Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

C17 s'était éclipsé depuis plus d'une heure maintenant. Il avait sorti toutes les affaires qui étaient entreposées dans le coffre du pick-up, et avait presque fini de tout ranger. Il n'en revenait pas de découvrir à quel point Ruri pouvait être désordonnée ! Il n'y avait aucune logique dans la façon dont elle plaçait les objets entre eux.

Alors il avait minutieusement rassemblé entre eux les objets similaires, et était assez fier du résultat. Les livres avec les livres, le matériel de cuisine regroupé, les vêtements à part... Quelle sensation étrange, la sérénité qu'il ressentait face à cet espace magnifiquement agencé !

C17 était encore en pleine « contemplation » quand il entendit des bruits de pas venant dans sa direction.

En se retournant, il reconnut Iris, l'amie de Ruri. Elle lui fit un petit signe de la main, puis vint à sa hauteur. Une fois arrivée, elle lui tendit une bouteille d'eau.

- Tiens, j'ai pensé que tu devais avoir soif, ça fait des heures que tu es parti.

C17 ne répondit pas, mais il accepta de prendre la bouteille, étant en effet assoiffé. Il but quelques gorgées, avant de s'apercevoir qu'Iris était toujours là. Ruri lui avait fait plusieurs fois remarquer qu'il pouvait parfois donner l'impression d'être impoli en ne répondant jamais quand on lui parlait. Il se dit alors qu'il devait sans doute dire quelques mots pour qu'Iris s'en aille.

- … merci… pour l'eau.

- De rien, c'est normal, lui répondit la jeune femme qui, au grand désespoir de C17, ne sembla pas du tout décidée à s'en aller. Bien au contraire. Elle fit le tour de la voiture, avant de reprendre :

- Hahaha c'est bien mieux rangé dis donc, toutes mes félicitations. Ruri est une fille adorable mais tellement bordélique ! Je suis partie plusieurs fois en voiture avec elle, je sais ce que c'est.

- … euh … oui.

- Elle a des tonnes de défauts, petite lune, enfin pardon Ruri, mais ça reste une fille vraiment extraordinaire. Enfin, je te dérange en plein travail. Je ne t'embête pas plus C17, je te laisse continuer. Rejoins-nous quand tu auras fini, il paraît que tu ne sais pas monter à cheval alors on a prévu de te donner une leçon particulière. A tout à l'heure !

« Petite lune »…. encore cette étrange façon de l'appeler. Tandis qu'Iris venait de faire demi-tour et s'apprêtait à repartir, C17 se décida à la retenir.

- Euh… attends, commença-t-il, sans trop savoir ce qu'il faisait ni ce qu'il allait dire.

- Oui ?

- Pourquoi … tu appelles Ruri « Petite lune » ?

- Oh. C'est un surnom qu'elle a depuis … l'année dernière je crois. Mais en fait, je crois que Ruri me tuerait si je te disais d'où il vient.

- Ah bon ? demanda C17, intrigué.

- Je pense que tu devrais lui demander de t'expliquer, c'est mieux. L'histoire derrière ce surnom est un peu embarrassante pour elle ! Ruri est tellement maladroite… Oh, et ne demande pas à Spike de t'expliquer. C'est lui qui lui a donné ce surnom, il serait capable de te dire pourquoi cet idiot. Et vraiment, Ruri n'aimerait pas.

- Il s'est moqué de Ruri ?

C17 avait prononcé cette phrase d'un ton inhabituellement expressif. Lui-même fut surpris de s'entendre parler avec une voix « énervée ». Mais en une fraction de seconde il avait imaginé Ruri en train de pleurer, et cette pensée lui était très désagréable.

- Non, rien de méchant, répondit aussitôt Iris. Au contraire même. Pour tout te dire, Spike a un petit faible pour Ruri. Il a même un peu flirté avec elle l'année dernière. Je ne pense pas qu'il ait renoncé d'ailleurs, on verra bien s'il tente de nouveau sa chance, maintenant qu'elle est là… Oh ! Mais tu as vu l'heure ! Je suis désolée, je parle, je parle… Bon, je te laisse finir ton rangement, je ne voulais vraiment pas te déranger. A tout à l'heure pour ta leçon C17 !

Puis, sans dire un mot de plus, Iris s'éloigna, laissant C17 seul. Ce dernier ne comprenait pas tout à ce qu'elle venait de lui dire, mais il devait encore finir de remettre les dernières affaires de Ruri dans la voiture. Alors au bout de quelques secondes il entreprit de terminer son rangement.

« Petit faible ? »

Cette pensée revint brusquement dans l'esprit de C17. Il ne savait pas ce qu'était un petit faible. Elle lui plaisait ? Oui, rien d'illogique, Ruri était belle, tout humain doté d'un sens de la vision normalement développé pouvait s'en apercevoir. Lui-même d'ailleurs… Cela n'avait pas d'importance de toute façon. Il ne lui restait plus qu'à remettre à leur place les chaussures de Ruri qu'il avait trié par taille pour qu'elles rentrent mieux dans le coffre. Il en rangea une, puis deux, puis...

« Flirter ? Je sais ce que ça veut dire. Tenter sa chance de nouveau ? Pourquoi de nouveau ? Est-ce que ça veut dire que Ruri l'a repoussé ? »

Il s'arrêta net, une paire de bottes à la main.

« Mais en même temps, ce crétin d'humain… il lui touchait les épaules tout à l'heure … il cherchait quoi au juste ? »

Tandis qu'il réfléchissait, C17 continuait d'essayer de ranger les bottes, mais elles ne rentraient pas dans l'emplacement qu'il avait prévu à cet effet.

« Attends, il a dit ma petite lune. Pourquoi ma ? Ruri n'est pas à lui. Elle est à … enfin, pas à cette espèce de plouc ».

Rien à faire. Il avait beau essayer, impossible de faire rentrer ces fichues bottes. Il avait pourtant prévu de finir son rangement avant de …

« Une leçon pour apprendre à monter à cheval ? Je n'ai pas besoin de monter à cheval, je vole et c'est plus rap… Mais qu'est-ce qu'elles ont à la fin ces bottes ? Je n'ai pas besoin d'y aller de toute façon je ne... »

Il réalisa brusquement une chose. Si lui ne rejoignait pas Ruri, ce Spike, lui, le ferait. Il allait peut-être encore la toucher, l'appeler par ce surnom ridicule… ou lui en trouver un autre. Et rien que cette idée suffit à donner envie à C17 de lui arracher la tête.

Il laissa là la paire de bottes, et emboîta le pas d'Iris pour se rendre au niveau de l'écurie.

Ruri était là, et aussitôt qu'il put la voir C17 se sentit rassuré. Il avait envie d'être près d'elle. Elle lui sourit dès qu'elle l'aperçut. Qu'est-ce qu'il aimait ce sourire… Mais il n'eut pas vraiment le temps d'y penser car à peine arrivé, il commença sa leçon. Comme les jours précédents, Ruri se chargea de lui apprendre quelque-chose. Du théorique, et de la pratique.

C17 n'était jamais monté sur un cheval de toute sa vie, mais cela n'avait rien de très compliqué pour lui. Il avait une parfaite maîtrise de son corps et apprendre comment se positionner ou intégrer de nouveaux mouvements, rien de tout cela n'était pas très difficile pour un combattant comme lui.

Ils passèrent en tout deux bonnes heures à cheval, et c'était bien suffisant pour que C17 soit capable de se débrouiller. Jugeant qu'il en savait assez pour le lendemain, Ruri lui suggéra d'arrêter et de se concentrer sur la préparation de la nuit d'observation à venir.

- Tu es vraiment impressionnant C17… lui dit Ruri tandis qu'ils mettaient pieds à terre.

- Pourquoi ?

- Tu apprends tellement vite, c'est fou…

- J'ai un excellent professeur.

C17 lui avait déjà fait des compliments, mais celui-ci était différent. Il était spontané, et C17 lui parlait d'une voix bien plus chaleureuse que d'habitude. Ils échangèrent un regard. Ruri sentit son cœur battre dans sa poitrine tandis qu'elle voyait les yeux bleus de C17 se poser sur elle, emplis d'une sorte de tendresse très inhabituelle chez lui. Son visage était encore impassible quand, après quelques secondes, il esquissa un sourire. C17 n'avait décidément pas du tout l'habitude de montrer ses émotions. Sourire n'était pas forcément naturel pour lui. Le voir se « forcer » ainsi amusa beaucoup Ruri. Elle eut l'impression de voir un animal nouveau-né en train d'apprendre à marcher, trébuchant, mais plein de bonnes volontés.

- Je ne voudrais pas faire la trouble fête, mais il manque encore un cheval à choisir…

C17 et Ruri se tournèrent en même temps, pour découvrir qu'Iris se tenait juste derrière eux. Et au grand dam de C17, Spike aussi était là. Il venait sans doute juste de revenir, puisqu'il avait les bras encore chargés de sacs de courses.

- Ah c'est vrai, répondit Ruri, Il nous en manque un, on pourrait ...

- Oh j'ai déjà une idée, l'interrompit Iris, mais je ne sais pas si cela va fonctionner.

- A quoi tu penses ?

- Eh bien le fermier n'a vraiment que 3 chevaux en état de faire un tel trajet …

- Ah bon ? interrogea Ruri, surprise.

- OUI ! Fais-moi confiance, continua Iris, adressant un drôle de regard à Ruri. Donc c'est un problème. Mais il a un cheval qui pourrait faire l'affaire. Le seul souci, c'est que c'est un jeune mâle encore en phase de dressage. Il a été capturé récemment, et n'est pas encore débourré. Il faut voir si l'un des garçons arrive à en faire sa monture.

- Mais pourquoi les garçons ? Je suis une excellente cavalière moi !

Iris leva les yeux au ciel. La jeune femme poussa un long soupir, puis reprit :

- Parce que c'est dangereux, voilà. On va donc laisser les garçons prendre le risque. Ils n'ont pas peur, ce sont des hommes. N'est-ce pas messieurs ?

Spike et C17 échangèrent un bref regard, avant de répondre, en même temps :

- Pas du tout !

- C'est bien ce que je pensais. Suivez-moi.

Iris prit la direction d'un bâtiment adjacent, suivit par les 3 autres. A l'intérieur se trouvait une carrière de dressage, et un magnifique cheval se trouvait en son centre. Un étalon à la robe alezane, incandescente. A peine eut-il aperçu les humains qu'il se mit à hennir, grattant le sol, très agité. Il n'était clairement pas du tout heureux de les voir.

- J'ai juste pu lui mettre un licol, expliqua Iris. Ça ne va pas être facile, mais c'est vraiment le seul cheval qui nous reste. Qui commence ?

- Mais, je … commença Ruri, avant qu'Iris ne lui coupe encore la parole, agacée.

- Mais tu vas me laisser faire oui ! Ne pose pas de question, chacune est douée dans SON domaine. Tu t'en rappelles ?

Ni Spike, ni C17, ne comprenaient quoi que ce soit à cette étrange conversation. Mais ce qui était sûr, c'est que le visage de Ruri sembla s'éclairer tout à coup, comme si elle venait de réaliser quelque chose d'important.

- Ah ben oui. Oui, oui…

- Voilà. Les garçons, qui commence ?

- J'y vais !

Spike venait de prendre la parole. Il déposa les sacs qu'il portait, et s'avança, l'air assuré. Il posa une main sur le dos de C17, et lui donna une très légère tape.

- Tu m'excuses mec, mais j'ai bien plus d'expérience que toi. Ruri et moi, on a fait beaucoup de balades à cheval ensemble tu vois. Ce n'est pas la peine que tu prennes le risque de te blesser, je m'en charge !

Tous deux se toisèrent, pendant d'interminables secondes. C17 ressentit une envie furieuse d'envoyer balader la tête de ce crétin de l'autre côté de la pièce. Mon dieu, il le détestait réellement.

- Oui, Spike, commence donc… lui répondit Ruri, doucement.

C17 la regarda, interloqué. Pourquoi ne l'avait-elle pas désigné ? Pourquoi avoir préféré cet imbécile d'humain ? Il ne put pas lui poser la question, car à peine avait-elle fini sa phrase que Ruri s'éloigna aussi vite que possible, pour aller s'asseoir complètement à l'opposé de lui.

Elle semblait le fuir.

Il était complètement décontenancé. Pourtant, ces derniers jours, il avait eu l'impression que quelque-chose de spécial s'établissait entre eux. S'était-il trompé ? Il ne savait plus quoi penser. Pourquoi d'ailleurs était-il à ce point perturbé ? Il était submergé par tout un tas d'émotions fortes et contradictoires. Devait-il la suivre ? Devait-il s'en aller ?

- Tu devrais faire un peu plus confiance à Ruri.

C17 tourna la tête. Iris était à côté de lui. Elle le fixa pendant plusieurs secondes, arborant un très grand sourire. D'un mouvement de tête, elle lui indiqua d'observer Spike.

Le jeune homme s'avança, d'un pas déterminé, jusqu'au centre de la carrière pour rejoindre le jeune étalon. L'animal se laissa approcher, mais à peine Spike était-il monté sur son dos qu'il se mit à s'agiter, avant de se lancer dans une impressionnante course tout le long de la clôture. Chaque foulée était séparée par une ruade, ou un brusque saut. Par tous les moyens, il cherchait à déséquilibrer Spike. Ce dernier s'accrochait désespérément à la crinière de l'étalon, mais au fil des minutes, il commença à montrer des signes de fatigue.

Et finalement, en un peu plus de 5 minutes, le cheval parvint à se débarrasser de son éphémère cavalier, qui fut éjecté et retomba la tête la première dans le sable de la carrière. L'étalon se calma aussitôt après, et repartit tranquillement se placer au milieu la pièce.

Au fond de lui, C17 ne pouvait s'empêcher d'éprouver un immense sentiment de satisfaction. Il était même tellement content qu'un grand sourire se dessinait sur son visage.

« Abruti », pensa-t-il, en voyant Spike allongé au sol, recouvert de sable, et encore abasourdi par sa chute. Il entendit alors, au loin, la voix de Ruri qui s'écria :

- Oh, dommage, bien tenté Spike. C17 ? Tu te sens capable de faire mieux ?

Il la regarda. Ça y est. Elle le regardait comme d'habitude, avec son regard rieur. Tous les doutes de C17 s'envolèrent en un instant, s'effaçant devant son magnifique sourire. Maintenant que Ruri le regardait, il était donc temps pour lui de montrer à cet humain ridicule qui était le plus fort.

- Serre les talons le long de son corps, et agrippe sa crinière. Pas besoin de lui faire mal ni de chercher à le faire aller quelque part. Tiens juste le coup, le temps qu'il se fatigue. Si tu es bien cramponné, c'est juste une question d'endurance…

Iris venait de lui murmurer ces quelques mots, l'air complice.

C17 n'était pas sur de bien comprendre à quoi elle jouait, mais il tint bien compte de son conseil.

- Ne t'inquiète pas, lui répondit-il, j'ai confiance en mon endurance.

Aussitôt entré dans la carrière, C17 saisit Spike par son t-shirt et le releva, sans le blesser, mais avec fermeté.

- Je crois que c'est mon tour, « mec », se contenta-t-il de dire.

Et sans attendre, il lui donna à son tour une tape dans le dos. C17 prit soin de doser sa force pour ne pas faire mal à Spike, mais incontestablement, il mit dans ce coup plus de force que nécessaire, car le jeune homme fut en quelque sorte propulsé vers la clôture.

L'étalon, lui, fixait C17. Il l'attendait.

C17 utilisa à bon escient le conseil d'Iris. Tenir malgré les ruades de l'animal ne lui posa aucune difficulté bien sûr, et il ne chercha pas à lui imposer quoi que ce soit. Il se contenta de tenir, le temps que le cheval s'épuise, et s'arrête de lui-même. Au bout d'une dizaine de minutes, C17 était parvenu à le maîtriser, et le faire marcher à sa guise dans la carrière.

Il en fit lentement le tour, et une fois arrivé à la hauteur de Ruri, il lui fit un clin d'œil, qu'elle lui rendit immédiatement. Il se sentit rassuré, mais sans pouvoir vraiment dire ce qui l'avait inquiété.

Le reste de la soirée passa tranquillement. Iris avait préparé des paniers repas pour tout le monde, et ils avaient passé une grande partie de la nuit en observation. Pour couvrir une plus large distance, ils s'étaient séparés. Par prudence, Iris, Spike et Ruri s'étaient munis de fusils. C17 lui, bien qu'ayant son propre territoire à inspecter, avait régulièrement entrepris de survoler la zone et de les surveiller discrètement. De toute façon rien d'anormal ne s'était passé. Aucun animal n'avait été attaqué cette nuit-là, ce qui conforta Ruri dans son idée qu'il fallait chercher ailleurs l'origine du problème.

Vers 4 heures du matin, Ruri était justement en train d'inspecter un des enclos, quand elle fut rejointe par Iris.

- Rien à signaler, n'est-ce pas ? lui demanda cette dernière.

- Non, rien, c'est vraiment bizarre cette histoire.

- J'ai parlé à Spike, j'ai réussi à le convaincre.

- … comment ?

- Est-ce que c'est vraiment important ?

Iris souriait, et Ruri acquiesça. Elles étaient très bonnes amies depuis le premier jour de leur rencontre. Mais Ruri était plus jeune qu'Iris de 4 ans, et cette petite différence d'âge avait toujours induit entre elles une relation plus fraternelle qu'amicale. Iris avait tout de suite instinctivement voulu protéger celle qu'elle voyait plus comme une petite sœur que comme une simple amie.

- Non, sans doute pas, finit par répondre Ruri en riant.

- Bon. Et pour le reste à toi de jouer ma grande. Aujourd'hui, nous avons semé les graines. Reste à attendre un peu que ça pousse, et ensuite, hop, tu cueilles quand c'est mûr !

- Hahahaha, ça à l'air si simple Iris…. Je ne sais pas si…

Iris posa sa main sur l'épaule de Ruri, et gentiment, lui dit :

- Crois-moi, même si ton C17 est du genre distant, tu lui plais, c'est évident. Et un homme, ça reste un homme. Tous des idiots.

Ruri resta silencieuse, pensive.

« Oui, après tout, C17 est un humain à la base… un vrai humain… il ressent des choses, je le sais... »

- Ma grande, reprit Iris, j'ai lancé la machine. A toi de continuer. Tu as bien compris ce qu'il faut faire ?

Ruri pris une grande inspiration.

- Oui ! répondit-elle finalement, pleine de confiance.

La jeune femme se saisit alors de son sac à dos, et s'éloigna d'Iris pour rejoindre le lieu où C17 devait se trouver. Il était bien à son poste, dans l'écurie principale, à veiller sur les chevaux. Ils étaient seuls tous les deux, l'occasion idéale pour discuter. A vrai dire, ils ne s'étaient pas vraiment parlé depuis l'épisode avec l'étalon, et pourtant elle avait l'impression que cela faisait des années qu'ils ne s'étaient pas vus. Il lui avait tellement manqué. Leurs moments, rien qu'à eux, lui avaient tellement manqués…

Elle l'observa quelques minutes.

Il était silencieux, comme d'habitude. Elle le vit passer d'un box à l'autre, et amusée, elle remarqua qu'il s'arrêtait devant chaque cheval pour le regarder. Quand l'un d'entre eux avança son museau en direction de C17, ce dernier hésita quelques secondes avant de doucement tendre sa main pour lui donner une timide caresse.

- Tu aimes les chevaux ? dit-elle, faisant presque sursauter C17. Moi, j'adore, ce sont des animaux fascinants...

C17 ne lui répondit pas. Il ne savait pas du tout quoi lui dire, après tout ce qui s'était passé dans la journée. Il était malgré tout heureux de la voir. Il avait ressenti une impression étrange pendant ces longues heures durant lesquelles ils avaient été séparés. Un vide. Il s'était surpris à vouloir lui parler, à lui faire part d'une impression, avant de se rendre compte qu'elle n'était pas là.

Mais cela n'avait pas d'importance, parce qu'à cet instant précis, elle était là. Rien qu'avec lui. Rien que pour lui.

« Mince, dis quelque chose…. » se dit-il tout à coup en se rappelant qu'il fallait répondre lors d'une conversation.

- Je n'en avais jamais approché, mais j'aime bien les chevaux… finit-il par dire, tout en pensant que, décidément, cette réponse était d'une banalité affligeante.

Mais Ruri ne parut pas lui en tenir rigueur. Elle lui sourit, et s'approcha jusqu'à se retrouver à côté de lui. Elle lui tendit une bouteille en verre, et reprit :

- Tiens, une bière. J'en ai piqué deux dans la cuisine du fermier.

- Merci. Tu … ne devrais pas aller dormir maintenant ?

- Non, pas la peine. Il va falloir qu'on parte bientôt de toute façon. Et dormir seulement 2 ou 3 heures, c'est pire que de ne pas dormir du tout.

- Ah bon ?

- Oui. Je dormirai ce soir. Alors, toi non plus tu n'as rien vu ?

- Non. Rien du tout. Je n'ai senti aucune présence.

- Moi non plus. Ce soir, personne n'est venu nous rendre visite. Mais je m'en doutais. Le fermier m'a dit que les attaques étaient récentes et très irrégulières. Nous en saurons plus en inspectant les environs.

- … Je prépare les 4 chevaux si tu veux te reposer.

« Et voilà », pensa immédiatement Ruri, « maintenant, à l'attaque, comme Iris m'a dit de faire ! »

- Deux seulement C17. Iris et Spike ne viendront pas finalement.

- Ah, répondit C17, tentant de faire comme si cette nouvelle lui était indifférente. Mais Ruri, attentive, nota bien le très léger frémissement dans son regard. Elle poursuivit, amusée :

- Oui. Spike s'est un peu fait mal quand il est tombé et Iris l'a convaincu qu'il valait mieux qu'il se repose au lieu de partir en vadrouille dans un endroit potentiellement dangereux.

- Mmm.

- Il est gentil tu vois, mais franchement, Spike a toujours été un vrai idiot en fait.

- Ah.

- C'est pour ça que je l'ai laissé passé en premier. Quand Iris a dit qu'il ne restait que ce cheval, j'ai tout de suite pensé qu'il valait mieux que tu en sois le cavalier. Mais il n'aurait jamais accepté de te laisser prendre ce cheval, parce qu'il est fier, comme tous les hommes. Il fallait qu'il comprenne de lui-même. Tu vas peut-être mal me juger, mais j'étais sûre qu'il échouerait. Et toi, je savais que tu y arriverais. Alors j'ai suggéré qu'il passe avant toi. Tu ne m'en veux pas au moins ?

- Non.

C17 se sentit instantanément soulagé, comme si Ruri venait de lui ôter un poids gigantesque. C'était donc pour ça. Oui Spike était en effet un idiot, il l'avait toujours pensé. L'explication de Ruri lui semblait parfaitement logique.

- Du coup, cet idiot s'est blessé. Mais bon ce n'est pas grave, tant mieux n'est-ce pas ?

- Oui.

Ruri retenait à grande peine un fou rire. C17 faisait tellement d'effort pour avoir l'air indifférent alors qu'il était évident qu'il était content que Spike se soit blessé, elle le trouvait adorablement craquant. Mais Iris lui avait bien expliqué ce qu'il fallait qu'elle fasse. La tactique « offensive » paraissait diablement efficace. Il était temps de porter le coup de grâce.

- Il a toujours été comme ça remarque. L'année dernière figure-toi que ce crétin a même essayé de sortir avec moi… tu te rends compte ?

- Ah.

C17 se dirigea soudain vers un coin de l'écurie dans lequel était entreposé en désordre du matériel de brossage qu'il se mit à ranger.

- Il a flirté avec moins 3 bonnes semaines je pense, continua Ruri, intérieurement hilare. Il m'a payé des cafés, des bières…

- Mmm, se contenta de marmonner C17, en se dirigeant vers une autre partie de l'écurie, pour se mettre cette fois à ranger les selles et les harnais.

- … il m'a emmené au cinéma, enfin, du classique quoi.

C17 continua de répondre par de simples marmonnements, avant d'entreprendre cette fois le rangement des fourches et des affaires de nettoyage.

- Mais bon, moi, Spike, je m'en fiche complètement tu sais.

Ce n'est que quand Ruri prononça cette phrase que C17 cessa son grand ménage. Il se tourna vers elle. Elle ne le regardait pas, mais il devinait son sourire. Une question lui brûlait les lèvres. Il fallait qu'il la pose. Alors il revint vers elle.

- Ruri ?

- Oui, C17 ?

- Pourquoi… petite lune ?

- …..

- …..

- ….

- Je t'ai bien dit pour moi, la cybernétisation… tout ça…

- Oui. Pas faux. D'accord. Mais promets-moi de ne pas te moquer. Promets le sur la chose la plus précieuse que tu possèdes.

- Je te promets. Sur … la chose la plus précieuse que je possède.

- Bon. C'est idiot mais un soir on était en déplacement avec Iris, Spike, et des amis pour une expédition. On dormait dans un hôtel pas cher, tu sais, les hôtels avec les douches sur le palier.

- Euh, oui ...

- Et au petit matin j'ai voulu prendre une douche. Mais j'étais pas bien réveillée. Je suis sortie de ma chambre en oubliant les clés. Résultat, je me suis retrouvée toute … toute nue dans le couloir, avec seulement une toute petite serviette. J'ai paniqué et j'ai frappé à toutes les portes pour demander de l'aide. Et comme j'ai frappé à toutes les portes, tout le monde est sorti en même temps, et j'ai filé en courant au bout du couloir parce que forcément la chambre d'Iris était tout au fond… et donc… tout le monde a vu mes … fesses et donc… voilà. Cet espèce d'abruti de Spike n'a rien trouvé de mieux que de faire une blague sur la pleine lune… et donc … voilà.

C17 resta quelques secondes sans réactions. Il avait imaginé tout un tas de scénario pouvant expliquer cet étrange surnom. Mais absolument rien qui ne pouvait se rapprocher de près ou de loin à la vérité. Il résista autant qu'il put, mais il fut rapidement envahi par une envie irrésistible de rire. Une envie comme jamais il n'en avait jamais éprouvé de toute sa vie.

Alors, sans qu'il n'y puisse grand-chose, il éclata de rire. Un rire franc, sincère… et tellement humain.

- Hahahaha !

-C17 ! Tu m'avais promis ! s'écria Ruri, en lui donnant une tape sur la tête. Eh, ne crois pas t'en tirer espèce de … de …

- Hahaha, excuse-moi je … hahaha !

- … arrête, espèce de boite de conserve va !

Elle continuait à lui donner des petits coups sur la tête, que C17 ne sentait pratiquement pas. Il voyait bien d'ailleurs qu'elle était au moins autant rieuse qu'en colère. Tout en continuant de rire, C17 la saisit par la taille, et d'un geste, il la ramena tout près de lui, collant son corps au sien.

Ruri poussa un petit cri de surprise, et plaça immédiatement ses bras autour du cou de C17.

Tous deux se retrouvèrent là, enlacés, l'un contre l'autre, leurs visages séparés de seulement quelques millimètres. Ruri était soudain essoufflée. Elle ressentait un mélange troublant de peur et d'excitation.

« Oui, tiens-moi… serre-moi... » pensait-elle, sans oser bien sur le dire à haute voix.

C17 lui, n'arrivait pas à expliquer ce qu'il venait de faire. Il avait agi spontanément, instinctivement. Il sentait le corps mince et délicat de Ruri entre ses bras. Si petite, si fragile, qu'il aurait pu la briser sans faire le moindre effort. Il percevait la douceur de sa peau, l'odeur sucrée de ses cheveux. Elle était si belle, il en était comme hypnotisé. Il regardait ses lèvres fines, et eu brusquement une envie furieuse de poser les siennes sur cette bouche qui paraissait délicieuse.

Dans sa poitrine, il sentait une pression grandissante. Il ressentit son cœur battre, avec un rythme effréné, presque douloureux.

« Calme-toi, calme-toi... »

Ils restèrent ainsi pendant une bonne minute. Lentement, chacun reprit ses esprits. C17 fut le premier à réussir à parler, la voix encore hésitante.

- Boite de conserve ? dit-il en souriant.

- Tu avais promis de ne pas te moquer...

- Comment fais-tu pour te retrouver dans des situations pareilles, petite humaine ?

- Il faut croire que j'ai besoin que tu veilles sur moi, cyborg… répondit Ruri, plongeant son regard dans celui de C17.

- Oui, on dirait bien, répliqua C17.

Puis, il relâcha lentement Ruri. Le soleil commençait à se lever. Il allait être temps de partir et il y avait beaucoup de choses à préparer. Ils convinrent de se retrouver dans cette écurie dans deux heures. Ruri allait partir, quand tout à coup, une idée lui vint :

- Et attends, tu m'as bien dit que tu promettais de ne pas rire, en jurant que la chose la plus précieuse que tu possédais non ?

- Oui.

- Tu m'as menti alors ?

- Non. J'étais sincère. J'ai juré sur quelque-chose qui m'est précieux.

- C'est pas beau de jurer si l'on ne tient pas sa promesse, c'est dangereux pour ce sur quoi tu jures !

- J'ai juré sur … quelque-chose qui est résistant.

- Tu as juré sur quoi ?

- … C18.

- HEIN ?