Année : 771
Un peu plus de 3 ans après le Cell Game
C17 et Ruri étaient partis depuis plusieurs heures maintenant, avec deux chevaux, un peu de matériel scientifique et de la nourriture. Ils n'avaient pas emporté le pick-up, ce n'était pas nécessaire et il était inutile de s'encombrer. Leur but était d'explorer les environs de la ferme pour essayer de déterminer l'origine des attaques. Pour l'instant, ils n'avaient pas eu beaucoup de succès. Paradoxalement, c'était justement cette absence totale de traces qui intriguait le plus Ruri.
- Pffff vraiment, je n'y comprends rien ! dit-elle soudainement, tandis qu'ils chevauchaient dans une grande étendue herbeuse.
- C'est vrai qu'il n'y a rien du tout, lui répondit C17.
- Si on se base sur ce qu'a dit le fermier, cela fait 4 mois que des bêtes disparaissent. Je pense qu'on peut exclure l'intervention humaine déjà.
- Pourquoi ?
- Les animaux qui ont disparu ne sont pas des lapins. Ce sont des vaches, des chevaux… de gros animaux. Pour les transporter, des humains auraient eu besoin de véhicules, ça fait du bruit, ça laisse des marques. Et s'ils venaient régulièrement, alors ils seraient obligés d'avoir un campement pas trop loin. Tu as survolé toute la zone jouxtant la ferme. Et qu'est-ce que tu as vu ?
- Rien.
- Voilà. Donc, ce sont des animaux que l'on traque. Mais même là… à ma connaissance il n'y a pas de monstres dans cet environnement. Donc on cherche de petits animaux qui chassent en meute, vu qu'ils s'attaquent à de grosses proies. Que l'on ne trouve rien du tout ici m'intrique fortement…
- Tu en déduis quoi ?
Ruri resta quelques secondes silencieuse.
- Je commence à me demander si les attaques ne sont pas dues à des animaux qui viennent de beaucoup plus loin. Mais ça aussi, c'est très étrange… finit-elle par répondre, pensive.
C17 acquiesça, et ils poursuivirent leur chemin sans dire un mot. Il n'avait aucune idée de ce qui se passait ici lui non plus. Même si Ruri répondait à toutes ses questions et lui apprenait beaucoup de choses sur les animaux, il était encore loin d'avoir son niveau de connaissances. Il était en quelque sorte frustré d'avoir l'impression de lui être inutile.
La journée passa ensuite relativement rapidement, et quand le soleil commença à se coucher, ils décidèrent de s'arrêter près d'un point d'eau. Ils installèrent leur campement temporaire et ôtèrent aux chevaux leurs selles et leurs rênes.
- C17, ça te dérange si je vais me laver en premier ?
- Pas du tout, répondit ce dernier. Je te prépare à manger.
- Ne t'embête pas, fais chauffer de l'eau, j'ai emporté des nouilles aux légumes !
- Mmmh
La jeune femme se dirigea donc vers le point d'eau, et y plongea avec délectation. Elle était fatiguée par cette longue journée à cheval, son corps était douloureux. Heureusement pour elle, l'eau n'était pas trop froide, aussi Ruri décida de s'accorder un moment de détente et d'en profiter un peu. Elle resta donc dans l'eau bien plus de temps que ce qu'elle faisait d'habitude.
Ce n'est qu'au bout d'une dizaine de minutes qu'elle sortit de l'eau et s'enveloppa dans une petite serviette. Elle se sentait beaucoup mieux, et se mit même à fredonner une petite chanson.
« CRAC ».
Elle sursauta en entendant soudainement le craquement de branchages juste à côté d'elle. Quand elle leva les yeux, elle tomba nez à nez avec C17. Debout, tout près d'elle, il la fixait, les yeux grands ouverts, comme s'il était surpris.
Un long silence s'installa, avant que Ruri ne réalise que la serviette qu'elle portait ne couvrait pas grand-chose de son corps.
- Non mais ça va oui, je te dérange pas ! s'écria-t-elle, en tentant sans grand succès de cacher le maximum de surface.
- Pardon, lui répondit C17 en se retournant immédiatement, mais je ..
- Tu quoi ?
- Je m'inquiétais…
- Et je peux savoir pourquoi ?
- Tu ne revenais pas…
- Et alors ?
- Je … tu es resté longtemps, j'ai pensé que … je ne sais pas … que tu avais vu un animal gros et dangereux et que tu étais parti à sa poursuite…
- Non mais comme si j'allais me mettre dans une situation pareille ! Je ne suis pas une idiote quand même, je suis prudente je te signale !
- … sauf quand tu sors de ta chambre d'hôtel sans les clés.
Ruri s'arrêta net. C17 lui tournait le dos, mais son sens de l'observation était suffisamment affûté pour qu'elle puisse parfaitement distinguer les mouvements de ses joues.
- Non mais attends… et tu rigoles en plus ? Mais tu n'as pas honte ! Tu te crois peut-être drôle ?
- Moi, je trouve ça drôle, répliqua C17, visiblement amusé de la situation.
- …
- …
- Oui et bien ton sens de l'humour est discutable.
- Je n'ai pas vu grand-chose, pas besoin d'être mal à l'aise…
- Figure-toi, boite de conserve, que je ne suis pas DU TOUT mal à l'aise. Je suis belle, moi monsieur. J'ai un corps de rêve, moi monsieur. Alors je n'ai AUCUNE raison d'être mal à l'aise.
C17 attendit quelques secondes, puis répondit, en s'éloignant :
- En effet…
Ruri resta interdite à son tour pendant un moment. Elle connaissait maintenant assez bien C17 pour être certaine qu'il n'avait pas cherché à l'espionner, il était très certainement venu parce qu'il s'inquiétait. Mais ce dernier commentaire… Lors de leur première discussion dans sa chambre d'hôtel elle avait eu pendant un bref instant l'impression que C17 flirtait un peu avec elle. Mais par la suite il n'avait plus du tout eu de comportement ambigu. Jusqu'à la veille. Quand il l'avait prise dans ses bras. En y repensant, Ruri ne put pas s'empêcher de sourire.
Il y avait aussi eu le moment où, alors qu'elle était désespérée de comprendre qu'elle avait laissé s'échapper des tueurs d'éléphants, il lui avait touché les cheveux, tendrement.
A chaque fois qu'il manifestait ainsi de l'intérêt pour elle, cela ne durait qu'un instant. Ensuite il redevenait impassible et peu expressif. Ce n'était d'ailleurs pas très facile à suivre pour elle. Mais plus elle réfléchissait, plus il lui parût évident qu'en fait ces brefs moments représentaient sans doute une sorte de résurgence de l'humanité de C17. Lors de leurs nombreuses discussions, elle avait été étonnée de découvrir qu'il avait tout un tas de connaissances assez banales mais dont il était incapable d'expliquer la provenance. Il savait très bien conduire ou réparer les voitures, mais il ne pouvait nommer aucun outil. Il savait ce qu'était un cinéma mais ne pouvait donner aucun titre de films… Et quand Ruri lui demandait comment il connaissait ces choses alors qu'il avait passé finalement assez peu de temps dans le monde extérieur, il répondait invariablement qu'il ne savait pas.
Si l'homme qui l'avait transformé en cyborg avait tenté d'effacer la totalité de ses souvenirs, il n'avait que partiellement réussi. Il devait en être de même pour son comportement. Cet homme avait dû tenter de lui ôter son humanité, ses émotions, mais là aussi le résultat n'était pas parfait. Alors, est-ce que C17 n'avait pas de temps en temps une part de sa personnalité humaine qui refaisait surface ?
« Hahaha tu devais être un sacré dragueur en fait avant... » pensa-t-elle.
Elle n'était plus du tout en colère. Bien au contraire. Une phrase qu'Iris lui avait dite la veille lui revint en mémoire.
« Une fois qu'on a des braises, tout ce qu'il faut faire c'est souffler dessus... »
Ruri n'était pas très assurée en ce qui concernait les relations amoureuses, mais ce dont elle était sûre, c'est qu'elle était attirée par lui. Elle voulait « plus » que la relation qu'ils avaient.
Souffler sur les braises…
Avec un grand sourire, Ruri se dirigea vers le sac qui contenait ses affaires. Elle en sortit son pyjama licorne qu'elle avait continué à porter jusque-là, essentiellement parce qu'il était terriblement confortable.
« Non mais là ma fille c'est pas possible... »
Elle le rangea immédiatement, et sortit à la place la tenue qu'elle portait en général lorsqu'elle faisait de l'exercice : un tout petit débardeur noir ainsi qu'un short gris, plutôt court et échancré sur les côtés. Elle enfila cette tenue.
« Bien mieux » se dit-elle, satisfaite, avant de retourner vers le campement. « A nous deux, cyborg ! »
Quand elle arriva, C17 avait eu le temps de tout préparer. Il avait installé la tente, allumé le feu et était penché sur une casserole. Manifestement il finissait de préparer à manger. Ruri rangea son sac après en avoir sorti sa brosse à cheveu, et vint s'asseoir en face de lui. Tout en commençant à se coiffer, elle demanda :
- Alors, on mange quoi ?
- Une … soupe.
C17 avait levé la tête pour lui répondre, et Ruri remarqua avec plaisir le temps d'arrêt qu'il venait de marquer en la voyant. Satisfaite, elle se leva pour se mettre à côté de lui, et se pencha au-dessus de la casserole.
- Mais quelle soupe ? Tu n'as pas fait simplement les nouilles ?
Pour seule réponse, C17 lui tendit l'emballage des nouilles aux légumes, et lui montra le petit texte qui était inscrit à l'arrière.
- « Envie d'améliorer vos soirées nouilles ? Essayez la recette secrète de Tante Yummy ».
- Il y a marqué que c'est meilleur.
- Mais …
- Iris a mis de la nourriture dans le sac bleu. Il n'y avait pas tout ce qu'il fallait mais j'ai pu trouver de quoi me débrouiller.
- ….. ok, essayons.
- Tu n'as pas peur que ce soit mauvais ?
- Tu n'as aucune idée de toutes les choses immondes que j'ai pu manger en expédition C17. Et tu n'as aucune envie de le savoir.
Ruri se servit alors un bol de la soupe préparé par C17, et constata avec surprise qu'elle était délicieuse. Elle en bu avec ravissement plusieurs gorgées, avant de reprendre :
- Mais c'est hyper bon ! Bravo ! J'adore !
- …. content que cela te plaise.
- Haha décidément, dit-elle en prenant une voix un peu taquine, tu es un accessoire de voyage tellement pratique C17.
Quand il la regarda pour lui répondre, C17 ressentit une sensation de chaleur dans sa poitrine. Un peu décontenancé, il se contenta de sourire, ne sachant pas vraiment quoi dire en retour.
Ils continuèrent de manger, en silence. Une fois le repas et la vaisselle terminés, chacun vaqua à ses occupations.
C17 avait commencé la lecture d'un des livres de Ruri. Elle le lui avait donné à lire afin qu'il apprenne le nom des principales grandes familles d'animaux. Quant à la jeune femme, elle se prépara une tisane et se mit à travailler sur son ordinateur portable.
La nuit était à présent tombée. Aucun autre bruit que le crépitement du feu ne venait perturber le silence qui régnait dans cette plaine. C17 essayait de retenir tous les mots compliqués contenus dans son livre, mais ce soir il avait beaucoup de mal à se concentrer. Il n'arrivait pas à ôter de son esprit le souvenir de Ruri, quand il l'avait vu enroulée dans sa serviette de bain. il en avait eu le souffle coupé. Il avait fait son possible pour ne rien en laisser paraître, mais au fond de lui la vision de Ruri, en partie dévêtue, lui avait provoqué une émotion qu'il n'avait encore jamais expérimenté. Un tremblement avait parcouru son corps tout entier, et il avait eu bien du mal à détacher d'elle son regard. Idem quelques instants plus tard, quand elle était revenue dans cette tenue très différente de son habit de nuit habituel. Sans s'en rendre vraiment compte, il avait levé les yeux de son ouvrage, et s'était mis à observer la jeune femme.
Qu'elle était belle.
Cette pensée ne le quittait plus à présent.
« C'est vraiment étrange, ce pantalon… c'est…. court...» pensa-t-il soudain. Pourquoi avait-elle changé de vêtement pour dormir d'ailleurs ?
C17 tenta de reprendre sa lecture, mais il n'y parvint pas. Son regard se détachait irrémédiablement du livre, pour revenir se fixer sur Ruri. Sa peau, éclairée par les rayons de la pleine lune, était d'un blanc nacré qui paraissait irréel.
« Elle a vraiment des jambes magnifiques… pourquoi je ne m'en rends compte que maintenant d'ailleurs ? » se dit-il, tandis que, comme hypnotisé, il laissait ses yeux parcourir le corps de Ruri. Remontant du bas de ses jambes, survolant le bas de son dos, s'attardant quelques secondes sur ses épaules en parties découvertes...
La jeune femme, de son côté, ne manquait rien des regards appuyés de C17.
« Oui, regarde-moi… oh j'aime tellement tes yeux…. »
Elle avait sciemment mis une tenue plus découverte que d'habitude, mais voir un homme la regarder comme C17 le faisait la plongeait dans un état étrange, semblable à ce qu'elle avait ressenti la veille, quand il l'avait enlacé. Une sensation ambivalente. Elle était flattée, mais aussi intimidée. Heureuse de lui plaire, mais rougissante. Elle ne savait pas ce qu'elle devait faire. Aller le voir ? L'ignorer ? Céder à l'envie pressante qu'elle avait de se jeter dans ses bras ?
« Mais calme-toi ma fille, calme-toi... »
Son cœur s'était de nouveau emballé, mais la fatigue accumulée finit par avoir raison de son état de stress. Tant et si bien qu'elle finit par s'assoupir, sans éteindre son ordinateur.
C17 s'en aperçut. Elle lui avait pourtant expliqué qu'elle devait faire attention à ne pas épuiser les batteries, n'ayant rien pour le recharger. Alors, tout doucement, il s'approcha d'elle, pour l'éteindre.
Elle paraissait paisible et respirait doucement, profondément endormie. C17 posa alors délicatement sa main sur sa joue, et lui donna une très légère caresse. Un petit sourire se dessina sur son beau visage tandis qu'elle poussait un petit soupir de contentement.
« Mais qu'est-ce que je fais moi ! » pensa tout à coup C17.
Il retira doucement sa main, faisant bien attention à ne pas la réveiller. Il ne comprenait rien à ce qui venait de lui arriver. Ruri réveillait en lui des sentiments enfouis profondément en lui. Il ne savait pas comment gérer cet afflux de sensations nouvelles. Perturbé, il préféra s'éloigner pour lire en silence, jusqu'au lendemain matin.
Deux autres journées passèrent ainsi, tout aussi infructueuses. Au fil des heures, Ruri semblait de plus en plus pensive. A dire vrai, ils ne croisèrent pas beaucoup d'animaux. C'était cela qui rendait la jeune femme perplexe. Quand tout à coup, leurs deux chevaux s'arrêtèrent brusquement, poussant de puissants hennissements et refusant obstinément d'avancer.
- Qu'est-ce qu'ils ont ? demanda C17.
- Quelque-chose de dangereux dans le coin, répondit Ruri. On descend, et on continue à pied. Attache-les au buisson sur la droite. Ce n'est sans doute pas très résistant, comme ça en cas de réel besoin ils arriveront à se libérer et s'enfuir.
Tous deux se mirent donc en marche, laissant les chevaux derrière eux. Ils avaient une excellente visibilité dans cette vaste plaine, aussi il ne leur fallut pas longtemps pour trouver ce qui les avait effrayés. Au loin, ils aperçurent un très gros félin. Il ressemblait à un lion, mais sans crinière, et surtout doté de très longues canines.
- Smilodon fatalis, dit aussitôt Ruri.
- Hein ?
- Un gros chat. Nous sommes dans le mauvais sens du vent. Il va nous repérer dans quelques secondes, c'est trop tard…
Et en effet, immédiatement, l'animal se retourna et leur fit face. Poussant un rugissement, il s'avança vers eux. Ruri pris alors la main de C17, et commença à reculer, très doucement.
- Dans la nature, expliqua-t-elle, fuir revient à se désigner comme une proie et déclenche immédiatement une attaque. Il ne faut pas non plus lui tourner le dos. On fait face et on s'éloigne. Nous sommes deux et il est seul. Il n'a aucune raison d'attaquer.
Lentement, C17 et Ruri reculèrent, un pas après l'autre. Mais le tigre ne s'éloigna pas. Bien au contraire. Il continua d'approcher, de plus en plus vite. Il était légèrement penché en avant, avait les babines retroussées et semblait très agité.
C17 sentit la main de Ruri se resserrer sur la sienne.
- Ce n'est pas normal, mais observe bien sa posture. Tout son corps est en tension. Cette façon de se pencher, c'est typique des félins. Il va attaquer. C'est certain. Il cherche à nous tuer.
- Qu'est-ce qu'on doit faire ? répondit C17, attentif au moindre mouvement du prédateur.
- Si on continue de reculer on le conduit droit sur les chevaux. Il faut le stopper ici. J'ai besoin de 5 minutes pour prendre un anesthésiant dans mon sac. Tu peux l'immobiliser pendant ce temps-là ?
C17 lui jeta un coup d'œil surpris.
- C'est une vraie question ?
- Haha ok cyborg, toutes mes excuses. Bien sûr que tu peux. Ne le blesse pas, tiens-le fermement au niveau de la nuque et maintiens-le.
C17 ne laissa pas au tigre le temps de réagir. En un éclair il le saisit par le cou et le plaqua au sol sans difficulté. L'animal se débattit quelques instants, mais ne put pas opposer une résistance trop forte. De toute façon, Ruri s'était munie d'une seringue chargée d'une substance calmante qu'elle lui administra, et le tigre s'endormit en quelques secondes.
- Parfait, maintenant, voyons ce grand garçon de plus près, déclara la jeune femme.
Elle s'en approcha, et l'examina quelques minutes. Elle fronça rapidement les sourcils.
- C17, donne-moi ta main.
C17 s'exécuta, et Ruri lui plaça la main sur le flanc du tigre endormi.
- Qu'est-ce que tu sens ?
- Ses … os.
- Exact. Ses os. Il est d'une maigreur affolante.
- Pourquoi ?
- Oreille, puis œil, répondit Ruri, après quelques secondes.
Cette fois, C17 compris le message. Il se leva, et ferma les yeux, pour pouvoir écouter attentivement. Rien. Absolument…
- Rien, je n'entends rien du tout, finit-il par dire.
- Exactement. Rien. Pas un bruit, aucun animal, aucun insecte, aucun oiseau…
- La nature n'est jamais silencieuse.
- Exactement, contente que tu t'en rappelles, répondit Ruri, ravie. Ce silence n'est pas normal. Ensuite, œil.
C17 rouvrit les yeux, et tâcha d'observer les alentours. A travers cette vaste étendue herbeuse, finalement, il n'y avait rien. Il s'exclama :
- Mais qu'est-ce qui se passe ici ?
- Je crois que je comprends mieux, murmura Ruri.
- Tu comprends quoi ?
- On fait fausse route depuis le début C17.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- On s'est trompé en partant du principe que le problème se situait au niveau de la ferme. Ce n'est que la conséquence de quelque-chose de beaucoup plus grave et qui affecte tout le territoire.
- Ah bon ?
- Oh oui. Regarde ce tigre. C'est un prédateur. Il se nourrit d'autres animaux. Or, non seulement il n'a plus que la peau sur les os, mais en plus il a voulu s'en prendre à nous, alors que ce n'était pas du tout dans son intérêt d'attaquer deux humains de front. Conclusion ?
- … il meurt de faim.
- Tout à fait. Et je comprends pourquoi. Une plaine herbeuse comme celle-ci devrait être remplie d'animaux sauvages. Ce sont elles les proies habituelles du tigre. Il meurt de faim, parce qu'elles ne sont plus là.
- Et … donc, si je comprends bien, il se passe ici la même chose qu'à la ferme.
- En pire. L'animal qui s'en prend aux animaux de la ferme a d'abord décimé la faune locale. Il a dévoré ou fait fuir les animaux qui vivaient là. A tel point que les carnivores meurent de faim. Et donc, si maintenant ici aussi il n'y a plus rien…
- Il se rabat sur les animaux des humains.
- Exactement. Les attaques de la ferme sont récentes, car c'est toujours plus risqué de s'approcher des humains. Il n'y va maintenant que parce qu'il n'a plus le choix.
- Il ?
- Je crois vraiment que c'est un seul gros animal. Même en meute, de petits prédateurs ne pourraient pas du tout tuer autant d'autres animaux. On parle sans doute d'un seul. Et un gros.
- … je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que tu n'en es pas mécontente.
Ruri eut un éclat de rire.
- Pas faux. J'ai un faible pour les monstres et les trucs qui sortent de l'ordinaire, lui dit-elle, en le fixant d'un air amusé.
- Comme les cyborgs ? répondit C17, lui aussi rieur.
- J'avoue, les cyborgs, c'est … fascinant à étudier…
C17 ne répliqua pas, mais tous deux échangèrent un regard complice. Même s'ils avaient avancé dans la résolution du problème, il n'en demeurait pas moins que son origine exacte n'était toujours pas connue.
- Bon, et donc, de quel gros animal on parle à ton avis Ruri ?
- Aucune idée. Mais il ne vient pas d'ici. Pour une raison que j'ignore il a quitté son territoire habituel pour venir ici. J'ai une petite idée mais …
Soudain, C17 perçut derrière eux une présence. En une seconde, il entendit un bruit, comme si quelque-chose se dirigeait vers eux. Il tendit instinctivement le bras, interceptant une flèche qui venait de leur être tirée dessus.
- Ne bouge pas, ordonna-t-il à Ruri, tandis qu'il brisait en miette le projectile. Reste derrière moi.
La jeune femme obéis immédiatement. De son côté, C17 se mit à observer autour de lui. Dans la plaine, il n'y avait pas tellement d'endroits où se cacher. Seul un gros buisson, pas très loin, permettait de se dissimuler.
- Je sais que vous êtes cachés là, cria-t-il alors en direction du buisson. Soit vous sortez, soit je vous fais sortir.
Deux humains en sortirent alors, un homme, et un enfant. C17 n'avait encore jamais vu d'individus semblables. De teint assez mat, ils portaient des pantalons amples mais étaient torses nus. Tous les deux avaient de longs cheveux noirs, tressés, et le jeune garçon avait des plumes dans les cheveux. Ils avaient des arcs avec eux, c'était donc bien eux qui avaient tiré.
Ils semblaient estomaqués, sans doute par la petite démonstration de C17. Ruri lui tapota légèrement le dos, et tout doucement, lui dit :
- Pas la peine de t'énerver, laisse-moi leur parler.
- Non.
- Ah ne commence pas C17.
- Ils ont essayé de te tuer.
- Oui bon, je ne suis pas morte, on ne va pas en faire une histoire non plus. Je pense savoir quel est le problème. Laisse-moi parler. Sois diplomate un peu.
C17 leur fit alors signe de s'approcher. L'enfant resta près du buisson, l'homme seul venant à leur hauteur. Dès qu'il fut arrivé, C17 passa son bras par-dessus son épaule, et en un instant, il se saisit d'une flèche située dans le carquois que l'homme portait en bandoulière. Il la coinça entre deux doigts, et la brisa, en un coup.
- Tente quoi que ce soit, et je brise tes os aussi facilement que j'ai brisé cette flèche. Compris ?
- Oui, lui répondit l'homme, l'air grave.
Ruri s'avança à son tour, mais c'est à C17 qu'elle s'adressa.
- J'avais dit diplomate C17.
- Je ne sais pas ce que ce mot veut dire.
- … t'aurais pas pu me le préciser ?
- Je n'ai pas jugé l'information nécessaire.
- Non mais … bon, on réglera ça plus tard. Crois-moi que le prochain livre que tu vas lire c'est un dictionnaire. Bonjour Monsieur, ne faites pas attention, il n'a pas l'air, mais je vous assure qu'il n'est pas méchant.
L'homme la regarda, et Ruri sentit immédiatement de la colère dans son regard. Cette colère, elle l'avait déjà vu. Elle en connaissait l'origine.
- Nous ne sommes pas des fermiers, si c'est ce que vous avez pensé.
- Vous avez parlé de la ferme, lui répondit l'homme, la voix grave.
- Nous en venons. Le fermier le plus proche nous a demandé de l'aider, car ses bêtes sont attaquées. Je suis une spécialiste des animaux, je m'appelle Ruri, et lui, c'est mon partenaire, C17.
- Ces hommes n'aiment pas les animaux. Ils ne s'y intéressent que parce qu'ils perdent de l'argent. Ils nous chassent de nos terres. Ce ne sont pas des hommes bons.
- Je sais. Ils ne se soucient ni de la nature, ni des animaux, ni de vous. Mais j'imagine que vous aussi, vous devez être affectés par ce qui se passe ici.
- Oui. Nous n'avons plus de proie à chasser.
- Nous sommes là pour trouver ce qui se passe. Et régler le problème. Nous, nous voulons aider les animaux. Et maintenant que je sais, nous allons vous aider vous aussi.
L'homme les regarda, l'un après l'autre. Comme s'il tentait d'estimer leur sincérité. Il s'attarda en particulier sur C17, qui était resté immobile et silencieux.
- Tu es fort, lui dit-il tout à coup. Ton regard est celui d'un guerrier.
- Oui, répondit C17.
- Je vous crois. Vos yeux sont purs, et ne mentent pas. Je vous présente mes excuses pour mon comportement. J'ai laissé ma colère m'aveugler.
- Ce n'est rien, lui dit Ruri. Je comprends votre colère. Vous souffrez de la faim ?
- Oui. Nous commençons à avoir de grandes difficultés pour nous nourrir. Il nous reste encore quelques lieux où l'on trouve du gibier, mais la bête ne va pas tarder à s'en prendre à eux quand elle les découvrira.
- Vous l'avez vu ?
- Non. Jamais. Nous l'entendons, savons qu'elle est là, mais aucun guerrier ne l'a jamais vu.
- Mmmmmmmmmmmmm
C17 sourit en entendant ce marmonnement. Ruri était manifestement en train de réfléchir. Puis, elle prit la parole de nouveau.
- Ok, j'ai une idée. C17 et moi on va vous ramener à manger. Et ensuite, on discutera autour d'un bon repas. J'aimerais vous poser quelques questions.
- J'accepte avec plaisir.
- Parfait. Est-ce que je peux vous demander d'aller récupérer nos chevaux ? Je peux vous indiquer où ils sont.
L'homme et le jeune garçon acquiescèrent, et s'en allèrent donc pour ramener les chevaux dans leur village.
Une fois seuls, C17 demande alors à Ruri ce qu'elle comptait faire.
- Leur donner nos provisions, déjà. Au moins une partie. Et on va partir chasser. En volant, on pourra repérer plus facilement les animaux qui restent, et leur ramener de quoi manger. Allez, on embarque dans le C17 express !
- Ok.
Et disant cela, C17 prit doucement Ruri dans ces bras, et tous deux s'envolèrent, à la recherche de gibiers.
