Année : 771
Un peu plus de 3 ans après le Cell Game
Titre 1
Livre 1
Chapitre 16
La nuit était à présent tombée sur la savane. Dans le camp, le calme était revenu après la grande agitation des heures précédentes. Après avoir achevé le grand mâle, C17 et Ruri y étaient revenus, et tous deux avaient passé une partie de la soirée à aider les gardes forestiers.
Il y avait eu beaucoup à faire : changer les piles du collier de la femelle mangouste, la relâcher dans sa famille, et surtout, s'occuper des braconniers capturés. Quand il les avait revus, C17 n'avait eu qu'une envie : les éliminer. Définitivement. La simple vision de ces humains lui était insupportable. Et puis, si vraiment les gardes forestiers voulaient s'assurer de protéger une fois pour toutes les animaux, pourquoi épargner des personnes qui n'avaient pas d'autre but que de les tuer ? Ils allaient forcément revenir. C'était peut-être « expéditif », mais à quoi bon laisser en vie de tels imbéciles ?
La seule chose qui l'avait retenu, c'était Ruri. A peine arrivés au camp, elle l'avait saisi par le bras, et lui avait demandé de ne rien faire et de laisser les rangers les livrer à la police. C17 avait voulu répliquer, mais la jeune femme lui avait immédiatement coupé la parole, en lui adressant un « s'il te plaît » auquel il n'avait pas été capable de répondre. Elle semblait aller un peu mieux, mais elle était encore très affectée. C17 le voyait bien à son regard. Et, plus que tout, plus que sa propre envie de punir les braconniers, il voulait que Ruri retrouve son état normal.
Alors il n'avait pas insisté, et, à contre-cœur, avait laissé les gardes forestiers s'occuper du reste.
Il s'était pour sa part chargé de la mangouste, et avait simplement accepté de surveiller les braconniers pour qu'aucun ne s'échappe.
Ce n'est qu'une fois le dernier braconnier évacué et que le silence régnait à nouveau sur le campement que C17 s'aperçut que Ruri avait disparue. Elle n'était plus à ses côtés. Inquiet, il partit immédiatement à sa recherche, mais il n'eut pas besoin d'aller bien loin. L'un des rangers, celui avec qui C17 avait brièvement discuté quelques heures auparavant, le rattrapa en courant.
- Hey, mon gars, attends. Tu cherches la petite ?
C17 acquiesça.
- Elle est là-bas, lui répondit alors le garde forestier, en désignant un feu qui brillait à quelques mètres du camp. Elle s'est isolée un peu. On n'ose pas trop aller la déranger… mais … apporte lui ça, tu veux bien ?
Il tendit alors à C17 un bol, contenant une soupe de nouilles chaude.
- Elle n'a rien mangé… et … elle adore les nouilles alors… Il n'arriva pas à finir sa phrase, une pointe de sanglot se dessinant dans sa voix.
« Il a l'air de vraiment se soucier de Ruri » pensa aussitôt C17.
- C'est vraiment une fille sensible tu sais, reprit alors le ranger. Surtout depuis … enfin … i ans quoi. Elle a toujours été sensible mais … Enfin bref. Essaye de la faire manger, s'il te plaît. Toi elle t'écoutera peut-être, nous, elle nous a tous envoyé gentiment balader…
Toujours sans répondre, C17 prit dans sa main le bol de soupe, et se dirigea en direction du feu près duquel Ruri était en effet assise, en silence, pensive.
C17 avait beaucoup de choses qu'il avait envie de dire, ou de questions qu'il souhaitait poser. Mais il ne savait pas du tout par où commencer, et se contenta de s'asseoir par terre, près d'elle. Fort heureusement pour lui, ce fut la jeune femme qui brisa le silence en premier.
- Ils ont réussi à te faire apporter de la soupe ?
Elle avait dit cela sans aucune méchanceté, presque en riant, bien que son sourire était toujours teinté d'une grande tristesse.
- Oui, il paraît que tu aimes ça, répondit C17 en déposant le bol aux pieds de Ruri. Et qu'il faut que tu manges.
- Oui, ça arrive à pas mal de gens de manger. Pas très original pour une humaine, non ?
Cette phrase parut étrange à C17. Il se tourna vers Ruri, perplexe.
- Disons que comme tu passes ton temps à dire « pour un humain », ou des choses dans ce genre, j'en déduis que tu es quelque chose d'autre. Dommage…
- … pourquoi « dommage » ?
- Parce que si tu n'es pas un humain, alors tu ne pourras pas m'aider à comprendre.
- Comprendre quoi ?
Ruri fixa le feu en train de brûler pendant quelques secondes, puis reprit, d'un ton monocorde :
- Les braconniers sont certes des criminels, mais certains ont, en quelque sorte, des raisons de faire ce qu'ils font. Ils tuent des animaux pour les vendre, et nourrir leurs familles. C'est … compréhensible d'une certaine façon. Mais la cruauté … pourquoi l'avoir blessé et l'avoir laissé agonisant ? Pourquoi ? Une simple balle aurait abrégé ses souffrances… Ils ne voulaient sans doute pas attirer l'attention mais … comment tu peux laisser un être vivant souffrir autant ? Comment tu peux … faire passer tes intérêts personnels avant toute autre chose ? Avant toute considération pour un autre être vivant ? Pourquoi les … humains … sont parfois si cruels …
C17 hésita avant de répondre. Il ne savait que trop bien à quel point les humains pouvaient être égoïstes et mauvais. Gero, obnubilé par son désir de vengeance, ne l'avait-il pas capturé, torturé et cybernétisé contre son gré ? Tout ça pour assouvir un souhait personnel, sans tenir compte une seconde de ce que lui pouvait vouloir, il l'avait privé de sa vie et de sa liberté. C17 l'avait haï du plus profond de son être pour ça. Et ces braconniers ? Lâches. Cruels. Idiots, avec leurs fusils et leurs voitures. Au fond de lui, C17 n'avait plus beaucoup d'estime pour les humains. Avec les années, il avait fini par ne plus se considérer comme l'un d'entre eux.
Ruri était cependant différente. Elle était la gentillesse incarnée. Alors, finalement, est-ce que tous les humains étaient vraiment semblables ? Il n'en savait trop rien.
- Je … ne sais pas, se contenta-t-il de répondre.
- Haha, merci de ton aide précieuse. Franchement C17, tu arrives toujours à me faire rire, alors que je n'ai vraiment pas le cœur à ça. Mais tu as raison, je suppose qu'il n'y a pas de réponse à ma question.
- Pourquoi m'as-tu empêché de les tuer ? interrogea alors C17.
- … et pourquoi les tuer ?
- Ce sont des idiots. Et des êtres vils et cruels. Ils ne méritent pas de vivre. Une menace, personnellement, je l'élimine.
Ruri regarda alors C17 droit dans les yeux. Il avait de nouveau ce regard dur, incroyablement froid, qu'elle avait vu tout à l'heure. Pourtant, elle savait qu'il n'était pas un être foncièrement mauvais. Au contraire même, elle sentait qu'il avait surtout été touché par la découverte de l'éléphant blessé. Il ne faisait que réagir durement à une situation qu'il trouvait inacceptable, c'était en soi une preuve d'une réelle empathie, mais aussi le reflet selon elle d'une forme de … peur qu'elle percevait en lui.
- Tu crois que les tuer aurait changé quoi que ce soit au destin de cet animal ? lui demanda-t-elle.
- Non.
- La vengeance n'aide en rien, et ne répare rien, continua Ruri.
Mais C17 répliqua, sur un ton plus sec que d'habitude :
- Tu es naïve si tu penses que c'est simplement une histoire de vengeance. Quand quelqu'un te veut du mal, il faut l'éliminer pour qu'il ne puisse pas t'en faire. Laisser en vie un ennemi, c'est la mort assurée.
- Ennemi, mort, éliminer… Mon dieu C17, on ne parle que de braconniers ici. Pourquoi es-tu si … froid tout à coup ? Tu me penses si stupide que ça ?
- Je n'ai pas dit stupide, j'ai dit naïve. Tu es … trop … gentille.
- C'est mal d'être gentille selon toi ?
C17 se rendit compte qu'il allait sans doute un peu trop loin. Il était venu dans l'idée de réconforter Ruri, et voilà qu'il était en train de la réprimander. « Imbécile », se dit-il, « sors-toi de là ! ».
- Écoute, reprit-il, en adoucissant autant que possible sa voix, je ne suis pas forcément d'accord avec toi. Tout ne se règle pas par la manière douce comme tu dis. Il faut savoir agir quand il le faut …
- Et ça implique de tuer tout le monde ?
- Non, pas forcément.
- Pas forcément ?
- Mais parfois …
- Ne pas vouloir tuer quelqu'un, ça fait de moi une personne naïve ?
- Ce n'est pas ce que j'ai… Vous êtes vraiment sensibles vous les …
- Humains ? Hahaha, tu l'as encore dit !
Elle riait, de nouveau. C17 en fut immédiatement rassuré. La voir aller mieux était plus important que tout le reste. Oui, il pensait qu'elle était trop naïve. Mais quelle importance après tout. L'essentiel pour lui, c'était de la voir sourire. En la voyant ainsi, il ne lui parut pas nécessaire d'insister davantage. Intérieurement, une pensée lui vint tandis qu'il l'observait : « Peu importe. C'est moi qui me chargerai de régler ce genre de problème pour toi... ».
- Je ne voulais pas … dire quelque chose de … blessant… reprit C17 après quelques secondes.
- Qu'est-ce qui était blessant dans ton esprit ? Me traiter de naïve, ou d'humaine ? répondit Ruri en souriant.
- …. sans doute les deux, enchaîna C17, lui rendant son sourire.
- Hahaha ! Tu es décidément sacrément gonflé !
- … tu devrais manger un peu. Tu as besoin de reprendre des forces. Nous repartons tôt demain.
- … Je sais. Mais je n'ai pas vraiment envie de manger tu sais. Je ne suis … pas d'humeur.
- Est-ce que me poser tes deux questions pourrait t'aider ?
- ABSOLUMENT !
Ce qui était vraiment caractéristique de Ruri, c'était bien ses changements d'humeurs. Du rire aux larmes, en quelques instants. Elle se forçait clairement encore un peu, C17 le voyait à son regard, mais sa curiosité naturelle semblait petit à petit reprendre le pas sur sa tristesse.
- Bien, je t'écoute, lui dit-il en retour. Quelles sont tes questions ?
Ruri prit alors quelques secondes. Avec seulement deux questions, elle devait bien faire attention à la formulation si elle voulait en apprendre le maximum. Elle était par ailleurs convaincue que C17 allait jouer le jeu et ne pas lui mentir, ce n'était donc pas la peine de chercher à le piéger.
Mieux valait être concise.
- Est-ce que tu as un rapport avec Cell ? demanda-t-elle finalement.
Lorsqu'il entendit sa question, C17 sursauta. Il s'attendait à beaucoup de choses, mais clairement pas à ça. Il était sidéré. Comment avait-elle pu deviner ? Pourquoi parler de Cell ? La simple évocation de son nom lui fit ressentir un profond dégoût qu'il n'arrivait pas à réprimer.
Il avait cependant promis de répondre, quelle que soit la question.
- Tu sais, l'interrompit Ruri comme pour le rassurer, je ne te demande pas la nature du rapport. Juste s'il y en a un.
- … oui.
- C'est bien ce que je pensais.
- Mais .. comment …. comment tu …
- En fait je n'avais pas prévu de te poser cette question pour être honnête. Le fait que tu voles, ta force, je n'avais pas fait le rapprochement. Je me disais que c'était dans le secret de ta nature que je trouverais une explication. Mais cet après-midi, l'espèce de boule de feu que tu as tiré en direction des braconniers… tout à coup ça m'est revenu. Ça, et le vol, je ne l'ai vu qu'une fois de toute ma vie. Et c'était lors du tournoi contre Cell, il y a trois ans. Alors je me suis dit qu'il devait y avoir un rapport.
- Tu … as assisté au tournoi ?
- Noooon, pas du tout, mais toute la planète a regardé la retransmission enfin, c'était notre avenir à tous qui se jouait. Nous étions tous devant notre écran… la Terre entière…
Elle brûlait d'envie de lui demander « pas toi ? ». Mais Ruri se retint de poser cette question, ne voulant pas gâcher son second joker.
- Oui, oui… dit-il évasivement.
- Mmmmmmmmmmmmmm
C17 éclata de rire en entendant son fameux marmonnement.
- Haha, et je peux savoir ce que tu notes cette-fois ?
- Rien, répondit Ruri, juste… je mémorise ta réaction. Pour plus tard. Le langage corporel, ça en dit parfois bien plus que des mots tu sais.
- J'ai l'impression d'être un animal que tu étudies.
- C'est pas très éloigné en effet.
Tous deux échangèrent un regard complice, puis C17 reprit :
- Bon, et quelle est ta deuxième question alors ?
- Est-ce que tu es un robot ?
Pour la seconde fois, C17 ne put répondre immédiatement tant il fut surpris. Il resta silencieux quelques secondes avant de finalement réussir à parler de nouveau, quoique très hésitant :
- Mais … comment tu ….
- J'ai raison ?
- ….Pas … tout à fait … mais tu n'as pas … tort non plus…
- Ah mince…
- Quoi, mince ?
- Ben je n'ai pas la bonne réponse, et j'ai épuisé mes questions ! Bon, tant pis, il ne me reste qu'à continuer de chercher !
C17 se tourna vers Ruri, et l'observa. Elle était sincère, elle comptait vraiment arrêter de lui poser des questions puisqu'elle n'avait pas trouvé « la bonne réponse ». Il la voyait, déçue, et manifestement perdue dans ses pensées. Elle était déjà en train de réfléchir. Il pouvait le deviner à la façon qu'elle avait de se gratter la tempe, et parce que son regard était comme figé sur l'horizon. Il la trouvait décidément terriblement amusante, Plus que ça même.
Elle devait être épuisée par cette longue journée chargée en émotions. Elle n'avait pas pris le temps de prendre une douche ou de se changer. Elle était couverte de poussière, et sa longue chevelure, qu'elle avait détachée, était toute ébouriffée. Mais malgré tout cela, plus il la regardait, plus C17 la trouvait belle, cette petite humaine. Ce n'était pas qu'une question de physique. Bien sûr, avec ses grands yeux verts, son visage délicat, ses longs cheveux, sa taille si fine, ses longues jambes… c'était vraiment une très belle femme. Toutefois, elle n'était en fait pas « que » belle. Tout dans son attitude lui donnait un charme fou. Elle lui paraissait à la fois faible et émotive, tout en étant capable de faire preuve d'une détermination sans faille. Son regard était si expressif, si tendre, que l'avoir près de lui lui procurait un sentiment de plénitude et d'apaisement tel qu'il n'en avait jamais ressenti. Et pour couronner le tout, elle était vraiment très intelligente. C17 ne pouvait que reconnaître que sa capacité de déduction était assez extraordinaire.
Il saisit alors le bol de soupe que Ruri avait laissé posé par terre, et le lui tendit.
- Mange, lui dit-il, et viens.
- De quoi ?
- Je vais t'expliquer. Viens. Mais mange cette fichue soupe.
- … mais j'ai fini mes questions…
- Tu vas venir oui ?
Sans un mot supplémentaire, Ruri se déplaça légèrement, de sorte à être assise juste en face de C17. Puis elle prit le bol de soupe, et se mit à manger. Commença alors entre eux une longue discussion rythmée des bruits de Ruri avalant de grandes gorgées de soupe.
- Et bien tu vois, quand tu veux ! constata C17, amusé de la voir si obéissante.
- …. ma curiosité l'emporte sur ma tendance naturelle à refuser d'obéir à un ordre.
« Sur ça, toi et moi, on est vraiment pareil» pensa aussitôt C17.
- Qu'est-ce qui te fais penser que je suis un robot, lui demanda-t-il.
- Ta vitesse et ta force sont clairement surhumaines, mais pas seulement. Tu ne manges pas, et tu ne dors pas. Or, tous les êtres vivants mangent et dorment. Enfin, presque tous, il y a des exceptions, mais globalement c'est vrai. Ça me fait dire que tu n'es pas … biologique.
- Mmmm
- D'un autre côté, ta température externe semble normale, et … j'ai senti … ton cœur battre. C'est ça qui est bizarre.
- En effet.
- Bref, j'ai tenté robot, mais sans certitude.
- Tu n'es pas tombée très loin. Je suis un cyborg.
- ….. et …. c'est pas un robot ça ?
- Tout dépend de ce que tu penses être un robot.
- Ah parce qu'il y en a plusieurs sortes ?
- Oui.
- Ooooh ? Pour de vrai ?
- Oui.
- GENIAL !
- Si tu le dis.
- C'est quoi un cyborg alors ?
- C'est un humain qui a été … qui a reçu des modifications mécaniques.
- … attends … tu veux dire que tu es un humain avec des … ajouts … robotiques ?
- Oui, c'est à peu près ça.
- Quoi comme ajouts ?
- La liste exacte je ne la connais pas.
- Ah bon ?
- Non.
- Mais … c'est SUPER !
Ruri n'en finissait pas de surprendre C17. Elle n'avait pas l'air du tout perturbée par ce qu'il venait de lui dire. Bien au contraire, il distinguait très clairement cet éclat d'excitation dans son regard qui était une vraie caractéristique chez elle. Sa curiosité était plus forte que toute autre sensation. En fait, elle avait simplement l'air d'être ravie d'apprendre quelque chose.
Cette conversation avait un côté irréel en quelque sorte. C17 avait toujours évité au maximum de discuter avec les humains. Mais avec Ruri, c'était simplement… naturel. Il lui parlait avec aisance, comme à quelqu'un que l'on connaît depuis longtemps.
Pour autant, parler de lui, de sa cybernétisation, de ce qu'il avait subi n'était pas du tout agréable. Trop de mauvais souvenir, de souffrances qu'il essayait d'enfouir pour ne plus y penser. C17 ne dormait pas, vu qu'il n'en avait pas besoin. Et pourtant, régulièrement, s'il était inoccupé, de sombres pensées l'envahissaient. Des fragments de sa mémoire brisée, des cris, de la colère, de la rage même… et beaucoup de douleurs. C'est aussi pour cela qu'il avait pris l'habitude d'accepter des petits travaux au fil des années, pour ne jamais être oisif et pouvoir tenir ses souvenirs à distance.
Cependant, à cet instant précis, il aimait beaucoup voir le visage de Ruri. Elle semblait littéralement s'illuminer de joie.
- Ta curiosité est satisfaite ? finit-il par dire.
- Pourquoi tu es devenu un cyborg ? C'est compliqué ? Qui t'as fait cette opération ? C'est cher ? Je peux le faire aussi ?
- ….. j'en déduis que non …
- Haha pardon. Désolée. Tu n'as pas à me répondre de toute façon…
- Mais tu aimerais bien ? lui répondit C17, ironiquement.
- … oui …
- Écoute, je ne sais pas vraiment comment te dire ça. Mais ce n'est pas vraiment un sujet dont … j'aime parler.
- Oh ! Oui, bien sûr, je ne voulais pas être indiscrète.
- Pas de problème.
- Mais … tu regrettes d'avoir choisi de devenir un cyborg ?
C17 commençait à en avoir l'habitude : rien ne pouvait contenir la curiosité de Ruri. Même si elle venait de dire qu'elle arrêterait de poser des questions, elle continuait malgré tout. Pourtant, il savait qu'elle n'était pas mal intentionnée. Juste, tellement curieuse qu'elle n'avait simplement pas pu s'en empêcher, et pour cela C17 la trouvait vraiment adorable.
Il voulait lui faire plaisir, c'était plus fort que lui. Elle était redevenue « comme avant », joyeuse, enthousiaste. Il ne voulait pas que tout cela s'arrête.
« De toute façon », pensa-t-il, « j'ai accepté de la suivre pendant au moins un an. Autant régler ça une fois pour toutes... »
Il reprit alors la parole, et plongea son regard dans les yeux de Ruri.
- Je n'ai pas choisi de le devenir.
- Comment ça ?
- Ce n'était pas ma décision. La personne qui a fait de moi un cyborg ne m'a pas demandé mon avis.
- … tu plaisantes ?
- Non.
Ruri resta silencieuse. Elle n'en revenait pas de ce que C17 venait de lui avouer. Tout un tas de questions complémentaires lui venaient, mais rien que de penser à ce que cette confession impliquait pour C17 lui paraissait vertigineux. Il ne l'avait pas choisi… Ruri n'arrivait même pas à réellement imaginer ce que cela voulait dire. Elle se sentit soudain terriblement idiote d'avoir continué à poser des questions. Elle ne se rendait pas non plus bien compte de ce que cela avait pu impliquer dans son corps d'avoir été « modifié ». Cependant, le regard de C17 trahissait un malaise qu'elle venait seulement de remarquer.
Il n'aimait vraiment pas parler de tout cela. Et elle n'osait plus vraiment essayer d'imaginer pourquoi.
- Je … , commença-t-elle, hésitante, je suis désolée…. Vraiment…
- Ne le sois pas. Je choisis de te parler. Ça ne me gêne pas que tu saches ce que je suis.
Et avant que Ruri n'ait pu répondre, C17 poursuivit :
- Je suis né humain. Mais un jour, une personne m'a enlevé. Et il m'a transformé. Ne me demande pas de t'expliquer les détails techniques, je ne sais pas grand-chose. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il m'a rendu plus résistant, plus rapide, plus puissant. J'ai plusieurs dispositifs dans mon corps. C'est ainsi, et depuis, je ne suis plus un humain.
- Mais ….c'est horrible, s'écria Ruri, pourquoi a-t-il fait une chose aussi … monstrueuse ?
- Il voulait que je tue quelqu'un, répondit C17. Quelqu'un de très puissant. Il a construit plusieurs armes de différentes sortes dans cet objectif. Pour moi, il a utilisé comme base l'humain que j'étais.
Un frisson parcourut le corps de Ruri tout entier. Tout lui parut soudain bien plus clair. C17 était en quelque sorte mi-biologique, mi-organique, ce qui expliquait ses étranges capacités. Lui revint également le regard terriblement froid qu'il avait eu lorsqu'ils avaient croisé les braconniers. L'homme qui l'avait transformé avait voulu en faire un assassin… et si…
- Et finalement, tu l'as fait ? demanda-t-elle alors.
- Fais quoi ?
- Tuer celui que cet homme voulait que tu tues ?
- Non, répondit C17. Il prit quelques secondes avant de poursuivre sa phrase. Mais celui qui m'a transformé, lui, je l'ai tué.
Ces derniers mots résonnèrent avec force. Ruri sentit son sang se glacer dans ses veines. Pour C17, c'était important de le lui avouer, bien que le silence de la jeune femme ne le rassurait guère.
- Je voulais juste être libre. J'avais juré qu'un jour je me libérerais de lui.
Ruri releva la tête, et contempla C17. Il était très sérieux, quasiment impassible, comme à son habitude. Mais une pointe d'inquiétude transparaissait dans son regard.
« Mon dieu, ce que tu as dû souffrir… toi qui es … si gentil…. »
La jeune femme se sentit tout à coup bouleversée. L'homme qu'elle avait vu s'occuper avec elle des animaux était un être sensible. Sous son air un peu distant, il faisait preuve de tendresse, de délicatesse, il était tellement humain. Rien que d'imaginer ce qu'il avait pu subir, la violence qui lui avait été infligée, elle eut comme l'impression de manquer d'air, que sa poitrine était écrasée sous un immense poids. Comment ne pas comprendre qu'il ait voulu se libérer d'une telle emprise ?
Elle en restait convaincue : C17 n'était pas quelqu'un de mauvais.
- Tu sais, continua ce dernier, comme pour chercher son approbation, c'était une vraie pourriture, ce vieux timbré. Il a fait beaucoup de mal aux habitants de cette planète.
- Ah bon ? répondit Ruri. Tu veux dire qu'il a fait la même chose à d'autres personnes ?
- Je suis le 17ème, d'où mon nom.
- Attends… parce que C17, c'est ton vrai nom ?
- Oui, pourquoi ?
- Je pensais que c'était un surnom que tu t'étais donné !
- Hein ?
- Ben oui, C17 c'est pas un nom, c'est un numéro !
- Hahaha !
C17 ne put retenir un éclat de rire. Ruri était si fraîche, si sincère qu'elle arrivait toujours à le surprendre.
- Je sais que c'est un numéro. Mais c'est mon nom. Je ne sais pas ce que c'est un « surnom ».
- C'est une façon de t'appeler différente de ton nom. Moi par exemple … euh non, laisse tomber, ce n'est pas important.
- Tu as un surnom ?
- J'ai dit ça moi ?
- Oui.
- Oui ben oublie, c'est pas important. Mais … du coup … c'est quoi, ton vrai nom ? Celui que tu avais avant ?
- Je ne sais pas.
- Comment ça tu ne sais pas ?
- Je ne m'en rappelle pas. Je n'ai aucun souvenir de ma vie d'avant.
- Aucun ?
- Non. Mon premier souvenir est … dans son laboratoire. Allongé sur une table.
C17 n'en dit pas plus. Car à peine avait-il prononcé cette phrase qu'une fois encore, tout lui revint. Le laboratoire de Gero. La douleur. La haine d'être enfermé, traité comme un simple objet. Les longs mois de cybernétisation, petit à petit, jour après jour, lui et C18 luttant de toutes leurs forces pour y résister, jusqu'à ce long sommeil.
Son regard s'était immédiatement assombri et Ruri s'en aperçut aussitôt.
Alors elle se releva, et se plaça tout près de C17. Elle posa délicatement sa main droite sur celle de C17, et murmura doucement :
- Pas la peine de continuer. J'ai compris.
C17 revint à lui. Elle était là, si proche, si belle. Son sourire était si réconfortant que toutes les mauvaises pensées qui étaient remontées en lui s'évanouirent en un instant.
Il lui sourit en retour.
- Cette fois, ta curiosité est satisfaite ? lui demanda-t-il, amusé.
- Pour ce soir, on va dire que oui, lui répondit Ruri, sur le même ton.
- Bien, l'interrogatoire est donc terminé. Tu as fini de manger ?
- Presque. Elle est drôlement bonne cette soupe. C'est vraiment dommage pour toi que tu ne puisses pas manger.
- Qui a dit que je ne pouvais pas ?
- … ben … tu ne manges jamais …
- Je n'en ai pas besoin pour vivre, expliqua C17, mais techniquement je peux.
- Mais c'est complètement idiot ! Manger c'est trop bien ! Non mais c'est pas possible, j'ai toute ton éducation humaine à refaire là !
- Hahaha…
Voir C17 rire était vraiment très rare, et Ruri était très fière d'y être parvenue.
- Écoute, reprit ce dernier après quelques secondes, on va dire que pour ce soir, on a fini d'accord ? J'ai eu ma dose de leçon je crois.
- Pas faux.
- Fini donc de manger, et va dormir. Demain matin on part. La prochaine mission est loin d'ici je crois.
- Oh oui. Et surtout il faut réparer ma voiture !
- Ah oui. J'avais oublié ce détail. On peut continuer en volant sinon ?
- Volons jusqu'à ce qu'on trouve un garage. Et on achètera des outils. Il paraît que tu t'y connais en mécanique…
- Oui.
« Étrange pour quelqu'un qui n'a pas de souvenir …. » ne put s'empêcher de penser Ruri, « encore plein de mystères autour de toi C17... ».
Mais pour la jeune femme aussi, il était temps d'arrêter. Elle était épuisée, mieux valait se reposer.
La prochaine mission qu'ils allaient devoir accomplir s'annonçait en effet bien plus compliquée que celle d'aujourd'hui...
