Année : 771
Un peu plus de 3 ans après le Cell Game
La nuit était à présent totalement tombée. C17 et Ruri avançaient avec peine dans la forêt, tant ils ne voyaient quasiment rien. Il était également difficile pour eux de ne pas faire de bruit. Même Ruri, qui avait l'habitude d'être discrète, avait beaucoup de mal à rester silencieuse.
Mais cela n'avait pas une grande importance. L'objectif était de capturer le serpent. En temps normal, face à un animal aussi dangereux, Ruri aurait tout fait pour éviter le contact. Avec C17 près d'elle, elle pouvait toutefois se permettre de prendre plus de risques. Plutôt que de passer des heures à le chercher, il était plus simple de le laisser venir à eux. Il n'en demeurait pas moins que ne rien voir les mettait dans une posture de vulnérabilité importante. L'attaque pouvait survenir à tout instant, de n'importe où.
Tous deux étaient donc extrêmement concentrés, et Ruri veillait à bien rester collée à C17, en marchant juste devant lui. C'était la position la plus sûre, les animaux prédateurs ayant tendance à attaquer leurs proies dans le dos.
Le plan était assez basique : repérer le serpent, s'en approcher, et lui injecter le produit calmant. Simple sur le papier.
Car en effet, malgré le bruit qu'ils faisaient, le serpent ne se montrait toujours pas. Et pourtant… C17 et Ruri ressentaient depuis un certain temps la même sensation qu'ils avaient eu en découvrant le cadavre de l'oiseau géant : l'impression d'être suivis, observés. Ils entendaient de temps en temps des bruits étranges. Ruri se mit alors à parler, le plus doucement possible :
- Je pense vraiment qu'il nous suit, C17…
- Oui, répondit-il, en chuchotant.
- Tu entends comme le bruit se déplace de droite à gauche ?
- Oui.
- En tout cas il sait qu'on est là, et il est tout près…
- Pourquoi il n'attaque pas ?
- Soit il est intrigué par nous, soit… et c'est plus probable, il attend le bon moment.
- Et c'est quoi, le bon moment ?
- La plupart des animaux évitent les humains. Ils savent que nous sommes dangereux pour eux. Même les monstres se méfient. Il nous observe, mais surtout, il nous fatigue. On marche, on marche… a force, nous allons être épuisés. Et quand il verra des signes montrant que nous ne sommes plus en état de nous défendre, il attaquera.
- Oui, mais moi je ne me fatigue jamais.
- Veinard ! En tout cas ça, c'est notre carte maîtresse. Lui, il n'est pas au courant pour ton générateur machin chose …
- Générateur d'énergie illimitée.
- Oui, c'est ce que j'ai dit.
Ils marchèrent pendant encore quelques minutes. Les bruits étranges se faisaient de plus en plus proches, bien qu'ils soient très faibles. Pour un animal apparemment aussi gros, ce serpent était en effet très discret. C17 réfléchissait. Ruri avait sans doute raison, tout portait à croire qu'il était là, mais qu'il était en posture d'attente.
Même s'il ne distinguait pas grand-chose dans la forêt, les arbres occultant une grande partie de la lumière, il savait que Ruri était bien en train de fatiguer. Elle avait marché toute la journée, c'était assez logique. Rester dans cette situation lui paraissait de plus en plus risqué pour elle. En ce qui le concernait, il savait que cet animal, aussi gros et puissant soit-il, ne pouvait pas constituer une menace pour lui. Mais pour la jeune femme, c'était différent. Et bien qu'il soit là, avec une telle obscurité il craignait d'être gêné et de ne pas voir l'attaque arriver.
- Ruri, murmura-t-il, en posa sa main sur son épaule droite.
- Quoi ?
- Je pense qu'on ne devrait pas continuer comme ça…
- C'est-à-dire ?
- On ne voit rien. C'est dangereux de rester à attendre qu'il attaque, je ne suis pas sûr de pouvoir déterminer par où il va venir, en tout cas pas suffisamment vite pour t'éviter d'être blessée...
- Dis, je me demandais justement, avec tous les trucs électroniques que tu as dans le corps, aucun ne permet de détecter les mouvements ? Tu n'as pas un machin qui aide à repérer la présence d'une créature vivante ?
- Non.
- C'est nul ça. Je veux dire, c'est quand même un truc hyper pratique. Le type qui t'a … enfin, il était pas si malin que ça finalement ! Moi, je t'en aurais mis un. Clairement.
- …. oui, enfin, bref. On ne va pas continuer comme ça non ?
- Tu as raison. Si j'étais seule je ne proposerai jamais ça, mais avec toi, je pense qu'on peut tenter un truc.
- J'écoute.
- On va provoquer l'attaque. Il ne fait quasiment aucun bruit, dans le noir complet on est privé de nos sens. Ça craint. On va s'arrêter de marcher, pour lui faire croire qu'on fatigue. Après, je compte jusqu'à 3. A 3, tu m'attrapes, et tu t'envoles. Fuir, c'est devenir une proie. Donc je pense qu'il va attaquer. Il faut le forcer à sortir de la forêt. En retournant dans la plaine, la lune nous éclairera un peu, ce sera toujours mieux que le noir total. Le seul souci, c'est qu'en fonçant droit devant, on risque de se prendre des arbres dans la figure. Ce serait un peu … difficile. Surtout pour moi. Qu'est-ce que tu en penses ?
- Compris. Je m'occupe du reste.
- Bon. On s'arrête.
C17 et Ruri cessèrent donc de marcher. Les bruits étranges s'arrêtent également immédiatement. Ruri profita de ce bref instant pour se munir de son pistolet, et pour y charger les 4 doses de calmant. Elle l'arma, afin d'être prête à tirer à tout instant.
Puis, quand elle sentit que C17 avait placé ses mains sur elle et qu'il était prêt, elle se mit à compter.
- 1, 2 …. 3 !
La suite alla très vite. C17 se mit en action. Il lança une boule d'énergie droit devant lui, libérant ainsi un passage en ligne droite à travers la forêt. Et l'instant d'après, il se saisit de la jeune femme, et fonça. Il entendit clairement derrière lui que, comme Ruri l'avait supposé, l'animal qui les traquait se lançait à leur poursuite. Cette fois, plus question de discrétion. Le serpent se déplaçait maintenant à toute vitesse, écrasant avec fracas la végétation. Il émettait à présent une sorte de sifflement rageux tandis qu'il tentait de les rattraper.
C17 continua de voler aussi vite que possible pour rejoindre la plaine, en bordure de l'île. Ce n'est que quand il l'eut atteinte qu'il put se retourner. La luminosité était meilleure, C17 et Ruri purent alors clairement distinguer la silhouette de leur poursuivant.
Oui, il s'agissait bien d'un serpent. Un serpent gigantesque.
- Génial ! Génial ! s'écria Ruri. C'est bien un titanoboa ! Il est immense !
- On s'extasiera plus tard, tu veux bien ? répondit C17, concentré sur l'attitude du monstre.
Sur la plaine, l'avantage était qu'il était plus facile de voir le serpent. Mais l'inconvénient était que ce dernier était d'autant plus libre de ses mouvements. A partir de cet instant, il ne cessa pas d'attaquer, fonçant sur C17 la gueule grande ouverte.
- Il est affamé C17, c'est anormal d'attaquer comme ça. Fais attention, ça le rend encore plus dangereux !
- J'ai vu.
La vitesse de C17 lui permettait aisément d'esquiver les attaques, bien qu'il soit plus difficile pour lui de se déplacer avec Ruri dans les bras. Il ne pouvait pas aller aussi vite qu'il le voulait et devait faire attention à éviter les mouvements trop brusques.
- Ruri, finit-il par dire après avoir encore évité un coup de mâchoire, il faut qu'on change de tactique. Je vais te déposer, et l'attaquer à mon tour. J'ai besoin d'avoir les mains libres pour l'immobiliser, et ensuite tu lui feras tes injections.
- C'est moins prudent C17, si tu continues ce que tu fais là tu vas finir par le fatiguer, et on pourra le piquer tranquillement. Ton endurance est un atout précieux. Il va bientôt faire jour, on y verra bien mieux dans pas longtemps.
- Oui mais je risque de faire un mouvement trop abrupt et de te faire mal. Si je te dépose, ce n'est qu'une question de secondes.
- … d'accord, on va tenter ça, si tu penses que c'est mieux.
- Ok.
C17 accéléra alors tout à coup pour s'éloigner un peu, et posa doucement Ruri au sol.
- Reste ici, je vais te le ramener, lui dit-il, avant de repartir aussitôt en direction du serpent.
« A nous deux maintenant » pensa-t-il.
Les tous premiers rayons du soleil levant commençaient à poindre, permettant à C17 de voir encore mieux le monstre. C'était un serpent semblable à ceux qu'il avait déjà pu voir dans la nature, mais en beaucoup plus gros. Sa peau était assez sombre. Il distinguait cependant des zones plus claires, comme des tâches.
Voyant C17 à présent seul, l'animal changea brusquement d'attitude. Il cessa d'avancer, et se figea quelques instants. C17 fit de même, afin de jauger son adversaire du jour.
Lentement, le serpent recommença à avancer, tournant en rond autour de C17, sans jamais le quitter des yeux. Il formait un cercle autour de lui, comme s'il voulait lui couper tout moyen de s'échapper. Intérieurement, C17 se mit à rire. Il devinait le but de la manœuvre.
« Bien pensé, mais tu ne peux pas me retenir en me coupant le passage, je ne suis pas un banal humain moi…. » se dit-il, confiant.
C17 resta encore quelques secondes à observer, réfléchissant au meilleur moyen d'agir pour permettre à Ruri d'endormir le monstre, sans le blesser. Mais avec la visibilité encore imparfaite de l'aube naissante, il ne s'aperçut pas tout de suite que le serpent, qui ne le quittait pas des yeux, décrivait des cercles au diamètre de plus en plus large, se rapprochant très discrètement de Ruri.
Quand il le réalisa, il était trop tard. D'un bond, le serpent se retourna, et fonça sur la jeune femme, son énorme gueule grande ouverte.
« Mince ! Quel idiot ! »
C17 se précipita lui aussi afin de le stopper. Tout se joua en une fraction de secondes.
Sa grande vitesse lui permit de dépasser le serpent, qui lui-même était pourtant très rapide, et de se retrouver en un instant devant Ruri. Instinctivement, C17 lança une boule d'énergie en direction du monstre, qui recula en poussa un hurlement de douleur.
Dans le même temps, C17 prit Ruri dans ces bras et s'éloigna le plus vite possible. Dans la précipitation, il oublia de doser sa force, et comprit à son cri qu'il venait de lui faire mal, sans doute en la serrant trop fort.
- Désolé, je suis désolé, tu n'as rien ? lui demanda-t-il, en la déposant quelques dizaines de mètres plus loin.
- Aie, non, non, ça va. J'ai un peu mal aux côtes, mais rien de méchant. Je … n'ai absolument rien vu, qu'est-ce que …
- Je suis un idiot, voilà ce qu'il s'est passé.
Au ton de sa voix, Ruri comprit que quelque-chose n'allait pas. C17 paraissait furieux, agacé, et … inquiet. Elle pouvait à présent voir son visage. Il posait sur elle un regard anxieux. Au loin, le serpent s'agitait dans tous les sens, continuant de hurler de souffrance.
Ruri commençait juste à comprendre ce qu'il venait de se passer. Elle allait répondre à C17 quand soudain, son téléphone se mit à vibrer. Surprise, elle décrocha, pour entendre la voix d'Iris.
- Iris ? Tout va bien ? Quoi ? Oui, c'est lui que tu entends. Mais vous êtes où ? Hein ? Ah, d'accord. Oui, on s'en occupe. Tu peux les retenir ? Oui, je vois… ok, pas de souci, on gère. Merci de m'avoir prévenue.
Puis elle raccrocha, et soupira.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda C17.
- On a de la visite. J'ai tenu Iris au courant par texto de nos déplacements, et elle en a parlé au fermier. Quand il a appris qu'on allait débusquer le serpent, il est brusquement parti, alors elle l'a accompagné. Il a ramené d'autres fermiers et des hommes de main, et ils sont sur l'île juste en face. Regarde, on voit des lumières là-bas.
- Pourquoi ils sont venus ?
- Pour tuer le serpent. C'est leur but depuis le début. Ils ont empoissonné l'eau pour le tuer, mais leur plan génial a échoué. Ils ont fait appel à nous pour qu'on le mette hors d'état de nuire, et ainsi pouvoir l'achever.
- Je ne les laisserai pas faire.
Ruri ne répondit pas, et regarda C17, droit dans les yeux. Il semblait tellement perturbé, c'était inhabituel pour lui d'avoir autant d'expression dans son regard. Il était en colère. Clairement.
- Je sais, lui dit-elle alors, gentiment. Je sais. Tu es le meilleur C17, avec toi à mes côtés, on va tous s'en tirer. Ces gros idiots ne savent même pas dans quel pétrin ils se sont mis hahaha !
Mais C17 ne riait pas. Pas du tout même. Son regard s'assombrit encore, avant qu'il ne reprenne la parole.
- Non. Je suis un crétin. Comme toujours. Comme avant.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Je ne t'ai pas écouté. J'ai agi bêtement. Parce que j'ai pensé que ma force était tellement grande que rien ne pouvait arriver.
- Oui, tu aurais dû m'écouter grand dadais !
Ruri tentait de dédramatiser la situation. Mais cela ne fonctionnait pas. C17 se tourna vers elle et la regarda. Son regard était empli d'une sorte de détresse qu'elle ne pouvait pas expliquer. Elle posa alors sa main sur le bras de C17.
- Je vais bien, tu le sais ça non ?
- Je t'ai fait mal.
- Mais non. Tu m'as attrapé un peu fort, d'accord, et puis j'ai surtout été surprise en fait, c'est pour ça que j'ai crié. Mais je n'ai rien.
- Et lui ? Je t'avais promis de ne pas blesser un animal.
Les hurlements du serpent se faisaient encore entendre bien distinctement, même s'ils diminuaient petit à petit.
- Je t'ai aussi dit que tu avais le droit de le faire si ma vie était en danger, reprit Ruri.
- C'est ma faute si tu l'as été. Si je t'avais écouté au lieu de toujours me croire invincible...
- On n'en sait rien C17. Tu ne peux pas savoir ce qui se serait passé si tu avais agi autrement.
- Je n'ai rien appris… rien n'a changé depuis ….
- Depuis quoi ?
C17 ne répondit pas., se contentant de la regarder. Ruri sentit une telle douleur dans ses yeux qu'elle eut l'impression que quelqu'un la transperçait de part en part. Il finit par détourner le regard, observant le serpent. À cet instant, Ruri reçu sur son téléphone un message d'Iris. Les fermiers étaient en train de débarquer sur l'île, un peu plus loin. Ils avaient vu que le monstre avait été blessé, et comptaient bien saisir cette opportunité.
La jeune femme prit quelques secondes, réfléchissant. Plusieurs pensées se mélangeaient dans sa tête. Que fallait-il faire ? Quelle était la meilleure solution ? Et surtout, qu'est-ce qui pouvait mettre C17 dans un tel état. Elle tentait de se rappeler de toutes les informations qu'il avait pu lui donner, au fil de leurs nombreuses conversations matinales.
Elle avança, et se plaça face à lui.
- Regarde-moi, et écoute-moi attentivement, d'accord ?
C17 obtempéra, sans un mot.
- Alors, lui dit-elle, je ne sais pas ce qui te fait autant de peine. Tu ne me dis jamais rien de tout ce qui a pu t'arriver. Et c'est ton droit, je respecte ça. Mais écoute-moi bien. Tu n'as rien fait de mal. Tout au plus une erreur d'appréciation …
- Mais qui …
- Chut, je ne veux rien entendre de plus. Laisse-moi finir. Il est blessé, mais pas mort. Je vais le soigner, fais-moi confiance. Et moi, je vais bien. Alors cette erreur est sans conséquence. Mais les fermiers arrivent. Alors réponds-moi : est-ce que tu veux qu'ils tuent cet animal ?
C17 détourna quelques instants le regard pour observer le serpent géant. Quel animal magnifique. Le jour s'étant levé, il le voyait maintenant parfaitement. Son corps fuselé, brillant sous les premiers rayons du soleil, toute la puissance qui se dégageait de lui… Il les avait attaqués, mais Ruri elle-même avait dit qu'il souffrait de la faim. Il menait une existence paisible sur son île, avant que des humains stupides ne viennent tout saccager, pour la seule satisfaction de leurs besoins égoïstes.
- Il ne mérite pas de mourir, il n'a rien fait, il vivait juste sa vie, libre, avant que …
- En effet, l'interrompit Ruri. C'est injuste. Et si tu n'étais pas là, nous serions en danger. Lui, Iris et moi.
- Pourquoi vous deux ?
- Ils n'ont pas le droit d'empoisonner l'eau. C'est interdit. Alors à mon avis, ils vont vouloir tuer le serpent, et se débarrasser de nous, en faisant croire que c'est lui qui nous a tué. Seule, je ne pourrais absolument rien faire. Mais avec toi à mes côtés, on peut s'en sortir, et le protéger, lui. Ce n'est qu'une victime de la cupidité des humains.
Elle marqua un temps d'arrêt, avant de reprendre :
- Tu m'as parlé une fois d'un ami à toi, qui aime les animaux. Si tu lui racontes que tu as laissé un animal aussi beau et rare se faire tuer, il ne sera pas content, non ? Alors aide-moi à le sauver. Toi seul en est capable. Ta puissance est grande C17, assez pour nous sauver tous les trois.
C16. Que ferait cet idiot s'il était ici ? La seule évocation de son nom était si douloureuse pour lui… Mais C17 savait en revanche ce qu'il aurait fait.
- Il … n'aurait pas laissé faire.
- Dis, ton ami, il est mort, n'est-ce pas ? C'est Cell qui l'a tué ?
- Comment … répondit C17, abasourdi.
- Ton regard devient si sombre quand tu en parles. Et tu n'as pas employé le présent. Donc par déduction…
C17 la regarda de nouveau. Quelle intelligence elle avait, cette petite humaine. Décidément, elle lisait en lui comme s'il était un livre.
- Que tu es belle, Ruri… murmura-t-il.
- Quoi ?
Il posa soudain sa main sur la joue droite de Ruri. Le contact de sa peau sur la sienne fit à la jeune femme l'effet d'un choc électrique qui la traversa de part en part et la figea sur place. Lentement, C17 caressait son visage. Elle vit dans ses yeux une lueur nouvelle. Quant à C17, il ne pouvait plus détourner son regard de Ruri. Tout à coup, elle n'était plus cette simple humaine avec qui il voyageait pour tromper son ennui.
Il la regardait comme une femme. Que signifiait donc cette envie forte qu'il avait d'être aussi proche que possible d'elle ? Il n'était pas certain de le savoir, mais il ne pouvait plus rien faire d'autre que de suivre son instinct qui le pressait de continuer. De son pouce, il effleura les lèvres de la jeune femme, machinalement, sans y penser. Sa bouche était si douce. Il était attiré vers elle, le besoin de la toucher devenait irrépressible.
C17 s'avança, doucement. Il sentit dans le regard de Ruri une légère appréhension. Sa main glissa lentement, se dirigeant vers son menton qu'il tint ensuite très délicatement du bout des doigts. Il patienta alors quelques secondes, attendant de voir dans les yeux de la jeune femme l'autorisation d'aller plus loin. Ruri ne savait pas vraiment ce qu'elle devait faire, mais elle se sentait elle aussi emportée par un désir si fort qu'elle n'arrivait pas à le contenir. Elle ferma ses yeux, et s'avança à son tour, posant, hésitante, ses lèvres sur celles de C17.
Ce dernier laissa échapper un murmure de satisfaction. Il savait quoi faire. Son corps savait quoi faire. Il ferma lui aussi ses yeux. Tous deux échangèrent quelques timides baisers, chacun prenant le temps de savourant la délicieuse impression de chaleur que chaque contact de leurs lèvres leur procurait. Puis soudain, C17 saisit de sa main gauche la taille de Ruri tandis que sa main droite passait derrière la nuque de la jeune femme. En réponse, celle-ci plaça ses bras autour du cou de C17, se laissant complètement diriger par lui.
- Comment… tu sais … faire ça… chuchota-t-elle entre deux respirations.
- Je ne sais pas… lui répondit C17.
En un instant, il la ramena vers lui, collant son corps contre le sien. Leurs lèvres s'entrouvrirent, leurs baisers devinrent alors plus intenses et plus passionnés, au fil des minutes qui s'écoulaient comme si elles étaient des heures. Emportés par l'impression d'être seuls au monde, aucun des deux ne parvenait à mettre fin à cette divine parenthèse.
Finalement, ce fut C17 qui reprit le premier le contrôle. Donnant à Ruri un ultime baiser, il recula légèrement, sans pour autant cesser de tenir la jeune femme dans ses bras.
Ils prirent encore quelques secondes pour savourer l'instant, puis C17 posa son front sur celui de Ruri, et lui dit, tendrement :
- Dis-moi quoi faire, Ruri, et je le ferais. Je vous protégerai. Personne ne touchera à un seul de ses cheveux, ni des tiens, ni de ceux de ton amie.
- Des écailles.
- Hein ?
- Les … serpents n'ont pas de cheveux, ils ont des écailles…
Après une seconde de surprise, C17 éclata de rire.
- Hahaha ! Merci de cette précision. C'était en effet le parfait moment de le dire.
- Pardon ! répondit Ruri, confuse.
« Mais tu peux pas te taire un peu triple idioooooote ! » se dit-elle immédiatement, « non mais franchement, gâcher un moment pareil mais c'est pas possible ! »
C17 riait. Son visage était si beau, son sourire si sincère. Il n'avait jamais regardé Ruri ainsi, et la jeune femme ne put pas se retenir de rire à son tour.
- Pas de souci, tu es une scientifique, il faut que je sois plus précis, poursuivit C17, rieur. Alors, on fait quoi, petite humaine ?
- J'ai un plan.
- Je n'en doute pas une seconde.
- Tu vas retourner vers le serpent. Il ne faut plus lui laisser d'ouverture. Alors tu vas tourner autour de lui, touche-le, perturbe-le, pour qu'il reste concentré sur toi. Avec ta vitesse, tu devrais pouvoir t'en sortir sans souci. Et ramène le vers moi.
- Mais …
- Ne t'inquiète pas. Je reste ici, et je prépare mon fusil. Je tire au moins aussi bien au fusil qu'à l'arc figure-toi. Je me décalerai au dernier moment pour l'endormir quand il m'attaquera. Cette fois, c'est nous qui prenons l'initiative, on ne se laissera plus surprendre.
- … d'accord, on suit ton plan.
- Ben oui, c'est le meilleur, reprit Ruri, avec un clin d'oeil.
C17 acquiesça, amusé. Il prit une profonde inspiration, puis se dirigea vers le serpent. Dès qu'il le vit, ce dernier réagit immédiatement et bondit en avant. C17 fit alors exactement ce que Ruri lui avait dit. Il se mit à bouger le plus vite possible, allant successivement à droite, à gauche, rendant le serpent fou de rage, de sorte que ce dernier ne faisait plus du tout attention à Ruri. Il était obnubilé par C17, qui lentement l'amenait à se rapprocher de la jeune femme.
Quand finalement il la vit, le serpent tenta de nouveau de s'attaquer à elle. Mais cette fois, C17 se tenait prêt. Il lui donnait un léger coup d'épaule pour le déséquilibrer, tandis que Ruri esquivait en se plaçant sur le flanc du serpent. Concentrée, elle parvint sans difficulté à tirer les flèches anesthésiantes, qui firent rapidement effet.
En quelques secondes, le serpent s'immobilisa, secouant sa tête, avant de s'écrouler, inerte.
C17 et Ruri se rejoignirent, au niveau de sa tête, et la jeune femme commença à l'examiner. La blessure que C17 avait occasionné se situait au niveau de sa mâchoire, mais elle semblait plutôt superficielle. Elle ne pouvait néanmoins s'empêcher de penser qu'il était vraiment d'une puissance phénoménale. En effet, il n'avait clairement pas cherché à le tuer, et pourtant une simple attaque avait réussi à blesser un monstre d'une taille colossale.
- Rassure-toi, dit-elle au bout de quelques minutes, il va s'en remettre.
- Vraiment ?
- Mais oui. Promis. Tu lui as fait mal, mais sa blessure n'est pas grave.
- Tant mieux. Je ne voulais pas le blesser, pas du tout.
- Je sais. Tu es quelqu'un de très gentil.
« Gentil ? » pensa C17, surpris. Il se mit à se demander ce que C18 et C16 auraient pensé s'ils avaient été là, et que Ruri leur avait dit qu'il était « gentil ». Cette idée le fit sourire. C18 l'avait qualifié de beaucoup de choses, mais jamais de « gentil », assurément. Et C16 …
- Ruri ?
- Oui ?
- Quand nous en aurons fini ici, je te raconterai.
- Tu me raconteras quoi ?
- Tout.
- Tu n'es pas obligé, lui répondit Ruri, tout à coup très sérieuse.
- Je sais. Mais j'en ai envie. Par contre, je te préviens, ce n'est pas forcément très … drôle.
- Je me doute.
Ruri lui adressa un sourire attendrit, et C17, comme d'habitude, se sentit tout de suite apaisé.
Le bruit des vibrations du portable de Ruri mit fin à leur discussion. Ils se retournèrent, pour découvrir qu'à quelques pas, de nombreux véhicules étaient rassemblés. Le fermier qui les avait accueillis était là, accompagné d'une vingtaine d'humains. Iris était là aussi, et elle semblait terrifiée.
C17 pensa pendant une seconde que c'était à cause de lui, avant de voir qu'en fait, l'un des humains pointait sur elle une arme.
- C17… commença Ruri, l'inquiétude clairement perceptible dans sa voix.
- Donne-moi une minute, répondit-il, je reviens.
Et avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit, C17 avait disparu. Rapide comme l'éclair, il était déjà arrivé au niveau des humains, que Ruri vit tomber, les uns après les autres. En trente secondes, il les avait déjà tous assommés, à l'exception du fermier. Il ramena Iris, qui poussa un petit cri quand elle se retrouva dans les airs.
Puis, en un instant, il était déjà retourné près du fermier, qu'il saisit par le col avant de l'amener au-devant du serpent endormi.
Le petit homme grassouillet poussait des cris de protestations apeurés, dont C17 n'avait absolument rien à faire. Il le déposa à quelques millimètres de la gueule du monstre, le maintenant d'une main ferme au sol. Ruri et Iris accoururent pour le rejoindre.
- Aidez-moi, aidez-moi, il est complètement fou ! leur cria le fermier quand il les aperçut.
- Je crois qu'il est parfaitement censé, au contraire ! répondit Ruri. Vous vouliez qu'on règle votre problème, n'est-ce pas ? C'est exactement ce que nous faisons. Votre problème vient du fait que ce serpent n'a plus rien à manger. S'il est nourri, il cessera d'attaquer. Je pense donc que C17 a dans l'idée de lui donner un bon morceau de gras pour combler son estomac.
- Comment osez-vous petite co… aaaaaaaah !
Le fermier ne put finir sa phrase, car C17 se mit à appuyer sur son épaule, au point de presque la lui briser, lui occasionnant une terrible douleur.
- Si j'étais toi, je fermerai ma grande gueule, tu vas le réveiller, lui dit C17, d'une voix glaciale. C'est toi et toute ta bande d'imbéciles qui avait causé tous ces problèmes. Je trouve assez juste que tu payes de ta vie pour réparer les dégâts que tu as causés.
- Pitié, pitié, non, implora le fermier, j'ai de l'argent, je t'en donnerai autant que tu veux !
- Ton argent t'es inutile ici. Je n'en ai rien à faire. Rien ni personne ne viendra. Tu es impuissant, car tu es faible. Insignifiant. On va attendre ici qu'il se relève, et je vais te jeter dans sa gueule.
- Nooooooon !
L'homme se débattait, il était vraiment terrifié.
- Allez, c'est bon, ça suffit… finit par dire Ruri. Il n'en vaut pas la peine.
C17 releva alors le fermier, et sans le lâcher, se mit face à lui.
- Je méprise du plus profond de mon âme les êtres comme toi, lui dit-il. Tu es comme lui. Tu n'as aucun respect pour la vie des autres. Seul compte ton objectif, et tu es prêt à faire tellement de mal pour y arriver. Mais tu vois, moi, je suis plus fort que toi. J'espère qu'aujourd'hui tu as bien conscience que tu n'es rien. Rien du tout.
- Je ne voulais pas…
- Si, tu voulais. Mais tu as de la chance. Je ne reçois d'ordre de personne, et moi, j'ai une furieuse envie de te faire la peau. Il n'y a que deux personnes sur cette planète que je respecte et qui peuvent m'arrêter si elles me le demandent. Et l'une d'entre elle est ici et vient de te sauver la vie.
Le fermier lança alors un regard suppliant vers Ruri.
- Vous allez repartir chez vous, dit alors la jeune femme. Iris, C17 et moi allons rester sur cette île. On va s'occuper du serpent. J'ai prévenu un de mes professeurs, un spécialiste des serpents. On se charge de veiller à ce qu'il n'attaque plus vos terres.
- Comment allez-vous faire ?
- Il ne peut pas rester sur cette île, vous avez fait trop de mal. Nous allons le déplacer ailleurs. Vous pourrez vous accaparer ces terres, puisque c'est tout ce qui vous intéresse. Mais en attendant, laissez-nous tranquille.
- Oui, bien sûr…
C17 s'approcha alors du fermier, et juste avant de le relâcher, il lui murmura :
- Si tu reviens, ou fais quoi que ce soit… même Ruri ne pourra pas m'arrêter. Compris ?
- Compris...
Alors, C17 libéra le fermier, qui s'enfuit alors aussi vite que ses petites jambes le lui permirent, bientôt rejoins par les humains qui l'accompagnaient.
Il fallut attendre encore quelques jours pour que le professeur de Ruri ne les rejoigne, pendant lesquels C17 resta auprès du serpent, s'assurant qu'il ne quitte pas l'île.
Mais cette fois, ils étaient arrivés à temps.
