Chapitre 3 - Stratégies

Severus avait commencé la journée par s'occuper de sa fille. Il s'était levé tôt pour ça : avec l'aide de Binty, bien sûr, il l'avait habillée. Il avait même essayé de la coiffer, mais l'Elfe, avertie par des cris stridents, avait dû venir à son secours quand ses doigts étaient restés prisonniers des boucles brunes. Il avait aussi pris son petit déjeuner avec elle, profitant de ce moment-là pour avoir une longue discussion père-fille afin de se renseigner sur leurs habitudes, à elle et à sa mère, ainsi que sur ce qu'ils avaient l'habitude de faire lorsqu'ils étaient tous les trois ensembles.

Il apprit donc que, régulièrement, ils recevaient les Potter à dîner (« Tonton Harry » et « Tante Ginny » avec Teddy qu'elle aimait beaucoup…) ainsi que l'oncle Ron, qui ramenait à chaque fois une nouvelle « Tatie ». Ils rendaient également souvent visite à « Papibus » dans son Manoir pendant les vacances, et elle adorait quand il cachait des bonbons partout dans la maison, qu'elle et Teddy devaient trouver sous forme de chasse au trésor.

Elle lui raconta aussi que lorsqu'Hermione et lui travaillaient tous les deux, c'était Minerva qui la gardait, de même que Ginny, lorsque celle-ci était disponible. Elle lui révéla également qu'elle aimait beaucoup quand ils étaient tous les trois dans le salon au coin du feu. Elle, allongée sur le tapis et ses parents sur le canapé, Hermione la tête posée sur les jambes de Severus, lui-même jouant de ses doigts dans ses cheveux, chacun avec un livre, commentant à l'occasion ce qu'ils lisaient (ou regardait, dans son cas à elle).

Elle lui avoua aussi qu'elle les espionnait parfois lorsqu'ils faisaient une potion à quatre mains dans leur laboratoire : elle s'amusait à voir les mêmes mouvements qu'ils faisaient au même moment, comme s'ils étaient une seule et même personne… mais ce qu'elle aimait par-dessus tout, dans ces moments-là, c'était de voir son père voler un baiser ou deux à sa mère…

C'était à ce moment-là que Severus avait préféré couper court à la conversation… Essayant de faire sortir les images qui étaient apparues dans son imagination de plus en plus fertile.

Le Maître des Potions se dirigeait vers sa salle de cours avec entrain, pressé de mettre son plan « Approche d'Hermione Granger » à exécution. Après tout, il fallait le voir comme une nouvelle mission… Et il en avait vécu de plus dangereuses que celle-là… Enfin… Il se pourrait que cette mission soit on ne peut plus risquée… Si la Lionne sortait ses griffes !

Il avait passé une bonne partie de la nuit à élaborer différentes stratégies d'approche, de la plus ridicule à la plus sérieuse en passant par la plus rentre-dedans, et il avait passé tout son temps depuis la fin du petit déjeuner à imaginer tout ce que sa fille lui avait raconté…

Arrivé aux Cachots, il fit entrer les élèves de septième année de Gryffondor – sa classe, justement – et se dirigea vers son bureau. D'un coup de baguette, il envoya les copies fraichement corrigées vers leurs propriétaires respectifs et attendit, le visage impassible mais le cœur battant, de voir la réaction d'Hermione.

Une exclamation étouffée lui apprit que son « geste » avait eu l'effet escompté. BINGO !

– Un problème Miss Granger ? s'enquit-il d'une voix qu'il espérait neutre, ou en tout cas dénuée de ses sarcasmes habituels.

– Je… heu… Non, tout va bien Professeur… répondit-elle avec un sourire timide. Puis, elle baissa ses yeux noisette sur sa copie, la regardant sous toutes les coutures, ne semblant pas croire ce qu'il y avait écrit.

Il regarda, grimaçant intérieurement, Weasley et Potter se pencher vers elle pour se renseigner de son état, et ressentit soudain une pointe de jalousie affluer d'il ne savait où. Il donna les instructions pour la prochaine potion et tout le monde se mit au travail en silence. Il voyait de temps en temps la Gryffondor lever furtivement les yeux sur lui, puis retourner vers son chaudron.

Severus aurait donné n'importe quoi pour pouvoir lire dans son esprit, mais c'était impossible : il savait qu'elle avait appris l'Occlumancie avec Potter et Weasley avant de partir se battre contre Voldemort. Il n'aurait donc pu lire ses pensées sans se heurter à un mur ou bien, s'il avait essayé de forcer, elle l'aurait senti entrer… Ce qui n'aurait absolument pas joué en sa faveur !

La sonnerie retentit et les élèves vinrent lui apporter leurs fioles contenant la potion du jour. Il releva la tête lorsqu'il entendit Hermione s'adresser à ses deux acolytes.

– Partez devant… Je dois parler au Professeur Rogue. Je vous rejoindrai plus tard…

– Tu es sûre, Herm ? demanda le rouquin, visiblement inquiet de la laisser seule avec lui.

– Oui, ne t'inquiète pas, Ron… Tout va bien ! le rassura-t-elle en levant les yeux ciel.

– Comme tu veux… Il partit après lui avoir collé un baiser sonore sur la joue, ce qui fit furieusement grincer les dents de Severus.

Merde ! se dit-il. Il n'avait pas prévu le fait qu'elle soit peut-être déjà prise… Il fallait qu'il en ait le cœur net avant de mettre son plan à exécution ! Il fit semblant de ne pas l'avoir vue avancer vers lui et ne leva la tête que lorsqu'il entendit sa voix.

– Professeur ?

– Mmh ?

– Je voulais juste vous remercier, Professeur… dit-t-elle d'une voix timide.

– Pour quelle raison, Miss ?

– Et bien… pour l'Optimal que vous m'avez donné… C'est le premier que vous notez sur une de mes copies, et… enfin… hum… voilà… Elle rougit, et Severus, bien malgré lui, la trouva plutôt craquante.

– C'est le premier que je note sur une copie tout court, Miss Granger. Et votre travail le valait amplement, croyez-moi !

Il pouvait se permettre d'être généreux : après tout, l'enjeu était de taille ! Voyant qu'elle ouvrait des yeux comme des soucoupes, il continua sur sa lancée. C'était le moment d'avancer un pion stratégique sur l'échiquier… Il fallait piéger la Reine !

– Minerva m'a appris que vous vouliez faire des recherches en potions… Est-ce toujours le cas ? Sa voix était douce, à peine plus haute qu'un murmure, et il avait vrillé ses yeux aux siens, en s'appuyant imperceptiblement sur le bureau pour se rapprocher d'elle.

– Oui, c'est en effet ce que j'aimerai faire… Elle espérait qu'il n'avait pas remarqué les trémolos dans sa voix. C'était la première fois qu'il lui parlait comme ça, et qu'il la regardait de cette façon-là… Elle se sentit fondre, et elle frissonna.

Échec !

Remarquant l'effet qu'il avait sur elle, il décida de le pousser à son avantage. Après tout, il n'était pas le Directeur des Serpentard pour rien !

– Le Ministère m'a imposé un Apprenti, cette année (mensonge éhonté…), mais je ne suis pas emballé à l'idée de laisser entrer un parfait inconnu dans mon laboratoire… Peut-être seriez-vous intéressée… à moins que vous préfériez passer votre temps libre avec votre petit ami Weasley… Ce que je comprendrai parfaitement…

Il essaya en même temps de contrôler l'accès de colère qui l'assaillit tout à coup. Hermione était à lui ! Oups ! Que venait-il de penser, là ? Il fallait qu'il contrôle sa possessivité… Elle n'était pas à lui ! Enfin… pas encore…

– Non, je… Pardon ?! Mon petit ami ? RON ?! Euh… Professeur… Elle rougit violemment et se tortilla tout à coup. Je n'ai pas de… Elle ferma les yeux, honteuse de dévoiler une telle faiblesse à son professeur. Je n'ai pas de petit ami, fit-elle la voix beaucoup plus assurée. Et je serai très honorée d'être votre Apprentie. J'accepte votre offre… Merci, Professeur.

Échec et Mat !

Severus dut faire appel à toutes les forces divines Sorcières et Moldues confondues pour ne pas sauter de joie, puis reprit, impassible :

– Parfait. Je vais dire à Dumbledore de vous faire préparer votre nouvel appartement. Et aussi l'avertir que je prends un Apprenti pour la première fois de ma carrière… ajouta-t-il pour lui-même.

– Un appartement ? répéta-t-elle, incrédule.

– Un appartement, oui. Vous allez apprendre à concocter des potions d'un niveau de difficulté bien supérieur à ce que nous étudions en classe, Miss Granger. Et certaines d'entre elles demandent une surveillance particulière, d'autres doivent être fabriquées à des heures spécifiques du jour ou de la nuit, ou bien en fonction de la position de la Lune ou de certaines constellations… Il est donc impensable de vous laisser dormir dans votre dortoir… et risquer de réveiller vos camarades à toute heure… »

– Ah, d'accord…

– Mais si vous pensez ne pas pouvoir…

– SI ! le coupa-t-elle. Pardon, Professeur, s'excusa-t-elle honteuse. Ce sera parfait, merci beaucoup.

– Très bien. Nous discuterons plus tard des différentes conditions de votre Apprentissage.

Hermione comprit alors qu'il lui donnait congé. Elle lui sourit, puis partit rejoindre ses amis qui l'attendaient dans la Grande Salle.

Une fois qu'elle fût sortie, Severus referma la porte d'un coup de baguette et poussa un long soupir de soulagement. Il se retint à grand peine d'entamer une petite danse de la Victoire !

Première étape : Achevée !

Hermione avait été ravie de son Optimal, elle allait devenir son Apprentie, elle allait avoir un appartement juste à côté du sien –même si elle ne connaissait pas encore ce détail–, il avait réussi à ne pas être sarcastique dans ses propos et, par-dessus tout, outre le fait qu'elle n'avait personne dans sa vie, il avait remarqué son trouble lorsqu'il avait vrillé ses yeux aux siens. Cette idée lui était venue en se remémorant les souvenirs de Maï-Lee. Et apparemment, ses yeux avaient un grand pouvoir sur elle… et il allait s'en servir ! Foi de Serpentard !

Il pouvait maintenant amorcer la deuxième étape de son plan. Et pour ça, il aurait besoin de réfléchir sérieusement à la manière de procéder. Il ne voulait pas tout faire rater. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il allait faire se rencontrer Hermione et sa fille.

Plusieurs possibilités s'étaient présentées à lui quand il avait imaginé la scène : il pouvait tout simplement parler à Hermione de la fillette qu'elle avait vu atterrir dans la grande salle. Il pouvait également les enfermer toutes les deux dans la même pièce et voir ce qui se passerait… Une autre possibilité consistait aussi à laisser Hermione tout découvrir par elle-même grâce à la Pensine, de la même façon qu'il avait tout découvert lui-même…

Tant de possibilités, et autant d'erreurs à ne pas commettre ! Elles pourraient être fatales du point de vue des relations ! Sans oublier Maï-Lee dont il ne pouvait anticiper la réaction, face à sa « mère » qu'elle avait vu mourir et qu'elle retrouverait ici, bien vivante, mais un peu différente.

Il devait absolument parler à Maï-Lee. Lui expliquer la situation avant qu'il ne soit trop tard… Cette opportunité lui fut donnée le jour-même lorsque celle-ci lui demanda une nouvelle fois quand elle pourrait voir sa mère.

Sautant sur l'occasion, il s'assit sur le canapé devant la cheminée, lui demandant de s'installer près de lui.

– Maï-Lee, écoute-moi. Nous allons parler de ta maman, justement.

La petite s'installa, le regardant avec des yeux plein de sérieux, se rendant compte de l'importance d'une telle conversation.

– Il faut que tu comprennes qu'ici, ta mère et moi, nous ne sommes pas amoureux. Nous ne vivons pas non plus ensemble. Et nous ne sommes même pas amis… même si à partir d'aujourd'hui, je vais tout faire pour que nous le devenions… Est-ce que tu comprends ?

– Oui, répondit-elle d'une petite voix. Mais maman m'a dit que c'est pour ça qu'elle a écrit une lettre.

La lettre ! Mais oui ! Il l'avait oubliée ! Il fallait qu'il demande à Dumbledore de lui donner celle d'Hermione ! Il devait la lire pour savoir ce qu'elle s'était écrit. Cela allait peut-être lui donner un coup de pouce !

– D'accord ! Donc, il faut que tu saches aussi que… ta maman… ne sait pas que tu es là… Enfin… elle ne sait pas qui tu es… que tu es sa fille, je veux dire… Ses mots étaient hésitants, mais il ne voulait pas que sa fille soit blessée, ou triste… il devait lui expliquer la situation avec tact.

– Alors il faut lui dire ! déclara la petite, sûre d'elle.

– Oui, je sais… Mais ce n'est pas facile… la situation est compliquée…

– Pourquoi ? Il suffit juste que tu lui dises que c'est ma maman et puis c'est tout ! Elle le regarda avec de grands yeux, comme s'il était le dernier des demeurés… Mais bizarrement, cela ne le fâcha pas… au contraire… l'innocence et la candeur qu'elle dégageait à ce moment-là le firent littéralement fondre. Et il sentit son cœur se gonfler. Pour elle, c'était évident : il suffisait juste d'aligner les bons mots les uns après les autres, et le tour était joué…

– Oui, tu as raison… c'est tout… Il la prit dans ses bras et la posa sur ses genoux. Elle se serra contre lui.

– Il faut lui dire vite… soupira-t-elle… elle me manque… et à toi aussi elle doit te manquer… je sais que tu es tout triste quand elle n'est pas avec toi…

Severus préféra ne pas relever, mais prit la décision de parler à Hermione le plus vite possible. Il verrait bien ce qui se passerait… Son côté Serpentard lui souffla que, au pire, un sort d'Oubliette bien dosé ferait l'affaire !