En fait, Ruri était parfois vraiment agaçante, mais elle était si souriante…. Il n'arrivait vraiment pas à lui en vouloir. De plus, il le savait maintenant, ce n'était pas une menteuse. Elle avait vraiment dû oublier de lui donner une cage. Et puis, il devait bien le reconnaître, si elle n'avait pas rencontré l'éléphante, elle aurait réussi le défi, et haut la main. Cette petite humaine était décidément pleine de surprise.
- ….. tu vas peut-être trouver ça prétentieux, finit-il par dire, mais jamais encore je n'ai été battu par une…...enfin, c'est rare que je sois battu. Vraiment rare. Je reconnais que je pensais m'en sortir bien mieux que toi…
- Il ne suffit pas d'être balèze, avoir un cerveau c'est bien aussi, l'interrompit Ruri en riant. C'était la leçon du jour.
- … Merci. Et donc, je t'en accorde 2.
- 2 quoi ?
- 2 questions. Au lieu de 3, à cause du retard. Mais j'accepte de répondre à 2 questions.
- SERIEUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUX ?
- Oui.
- TROP COOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOL ! Très fair play, c'est classe.
- En effet.
- Hahahaha génial, prépare-toi à subir l'interrogatoire, je vais te faire regretter ta proposition !
- A vrai dire, je la regrette déjà un peu.
Disant cela, C17 se mit à sourire, de ce petit sourire en coin qui commençait vraiment à faire craquer Ruri.
- Haha, c'est clair, lui dit-elle en retour, mais avant, on doit ramener l'éléphante près de son troupeau. Tu pourrais …. te mettre un peu en hauteur ? Et essayer de repérer plusieurs éléphants qui se déplacent ensemble ?
- Pas de problème.
- Je dois te dire une chose C17: en toute sincérité, tu es de loin le truc le plus pratique que j'ai jamais emmené avec moi en expédition.
- …. truc ?
- Oui, en fait tu es bien plus utile que ma mobylette.
- … c'est un compliment ?
- Absolument.
- …. euh…. Merci ?
- De rien ! Bon et sinon, tu y vas ? On va pas rester ici toute la journée non plus.
Ils échangèrent un court regard.
« Petite effrontée…... » pensa C17, amusé. Mais il s'exécuta sans discuter, et en quelques minutes, il avait repéré un troupeau d'éléphants. Par chance, il ne se trouvait pas très loin de là où ils étaient. Le trajet pouvait se faire à pied. Ruri avait sur elle du matériel, et notamment une corde. L'éléphante semblait à présent rétablie, et elle n'était pas du tout effrayée par C17. Il put ainsi lui enrouler la corde sans problème.
Puis, tous 3 se mirent en route, Ruri et C17 avançant côte à côte, en silence.
- Tu sais, finit néanmoins par dire Ruri, tu es quand même très doué avec les animaux. Je veux dire, au-delà de ce que tu arrives à faire par ta force, tu as un bon feeling avec eux. Ça se sent.
- Ah bon ?
- Oui, ce n'est pas banal d'arriver à promener un éléphant en laisse comme tu le fais. Ce n'est pas donné à tout le monde, je t'assure.
- Ah bon ?
- Tu veux mon avis ? En fait c'est parce que tu n'as pas peur d'eux. Tu es si puissant que tu sais que tu ne risques rien. Et donc tu es parfaitement calme. C'est sans doute ce qui te permet de les apaiser aussi vite et qui fait qu'ils se laissent approcher.
- Ah.
Ils continuèrent de marcher en silence encore pendant quelques mètres, quand cette fois ce fut C17 qui reprit la parole.
- … euh, Ruri ?
C'était bien la première fois depuis leur rencontre qu'il l'appelait par son prénom, et qu'il était même à l'initiative d'une conversation. Ce qui n'échappa évidemment pas à la jeune femme.
- Oui ?
- Comment tu as fait pour retrouver la mangouste ?
- J'ai suivi sa piste.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- ça veut dire que ….. en fait il faut repérer les traces que laisse un animal quand il se déplace.
- Les traces ?
- Oui. Exactement comme un prédateur qui chasse une proie. Sauf que les humains n'ont pas de grands avantages pour faire ça.
- Ah bon ?
- Oui. Leur odorat est très mauvais et ils ne voient pas de très loin. Par contre, nous avons une grande capacité de déduction. Par exemple, suivre les traces de pas que fait un animal dans le sol, c'est un truc que seuls les humains savent faire.
- Vraiment ?
- Vraiment. Et c'est ça que je fais en fait. Je suis les traces. Et crois-moi, je suis la meilleure.
- Ah.
- …Tu ….. voudrais apprendre ?
- … oui.
- Si tu veux, une fois qu'on en a fini ici…. Je t'apprendrai.
- ….. ok.
- Alors, on se dépêche de ramener cette jeune demoiselle et l'autre fugueuse dans leurs familles, et on file pour ta première leçon de pistage !
- Entendu.
Il avait répondu avec tellement d'enthousiasme (bien entendu, l'enthousiasme chez C17 ne se manifestait pas de façon très exubérante; tout au plus avait-il eu un sourire plus appuyé que d'ordinaire), que Ruri arrivait difficilement à contenir son excitation. La perspective de partager du temps avec lui, de discuter, d'avoir des moments de complicité la mit soudainement dans une grande joie, qu'elle avait du mal à expliquer, mais surtout à contenir.
A tel point qu'elle en oublia de parler à C17 de ses inquiétudes quant au trou qu'elle avait examiné. Car si c'était bien un piège, par qui avait-il été posé ?
