Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

Ils formaient un drôle d'équipage, C17 promenant l'éléphante au bout d'une corde, et Ruri poussant sa petite moto sur laquelle était toujours posée la cage contenant la mangouste égarée. C'était la première fois depuis leur départ qu'ils avaient agi ainsi, en équipe. Pour Ruri, c'était une très agréable surprise. Bien sûr, elle avait cherché dès le départ à établir un lien avec C17, mais il ne lui avait pas vraiment facilité la tâche. Sans être désagréable, il limitait tellement ses interactions avec les autres au strict minimum qu'elle avait vraiment fini par douter de leur capacité à vivre ainsi ensemble pendant des mois. Et pourtant, il semblait bien qu'elle était en train de fissurer cette armure qu'il paraissait porter en permanence.

Mais c'était bien C17 qui était le plus étonné. Depuis son « éveil » dans le laboratoire du Dr Gero, il n'avait jamais fait équipe qu'avec C18. Sa sœur et lui partageaient un lien spécial, qui leur était d'ailleurs très utile s'ils se battaient ensemble. Ils étaient naturellement synchrones, chacun pouvant anticiper les actions de l'autre. En ça, ils formaient le plus efficace des duos, bien qu'ils n'aient jamais vraiment exploités ce talent en combats réels. Tous deux préféraient de loin le combat singulier. Mais malgré leurs différences de caractère, ils étaient bien complémentaires.

Il était donc assez surpris de retrouver avec Ruri quelque chose de similaire. Ce n'était pas identique, il ne ressentait pas une telle connexion avec elle. Cependant, en sa présence, il se sentait à l'aise. Voyager avec elle lui semblait naturel, à tel point que même sans le vouloir il s'était petit à petit mis à répondre à ses questions, à discuter avec elle.

Et ensemble, ils formaient une équipe somme toute assez efficace.

C'était une sensation étrange. Il se sentait simplement étonnamment « bien » quand elle était là.

Au bout d'environ 1/2 heure de marche, ils avaient enfin rejoint le troupeau d'éléphant.

Aussitôt qu'il fut en vue, la jeune éléphante se mit à s'agiter. Ruri prit alors les choses en main, et fit signe à C17 de s'arrêter.

- Booooooon, commença-t-elle, on dirait qu'on a de la chance. Si elle s'agite comme ça, c'est que c'est sans doute son troupeau.

- Qu'est-ce qu'on fait alors ?

- Détache-la, et laisse-la faire. On reste en retrait, et on observe.

C17 détacha donc l'éléphante, qui immédiatement se dirigea vers les autres membres du troupeau. Ceux-ci la repérèrent également très vite. Il assista alors à une scène étrange : tous poussèrent de longs cris, se précipitèrent vers la jeune femelle en agitant leurs oreilles, et se mirer à échanger des caresses avec leurs trompes.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il à Ruri.

- Disons que là, c'est un peu la fête. Elles lui signifient qu'elles sont contentes de la retrouver.

- Elles ?

- Oui les femelles vivent ensemble, en troupeau. Donc à part les bébés, les adultes sont sûrement toutes des femelles.

- Mais le grand là, c'est le mâle dominant ? répondit C17, en désignant un éléphant bien plus gros que les autres.

- Mmmmmmmmm non, je ne pense pas. Les mâles ont en général de très grandes défenses, les espèces de dents qui dépassent, et cet animal n'en a pas. C'est la matriarche.

- La quoi ?

- La plus âgée des femelles. C'est elle le chef ici.

- Mais….. les cerfs, il n'y avait aussi que des femelles, et un ….

- Tous les animaux ne sont pas organisés de la même façon.

- Ah bon ?

- Pas du tout. Selon les espèces, c'est très différent. Tu vois, les éléphants sont des animaux très intelligents. A quoi on voit leur intelligence ? Deux choses. La richesse de leur langage…

- Ils parlent ?

- Hahaha pas avec des mots, mais oui, ils ont un langage très complexe. Tu ne savais pas que les animaux pouvaient faire ça ?

- Non.

- Avec un peu d'expérience et d'instinct, on peut même apprendre leur langage. Et communiquer avec eux. Si ça aussi, ça t'intéresse… je peux t'apprendre ?

- Oui. Et c'est quoi la deuxième preuve d'intelligence ?

- Les femelles vivent en groupe, et sans les mâles, qui eux vivent seuls.

- En quoi c'est une preuve d'intelligence ?

- C'est surtout une preuve d'intelligence des femelles.

- En quoi ?

- Parce que les mâles sont des crétins de manière générale. Toute espèce confondue. Elles sont malignes, elles ont compris qu'elles se débrouilleraient bien mieux sans ces lourdauds.

- ….. ah … bon ?

Ruri fut soudain prise d'un énorme fou rire. C17 avait le visage si sérieux, seuls ses yeux exprimaient une interrogation sincère.

- Hahahahaha mais non ! C'est une blague ! Je te fais marcher !

- …. ah.

- Rappelle-moi de rajouter « sensibilisation à l'humour » dans la liste des choses que je dois t'apprendre, à mon avis ça peut servir.

C17 n'était pas sûr d'avoir vraiment saisi la plaisanterie, mais en voyant le sourire de Ruri et son regard si joyeux, il ne put s'empêcher de sourire, lui aussi.

- Bon, et maintenant ? reprit-il, après quelques secondes.

- On peut essayer de s'approcher un peu pour les observer si tu veux.

- Ok.

Mais à peine avaient-ils fait quelques pas en direction du troupeau que la matriarche se dressa devant eux, et poussa un long et puissant cri.

Ruri fit signe à C17 de s'arrêter de nouveau.

- Première leçon, lui dit-elle. Là, elle nous parle. Si tu devais me traduire ce que tu penses qu'elle vient de nous dire en une phrase, tu dirais quoi ?

- …..

- Fais confiance à ton instinct.

- Je dirais…. « n'avancez pas, sinon j'attaque »

- Hahaha, oui, plutôt bien traduit. Elle nous avertit de ne pas aller plus loin. Retiens bien ça : les animaux évitent en général la confrontation inutile, pour ne pas se blesser. Dans la nature, être blessé signifie mourir. Donc, si tu fais attention aux signaux, tu éviteras la plupart des scénarios catastrophes.

- Ok.

- Remarque, je dis ça, mais en fait tu n'as pas vraiment besoin de ce genre de précaution en fait.

- Oui, mais tu m'as demandé de ne pas blesser les animaux, donc je dois éviter de les provoquer.

- …. en effet. Merci.

- Donc on s'en va ?

- Pas forcément. On recule de quelques pas, et on reste en observation. Soit elle nous chasse, soit elle nous tolère. Et on verra bien ce qu'on arrive à obtenir. Non ?

- Ok.

C17 et Ruri reculèrent donc de quelques pas, mais restèrent à proximité du troupeau. La matriarche resta à les observer, sans pour autant charger ou se montrer agressive. Finalement, au bout de quelques minutes, la jeune femelle refit son apparition, et s'approcha doucement.

- Ne bouge pas, murmura Ruri. Laisse faire, ne bouge pas.

C17 demeura donc immobile, tandis que l'animal n'était plus qu'à quelques mètres. Soudain, la jeune femelle tendit sa trompe dans sa direction.

- Je fais quoi ? demanda C17 à voix basse.

- Jette un œil à la matriarche, chuchota Ruri en réponse, si tu sens qu'elle t'autorise, tends ton bras et caresse sa trompe.

- Quoi ?

- Oui, elle te tend sa trompe, c'est un signe amical.

Après une petite hésitation, C17 tendit finalement son bras et posa sa main sur la trompe de la jeune éléphante, qui émit une sorte de petit soufflement.

- Je crois qu'elle te dit merci, commenta Ruri en souriant.

- …. oui, répondit C17, je crois.

- Bon, maintenant tu retires doucement ta main, et on commence à reculer tranquillement.

- ok.

Étrangement pour lui, C17 accordait à Ruri une confiance totale. Il s'exécuta donc, de nouveau, sans discuter, et tous deux s'éloignèrent peu à peu du troupeau. Quand ils furent suffisamment loin, il lui demanda cependant pourquoi ils avaient dû mettre de la distance avec les animaux.

- En fait, lui expliqua Ruri, il ne faut pas trop être proche des animaux sauvages. Sinon, ils peuvent avoir trop confiance dans les humains. Mais ce n'est pas une bonne idée. C'est dangereux qu'ils n'aient pas peur des humains.

- Pourquoi ?

- Tous les humains ne sont pas bien intentionnés envers les animaux tu sais….. certains sont même …

Sur ces mots, Ruri s'arrêta net.

- Oh non. Non, non, non, non !

Ses yeux étaient écarquillés et elle était très agitée. Remarquant son changement d'attitude, C17 se tourna vers elle.

- Qu'est-ce qui t'arrives ?

- J'étais… contente de….. et du coup j'ai oublié. Complètement oublié !

- Oublié quoi ?

- De te parler du trou. Tu sais, le trou dans lequel l'éléphante était coincée. Je l'ai examiné après ton départ. C'était un piège. Et ce sont forcément des humains qui en sont à l'origine.

- Un piège ?

- Oui. Tu n'as pas vu comme il était régulier, droit… Il a été creusé avec une pelle. Et cette espèce de colle au fond... C'est forcément un piège, et il a forcément été posé par des braconniers. Ils ont sans doute voulu immobiliser des animaux. En faisant ainsi, ils peuvent couvrir un large territoire, et surtout, laisser l'animal s'épuiser des heures à essayer de se libérer. Ils n'ont plus alors qu'à venir l'achever, sans effort et sans danger. Il doit y avoir des braconniers dans les parages.

Immédiatement, C17 compris.

Les humains qu'il avait aperçus pendant qu'il était à la recherche de Ruri et dont il avait pensé qu'il s'agissait d'autres gardes forestiers, et si c'était en fait des braconniers, des tueurs d'animaux ? « Quel idiot ! » pensa-t-il, « j'aurais dû lui en parler ! ». Il réalisa qu'il s'était laissé distraire par le fait qu'il passait un moment extrêmement agréable lui aussi. Être proche de Ruri, discuter avec elle, le contact avec les animaux, tout ce qu'elle lui apprenait… il s'était senti tellement bien, en confiance, complice...Il venait de manquer de vigilance.

Un sentiment de colère le traversa alors. Une colère envers lui-même. Depuis des années, il était resté sur ses gardes, en permanence, tout le temps. Comme si tout pouvait de nouveau basculer, en un instant. Comme après son éveil. Il avait été si heureux pendant son voyage à la recherche de Goku, si heureux d'être libre, enfin. Et en seulement quelques secondes, tout avait basculé. Parce qu'il avait manqué de vigilance. Parce qu'il avait baissé sa garde. Et ensuite… par sa faute, il avait été absorbé par Cell, mais surtout, il avait indirectement condamné C18 à subir le même sort. Et si sa sœur avait pu être ressuscitée, C16 lui, était bien mort.

Et voilà que ça recommençait. Il se détestait d'avoir été si naïf.

« C17, est-ce que tout va bien ? »

La voix de Ruri résonna dans ses oreilles et le fit brutalement revenir à lui. Quand il la regarda, il s'aperçut qu'elle semblait très inquiète. Et elle l'était. Car à l'instant où elle avait parlé des braconniers, C17 s'était comme figé. En quelques secondes, il avait serré ses poings, ne disant plus un mot. Elle qui trouvait d'ordinaire magnifiques ses yeux d'un bleu si clair s'était senti soudain mal à l'aise en constatant la dureté froide, même glaciale, qu'avait pris son regard.

En la voyant ainsi, C17 réalisa qu'il était en train de l'effrayer. Et il ne le souhaitait pas. Il avait fui autant que possible le contact avec les autres depuis des années, mais Ruri était différente. Elle le faisait rire, elle le faisait se sentir bien. Il ne voulait pas du tout lui inspirer de la peur.

« Oui, ça va », lui dit-il, d'un ton aussi calme que possible.

Un peu rassurée de le voir se radoucir, Ruri esquissa un petit sourire.

- Tant mieux, répondit-elle, j'ai cru que …. enfin ….. que quelque chose ….

C17 l'interrompit.

- Quand je suis parti à ta recherche, j'ai vu des hommes. Ils étaient plusieurs dans des voitures. J'ai pensé que c'était des gardes forestiers, alors je ne me suis pas attardé. Je suis …. désolé. J'aurais dû t'en parler.

- …. il y a combien de temps ?

- ça doit faire une heure.

Ruri cessa alors de sourire. Abattue, elle s'agenouilla et prit son visage dans ses mains, poussant un long soupir plaintif.

- Une heure, murmura-t-elle alors, oh mais c'est pas vrai…

- Tu crois que ce sont des braconniers ? Que ce sont eux qui ont posé le piège ? lui répondit C17 en s'agenouillant aussi près d'elle.

- Tous les gardes forestiers du parc étaient au camp C17, je les connais tous. Si les hommes que tu as vu étaient différents, alors oui, c'était forcément eux.

- Et ….. ils veulent tuer des animaux c'est ça ?

- Sans aucun doute. C'est trop tard. Oh mon dieu C17 je suis tellement désolée…

- Désolée de quoi ?

- Tout est de ma faute, pas de la tienne. Tu ne connais pas ce parc, les gens, ce n'est pas ton domaine, c'est le mien. Tu ne pouvais pas te douter de qui ils étaient, et tu étais à ma recherche. C'est ma faute. Si je t'avais parlé du piège immédiatement…. Tout est de ma faute. Et maintenant c'est trop tard…

- Trop tard pour quoi ?

- Pour les rattraper. Ils peuvent être n'importe où maintenant, si ça fait une heure que tu les as croisés. Ils ont peut-être même réussi à tuer des animaux. C'est fichu maintenant. Ce n'est pas avec ma mobylette qu'on va les rattraper. Oh, désolée je…..

Elle ne parvint pas à finir sa phrase, et éclata en sanglots. C17 vit bien qu'elle essayait de se retenir, mais sans succès. Tout juste parvenait-elle à amoindrir le flot de ses larmes, ce qui n'avait comme conséquence que de la faire hoqueter. Au demeurant, cela lui donnait un air un peu pathétique, que C17 ne pouvait pas s'empêcher de trouver très drôle.

Il fit alors quelque chose qu'il n'avait encore jamais fait de toute sa vie.

Il posa sa main droite sur la tempe de Ruri, et très doucement, la fit passer en une délicate caresse le long de ses cheveux. Ruri, abasourdie par une telle marque de tendresse, ne sût pas du tout comment réagir. Elle regarda C17, et s'aperçut qu'il lui souriait. Son regard avait complètement changé. Il était à présent plein de gentillesse. Il dégageait un tel sentiment d'assurance, de bienveillance, qu'elle se sentit immédiatement en sécurité et cessa de pleurer.

C17 essuya la dernière larme qui coulait le long de la joue de Ruri, et d'une voix incroyablement sereine, il lui dit :

- C'est trop tard pour un humain normal. Mais pas pour moi. Je te garantis que je vais les rattraper.

- Tu es bien sûr de toi, répondit-elle, en pouffant de rire. Sérieusement, tu ….. peux vraiment les rattraper ?

- Oui. Je vais y aller, et je vais les retrouver.

- Où que tu ailles, je vais avec toi.

- Bien sûr, acquiesça C17. On y va ensemble. Je risque d'avoir besoin de mes bras, alors grimpe sur mon dos, et accroche-toi bien. Je vais aller vite.

- Comme tout à l'heure ?

- Tout à l'heure j'allais doucement.

- AH BON ?

En une seconde, elle avait retrouvé son enthousiasme et cet air rieur que C17 aimait tant.

« Allez, on bouge ! » dit-il alors.

Ruri plaça ses bras le long du cou de C17, et entoura ses jambes autour de sa taille, avant de s'écrier à son tour :

« Ouais, on bouge ! »