Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

Ruri avait l'habitude de croiser la route de braconniers. Depuis des années maintenant elle avait effectué de nombreuses missions d'assistance dans des parcs naturels, et protéger les animaux contre ce genre de menace y était assez fréquent. C'était une lutte acharnée et, en général, à armes égales. Gardes forestiers et braconniers, tous utilisant les mêmes véhicules, les mêmes armes, les mêmes méthodes pour effacer ou suivre les traces. Et les gardes forestiers ne gagnaient pas toujours. La jeune femme avait donc plusieurs fois vu des braconniers réussir à s'échapper avec leur « butin », même si heureusement ce n'était pas souvent.

Mais cette fois-ci, c'était complètement différent. Être accompagnée d'un homme sachant voler, se déplaçant à une vitesse folle et capable d'arrêter une balle de fusil à mains nues, ce n'était plus du tout égalitaire comme affrontement. En y pensant, Ruri se mit à pouffer de rire.

- Qu'est-ce qui te faire rire ? lui demanda aussitôt C17.

- Haha en fait j'étais en train de me dire que j'étais un peu une fraudeuse.

- C'est-à-dire ?

- Ben disons que partir à la recherche des braconniers avec toi c'est un peu comme ... je sais pas ….. jouer au poker mais en ayant déjà une quinte flush royale dans les mains. Tu vois ce que je veux dire ?

- ... c'est quoi le « poker » ?

- Haha j'en étais sûre. Je t'expliquerai. En gros, j'ai l'impression de tricher un peu. Beaucoup même. Je les plaindrais presque les pauvres. Contre toi, ils n'ont aucune chance !

- En effet.

- Et tu es modeste en plus, tu es plein de qualités haha !

C17 ne répondit pas, mais il était en quelque sorte « soulagé » de voir Ruri de nouveau aussi joyeuse. Néanmoins, il ne voulait pas se laisser trop déconcentrer et ainsi laisser les braconniers lui échapper. Il lui avait promis de les retrouver. Alors cette fois, il volait à une bien plus grande vitesse que d'habitude pour couvrir la plus grande zone possible dans un minimum de temps.

N'ayant pas de détecteur d'énergie, il ne pouvait pas ressentir la présence des humains, mais il pouvait en revanche toujours utiliser la caméra dans ses yeux.

Il n'eut donc pas vraiment de mal à retrouver la trace des 5 véhicules et de leurs occupants. Depuis le ciel, il les vit, arrêtés, et disposés en cercle. Les braconniers étaient descendus de leurs voitures.

- Génial, ces crétins font une pause ! s'écria Ruri une fois qu'ils furent suffisamment proches pour qu'elle aussi puisse également les voir.

- En effet. Je m'occupe d'eux.

- Tu veux dire quoi par « je m'occupe d'eux ? »

- Je ne vais pas les tuer si c'est cela qui t'inquiète. Juste les assommer.

- Est-ce qu'on peut juste tester quelque chose avant ?

- Tester quoi ?

- Écoute, je sais que tu doses ta force, mais par principe je suis contre la violence. Alors on devrait essayer d'abord la manière douce.

- La quoi ?

- Laisse-moi leur parler. Je suis sûre que je peux les convaincre de se rendre.

C17 s'arrêta net.

- …. tu es sérieuse là ?

- Absolument.

- Non.

- Si.

- Non.

- Rooolala mais ce que tu peux être têtu toi ! Et je te signale qu'on s'est mis d'accord avant de partir : on décide ensemble.

- …..

- Génial, revoilà le grand silencieux.

- … je suis surtout … sceptique.

- Alors voilà le deal. Règle n°5 : de manière générale, je me charge de la manière douce, tu me laisses faire, tu ne t'en mêles pas...

- Mais...

- et si la manière douce échoue, alors on passe à la manière forte, et là, c'est toi le chef. Je ne dis plus rien, c'est toi qui décides. Deal ?

- ….. deal.

- Génial ! Alors s'il te plaît, pose-toi pas loin. On va aller leur parler.

Après s'être posé comme Ruri le lui avait demandé, et bien qu'il était plus que dubitatif sur les chances de réussites de l'entreprise, C17 accepta de rester en retrait. Tandis que la jeune femme se dirigeait d'un pas ferme et décidé vers les braconniers, il resta donc derrière elle.

A peine cependant eurent-ils rejoint le groupe d'humains que ces derniers sortirent fusils, pistolets et armes en tout genre qu'ils pointèrent dans leur direction.

« Alors les rangers, on nous traque ? »

Celui qui venait de prononcer cette phrase était un homme assez grand, au crâne rasé. Il était vêtu d'une combinaison vert kaki, portait de grandes bottes marrons et il mâchonnait fièrement un énorme cigare. C17 le trouvait particulièrement ridicule avec son air qu'il devait penser menaçant, tandis qu'il visait Ruri avec un énorme fusil.

Mais alors que cette dernière s'arrêta d'avancer, l'homme changea subitement d'attitude. Un grand sourire idiot s'afficha sur son visage, et il baisse immédiatement son arme.

- Mais c'est qu'elle est mignonne la poulette ! Excuse-moi jolie poupée, je t'ai prise pour un ranger ! Désolée ma chérie, j'ai dû te faire peur ! Allez les gars, baissez vos armes vous allez effrayer la demoiselle et son …. oh dommage, reprit-il aussitôt qu'il aperçut C17, hey les gars, elle n'est pas libre hahaha ! Les amoureux en balade se sont égarés !

C17 avait certes promis de ne pas intervenir, mais il avait à présent une envie furieuse d'écraser le crane de cet humain. D'un geste cependant, Ruri lui fit comprendre qu'il devait tenir son engagement, et tout en restant à bonne distance, elle répondit :

- Je ne suis pas ranger, je suis zoologiste. Et vous, vous n'avez rien à faire ici. Alors vous allez déposer vos armes et nous accompagner au camp des gardes forestiers. Si vous n'avez tué aucun animal, je m'engage à ce qu'ils vous laissent tous partir sans appeler la police.

Après quelques secondes de stupeur, toute la troupe de braconniers explosa de rire. Celui qui devait donc être leur chef ne parvint à reprendre son souffle qu'au bout de plusieurs minutes.

- Hahahahaha ok ma jolie, j'avoue tu m'as bien fait rire. Zoologiste hein ? Alors écoute-moi bien, (et tandis qu'il poursuivait sa phrase, il pointa de nouveau son arme vers Ruri), t'es bien foutue, donc pour cette fois je ne dis rien. Tu vas fermer cette mignonne petite bouche et retourner étudier les papillons. Mes associés et moi, on va continuer notre business, et ni toi ni ton petit copain vous n'allez faire quoi que ce soit. Compris poupée ?

- Je ne suis pas une poupée, répondit Ruri. Et ce n'est pas mon petit copain, c'est mon partenaire. Et justement, vous feriez bien mieux de faire ce que je dis, sinon le deal c'est qu'après, c'est à lui que vous aurez affaire en fait. Et c'est pas une bonne idée.

C17 sentit au ton de sa voix qu'elle contenait une grande colère, mais qu'elle s'efforçait de rester calme. Bien que plus qu'exaspéré par cet humain, il choisit de laisser faire et de voir quelle allait être sa réaction. Il ne fut pas déçu. Comme il s'y attendait, le petit discours de Ruri n'eut pas vraiment l'effet escompté. Le chef des braconniers se mit à rire de plus belle.

- Hahaha, et il va faire quoi le gringalet là ? Hein ? Allez les gars, on repart à la chasse ! T'as de la chance ma chérie, c'est vraiment parce que tu es mignonne que je suis aussi sympa.

Et se faisant, il remonta dans sa voiture, immédiatement imité par tous les autres braconniers toujours en train de rire. Les 5 voitures démarrèrent et commencèrent à s'éloigner de Ruri et C17.

Ce dernier se rapprocha alors de la jeune femme.

- Bon, dit-il une fois arrivé à sa hauteur, et maintenant ?

- C17 ? répondit-elle, d'un air mi-sérieux, mi-amusé.

- Oui ?

- Je t'informe qu'officiellement la manière douce a échoué.

- J'ai vu.

- C'est donc à toi de gérer, voyons si la manière forte est efficace.

- Ok.

- Et au cas où tu n'aurais pas remarqué : il t'a traité de gringalet.

C17 lui adressa un petit sourire, et tendit son bras droit en direction des braconniers.

- J'ai entendu. Et ils n'iront pas plus loin.

Tout ce que Ruri put voir ensuite, c'est une sorte de boule lumineuse s'échapper de la main de C17 et « foncer » en direction des véhicules des braconniers. À peine une fraction de seconde plus tard, ces dernières avaient toutes explosé. Au loin, elle distinguait clairement les masses immobilisées et fumantes des jeeps. Bouche bée, elle ne sut pas quoi dire, son regard allant des voitures à C17, puis de C17 aux voitures.

Quant à C17, il se contenta d'abaisser son bras. Puis, après quelques secondes de silence, il se tourna vers Ruri et, de l'air le plus décontracté du monde, il lui dit : « C'est bon, ils sont arrêtés. On y va ? ».

D'habitude, C17 ne prêtait pas vraiment attention aux réactions des humains. Il essayait de rester « discret » en usant de ses pouvoirs, mais c'était plus pour avoir la paix que parce qu'il se souciait d'eux. Mais cette fois-ci, il avait bien fait exprès d'utiliser une vague d'énergie pour arrêter les braconniers, alors qu'il aurait très bien pu les immobiliser autrement. Il était très curieux de l'attitude qu'allait avoir Ruri face à cette démonstration de puissance. Et l'air complètement ahurie qu'elle arborait à cet instant précis l'amusait profondément.

« Allez, montre-moi que tu n'es pas si impressionnable que ça, humaine…. » pensa-t-il. Il était certain qu'elle ne tarderait pas à se reprendre. Et en effet, rapidement, un petit sourire se dessina sur le visage de Ruri. Son regard se mit, en quelque sorte, à pétiller d'excitation.

« Voilà, c'est ça que j'aime voir ! » se dit immédiatement C17. Il adorait l'expression de son visage, et voir à quel point cette humaine était courageuse. Rien ne semblait arriver à la déstabiliser très longtemps, et pour cela il la respectait de plus en plus. C'était vraiment le seul être humain pour lequel il éprouvait ce sentiment d'ailleurs. Sans la reconnaître comme son égale en termes de force bien sûr, il la tenait en suffisamment haute estime pour la considérer vraiment comme sa partenaire à présent, au même titre qu'avait pu l'être C18.

Ruri l'interrompit soudain dans ses réflexions.

- C17 ?

- Oui ?

- J'ai vraiment, mais alors vraiment, hâte de pouvoir te poser mes deux questions.

- … je m'en doute.

- Mais on a plus urgent à faire. On se rapproche ?

- Ok.

C17 pris alors Ruri dans ses bras, et un saut ils rejoignirent les voitures accidentées. Les braconniers commençaient à peine à s'en extraire, péniblement. Plus aucun ne riait d'ailleurs. La plupart avaient plutôt l'air de ne pas bien réaliser ce qui venait de se passer. Mais quand ils aperçurent C17, tous furent parcourus d'un frisson d'effroi.

Ils n'eurent de toute façon pas vraiment le temps de réagir. Car à peine arrivé, C17 se dirigea vers leur chef. Sans ménagement, il le saisit par le col de sa combinaison, le fit sortir de sa voiture, et le maintint ensuite ostensiblement au-dessus du sol, d'une seule main.

Ce dernier ne comprenait pas vraiment ce qui était arrivé, mais dès l'instant où C17 l'avait attrapé, il avait senti en lui une force prodigieuse. Ce jeune homme arrivait à le tenir avec un bras, et sans faire aucun effort apparent. Il se dit donc qu'il valait mieux rester prudent et ne pas le provoquer davantage. « Mais… qui es-tu ? Et qu'est-ce que tu nous veux ?» lui demanda-t-il prudemment.

C17 resta impassible, tenant toujours le chef des braconniers fermement par le col.

- … toi, tu te tais, répondit-il d'une voix sèche. Et tu dis aux autres de rester calme. Surtout l'autre, qui essaye de prendre un fusil derrière moi. Si l'un de vous bouge, je t'annihile. Toi. Puis chacun de vous. Un par un. Jusqu'au dernier.

A ces mots, le chef des braconniers devint blanc comme un linge. C17 avait prononcé le mot « annihile » avec une telle froideur, et surtout un tel sérieux, qu'il se mit tout à coup à suer à grosses gouttes. Quant aux autres braconniers, ils s'immobilisèrent immédiatement. L'un d'entre eux avait en effet tenté discrètement de s'emparer d'une arme, et tous les regards étaient à présent braqués sur lui. Terrifié, il relâcha le fusil qui retomba au sol avec fracas.

Ce fut bien le seul bruit qui se fit entendre d'ailleurs, tant un silence de cathédrale régnait à présent.

- Ruri, reprit alors C17, ils sont arrêtés. On fait quoi ?

Après s'être rapprochée, la jeune femme répondit, en contenant autant que possible une envie de rire de plus en plus pressante :

- La manière forte, vraiment, c'est efficace. Je suis impressionnée.

- Je sais.

- J'aimerais poser quelques questions à ce monsieur, si tu n'y vois pas d'inconvénient.

- Aucun.

- Alors cher monsieur, je vous avais bien dit qu'il valait mieux ne pas traiter avec mon partenaire, non ?

Le chef des braconniers ne répondit pas. Il se contenta d'acquiescer, sans quitter C17 du regard, qui lui aussi le fixait intensément.

- Je crois que vous nous devez à tous les deux des excuses, non ? Poupée, gringalet… ce n'était pas très gentil. N'est-ce pas, C17 ?

- Oui. Excuse-toi, répondit C17, amusé de voir de plus en plus de gouttes de sueur couler le long du visage de ce stupide humain.

- Je je je m'm'm'm'm'm'excuse balbutia alors ce dernier.

- Excuses acceptées, s'exclama Ruri, ravie de voir qu'on peut discuter. Alors. Soyons brefs. Vous vous rendez ?

- Oh oui oui, bien sûr.

- MERVEILLEUX ! répondit la jeune femme, avant de poursuivre, cette fois sur un ton bien plus sérieux : Bon. Et sinon, la chasse a été bonne ?

- Euh non non, rien du tout. Rien du tout. Non non.

C17 eut soudain l'impression étrange de sentir l'humain qu'il tenait au bout de son bras se liquéfier littéralement. Son corps était devenu en un instant tout mou, et le nombre de gouttes de sueur émanant de son visage venait encore d'augmenter drastiquement.

La conclusion était évidente. C17 ramena alors à lui le chef des braconniers, touchant presque son visage avec le sien. Il serra son col bien plus fort, au point que ce dernier commença à avoir quelques difficultés à respirer.

« Tu mens », lui dit alors C17, et le ton de sa voix acheva de terrifier le pauvre homme.

- La voiture … verte. L'arrière. Désolé….

Le chef des braconniers prononça ces mots dans un murmure, sans parvenir à détacher son regard de C17 qui le fixait de plus en plus intensément.

Aussitôt, Ruri se précipita vers la jeep verte qu'il venait de lui désigner. Une grande bâche était déployée à l'arrière du véhicule, en masquant le contenu. A l'instant même où elle l'eut soulevée pour voir ce qui était caché en dessous, C17 la vit se figer. Comprenant que quelque chose de grave se passait, il la rejoignit, tenant toujours fermement le braconnier dans sa main droite.

Dans la jeep se trouvaient deux énormes masses blanches. Semblables aux espèces de dents qu'avait la jeune éléphante. Mais en bien plus gros, et surtout, couvertes de sang.

- Des défenses. Sans doute un mâle vu la taille.

Ruri venait de parler, et C17 n'aima pas du tout le ton de sa voix. Elle ne pleurait pas et n'avait pas l'air affolée comme tout à l'heure. Au contraire. Elle était sérieuse. Mais surtout, froide. Inexpressive. Elle dont il aimait tant la vivacité, elle qui le faisait rire par la rapidité avec laquelle elle passait d'une émotion à l'autre, elle qui était si lumineuse, elle était soudain comme … éteinte.

Instinctivement, il serra encore plus fort le col du braconnier, qui se mit à s'agiter, apeuré.

- J'ai du mal à …

- Silence, l'interrompit C17. Si tu dis un mot encore, je te pulvérise. Réponds juste à ma question : où est-il ? Où est l'animal que tu as tué ?

Ruri tourna son visage dans sa direction et lui adressa un petit sourire. C17 comprit qu'elle le remerciait d'avoir posé cette question. C'était exactement ce qu'elle avait prévu de demander.

Le chef des braconniers était réellement terrorisé. Il sentait bien la pression qu'exerçait C17 sur son cou, et la froideur de son regard lui faisait craindre le pire. Mais il était coincé. Mentir encore lui apparut comme la pire des solutions. Alors, avec difficulté car il avait du mal à respirer, il répondit :

- Boite à gant, une carte. La croix. C'est là.

Et en effet, Ruri trouva bien une carte dans la voiture, avec une croix griffonnée à l'aide d'un stylo.

Elle prit une profonde inspiration. Il était trop tard. Elle arrivait trop tard. Elle savait bien ce qu'elle allait trouver, et ce qui risquait de se passer. Pourtant, en se retournant pour parler au braconnier, elle vit C17 qui se tenait toujours près d'elle, et aussitôt, elle se sentit un peu mieux. Elle n'était pas seule, ce qui était déjà bien. Mais l'avoir lui à ses côtés était très différent de tout ce qu'elle avait pu connaître. Il la rassurait énormément. Parce qu'il était puissant, parce qu'il était toujours calme. Parce qu'avec lui tout semblait possible. Il avait également agi rapidement, prenant les bonnes décisions, posant les bonnes questions. Elle en aurait presque ri de le voir si efficace, sachant quoi faire comme s'ils avaient travaillé ensemble toute leur vie.

Elle savait qu'elle pouvait compter sur lui, en toute circonstance.

- C17, commença-t-elle, est-ce que tu pourrais rassembler tous les braconniers et les emmener en une fois au camp des gardes forestiers ?

- … oui, lui répondit C17 après quelques secondes, je peux les mettre tous dans une voiture et transporter la voiture là-bas.

- Parfait. Alors voilà le plan. Tu les mets dans une voiture et tu les livres aux gardes. Ils sauront quoi en faire. Ensuite, tu retournes au point d'eau récupérer ma moto et la mangouste. Elle aussi, tu la ramènes au camp. Et ensuite tu reviens. Je t'attends ici, et on part ensemble chercher l'animal qu'ils ont tué.

- … ok.

- Fais vite.

- Et… toi… ça va ?

- … ça va aller. Je t'attends.

C17 n'était pas enchanté de laisser Ruri toute seule, mais elle avait raison, c'était de loin le plus simple et rapide des plans. Autant compter sur ses capacités, c'est bien pour ça qu'il était là.

- Et…. continua Ruri, pas la peine de leur faire du mal. Ils ne m'intéressent pas. J'ai plus important à faire.

Sans répondre, C17 jetta sans ménagement le chef des braconniers dans une des voitures. Il fit de même pour tous les autres, et comme Ruri l'avait dit, il les transporta tous en une fois jusqu'au campement. Il ne s'y attarda pas, expliquant en quelques mots la situation avant de repartir au plus vite récupérer la mangouste qui attendait toujours dans la cage. Il remit la moto dans sa capsule, ramena la mangouste aux gardes forestiers, et repartit aussi vite qu'il le put pour rejoindre Ruri.

Quand il se posa près d'elle, il s'attendait à être accueilli par une petite plaisanterie, quelque-chose comme « Et bien, tu en as mis du temps ». Mais elle se contenta de lui sourire, sans plus. Elle n'allait vraiment pas bien, c'était évident. C17 était à la fois perturbé par son comportement et très en colère, sans qu'il ne sache vraiment pourquoi il ressentait cela. Ce qu'il savait en revanche, c'est qu'elle attendait qu'il l'aide. Le meilleur moyen de lui faire retrouver sa bonne humeur était sans doute de partir au plus vite de cet endroit, et donc d'en finir avec cette histoire.

- On y va ? Je t'emmène, lui dit-il.

- Ok.

C17 prit alors Ruri dans ses bras, comme il commençait à en avoir l'habitude. Ce n'est qu'en décollant qu'il s'aperçut qu'elle avait pris avec elle un des fusils des braconniers.

- Pourquoi…

Mais Ruri ne le laissa pas finir sa phrase.

- Regarde le point sur la carte. C'est sur la gauche, droit devant. Le sang sur les défenses n'avait pas encore séché. Donc ils n'ont pas dû le tuer il y a très longtemps. On va le trouver rapidement.

Ils continuèrent donc de voler en silence. C17 ne savait pas ce qu'il devait dire pour réconforter Ruri. Il sentait juste qu'elle en avait besoin. C'est ce qui était le plus difficile pour lui depuis qu'il la fréquentait. Il était capable de ressentir, et il n'avait pas tout oublié des humains et de leurs émotions. Mais il avait vraiment du mal à savoir comment réagir, les interactions fortes avec les autres n'avaient plus rien de naturel pour lui. Le comportement humain en général restait un mystère à ses yeux.

Il lui parut plus sage de ne pas chercher à en faire davantage. Mieux valait se concentrer sur la « mission », le reste, il verrait plus tard.

Après quelques minutes de recherches, Ruri serra le foulard de C17. Il s'arrêta, et aperçut en dessous d'eux une masse grise. Sans doute l'éléphant que les braconniers avaient tué.

C17 accéléra et atterrit juste à côté. C'était bien lui. Un énorme éléphant, couché sur le ventre, la tête sur le côté. Il était immobile, comme s'il dormait. Ce n'est qu'en s'approchant que C17 remarqua l'étendue de ses blessures. Son corps était criblé d'impacts, il en était vraiment recouvert. Du sang s'échappait des innombrables plaies qu'il avait sur ses flancs. Et surtout, il n'avait plus ses défenses. A la place, deux trous béants, dégoulinant eux aussi de sang. La peau près des trous étaient en piteux état, il n'en restait que des lambeaux.

- Ils ont découpé les défenses avec des scies mécaniques. C'est plus rapide. Pour ne pas passer trop de temps et risquer d'être vus par des gardes forestiers. Rapide, mais expéditif. Ils n'ont pas vraiment fait attention et lui ont découpé la chair en même temps.

Ruri venait de donner cette explication presque comme si de rien n'était. Avec ce même ton neutre que C17 détestait. Il ne comprenait pas qu'en fait, Ruri était bouleversée, et qu'elle avait besoin de se concentrer sur les faits pour éviter de se laisser submerger par les émotions. Il percevait juste intuitivement qu'il fallait la laisser faire.

- Attention, reprit-elle quasiment immédiatement, je vais vérifier un truc.

Elle posa alors délicatement sa main sur la tête de l'animal. Et à la grande surprise de C17, ce dernier réagit. Il se mit à remuer faiblement. Il était encore vivant !

Mais ce fut la réaction de Ruri qui fut la plus surprenante.

Après avoir reculé, elle s'agenouilla et donna un grand coup de poing au sol. C17 la vit se mordre les lèvres, comme pour contenir un cri de rage qu'elle se refusait à laisser s'échapper. Il était désemparé. Quelques minutes auparavant, il avait caressé ses cheveux pour la calmer, sans trop savoir pourquoi. Il avait laissé son corps agir, répondant à une intuition face à la tristesse de Ruri. Mais cette fois-ci, ce n'était pas que de la tristesse. Et aucune intuition ne vint à son secours.

Il ne put que la rejoindre, et s'agenouiller face à elle.

- Calme-toi, lui dit-il. Tu sais ce qu'il faut faire ? Alors dis-le-moi. Et je le ferai.

Entendre la voix de C17 fit beaucoup de bien à Ruri. Il était comme à son habitude, serein. En tout cas, imperturbable. Et en effet, elle savait ce qu'il fallait faire, elle l'avait déjà fait de nombreuses fois.

Elle se releva, et s'empara du fusil qu'elle avait emporté.

C17 lui saisit alors le bras.

- Qu'est-ce que tu vas faire ?

- L'achever.

Elle avait répondu avec froideur. C17 n'en revenait pas qu'elle parle de tuer elle-même l'éléphant. En le voyant interloqué, Ruri se radoucit un peu.

- Regarde-le.

L'éléphant poussait des gémissements faibles, mais constants. Il devait souffrir beaucoup de toutes les blessures encore à vif qu'il portait. Il était très agité. Sans aucun doute leur présence lui faisait peur. Oui, les humains l'avaient meurtri, que pouvait-il ressentir à part de la peur ?

Souffrance. Peur.

« Rester en vie, c'est parfois pire que mourir ».

Cette pensée revint à C17. Une sensation qu'il ne connaissait que trop bien. Combien de fois avait-il souhaité mourir pendant le temps qu'il avait passé à l'intérieur de Cell ? Oui, rester en vie, c'était parfois bien pire que la mort.

Alors, il relâcha le bras de Ruri.

En silence, la jeune femme retourna immédiatement auprès de l'éléphant agonisant. Tout doucement, elle positionna l'extrémité du fusil sur son front, en plein milieu. Et après une seconde de concentration, elle appuya sur la détente. Le son du coup de feu déchira le silence de la savane.

Ils étaient arrivés trop tard. Mais au moins, l'animal ne souffrait plus.