Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

« CRAC »

- Alalalala C17, essaye de faire un peu plus attention !

- Désolé.

C17 venait de marcher sur des branchages, et le pourtant très léger bruit qui venait de se produire avait suffi à alerter tous les animaux des alentours. Des oiseaux venaient de s'envoler à toute vitesse et autour de lui il distinguait parfaitement les mouvements des arbustes trahissant la grande fuite de toute la faune locale.

- Bon, eh bien je propose de faire une petite pause. On va attendre que tout le monde se calme, sinon on n'arrivera à rien….

Disant cela, Ruri déposa son sac à dos, en sortit une grande nappe qu'elle disposa au sol, et s'y allongea. C17 l'imita, et tous deux restèrent silencieux, à observer le ciel sans nuage en cette magnifique journée ensoleillée.

Depuis la dernière mission avec les éléphants, 3 semaines s'étaient écoulées. Après avoir réparé la voiture de Ruri, ils étaient repartis pour rejoindre leur prochaine destination, située à des kilomètres de la précédente. Comme il avait fallu pratiquement traverser le continent, ils avaient dû faire de nombreux arrêts sur le chemin pour acheter tout un tas d'équipements et de réserves de nourriture. En particulier, Ruri avait insisté pour fournir à C17 un téléphone portable. Il n'en avait jamais eu, et n'en avait jamais eu besoin à vrai dire. Mais ils avaient convenu qu'il était plus prudent à l'avenir d'avoir un moyen de pouvoir se joindre s'ils étaient de nouveau séparés.

C17 n'avait pas accompagné Ruri dans tous ses achats, il avait vraiment une sainte horreur des « virées shoppings », et la jeune femme avait manifestement dévalisé les magasins au vu du nombre impressionnant de sacs qu'elle avait ramené. En revanche, plus le temps passait et plus il appréciait cette expédition avec elle. C'était vraiment un voyage tel qu'il l'imaginait, il y a des années, avec C18 et C16, à la différence que la compagnie de Ruri n'était en rien comparable avec ce qu'il avait connu. Elle était très bavarde, et bien plus drôle que C18. Par exemple, depuis qu'elle avait appris qu'il pouvait manger, elle avait mis un point d'honneur à lui faire goûter absolument toute la nourriture humaine possible et imaginable. C17 n'était pas du tout habitué à manger, il n'avait pas un grand appétit, mais il se pliait assez volontiers à l'exercice. La présence de Ruri et le fait de rester en permanence avec elle avait réveillé en lui la curiosité qu'il avait eue auparavant pour tout ce qui touchait à « l'humanité » en général. La perte de ses souvenirs personnels l'avait aussi privé d'une grande partie de ses connaissances sur les objets de la vie quotidienne des terriens. Il avait gardé certains réflexes toutefois, ou des savoirs intuitifs (par exemple le fait de savoir conduire), mais pour le reste, il allait vraiment de découverte en découverte. Et il adorait ça.

Ruri ne lui avait plus vraiment posé de questions depuis leur dernière conversation, à part sur quelques détails, comme le fait qu'il devait boire régulièrement, et surtout sur l'énergie infinie dont il disposait. Mais il savait que tôt ou tard, elle recommencerait. Leurs conversations s'étaient plutôt concentrées sur les études de Ruri et sur les animaux. L'étendue de son savoir dans ce domaine était ahurissante pour quelqu'un d'aussi jeune. Elle n'avait en effet pas encore 20 ans, et était techniquement encore étudiante. De ce que C17 avait compris, elle était une élève très douée et en avance sur les autres. C'est pour cette raison qu'elle avait le droit de poursuivre ses études en partie à distance et donc de préparer sa « grande expédition », dont d'ailleurs elle ne voulait pas vraiment lui dire grand-chose. Elle devait régulièrement faire des pauses pour assister à des cours depuis son ordinateur ou rendre quelques devoirs, ce qu'elle faisait généralement le soir. C17 n'ayant rien de particulier non plus à faire, il s'était mis assez naturellement à écouter les leçons et même à lire quelques-uns des livres de Ruri.

Cette dernière prenait d'ailleurs très au sérieux « l'enseignement » qu'elle donnait à C17. Aussi, i jours, alors qu'ils étaient encore relativement loin du lieu de rendez-vous pour la mission, elle avait suggéré d'arrêter le voyage en voiture, de voler rapidement pour se rapprocher le plus possible de la destination finale, et de passer quelques jours en immersion dans la nature pour pouvoir apprendre à C17 les bases en matière de vie auprès des animaux sauvages. Le moment était idéal selon elle, car ils avaient presque épuisé leur stock de nourriture.

C'est donc ce qu'ils avaient fait. La voiture servait de campement pour la nuit, et les journées étaient consacrées aux leçons pratiques. Se déplacer, observer, reconnaître les traces… il y avait beaucoup à retenir. Mais Ruri était patiente et expliquait très bien.

L'objectif de cette journée était de chasser pour le repas du soir, et c'était bien plus difficile que ce que C17 avait pensé. Il avait d'ailleurs été surpris quand elle le lui avait proposé le matin même.

- Je croyais que tu détestais les chasseurs, lui avait-il dit.

- Pas les chasseurs, les braconniers, avait répondu Ruri.

Quand C17 lui avait demandé la différence entre les deux, la jeune femme lui avait fourni une longue explication.

- Comprends bien C17 que l'humain est un omnivore, il mange de la viande pour se nourrir. La chasse, en soit, c'est naturel, les autres animaux chassent aussi. Mais déjà, les braconniers tuent des animaux en danger de disparitions, et en plus la plupart ne tuent pas pour manger les animaux, mais pour revendre une partie de leur corps seulement. Et tu l'as vu, certains se contrefichent de faire souffrir les animaux d'ailleurs.

- Oui, je vois la différence. Mais ça m'étonne que tu manges des animaux.

- En fait, très peu. Je ne sais pas cuisiner du tout, pour commencer. Et puis… disons que maintenant on peut se nourrir sans tuer des animaux. Alors quand je suis dans la « vraie vie », je n'en mange quasiment pas. Mais si je suis en expédition, et que, contrairement à certaines personnes, je ne peux pas voler jusqu'au prochain supermarché, alors là je chasse. Je ne me laisse pas mourir de faim tu vois.

- Ah.

- Je suis donc végétarienne la plupart du temps. Je vis de soupes de nouilles et de pizza aux légumes.

- Et de cookies.

- Ah oui, aussi. Bizarre non ?

- Non, je crois que je comprends.

- Je limite mon impact sur la nature au minimum possible.

- Donc, tu veux qu'on chasse du coup.

- Pas n'importe comment par contre.

- C'est-à-dire ?

- La chasse, c'est un combat entre prédateur et proie. Et le prédateur ne gagne pas toujours. Les humains ont développé tout un tas d'outils comme le fusil, les jumelles… ça n'est plus un combat égal. Moi, je ne triche pas. On ne compte que sur nos compétences de traque, et pas de fusil. On chasse à l'arc.

- …. pourquoi ?

- Il faut être beaucoup plus doué pour chasser à l'arc. Tu dois t'approcher très près de la cible, bien plus qu'avec un fusil. Et la moindre erreur, le moindre bruit… c'est perdu, tu ne manges pas. Je trouve que c'est bien plus juste. Et ce sera un excellent moyen pour toi d'apprendre comment te comporter face à un animal. Donc, pas de repérage vu du ciel, ni de caméra dans les yeux. Tu relèves le défi ?

- …. ok.

Munis d'un arc et de flèches que Ruri avait dans son matériel d'expédition, ils étaient donc partis depuis l'aube à la recherche de nourriture. Leur emplacement actuel était situé quelque part à l'extrémité Ouest du monde. Le paysage était composé de grandes étendues de plaines herbeuses parsemées de petites forêts. Ils étaient dans l'une d'entre elle quand, après des heures de marche, C17 avait malencontreusement écrasé des branchages.

A présent allongés sur la couverture, tous deux regardaient le ciel en silence.

- Dis, demanda tout à coup Ruri, quand tu dis qu'avec ton générateur d'énergie infinie tu n'es jamais fatigué, c'est que tu ressens la fatigue, mais elle disparaît aussitôt, ou tu ne ressens pas du tout de fatigue ?

- Je ne la ressens pas.

- …. qu'est-ce que c'est pratique quand même.

Comment souvent, C17 ne répondit pas et se contenta d'acquiescer. Habituée aux grands silences qui ponctuaient leurs conversations, Ruri ne s'en offusqua pas. Après quelques minutes, le calme était revenu autour d'eux, il était de toute façon temps de repartir.

- Bon, dit-elle en se relevant, changement de tactique. Tu fais encore trop de bruits quand tu marches, à ce rythme moi, ce soir, je mange de l'air.

- … désolé.

- Pas de souci, ça s'apprend, et depuis hier tu as déjà bien progressé.

C17 se releva à son tour, puis reprit :

- Alors, quelle tactique maintenant ?

- Oreille.

- … pardon ?

Ruri s'approcha de lui, et tout doucement, passa ses mains dans les cheveux de C17 qu'elle fit ensuite passer derrière ces oreilles.

- Qu'est-ce que …

- Chuuuuut, murmura-t-elle, fais-moi confiance. Pour trouver à manger, maintenant, il va falloir que tu te serves de ton ouïe. Écoute. Qu'est-ce que tu entends ?

- ….. rien. Rien du tout.

- La nature n'est jamais silencieuse. S'il n'y a aucun bruit, c'est qu'une menace est dans les parages, ou qu'une catastrophe a eu lieu. Écoute plus attentivement. Ferme les yeux si ça peut t'aider.

C17, peu convaincu, ferma néanmoins ses yeux et tenta de se concentrer davantage. Au début, il n'entendit rien de particulier. Puis il commença à distinguer des sons très lointains.

- … des … insectes ?

- Oui, mais encore ? répondit Ruri, d'un ton encourageant.

- … de l'eau.

- Exactement ! Tu peux ouvrir les yeux. On entend de l'eau depuis tout à l'heure. Et qui dit eau dit nourriture. Soit des animaux qui viendront boire, soit des poissons. On file au point d'eau.

C'était vraiment une expérience intéressante pour C17. Il était toujours impressionné par l'expertise de Ruri, et il ne regrettait décidément pas de l'avoir accompagnée. Comme elle le lui avait promis, avec elle, il ne s'ennuyait jamais.

Tous deux reprirent donc la marche, jusqu'à atteindre en effet une clairière dans laquelle coulait une rivière. Après l'avoir inspectée, Ruri sourit, l'air satisfaite.

- Super, il y a plein de poissons dedans.

C17 s'avança vers la rivière et commença à retrousser ses manches, quand Ruri l'interrompit :

- … tu veux faire un plongeon ?

- Non.

- Pourquoi tu retrousses tes manches ?

- … tu ne veux pas que j'attrape des poissons ? Je suis rapide, ça ira vite. Tu n'as rien sur toi pour pêcher.

- Je te remercie C17, mais j'ai tout ce qu'il faut, répondit Ruri d'un air malicieux.

Elle se saisit alors de son arc, y plaça une flèche, et tendit fermement la corde. Elle se plaça alors au bord de l'eau, bien droite, juste en face de lui.

- Si tu veux participer, finit-elle par dire, tu peux tirer une petite boule de lumière en plein milieu de la rivière s'il te plaît ?

C17 n'hésita que quelques secondes, puis lança une légère onde d'énergie dans l'eau.

« TCHAC »

Tout était alors allé très vite. Quelques poissons avaient bondi hors de l'eau et immédiatement Ruri avait décoché sa flèche dans leur direction. Celle-ci avait frôlé le visage de C17, et c'était planté dans un arbre situé juste derrière lui.

Par réflexe il se retourna, et s'aperçut alors que 2 poissons étaient fixés à la pointe de la flèche, morts.

Il resta tout d'abord interdit, puis adressa un grand sourire à Ruri, accompagné d'un sifflement d'admiration.

- Joli tir, petite humaine.

- Merci. Dis-le que je t'épate répondit Ruri en souriant à son tour.

- Je suis … impressionné.

- Je tire très bien à l'arc.

- En effet.

- Et bravo, tu n'as pas bougé d'un millimètre.

- Tu as fait exprès de tirer dans ma direction ? lui demanda C17, amusé.

- Hahaha oui… de toute façon tu ne risques rien, pas vrai ?

- Rien du tout.

- C'est bien ce que je pensais. Bon, on mange ? Enfin, je mange ?

- … je prépare tout ce qu'il faut.

- Super !

C17 commença à ramasser du bois et à installer de quoi faire démarrer un feu comme il avait vu Ruri faire plusieurs fois, tandis que la jeune femme alla récupérer les deux poissons qu'elle venait de chasser. Soudain, il se releva et commença :

- … oh et …

- Oui, l'interrompit Ruri, je peux t'apprendre à tirer à l'arc, c'est le but des quelques jours qu'on va passer ici. Et une fois que tu maîtriseras les bases, on rejoindra l'équipe qui nous a contacté.

- Comment tu…

- Comment je devine ce que tu vas demander ? Facile. Mon instinct. Je te l'ai dit, c'est la base pour un zoologiste.

- … et …

Ruri se rapprocha de C17 et, devançant encore une fois sa question, elle répondit avec malice :

- Oui, ça aussi, je vais te l'apprendre.