Année : 771

Un peu plus de 3 ans après le Cell Game

Prendre de la hauteur et survoler la zone permit à C17 et Ruri de se rendre compte de l'étendue des dégâts causés à l'environnement local. Il n'y avait pratiquement aucun animal visible. Les rares individus qu'ils purent voir étaient généralement isolés, et pour certains en assez mauvais état.

Il paraissait impératif de retrouver l'animal qui était à l'origine de ce problème, et vite. Sinon, non seulement c'était toute la biodiversité de la zone qui risquait de disparaître, mais aussi les tribus qui vivaient de la chasse dans les environs. Et, comme Ruri l'expliqua à C17, à termes, les fermiers aussi seraient en grave danger. Quand l'animal n'aurait plus rien à manger dans la nature sauvage, il allait multiplier les attaques des fermes, et tous leurs habitants risquaient de devenir des proies.

Ils finirent néanmoins par apercevoir un petit groupe d'antilopes. Ruri repéra deux individus qui semblaient plus faibles que les autres, sans doute plus âgés. Elle jugea qu'il était donc possible de les tuer sans porter atteinte à l'intégrité de ce troupeau.

Pour permettre à C17 de pratiquer un peu son tir à l'arc, Ruri avait proposé un petit exercice. Elle lui avait demandé de se poster en hauteur, tandis qu'elle s'était chargé de rameuter les animaux dans sa direction. Avec sa vitesse, il avait été capable de tirer plusieurs flèches très rapidement. Pour ce qui est de la visée en revanche, il avait encore des progrès à faire. Il avait réussi à atteindre les antilopes, mais pas à toucher du premier coup un point vital. Heureusement, Ruri était juste derrière, et avait pris soin de tout de suite achever les animaux pour qu'ils ne souffrent pas.

C17 avait ensuite transporté Ruri et les antilopes directement au village des deux humains qu'ils avaient rencontrés. Ils avaient été très bien accueillis par les membres de la tribu, surtout quand ces derniers avaient vu toute la nourriture qui leur était offerte.

Après les présentations d'usage, exercice de sociabilisation qui fut particulièrement pénible pour C17, le chef du village proposa d'organiser un grand banquet autour d'une cérémonie de célébration du succès de la chasse, ce que Ruri accepta bien volontiers.

Les hommes du village offrirent à C17 un arc tout neuf, bien plus adapté à sa taille que l'arc de Ruri. Comme il n'avait jamais reçu de cadeau, sur le moment il ne sut pas quoi répondre. Mais heureusement pour lui, Ruri vint à son secours et lui murmura discrètement quelques formules de politesse afin qu'il puisse remercier convenablement les villageois. Quant à elle, elle reçut une robe et des bijoux offerts par les femmes de la tribu.

C17 se vit ensuite proposé par les hommes de les rejoindre pour une séance d'entraînement au tir à l'arc, ce qu'il accepta, encore déçu du fait qu'il n'avait pas réussi à atteindre ses cibles du premier coup. Il partit donc pendant environs deux heures. Le contact avec ces humains fut pour lui finalement assez agréable. En effet, à l'opposé de ceux dont il avait l'habitude, les membres de cette tribu n'étaient pas très bavards, et ne semblaient pas du tout dérangé par son mutisme. Bien au contraire. Ils paraissaient respecter son silence et son caractère distant, preuve selon eux de sa grande force.

Ruri quant à elle resta au village avec les femmes et les enfants, ce dont elle profita pour poser tout un tas de questions afin d'essayer de récupérer des informations concernant l'animal étranger. Elle n'apprit malheureusement pas grand-chose, à part que les chasseurs de la tribu avaient bien été en contact rapproché avec ce qu'ils appelaient « la bête », qu'elle était apparue il y avait environs 7 mois, et qu'elle avait décimé les autres animaux en un temps record. Il s'agissait sans aucun doute d'un énorme animal, mais insaisissable, se déplaçant très discrètement, sans faire un seul bruit. Il ne laissait derrière lui ni sang, ni poils, comme si ses proies n'avaient pas eu le temps de lutter avant d'être emportées.

En fin de journée, toute la tribu se réunit autour d'un grand banquet, dont C17 et Ruri étaient les invités d'honneur. Ce n'est à ce moment-là que Ruri se souvint d'un détail.

- Ah. Mince, chuchota-t-elle à C17, tandis que tous deux prenaient place au sein du cercle formé par l'ensemble des villageois.

- Quoi ?

- Alors ne panique pas, mais je viens de me rappeler d'un truc.

- Lequel ?

- Je crois qu'en fait quand on fait une cérémonie de succès de la chasse, les chasseurs se voient offrir la partie la plus noble de l'animal tué.

- Et c'est quoi la partie la plus noble ?

- … les yeux.

- HEIN ? s'écria C17

- Chuuuuut pas si fort !

- Mais, reprit C17 en baissant le ton, pourquoi l'œil ?

- Ils pensent que c'est le siège de son âme je crois.

- …..

- Non mais attends, c'est pas sur, peut-être que je me trompe…

Ils n'eurent pas besoin d'attendre longtemps pour être fixés sur leur sort. Et en effet, les souvenirs de Ruri étaient exacts. Les femmes apportèrent la viande d'antilope cuisinée qu'elles disposèrent au centre du cercle. Une petite fille s'approcha ensuite d'eux, tenant dans sa main deux petites coupelles qu'elle leur tendit, avec un grand sourire.

Un œil d'antilope se trouvait dans chaque coupelle.

C17 et Ruri prirent les coupelles, et s'aperçurent que tous les villageois avaient le regard fixé sur eux. Ils avaient l'air ravis, et attendaient avec impatience de voir leurs invités ouvrir le banquet.

- Bon ben, la bonne nouvelle, c'est que j'avais raison. Et la mauvaise, c'est que j'avais raison… murmura Ruri.

- Hors de question que je mange ça, chuchota C17 en réponse.

- Ah non, on ne peut pas, ça serait malpoli.

- Je me contrefiche d'être malpoli.

- Mais tu vas les vexer.

- Je me contrefiche de les vexer.

- La petite fille va peut-être pleurer !

- Je me … mais les humains pleurent pour n'importe quoi en fait !

- Franchement, tu me déçois. Que tu sois un ours asocial, ça passe encore. Mais que tu flippes pour si peu, vraiment, c'est pas vraiment digne d'un cyborg surpuissant…

- …. je quoi ?

- Tu flippes.

- Non mais ça va pas ? Je n'ai peur de rien ni de personne petite humaine.

- Eh ben prouve le ! Arrête tes jérémiades et mange cet œil d'antilope !

Coincé, C17 ne pouvait plus reculer.

- Je compte jusqu'à 3… prends une grande inspiration, et pense à autre chose.

- ….. tu m'entraînes vraiment dans des histoires pas possible...

- Au moins tu ne t'ennuies pas ! Allez. 1… 2…. 3 !

Le goût de l'œil d'antilope était au moins aussi dégoûtant que C17 avait pu l'imaginer, mais une fois qu'il l'eut mangé, tous les villageois poussèrent des cris de joie, et le reste de la soirée se passa somme toute de façon très agréable.

Ils restèrent pour la nuit dans le village, et le lendemain, ils décidèrent de repartir. Ruri n'avait pas beaucoup dormi. Elle avait passé des heures à réfléchir. Elle avait sorti de son sac une carte de la région, s'était plongée dans la lecture d'un de ses livres, et avait également consulté son ordinateur portable, discutant avec certains de ses professeurs. C17, lui, était resté près d'elle jusqu'à ce qu'elle finisse par s'endormir à même le sol, épuisée. Il l'avait tout doucement prise dans ses bras et l'avait emmenée dans une tente pour la confier à la femme du chef du village. Il avait ensuite passé le reste de la nuit à s'entraîner au tir, avec le nouvel arc qui lui avait été offert, bientôt rejoint par les autres chasseurs.

C17 n'aimait pas trop être entouré de monde, mais la compagnie de ces humains-là n'était pas si désagréable que cela. Il avait même finit par apprécier ce moment.

Lorsqu'il fut temps de quitter le village, Ruri demanda s'il était possible de leur confier les chevaux pour quelque temps. Elle avait à présent une idée de l'endroit d'où pouvait venir l'animal qu'ils recherchaient, et il allait falloir partir en volant pour s'y rendre.

C'est ainsi qu'ils s'en allèrent dans les airs, pour se rendre encore plus à l'ouest du monde. C17 aperçut alors 3 îles. Deux petites, et une beaucoup plus grande.

- C'est là que tu veux aller ?

- Oui. Pose-toi sur celle que tu veux, on va inspecter les 3 de toute façon.

Ils ne trouvèrent rien de particulier sur la première, à part qu'elle semblait, elle aussi, dépeuplée. Sur la seconde, le premier constat fut le même. A part de rares bruits d'oiseaux, un silence pesant y régnait et ils ne croisèrent quasiment aucun animal.

Ne restait plus que la dernière, la plus grande des trois.

C17 et Ruri commencèrent à l'explorer. La bordure de l'île était constituée des mêmes plaines herbeuses que sur le continent, mais son centre comportait une très grande forêt. Après avoir parcouru les contours de l'île, tous deux se dirigèrent donc vers l'orée de cette dernière.

Ils étaient en train de marcher en silence quand C17 s'arrêta net. Il venait de sentir une présence. Quelque-chose de fugace, mais il avait l'impression d'être observé. Ruri aussi en avait conscience. Elle avait entendu un bruit, des branchages écrasés. Rien de très fort, mais suffisant pour qu'elle le perçoive. Ils échangèrent un regard, avant de parler à voix basse :

- Tu as entendu ? demanda C17.

- Oui.

- Reste près de moi.

- D'accord. On continue dans cette direction, c'est de là que vient le bruit.

Ils firent quelques pas, longeant la forêt, avant de tomber sur le cadavre d'un animal. C17 n'en avait jamais vu de semblable. C'était un très gros oiseau, mais aux ailes très petites. Il avait de gigantesques pattes, et un bec tout aussi massif.

- Comment tu appellerais cet animal C17 ? questionna la jeune femme, une fois arrivée à la hauteur du corps de l'oiseau géant.

- Aucune idée.

- C'est un gastornis. C'est son nom scientifique. Mais moi, je trouve que ça fait ringard. Moi, j'appelle ça une très grosse poule. C'est plus marrant.

- Ça au moins je peux le retenir.

Ruri ne répondit pas, souriante. Elle se mit à examiner le cadavre.

- Regarde C17. Si tu touches le corps, tu vas voir qu'il est encore chaud. Il est mort, mais cela ne fait pas longtemps. Quelques minutes sans doute. Qu'est-ce que tu remarques aussi ?

- Il est maigre.

- Oui, lui aussi souffre sans doute du manque de nourriture. C'est le premier animal que l'on croise, il s'agit peut-être même du dernier…

- Il est mort de faim ?

- Non. Ce n'est pas la faim qui l'a tué. Viens voir.

Quand C17 se pencha sur le corps du gastornis, il remarque deux blessures profondes dans une de ses pattes. Elles formaient des trous béants, bien définis, parfaitement réguliers.

- Tu as une idée ? poursuivit Ruri.

- Non.

- Réfléchis un peu. Tu as lu mon livre. Quel type d'animal peut laisser ce genre de blessure ? Deux trous, nets, précis…. Je ne te demande pas une espèce. Juste une famille.

C17 pris quelques secondes, avant de tenter, sans certitude :

- Un …. serpent ?

- Pas mal ! répondit Ruri, satisfaite de son élève. Ça ressemble en effet à une morsure de serpent.

- Tu en es sûre ?

Ruri resta silencieuse, plongée dans ses pensées. « Un gros serpent… suffisamment gros… mais après tout... »

- Ça ne me semble pas si idiot en fait… finit-elle par dire. Un serpent, c'est un animal silencieux. Difficile à repérer. Il tue sans doute en étouffant ses victimes, en les tenant fermement dans ses mâchoires. Et ça, ça expliquerait l'absence de sang ou de trace de lutte.

- Mais tu as dit toi-même qu'il avait tué une grande partie des animaux du coin. Il devrait être énorme, ce serpent. Ça n'existe pas les serpents de cette taille ? Si ?

- En fait… je pense avoir une idée mais … ce serait assez …. étonnant.

Et immédiatement, Ruri s'assit par terre, et sortit son ordinateur portable de son sac.

- Regarde. Le titanoboa. Un serpent géant. Un animal très rare, un monstre qui n'a quasiment jamais été observé. Certains zoologistes pensent même qu'il n'y en a plus de vivant depuis des années.

- Mais s'il vit sur cette île, comment pourrait-il être celui qui attaque les animaux du continent ?

- Ben justement, plus j'y pense, plus ça colle. Les serpents savent nager. Et ces îles ne sont pas très éloignées en fait. Quand il a commencé à manquer de nourriture ici, il s'est résolu à d'abord se rendre sur les deux autres îles. Et une fois celles-ci vides, il est allé sur le continent. Quelque-chose a perturbé l'équilibre de cette île, le privant de sa source de nourriture habituelle.

- Quoi ?

- Aucune idée. On va devoir entrer dans la forêt.

- … ok.

- Attention C17 : il s'agit d'un animal très discret, mais pas seulement. Les serpents ont des sens développés. Ils sentent la chaleur des corps, et sont très sensibles aux vibrations provoquées par les pas.

- Et donc ?

- Il nous repérera avant nous. Et il a sans doute faim. Donc, reste sur tes gardes.

C17 lui fit signe qu'il avait compris, et tous deux pénétrèrent dans la forêt. Ils marchèrent encore une bonne heure, le plus silencieusement possible. Cela faisait cependant des heures qu'ils exploraient les îles, et Ruri commença à manifester quelques signes de fatigue.

Remarquant son essoufflement et qu'elle avait ralenti, C17 décida qu'il était temps de faire une pause. Il s'éleva dans le ciel quelques secondes, et réalisa qu'une grande rivière traversait l'île de bout en bout. Ils la rejoignirent à pied, et Ruri put ainsi s'asseoir et se reposer un peu.

- Tu as soif ? lui demanda C17.

- Oui, je veux bien un verre d'eau , répondit-elle en lui tendant une tasse en métal.

Mais quand C17 la lui ramena après avoir pris de l'eau dans la rivière, elle s'immobilisa. Remarquant immédiatement son changement d'attitude, C17 s'assit à son tour, en face d'elle.

- Quelque-chose ne va pas ?

- L'eau a une odeur. Sens.

C17 porta la tasse près de son visage. Une odeur douce s'en dégageait.

- De l'amande. Oh, d'accord. Je comprends mieux.

- Tu comprends quoi ? interrogea C17.

- L'odeur d'amande, ça vient du cyanure. C'est un poison. L'eau est empoisonnée. C'est ça l'explication. Les animaux de cette île sont morts empoisonnés. Et le serpent n'a plus eu à manger. Ainsi de suite…

- Mais pourquoi lui ne serait pas mort ?

- Les serpents ne boivent pas beaucoup d'eau. Le sang de leurs proies les hydrate suffisamment. Et on parle d'un gros animal. Il faut sans doute une dose massive pour le tuer.

- … et la poule géante ?

- Le gastornis.

- Oui, peu importe.

- Mmmmm je me demande s'il ne vient pas d'une des îles environnantes. Elles ne sont qu'à quelques mètres. Avec ses grandes pattes il a du pouvoir traverser à la nage. Ça n'a sans doute pas été facile, mais lui aussi a dû être poussé par la faim.

- Et … d'où peut venir le cya-machin ?

- C'est là qu'on se marre. Figure-toi que le cyanure, on en trouve dans la nature, dans les noyaux de certains fruits. Mais jamais assez pour empoisonner une rivière. Et tu sais dans quoi aussi on trouve du cyanure ?

- Non.

- Dans les produits qu'utilisent les fermiers pour protéger leurs cultures des animaux nuisibles. Étrange coïncidence, n'est-ce pas ?

- Tu veux dire que l'autre idiot…

- Lui, ou un autre. Ils sont plusieurs dans le coin. Soit le fermier qu'on a vu n'est pas au courant, soit il l'est et nous a envoyé ici en sachant ce qu'on allait trouver. Dans tous les cas, c'est gagnant. Un animal aussi dangereux, aucun humain censé ne peut vouloir le laisser vivant. Surtout s'il tue deux pauvres zoologistes partis à sa recherche…

- Et pourquoi faire tout ça ?

- Parce que ce genre de personne n'en a rien à faire de la nature. Tout ce qu'ils veulent, ce sont des terres à cultiver. Ils devaient savoir pour le serpent. Et comme ce sont des crétins, ils ont pensé qu'ils pourraient l'empoisonner facilement.

- Je vais ramener ici ce gros débile.

Et disant cela, C17 se releva. Mais Ruri l'arrêta, d'un signe de la main.

- Pas la peine. Le plus important c'est le serpent. Tu veux bien me passer mon sac ?

C17 le lui donna, et la jeune femme en vida le contenu sur le sol.

- Alors…. Un paquet de gâteau, un jus de fruit, et 4 ampoules anesthésiantes avec le pistolet qu'il faut pour les tirer de loin. Parfait. Bon. Voilà le plan, C17. On va passer la nuit ici, et capturer le serpent. Je vais me reposer un peu, manger et boire, histoire d'avoir des forces. Pendant ce temps-là, je vais prévenir un de mes professeurs, un spécialiste des serpents. Il saura quoi faire. Et je préviens aussi Iris. Si le fermier apprend qu'on s'apprête à capturer le serpent, je te parie ce que tu veux qu'il va rappliquer ici de lui-même. Tu te sens d'attaque pour chasser du monstre ?

- Absolument, répondit C17, enfin un peu d'action.

- Ah, ça, de l'action, on risque d'en avoir !