Chapitre 7 - Discussions

Hermione n'avait pas dormi de la nuit. Heureusement que c'était samedi et qu'elle n'avait pas cours. Aussi, c'est avec les yeux bouffis et la mine blême qu'elle alla ouvrir à Ron et Harry qui venaient la chercher pour le petit déjeuner.

– Et bien, Herm' ! T'as l'air en forme ! ironisa le rouquin en la regardant avec des yeux ronds.

– Ouais, renchérit Harry, la dernière fois que je t'ai vue avec cette tête-là, c'était juste après la Grande Bataille ! Avec le sang et les blessures en moins, bien sûr ! s'esclaffa-t-il.

– Les garçons… murmura-t-elle, j'ai quelque chose à vous dire… Mais je ne sais pas comment vous allez réagir… Je ne sais même pas comment moi-même, je dois réagir !

– C'est si grave que ça ? s'inquiéta Ron en fronçant les sourcils.

– Entrez… que je vous dise de quoi il s'agit…

Ils suivirent leur brunette adorée jusque dans sa chambre où elle se jeta sur son lit. Allongée sur le dos, elle regardait le plafond, essayant de trouver la force de dire ce qu'elle devait raconter à ses meilleurs amis, ses « frères ». Ron et Harry, inquiets, la rejoignirent sur le lit où ils se laissèrent tomber sur le ventre, de chaque côté d'elle, leurs visages anxieux au-dessus du sien, attendant en silence qu'elle parle.

– Bon… euh… vous vous souvenez en octobre, dans la Grande Salle, la petite fille qui est arrivée de nulle part ?

– Bien sûr ! Comment oublier ça ? répondit aussitôt Ron.

– Et vous vous souvenez de ce qu'elle a dit ? Et à qui ?

– Tu parles ! rigola Harry. Elle s'est jetée sur Rogue en l'appelant Papa ! Tout le monde est au courant !

– Et vous vous souvenez aussi de ce qu'a dit le Professeur Dumbledore quand on lui a demandé ce qui c'était passé et de qui il s'agissait ?

– Oui, confirma Ron. Il nous a dit que cette histoire ne nous concernait en rien, que de toute façon nous n'avions rien à craindre d'une petite fille et nous a conseillé de nous occuper plutôt de nos ASPIC…

– Et bien, en fait… heu…Cette petite fille, je l'ai vue hier soir… Chez le Professeur Rogue…

– Ah bon ? Et alors ? C'est vraiment sa fille ? demanda Ron sceptique. C'est pour ça que tu es perturbée ? Je comprends pas…

– Non, enfin… pas vraiment… Elle les regardait, tour à tour, passant de l'un à l'autre des deux visages penchés au-dessus du sien. Elle n'allait pas y arriver… Elle ne savait pas comment faire…

– Hermione… dis-nous ce qui se passe, intima Harry en caressant sa joue, inquiet de voir ses yeux devenir un peu trop brillants. Visiblement, tu étais chez Rogue, hier soir… Est-ce qu'il t'a dit ou fait quelque chose qui aurait pu te mettre dans cet état-là ?

– Non… euh… enfin… Bon, d'accord… Allez… Elle se redressa pour s'asseoir en face d'eux et ils l'imitèrent. Elle souffla un grand coup et se lança : Cette petite fille, Maï-Lee, c'est son prénom, est bien la fille du Professeur Rogue. Mais ce n'est pas tout : elle vient du futur…

– PARDON ?! Ron et Harry s'étaient exclamés en même temps et Hermione aurait ri si elle n'avait pas été aussi angoissée.

– Oui, vous avez bien compris. En fait, elle a été envoyée par ses « parents du futur » pour qu'elle retrouve ses « parents du passé »… en quelque sorte.

– Ah bon ? Mais pourquoi ? demanda Harry éberlué.

– Et surtout comment ?! renchérit Ron.

– Grâce à un sortilège Elfique très ancien et très puissant… Et pourquoi, et bien, pour éviter que des gens meurent… Elle ne voulait pas entrer dans ces détails-là tout de suite… Elle serait toujours à temps de leur annoncer leur propre mort !

– Que des gens meurent ? répéta Harry. Mais qui ?

– Je vous raconterai ça plus tard… J'ai d'autres choses à vous dire avant… Son cœur se mit à battre plus fort, sa respiration devint saccadée, mais elle se lança : donc, Maï-Lee a retrouvé son… père… Mais il fallait aussi qu'elle retrouve sa… mère… Hermione avait de plus en plus de mal à déglutir. Elle savait qu'elle approchait doucement du moment fatidique où la vérité allait éclater. Et… elle l'a retrouvée…

– Formidable ! lança Ron complètement à côté de la plaque. Maintenant que la petite famille est de nouveau réunie, est-ce que tu vas nous dire pourquoi tu es dans cet état-là ?

Hermione se tût, regardant Harry qui avait le regard vague. Il réfléchit un moment, puis regarda sa meilleure amie… la sœur qu'il n'avait jamais eue… Celle pour qui, sans aucune hésitation, il aurait tout donné, jusqu'à sa vie. Il ouvrit la bouche, puis la referma… puis l'ouvrit de nouveau :

– Non… souffla-t-il. Impossible… Il la regarda et elle sut qu'il avait compris. Elle se contenta d'acquiescer en silence.

Ron, qui avait assisté à l'échange, paraissait de plus en plus perplexe.

– Est-ce que j'ai loupé quelque chose ?

Hermione se retourna vers le Rouquin, et le regarda :

– C'est moi, Ron… C'est moi, la mère de Maï-Lee.

Ron mit ses mains devant sa bouche, ne sachant pas s'il fallait éclater de rire ou bien hurler de terreur.

– Tu veux dire que… Rogue et toi… que… enfin… que vous… que lui et toi… Vous avez un enfant ?! Il était tellement abasourdi qu'il en bafouillait.

Soudain, et contre toute attente, Harry éclata de rire.

– Harry ! s'indigna Hermione. Comment peux-tu rire dans une situation pareille !

– Désolé mon Trésor ! Mais là, c'est tellement inattendu ! Et puis… c'est Rogue ! s'esclaffa le Survivant de nouveau.

– Ouais… rajouta Ron, qui avait les larmes aux yeux à force de se retenir de rire… Pas de bol, Sœurette ! Puis, n'y tenant plus, il s'écroula à son tour, aux côtés d'Harry qui se tenait les côtes.

– Les garçons ! Gémit Hermione, scandalisée. J'aurai espéré que vous me soutiendriez au lieu de vous moquer de moi ! C'est de Rogue dont on parle !

– Oh, Herm' ! Excuse-nous… mais… écoute… justement, c'est de Rogue dont on parle ! Répéta Harry. Puis, se redressant, il se posta devant elle et lui prit une main qu'il porta à ses lèvres. Sœurette… dit-il d'un ton affectueux. Tu ne pouvais pas tomber sur quelqu'un de mieux que Severus Rogue, pour toi !

– PARDON ?! s'exclama Hermione d'un air proprement choqué.

– Mais oui, Hermignonne, confirma Ron, vous êtes pareils tous les deux…

– QUOI ?! C'était de pire en pire. Jamais elle n'aurait cru que ses deux meilleurs amis, ceux quelle considérait comme ses frères, et même plus que ça, pourraient un jour lui dire ce genre de choses !

– Écoute, calme-toi, lui proposa Harry. Je vais t'expliquer notre point de vue : d'abord, c'est un Héros de Guerre, comme nous trois… Sans son aide, jamais nous n'aurions pu vaincre l'autre Dégénéré… Ensuite, vous avez les mêmes centres d'intérêt tous les deux : les potions, les livres, et tout un tas d'autres choses qui n'intéressent que des cerveaux comme les vôtres ! Et puis aussi, tu ne peux pas nier qu'il n'est plus du tout le même qu'avant : même s'il garde toujours quelques uns de ses sarcasmes, il a mis sa partialité et sa méchanceté au placard ! Sans oublier que désormais, il ne ressemble plus du tout à cette chauve-souris aux cheveux gras dont il avait l'apparence ! Je n'aurais jamais imaginé un jour dire ça, mais… Il faut avouer qu'il est tout de même bel homme !

Hermione était sans voix… elle ne savait même pas quoi dire. Alors elle préféra se taire, et laisser Harry finir de lui expliquer sa manière de voir les choses.

– Et puis, Hermione… dit-il soudain plus sérieux. Tu es la seule d'entre nous à n'avoir personne dans sa vie !

– Tu as passé six ans à t'occuper de nous Herm'… expliqua Ron, tout à fait sérieux lui aussi. On t'en sera reconnaissant à vie pour ça, tu le sais… Mais il est temps que tu penses un peu à toi, maintenant… Il avait pris sa main, lui aussi, et avait entremêlé leurs doigts dans un geste tendre. Harry et moi t'aimons plus que tout au monde, tu le sais, et ça nous rend malheureux de voir que tu es toujours seule : Harry est avec Ginny, ils se marieront l'année prochaine, et moi, je suis avec Lavande… ou Parvati… ou bien Hannah… ou Susan … enfin, tu vois, quoi… Mais toi, toi qui penses toujours aux autres en premier, toi qui te plies toujours en quatre pour tout le monde… Il faut maintenant que tu fasses quelque chose pour toi, et seulement pour toi ! Et même si c'est avec quelqu'un comme Rogue ! Tu as dit que dans le futur, lui et toi aurez un enfant, ce qui veut dire que ton « futur-toi » lui a trouvé quelque chose au-delà des apparences… au-delà de ce qu'il montre à tout le monde…

– Nous savons que tu es intelligente… continua Harry. Nous savons que tu ne fonderais pas une famille avec n'importe qui… et encore moins sur un coup de tête !

Hermione ne disait rien, et semblait ne plus respirer non plus, des larmes silencieuses striant ses joues. Merlin ! Qu'est-ce qu'elle les aimait tous les deux ! Elle profita qu'ils aient chacun une de ses mains dans les leurs pour les attirer tous les deux contre elle, en un « Câlin à Trois » comme ils avaient pris l'habitude de le faire depuis de nombreuses années. Cela leur arrivait de se fondre ensemble dans une même étreinte lorsque les évènements leurs semblaient trop douloureux ou bien trop durs à surmonter, surtout au moment de la Guerre. Ils restaient là, comme ça, blottis tous les trois les uns contre les autres, sans bouger, ni même parler. Il leur était même arrivé de pleurer ensemble, quelques fois. Ils n'en ressortaient que plus revigorés à chaque fois, sachant qu'ils étaient toujours là, ensemble, pouvant toujours compter les uns sur les autres.

– Et… fit-elle au bout d'un long moment avec un sourire malicieux, le fait qu'il ait le double de mon âge ne vous choque pas plus que ça ?

– Et bien en fait, tu es bien plus mâture que tous ceux de ton âge… alors… non, pas de grande différence… Sans compter qu'avec tout ce que tu as trafiqué avec le Retourneur de Temps en troisième année, tu dois bien être un peu plus vieille… pouffa Harry.

– Pour moi, tu sais, c'est pas le genre de truc qui me dérange… Regarde : Bill a dix ans de plus que Fleur et Charlie à douze ans de plus que sa Roumaine-Chasseuse de Dragons ! énuméra Ron sur les doigts de sa main libre. Alors tu vois, c'est monnaie courante chez nous… Et puis tu sais, chez les Sorciers, ça ne veut pas vraiment dire grand-chose !

– Franchement, Hermy ! Tu ne vas pas me dire que toi, tu t'arrêterais à ce genre de détail ! fit remarquer Harry d'un petit air entendu.

La brunette se contenta de lever les yeux au ciel en guise de réponse. Elle se sentait cernée, piégée…

Elle avait enfin caressé l'espoir, après sept longues années à courir après les Forces du Mal pour finalement les anéantir, de pouvoir vivre sa vie d'adolescente normale. Comme les garçons lui avaient dit plus tôt, Harry avait Ginny et ils préparaient tranquillement leur mariage. Ron, et bien… Ron, lui, profitait de la vie, de son statut de Héros de Guerre et de ses hormones en effervescence… Il butinait de fleur en fleur sans jamais se poser, passant ses nuits dans les bras d'une fille différente chaque soir… Mais au moins, il en profitait, et il était très heureux comme ça.

Mais elle, même ce droit-là lui avait été refusé. Elle se retrouvait du jour au lendemain avec un tout autre rôle à endosser : elle se retrouvait d'un seul coup mère d'une enfant qu'elle ne connaissait pas, à seulement dix-huit ans !

Tout doucement, ses pensées se dirigèrent vers celui qui tenait lieu de deuxième rôle principal de cette pièce sordide, Severus Rogue. Cela ne devait pas être facile pour lui non plus ! Même si, lui, avait la maturité qui lui faisait défaut à elle, elle doutait qu'il puisse avoir la moindre expérience de la paternité, de la même façon qu'elle ne connaissait strictement rien à la maternité ! Ils devraient donc apprendre… ensemble !

Mais pour cela, il faudrait d'abord qu'ils aient une longue, très longue discussion tous les deux, et… sans la petite, de préférence…

– Bon… je suppose qu'il faut que j'aille lui parler… lança Hermione plus ou moins dépitée, espérant presque que les deux autres lui disent « non ».

– Je crois en effet que c'est une bonne idée… répondit Ron alors qu'Harry confirmait d'un signe de tête.

– Traitres… leur dit-elle mi-amusée, mi-agacée, pendant qu'ils lui décochaient un sourire éblouissant. Puis, ils se levèrent et les garçons sortirent, se dirigeant vers la Grande Salle, elle, partant directement sous la douche, puisque son estomac était trop noué pour qu'elle puisse avaler quoi que ce soit.

oOo. oOo. oOo. oOo. oOo. oOo. oOo

Severus dormait du sommeil du juste. Il avait passé la plus grande partie de la nuit à ressasser la soirée de la veille dans sa tête, se demandant s'il avait bien agi ou non, et quelles en seraient les conséquences. Ce n'était qu'aux petites heures du matin que Morphée avait enfin consenti à l'accueillir dans ses bras.

Une petite pression de plus en plus agaçante sur le bout de son nez acheva de le faire sortir de ses songes animés.

Il ouvrit difficilement les yeux et loucha sur un doigt minuscule posé sur son appendice olfactif.

– Papa… fit une petite voix, c'est l'heure de se lever… Et Maï-Lee lui colla un bisou mouillé sur la joue. Binty a préparé le petit déjeuner et Papibus est là… Tu viens ?

– Mmpfff… j'arrive… répondit la voix étouffée de Severus qui avait remonté la couette douillette au-dessus de sa tête. Il grogna intérieurement… C'était samedi et il aurait préféré rester au lit… Il faudrait qu'il apprenne à sa fille les joies de la grasse matinée… Et puis, que lui voulait Albus ?

D'un pas lourd, il sortit de sa chambre et se rendit à la salle de bains, dans l'espoir qu'une bonne douche arriverait à faire disparaitre les traces du manque de sommeil. La chose faite, il se dirigea vers le salon où la table du petit déjeuner était dressée.

– Bonjour, Severus ! lança le Vieux Sage, enjoué comme à son habitude. Tu as bien dormi ?

– Bonjour Albus… Pourquoi ai-je l'impression que vous connaissez déjà la réponse ? Le Directeur pouffa sans retenue.

Binty était en train de verser du cacao dans le bol de lait de la petite lorsque des petits coups timides se firent entendre contre le portrait qui dissimulait l'entrée.

Finissant de passer son pull (noir), par-dessus sa chemise (noire) et son pantalon (noir), le Maître des Potions ouvrit la porte, et son cœur eut un raté.

– Bonjour Professeur… Hermione se tenait devant lui, raide comme un piquet, mais dont le teint commençait à rosir de plus en plus.

– Miss Granger…

– MAMAN ! hurla Maï-Lee en se faufilant sous le bras de son père pour se jeter sur elle. Hermione s'arracha avec peine des deux abysses noirs qui la fixaient et s'accroupit en souriant pour prendre sa fille dans ses bras. Tu viens déjeuner avec nous ? Binty a fait des pancakes !

– Heu… dit-elle confuse. C'est-à-dire que… je n'avais pas prévu…

– Mais si, venez donc, nous n'avons pas encore commencé ! Le Directeur venait de faire son apparition derrière Severus qui grinça des dents.

– Oh, euh… Bonjour Professeur Dumbledore, bafouilla Hermione en rougissant violemment maintenant. Elle ne bougeait toujours pas, mais regardait Rogue à la dérobée comme pour juger de sa réaction.

– Venez, Miss… murmura-t-il. Cela fera plaisir à Maï-Lee… Il s'effaça pour qu'elle entre. Ce qu'elle fit, timidement, la fillette toujours dans les bras.

Binty fit apparaître une chaise et un couvert de plus et la Gryffondor s'assit, penaude, commençant sincèrement à regretter d'être venue si tôt.

– Alors, Miss Granger… entama Dumbledore, tout à fait à son aise. Vous voilà avec un nouveau rôle à endosser ! Un de plus, dirais-je…

– Euh, oui… fut tout ce qu'elle réussit à répondre, sentant ses joues virer à l'écrevisse. Severus, lui, soupçonnait son mentor de bien s'amuser !

– Et toi, Maï-Lee… que dirais-tu de venir avec moi faire une petite promenade dans le château ? proposa Albus à la fillette, le regard pétillant de malice.

– Oh, oui ! Et tu vas encore cacher des bonbons Papibus ? Dumbledore acquiesça en souriant alors qu'Hermione resta interdite face au surnom, ne comprenant pas pourquoi elle disait ça.

– Ah oui, sourit Severus en s'adressant à son élève… Il faut que je vous raconte ce que j'ai appris… Tu permets Maï ? lui demanda-t-il en lui tendant une tartine pleine de confiture.

– Oui, tu peux lui dire… répondit la petite, du chocolat partout autour de la bouche.

– Merci… alors, figurez-vous que Papibus, dit-il en montrant Dumbledore d'un geste théâtral, cache des bonbons partout dans son Manoir pendant les vacances, et qu'elle et Teddy Lupin doivent les trouver sous forme de chasse aux trésors. Que c'est Maminéva ou Tante Ginny qui la gardent la journée et Oncle Ron ramène toujours une nouvelle Tatie… annonça Severus, la voix teintée d'un certain sarcasme alors qu'Hermione ne savait pas très bien quoi faire de ces informations.

– Oui, mais tu oublies de dire ce que je t'ai dit d'autre, papa…

– Ah ? Et que lui as-tu raconté ? demanda Albus, devinant qu'il allait adorer la suite, tandis que Severus se demandait s'il ne s'était pas fait prendre à son propre piège.

– Je lui ai raconté aussi que j'aimais beaucoup quand il s'approchait de maman pour lui voler un baiser quand ils font des potions tous les deux… Un grand bruit se fit entendre lorsque la tasse de café d'Hermione se fracassa par terre répandant son contenu un peu partout. Severus, de son côté n'en menait pas large non plus, vu qu'il virait au bleu en s'étouffant avec son pancake, Albus lui tapant gentiment dans le dos.

– Très bien, Maï-Lee… Si tu as fini, nous allons y aller… Nous demanderons à Maminéva de nous accompagner… Nous allons laisser tes parents discuter un peu, d'accord ? demanda Dumbledore en se levant.

– Oui… d'accord… à tout à l'heure, Papa et Maman… Là-dessus, elle décampa main dans la main avec le Directeur, après leur avoir donné un bisou sonore à tous les deux.

Binty débarrassa en silence, puis disparut dans un « plop » qui fit sursauter Hermione, se rendant compte tout à coup qu'elle se retrouvait seule avec son professeur.

Ils étaient tous les deux encore assis à table, chacun regardant dans toutes les directions sauf celle de l'autre.

N'y tenant plus, mais toujours tête baissée, Hermione rassembla tout son courage gryffondorien et ouvrit la bouche :

– Professeur… je crois qu'il faudrait que nous parlions… de Maï-Lee.

– En effet… mais je vous avoue que je ne sais par où commencer… Il ancra ses yeux dans les siens et elle réprima un frisson.

– Ce que nous avons comme certitude, c'est qu'elle a besoin de ses deux parents…

– Je suis d'accord, Miss Granger. Il faut que l'on trouve une solution pour lui accorder du temps, tout en en gardant pour nos activités respectives… ainsi que pour votre apprentissage.

– Et bien… comme vous me l'aviez dit, trois soirs par semaine seront consacrés aux cours particuliers. Nous pouvons donc nous arranger pour nous occuper d'elle le reste du temps, à tour de rôle, ou bien… (elle avala sa salive et rougit légèrement) ensemble…

– C'est une bonne idée…

– Je vais dire au portrait qui relie mon appartement au laboratoire de lui autoriser l'accès pour qu'elle puisse aller et venir à sa guise entre chez vous et chez moi…

– Très bien… Je suis certain que cela lui plaira…

– Par contre, je n'ai aucune idée de ce qu'il faut dire aux autres… avoua Hermione. Mais Harry et Ron sont au courant… Elle baissa la tête en remarquant la grimace de Severus.

– Je me doutais bien qu'il faudrait un jour en passer par là, temporisa l'homme. J'imagine qu'ils n'étaient pas des plus heureux…

– Et bien en fait… Leur réaction n'a pas tout à fait été comme je l'imaginais… répondit la Gryffondor mystérieusement.

– Comment ça ?

Hermione ne savait pas vraiment quoi lui dire… Elle s'était elle-même engagée sur un terrain glissant. Elle n'allait tout de même pas avouer à son Professeur de Potion, accessoirement père de sa fille, que ses amis trouvaient qu'ils allaient très bien ensemble !

– Oh, et bien, en fait… Ils semblent vous apprécier d'avantage que je ne le pensais… éluda-t-elle en réduisant son pancake en charpie.

Severus n'insista pas. Il voyait la demoiselle en face de lui rougir de plus en plus, et ne voulais pas la mettre davantage dans l'embarras. Aussi, il décida de changer de sujet. Il avait des choses importantes à lui dire, et d'autres explications à lui donner… Cependant, pour cela, il devait à nouveau lui ouvrir son cœur, encore d'avantage que la veille :

– Miss Granger, sachez encore une fois que je suis désolé de ce qui arrive. J'ai été aussi surpris que vous l'avez été… Croyez-moi. Jamais je n'aurai imaginé qu'une telle situation puisse se produire un jour… Et encore moins une situation qui nous concernerait tous les deux…

– Oui, je peux très bien imaginer que si vous pensiez vous marier un jour, une femme beaucoup plus jolie et plus… mûre… que moi… aurait certainement retenu votre attention… fit remarquer Hermione, rougissant devant son audace et les yeux fixant son assiette.

– Je n'irais pas jusqu'à dire cela… répondit-il mystérieusement. Mais il est vrai que lorsque j'ai vu les souvenirs de Maï-Lee, la première fois, tout mon monde s'est écroulé : je me retrouvais tout d'un coup avec une enfant sur les bras dont je devais m'occuper… Chose que je pensais impossible alors… Et puis j'ai lu la lettre que mon futur m'avait adressée, où il me racontait ma vie, mon amour pour ma fille… et… mon amour pour vous… Le fait est que je me suis attaché à Maï-Lee. Je suis bien obligé de vous avouer que depuis qu'elle est entrée dans ma vie, je vois les choses de manière totalement différente. Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas à me cacher devant quelqu'un : elle fait ressortir le meilleur de moi… Mieux que ça, elle me permet de découvrir celui que je suis vraiment. Et pour ça, je veux lui offrir ce dont elle à besoin… Tout ce dont elle a besoin… Et elle a besoin de sa mère…

Sa dernière phrase, à peine plus haute qu'un murmure, tinta comme une caresse, et Hermione se sentit étrange. L'homme qui lui faisait face venait de se confier sans retenue, pour la deuxième fois en deux jours... Chose qu'elle n'aurait jamais crue possible, surtout venant de lui… Elle avait devant elle la preuve visible de l'amour d'un père pour sa fille. Un père prêt à faire n'importe quoi pour le bonheur de son enfant. Prêt à remettre en question plus de quinze ans d'enseignement partial en faveur de sa maison, prêt à changer du tout au tout son caractère irascible, et par-dessus tout, à avouer ses états d'âme et ses sentiments… Tout cela pour une enfant de cinq ans qu'il ne connaissait que depuis à peine quelques mois ! C'est cela qui décida Hermione :

– Je vous promets, Professeur Rogue, que je ferai de mon mieux pour être telle qu'elle l'a connue.

À ses mots, Severus releva la tête et se perdit dans ses yeux. Il lui envoya un « Merci » silencieux, conscient que sa voix tremblerait s'il l'avait formulé à voix haute. Hermione le comprit tout à fait, et enchaîna quelques instants plus tard, pour dissiper ce moment de gène :

– Je voudrai que vous me parliez de ceux qui vont tuer les membres de l'Ordre… Elle avait voulu dire « ceux qui vont nous tuer », mais cela aurait donné encore une autre dimension à ce « nous », or, elle n'était pas encore prête à envisager son professeur comme… et bien… autre chose que son professeur… Enfin… du moins c'est bien sûr ce dont elle tentait de se convaincre…

– Et bien… fit Rogue, soulagé qu'elle aborde un sujet neutre, tout ce que je peux vous en dire, c'est ce que j'ai appris grâce aux souvenirs que je vous ai montré, de même que ce qu'il y avait dans les lettres… La liste est avec Albus, et il a dépêché un bon nombre de personnes qui les recherchent activement… Ils sont dix Mangemort en tout. Tous avaient disparu à la fin de la Grande Bataille et nous les supposions morts. Pour autant que je le sache, trois ont déjà été attrapés, et soumis au Baiser du Détraqueur. Ils sont actuellement à Azkaban, bien que dans leur état actuel, même en liberté, ils ne pourraient plus faire grand-chose…

– Ce qui veut dire que tant qu'ils ne seront pas tous attrapés, le danger persistera… résuma Hermione. Ce qui inclus également qu'il ne faut pas leur apprendre l'existence de Maï-Lee…

– Vous avez tout compris, Miss Granger… C'est pour cette raison qu'elle ne sort jamais de l'appartement… Ou bien quand elle le fait, comme avec Albus de temps en temps, elle est soumise à un charme qui lui donne une apparence différente aux yeux des autres. Jamais la même, pour ne pas éveiller les soupçons… Si jamais elle venait à croiser quelqu'un dans le château, cette personne ne verrait qu'un élève comme un autre, où bien un adulte inconnu en compagnie d'Albus. Ce subterfuge est un moindre mal… Je refuse qu'elle reste cloîtrée tout le temps… Elle a besoin de prendre l'air et de bouger…

– Je comprends… Maintenant, je voudrai savoir comment nous allons nous organiser… Je veux dire, pour qu'elle nous ait tous les deux en même temps… Hermione rougissait au fur et à mesure qu'elle avançait dans sa phrase.

– Et bien… Je vous avoue ne pas vraiment y avoir réfléchi… Peut-être pourrions-nous lui consacrer nos week-ends… Sans vous retarder dans vos devoirs, bien entendu… rajouta-t-il précipitamment. À moins que vous ayez d'autres occupations…

Pendant qu'Hermione réfléchissait à sa proposition, organisant mentalement le week-end en fonction de ses devoirs et de son apprentissage tout en gardant un peu de temps pour ses amis, Severus se surprit à croiser les doigts sous la table : il avait envie de passer tous ses week-ends avec elle. L'excuse était évidemment que c'était uniquement pour le bien-être de Maï-Lee, mais, s'il devait être honnête avec lui-même, chose qu'il s'efforçait de faire depuis l'arrivée de sa fille, il savait pertinemment que sa présence ferait son bonheur à lui aussi…

– Très bien, je suis d'accord pour que l'on passe tous les week-ends ensemble… enfin, avec Maï-Lee… se rattrapa-t-elle de justesse. Si je me débrouille assez pour faire mes devoirs pendant la semaine, et mes révisions pour les cours particuliers de potions le vendredi soir, je serai libre du samedi matin au dimanche soir. Je pourrai aussi, si vous le voulez bien, lui donner son bain, le soir, une fois mes devoirs terminés, puisque c'est vous qui vous occupez d'elle le matin… De cette manière, les tâches seront réparties équitablement… qu'en pensez-vous ?

– Je trouve l'idée excellente, merci, Miss Granger, vraiment… Maï-Lee en sera très heureuse…

– Très bien… commençons dès demain, si vous le voulez… J'éliminerai mes devoirs dès aujourd'hui, et demain, je présente Maï à mes amis…

– Comme bon vous semble…

– Professeur ? demanda-t-elle après quelques minutes de silence. Avez-vous lu ma lettre ? Celle du futur, j'entends…

– Euh… hum… Oui… avoua-t-il, penaud.

– Me laisserez-vous lire la votre ?

Avait-il le choix ? Non, évidemment… Il avait lu la sienne… et sans demander son avis, qui plus est ! Il lui devait bien ça… Il planta ses yeux dans les siens, comme pour juger s'il pouvait lui faire confiance ou non pour quelque chose d'aussi intime. Puis, expirant un bon coup, il se leva, se dirigea vers sa chambre et en revint quelques secondes après avec la fameuse missive.

Hermione prit le document, décacheta l'enveloppe et se plongea dans sa lecture en silence. Severus la regardait discrètement, voyant de temps en temps ses sourcils se froncer, ou ses yeux s'écarquiller, ou encore ses joues prendre une jolie teinte écarlate…

Une fois la lecture terminée, elle rendit sa lettre à son propriétaire :

– Merci Professeur, c'était…

– Ridicule ?

– Non ! s'offusqua-t-elle. Je voulais plutôt dire… très beau… Vous avez écrit des choses magnifiques…

– Heu… Merci.

Elle le remercia à son tour pour le petit déjeuner et prit congé, le cœur un peu plus léger, mais l'estomac tout de même un peu noué à l'idée de passer tout ce temps en compagnie de son professeur… Temps qui serait consacré à tout autre chose que du travail scolaire…