/!\ Attention, thème de l'inceste présent dans ce texte.
Le jeu de lumière des multiples voitures de police se dispute avec la flamboyance nocturne des innombrables néons flashy des enseignes de magasins. Le clapotis de la pluie diluvienne ne parvient pas à supplanter le son strident des sirènes hurlantes qui retentissent encore alors que mes collègues se mobilisent pour arrêter les malfrats tentant de prendre la fuite. Kabuchiko, district du crime dans le quartier de Shinjuku et point névralgique de l'activité yakuza. Ce soir, le voilà qui se retrouve purgé d'une partie de cette gangrène.
Certes, cela n'empêchera pas que la branche coupée aujourd'hui ne repousse, comme toujours. Cependant, avoir mis fin à ce trafic de prostitution est une victoire importante dans la guerre des forces de l'ordre contre ce mal incessant.
—C'est du très bon travail Niijima, fait la voix du commandant, mon supérieur hiérarchique.
—Merci Monsieur, dis-je en m'inclinant devant lui. Heureuse que cette opération ait abouti à cette arrestation avec succès.
—Ce n'est qu'une bataille parmi tant d'autres dans la grande croisade contre le crime, mais c'est appréciable en effet, dit-il en hochant la tête.
Son expression reste sombre cependant alors que l'éclairent les gyrophares tournoyant toujours avec effervescence. L'opération est sur la fin, les autres policiers ont presque menotté tous ceux présents. L'homme d'un certain âge finit par souffler doucement, fermant les yeux brièvement. Je n'ai pas besoin de l'interroger pour connaître ses pensées, son commentaire précédent me renseigne déjà sur leur teneur. Cette intervention est le fruit de plusieurs mois de travail, d'un examen minutieux des habitudes des malfrats et de la recherche active de leurs identités. Ce fut loin d'être simple, car bien que les moyens de la police ne manquent pas et que l'avancée scientifique ne cesse d'améliorer ses performances, les criminels se font toujours plus inventifs et malins également.
Certains pensent sans doute que c'est un combat perdu d'avance. Il y aura toujours un autre gangster pour prendre la place de celui que nous viendrons d'arrêter. Cette fois ne fera pas exception non plus. Une course sans fin car les êtres humains auront toujours un cœur à faire des actes répréhensibles d'une plus ou moindre gravité. C'est un cercle vicieux infini et notre lutte est vouée à être éternelle. Mais ma propre détermination est également forte. J'ai vu ce que la déchéance de l'humanité pouvait donner et je refuse d'abandonner uniquement parce que la perversion est inéluctable. Résister et se battre est déjà un premier frein à tout cela. Et si aujourd'hui ce n'est plus en ma qualité de Voleuse Fantôme que je le fais, je ne cesserais pas de me battre pour ça.
—Savez-vous si Kenichi est encore sur les lieux ? demande-t-il ensuite, le regard toujours fixés sur nos hommes en pleine action.
—Il est avec les ambulanciers. Il a été touché lorsque nous avons donné l'assaut, mais rien de grave, rassurez-vous.
—Et vous ?
—Je n'ai rien Monsieur, tout va bien.
—Allez quand même y faire un tour. Ensuite vous pourrez rentrer chez vous. J'attends votre rapport demain.
Je m'incline une nouvelle fois avant de m'exécuter et de me rendre à la rencontre de l'équipe médicale dépêchée sur les lieux. Les hommes en blanc s'affairent déjà autour de mon collègue qui semble s'agiter au lieu de seulement se laisser faire. Je souris, car cela lui ressemble bien de ne pas juste rester en place comme on le lui demande. Ce n'est pas forcément un défaut, excepté quand cela lui vaut sa blessure actuelle parce qu'il n'a pas voulu se replier après que nous ayons ordonné l'assaut sur la base yakusa.
—Lieutenant, laissez-vous faire, nous devons soigner votre épaule, s'escrime l'un des médecins, visiblement agacé du manque de coopération de l'homme.
—C'est bon, c'est juste une égratignure, pas la peine d'en faire toute une histoire, râle-t-il entre ses dents tout de même serrées de douleur.
—Une balle qui t'a traversé l'épaule est quand même un peu plus que ça, j'interviens en parvenant à leur hauteur.
Un large sourire s'épanouit sur ses traits malgré qu'il soit un peu tordu à cause de la grimace qui se dispute sur son expression lorsqu'une lingette de désinfection est apposée sur sa blessure. Il fusille brièvement la femme en blouse qui n'en a cure et poursuit consciencieusement ses soins en silence. Sans doute doit-elle être habituée aux agents de polices récalcitrants à se faire soigner sagement.
—Je ne suis pas une petite nature Niijima, tu devrais le savoir depuis le temps !
—Ca pour le savoir… dis-je en arborant un air désespéré.
—Arrête, je suis le meilleur équipier du monde ! Tu t'ennuierais sans moi. En plus, on sort tout juste d'une planque qui a duré des jours et des jours. Seule, tu te serais vraiment fait chier je suis sûr.
—Langage, Kenichi, je le reprends pour la forme.
Il me fait toujours un peu penser à Ryuji lorsqu'il parle ainsi. Ce n'est pas ma remontrance qui l'empêchera d'avoir un vocabulaire aussi peu châtié cela dit, mais il n'a pas tort. Voilà des jours que nous arpentons Shinjuku incognito. Des heures du jour et de la nuit à en surveiller la moindre activité suspecte. Les yakuzas, malgré les rumeurs plus que répandues de leur présence certaine, se sont montrés particulièrement prudents et difficiles à débusquer. Je ne me souviens même plus de la dernière fois que je suis rentrée à la maison. Un temps bien trop long sans doute.
—Bon sang, qu'est-ce que ça va faire du bien de dormir sur autre chose que le siège raide de la patrouilleuse ce soir n'empêche ! fait Kenichi en écho à mes propres pensées. Et de manger autre chose que des trucs déjà faits aussi.
—Cela te changeait-il vraiment de ton quotidien ? je fais en haussant un sourcil dubitatif, un brin moqueur.
—Hey ! s'offusque-t-il. Je sais quand même un minimum faire la cuisine. Enfin je sais faire des nouilles et du mapo tofu… Réchauffés… Ouais, bon, j'admets que je ne suis pas un cordon bleu en fait. Du coup j'irais bien au resto ce soir ! Pour fêter cette victoire, ça ne te dit pas de venir avec moi Niijima ?
Il prend son air charmeur et affiche un sourire enjôleur, ce qui ne me laisse pas de doute sur cette tentative de drague qui était de toute façon nettement perceptible. J'ai beau n'avoir jamais répondu favorablement à ses avances, formulées dès le premier jour de notre rencontre et régulièrement renouvelées ces derniers mois, il ne se décourage visiblement pas. C'est alors que le second médecin commence son examen rapide pour voir si moi aussi je suis blessée ou non que je lui offre une réponse.
—Je suis désolée, mais je vais devoir décliner, je réponds poliment pour ne pas froisser son ego masculin de se voir rejeté, bien qu'il ait l'habitude maintenant.
—Sérieusement Niijima, tu m'envoies toujours bouler. Avec classe et force de bonnes manières, mais quand même. Alors autant me le dire tout de suite pour que j'arrête de me faire des films : tu as déjà quelqu'un ?
J'hésite quant à la réponse que je dois donner et je choisis prudemment mes mots qui suivent.
—J'ai en effet quelqu'un qui m'attend à la maison oui.
—Tu es vraiment la reine des réponses détournées toi hein. Ce qui ne m'éclaire pas beaucoup parce que pour autant que j'en sache quelque chose, ça pourrait tout aussi bien être un chat qui t'attends chez toi.
Malgré la flagrante curiosité mal placée que son insistance manifeste, je comprends qu'il a besoin d'être certain que je suis prise pour pouvoir faire une croix définitive sur toute relation autre qu'amical entre nous. Je prends donc sur moi de lui donner une réponse un peu plus précise sans toutefois entrer des les détails.
—Ce n'est pas un chat Kenichi, mais la personne que j'aime qui m'attend bel et bien.
—Ah… Mon pauvre cœur ne se remettra jamais de savoir que le tien bat déjà pour quelqu'un d'autre que moi, rit-il, à moitié sérieux.
—Si cela te console, sache que cette personne était déjà là bien avant que je ne fasse ta connaissance.
—Ca ne me console pas du tout, mais au moins je comprends que mon charme irrésistible n'est pas à remettre en cause si tu étais déjà prise depuis le début. Aller va ! Rejoindre les bras de cet homme bienheureux qui ne doit sûrement pas mesurer sa chance de t'avoir rien qu'à lui si tu veux mon avis.
—Je ne l'ai pas demandé, mais merci du compliment. Bonne soirée Kenichi, et bon rétablissement.
Je me détourne après ce dernier salut et pars rejoindre mon véhicule stationné non loin. Sur le chemin pour ramener la patrouilleuse au poste, je songe au fait que je n'ai pas repris mon coéquipier juste avant alors qu'il faisait clairement erreur. Cependant, j'ai pour principe de ne pas mêler vie privée et professionnelle. Raison pour laquelle d'ailleurs le lieutenant n'était jusqu'à ce soir pas au courant pour la relation que j'entretiens déjà. Peu importe, cela ne regarde que moi et la personne concernée de toute façon.
Une fois passée la grille de sécurité du commissariat, j'entre dans le parking souterrain et me gare rapidement avant de rejoindre ma moto. J'enfile mon équipement avant de reprendre la route pour cette fois enfin rentrer chez moi. A cette heure plutôt avancée de la nuit le trafic est très dégagé et je ne mets pas longtemps avant d'arriver. Lorsque j'ôte mon casque, je secoue mes cheveux et passe la main dedans pour me recoiffer un peu. Ma tresse passant au-dessus de ma tête n'a pas bougé, maintenant en partie en place mes longueurs brunes. Ils ont bien poussé depuis l'époque du lycée, arrivant désormais juste sous mes omoplates. J'ai cessé depuis la fac de les couper comme j'en avais auparavant l'habitude. Les avoirs courts était ce qu'aimait mon père, mais elle m'a dit que longs aussi cela m'allait très bien, compliment à l'origine de cette nouvelle coupe.
Lorsque je passe le portail du pavillon de mon enfance, je réalise que cela fait vraiment trop longtemps que je ne pas rentrée. J'espère qu'elle ne s'est pas trop inquiétée de mon absence prolongée… Lorsque j'appuie sur la poignée de la porte d'entrée, je constate que celle-ci est déverrouillée, signe qu'elle est déjà là. Après tout, la nuit est déjà bien entamée, même s'il lui arrive encore aujourd'hui de rentrer plus tardivement encore. Je suis dans l'entrée, à me défaire de ma combinaison de moto après avoir posé mon casque sur la commode, quand je l'entends m'appeler.
—Makoto ? C'est toi ?
—Oui, je suis rentrée.
Des bruits de pas se font entendre avant qu'elle n'apparaisse dans l'entée, un sourire sur le visage et une étincelle dans les yeux.
—Bienvenue à la maison, répond-elle de cette phrase rituelle qu'elle n'a pas pu prononcer depuis un moment maintenant.
Dire qu'à l'époque c'est moi qui attendais son retour, ne sachant parfois même pas si elle allait rentrer pour la nuit. Enfin, je suis heureuse d'être de retour, elle m'a manqué pendant tout ce temps. Une fois débarrassée de mon équipement, je m'approche et dépose un baiser sur sa joue, inspirant en même temps son parfum familier. Un parfum synonyme que je suis chez moi, à ma place, et qui diffuse une douce chaleur dans mon corps légèrement frigorifié.
—Veux-tu manger ? interroge-t-elle. Il y a ce qu'il faut dans le réfrigérateur si tu as faim.
—Non merci. Je vais plutôt prendre une douche chaude, ça me fera du bien.
—Très bien, je t'attends dans ce cas.
—Tu n'es pas obligée, tu peux aller dormir. J'imagine que ta journée non plus n'a pas été de tout repos. Sachant en plus la charge de travail que mon arrestation de tout à l'heure va t'apporter.
—J'en déduis que vous avez réussis à démanteler cette branche yakusa. Comment ça s'est passé ?
—C'était long et délicat, mais nous avons réussis au bout du compte.
—Tu n'as rien eu j'espère, dit-elle ensuite en arborant un air trahissant son inquiétude.
—Non, je n'ai rien. Il n'y a pas eu beaucoup de dégâts dans nos rangs, hormis quelques blessures légères. Kenichi a pris une balle dans l'épaule, mais rien dont il ne puisse se remettre.
Je regrette un bref instant de lui avoir précisé cela lorsque son inquiétude devient plus palpable. De mauvais souvenirs, en comprenant le danger auquel j'ai été exposé, doivent remonter. Je grimace un peu, mais après tout, elle comme moi nous sommes conscientes de ce que mon métier de lieutenant de police implique. Ce fut d'ailleurs une source de conflit lorsque je le lui ai annoncé vouloir orienter mes études dans ce sens alors que notre relation n'en était même pas encore à son stade actuel.
Je comprends bien qu'elle a peur pour moi et que ces derniers jours sans beaucoup de nouvelles en particulier ont dû être angoissant. Vais-je revenir indemne ? Voilà la question qui doit lui traverser l'esprit chaque fois que je franchis le seuil de la porte, craignant que je ne le fasse pas dans l'autre sens un jour. Mais elle comprend aussi à quel point c'est important pour moi. En vérité, il n'y a sans doute qu'elle pour le comprendre aussi bien.
Je lui souris doucement avant de poser fugacement mes lèvres sur les siennes cette fois, pour lui faire oublier son appréhension. Je suis revenue, tout va bien. Suite à cela, je la sens se détendre un peu dans mon étreinte initiée à la suite du baiser. Si à l'époque elle était un peu plus grande que moi, aujourd'hui je l'ai bien rattrapé et j'ai n'ai nul besoin de lever la tête pour croiser son regard plus calme maintenant. Un dernier baiser et je me dirige ensuite vers la salle de bain.
La douche me fait un bien fou lorsque l'eau chaude cascade sur mon corps, le réchauffant agréablement. Je prends le temps de bien me savonner et passe même quelques minutes à juste apprécier de me détendre, mais ne traine pas trop non plus avant d'en sortir. Une fois sèche, je passe un simple t-shirt et une culotte, puis me dirige vers la chambre. En arrivant, je constate que comme elle me l'a annoncé, elle m'attend, assise à droite et lisant un dossier à la lumière de la lampe de chevet près du lit. Elle arbore cet air si concentré qui lui fait toujours froncer légèrement les sourcils dans ces moments-là.
—Il est un peu tard pour encore travailler, tu ne crois pas ? je l'interroge tout en approchant pour entrer et me coucher sous les draps près d'elle.
—Ce n'est pas du travail, me répond-elle calmement sans quitter des yeux la feuille qu'elle lit. Une collègue m'a demandé mon avis sur son dossier, j'y jetais juste un coup œil en t'attendant.
Terminant sa lecture, elle repose la pochette cartonnée sur la table de nuit et ôte ses lunettes qu'elle avait de chaussées sur le nez. Cela l'agace quand je le lui dis, mais j'adore la voir les porter. D'ordinaire elle met des lentilles, mais pas à la maison. Ainsi, j'ai le loisir de n'avoir que pour moi cette vision. Elle se tourne ensuite pour tendre la main afin d'atteindre l'interrupteur et d'éteindre la lumière pour que nous dormions, mais j'ai d'autres projets. Je suis certes fatiguée, mais elle m'a manqué et j'ai besoin de la retrouver après cette trop longue opération qui m'a tenue éloignée plusieurs jours.
Elle n'a pas encore éteint que je m'approche dans son dos et glisse mes mains autour de sa taille pour les croiser sur son ventre, ce qui arrête net son mouvement. J'enfouis un instant mon nez dans sa longue chevelure argentée, goûtant la douceur de la peau à la base de sa nuque que je marque ensuite d'un baiser léger. Un soupir de contentement m'échappe suite à cela. Se retournant entre mes bras, elle m'observe d'un air interrogateur, sourcil levé.
—Je suis désolée, je murmure doucement.
—De quoi ? questionne-t-elle, surprise.
—Tu sais pourquoi. Je vois bien que tu prends sur toi, mais je sens aussi que c'est bien plus dur que tu ne veux bien me le montrer.
—Makoto… laisse-t-elle glisser tout en ancrant dans mes iris ses yeux carmin, parfait miroir des miens.
—Je ne finirais pas comme Papa, dis-je avec une expression décidée pour la convaincre, ainsi que moi-même, de ma déclaration.
—Je sais bien, du moins je l'espère fortement, répond-elle. Et si je ne te dis rien c'est parce que tu n'as pas besoin de la pression de mon avis sur ce sujet en plus de celle de ton travail.
—Je… je commence, mais elle ne me laisse pas aller au bout de ma phrase.
—J'ai confiance en toi, m'interrompt-elle. Je sais que tu ne te mettras pas en danger inutilement, que tu fais attention.
—Il est vrai que je mettais sûrement bien plus ma vie en jeu à l'époque avec les Voleurs Fantômes qu'aujourd'hui, je dis avec un sourire nostalgique en repensant à ces moments avec mes amis.
—Très probablement, et déjà à cet instant j'avais confiance. Cela n'a pas changé.
—Grande sœur…
—Tu m'appelle toujours ainsi malgré tout ? sourit-elle, faisant naitre la chaleur sur mon visage.
Je n'ai pas fait attention à mes mots en les employant, c'est sorti tout seul. Détournant le regard du sien qui demeure pénétrant et me fige, je prends une courte inspiration avant de lui répondre.
—C'est ce que tu es pour moi, depuis toujours. Que notre relation ait évolué ne change pas cela. Ce n'est pas un secret inavouable, je ne veux pas que ça en soit un. Tu es ma sœur, et la femme que j'aime et personne ne devrait nous juger pour ce simple état de fait.
—Depuis quand es-tu capable de dire de telles choses aussi gênantes ? Tu as bien grandi depuis l'époque où tu m'appelais, suppliant pour que je vienne te sauver en étant accrochée au pantalon d'Akira après avoir pratiquement forcé la porte de Monsieur Sakura, dit-elle en secouant la tête tout en laissant cascader un petit rire devant l'image évoquée.
—Je savais que je n'aurais pas dû te raconter ça…
—Ne boude pas, dit-elle en ramenant mon visage vers elle tout en replaçant une mèche derrière mon oreille. Nous ne sommes pas un secret inavouable, tu as raison. Mais tous n'ont pas besoin de le savoir pour autant.
Cela me serre brièvement le cœur car dans une relation idéale, nous n'aurions pas besoin de nous cacher, quoique nous en disions. Nous pourrions profiter de simplement vivre au grand jour cet amour que pourtant le monde condamne sans comprendre. Comprendre qu'elle est tout pour moi, depuis si longtemps maintenant. Nous sommes seules juges et mes sentiments me disent qu'il n'y a rien de mal. Mais le Japon n'est guère propice à ce genre d'acceptation quand le fait que nous soyons deux femmes est déjà un frein non négligeable. La preuve, si je n'ai rien à dit même à Kenichi, c'est parce qu'au fond je sais quel danger nous guetterait de tout révéler sans prendre en considération les tenants et les aboutissants de notre situation.
—Je suppose que tu as raison, je finis par murmurer, me rangeant à son avis, comme toujours.
—Un jour peut-être les choses changeront et les mentalités évolueront. Ce n'est simplement pas pour tout de suite, il faudra du temps.
—Un temps infiniment plus long que lorsque nous attentions de connaître les résultats des métanoïas, je souffle. Et pourtant, je n'ai depuis pas trouvé plus angoissant comme attente pour avoir comparé.
—Hélas, tu ne peux plus voler les cœurs comme avant, il faudra être patiente.
Voyant mon air sûrement encore froissé et chagriné de cet amer constat, elle s'approche et inverse les rôles, me prenant dans ses bras. Savourant son étreinte bienveillante, je songe que cela faisait un moment que je n'avais pas regretté de ne plus être une Voleuse Fantôme. Mais Queen s'en est depuis longtemps allé pour ne plus laisser que Makoto. Tout comme Jeanne n'est plus qu'un souvenir résidant en moi, ma monture pour affronter l'adversité n'étant plus qu'une simple Kawasaki aujourd'hui.
—Dis-moi, reprend-elle, il y a une question que je me pose et que je ne t'ai jamais soumise.
—Hum ? je fredonne, m'arrachant à mes pensées nostalgiques pour revenir à l'instant présent.
—Je n'ai jamais vraiment su si vous m'aviez aussi fait subir une métanoïa ou non. Apprendre que j'avais un Palais en recevant votre carte de visite fut déjà, en soi, une surprise. Pas des plus agréables d'ailleurs, grimace-t-elle.
—Pourquoi ne me l'as-tu pas demandé avant ?
—Je redoutais un peu la réponse, je l'avoue, dit-elle en fermant brièvement les yeux. Mais je voudrais savoir maintenant, reprend-elle en me regardant de nouveau.
Je peux voir un éclat d'appréhension danser dans ses pupilles. J'ignore quelle va être sa réaction en apprenant la vérité, mais c'est une réponse que je lui dois sûrement depuis tout ce temps.
—Non, nous ne t'avons pas fait subir de métanoïa.
—Parce que vous aviez besoin de mon Palais pour le plan consistant à piéger Akechi je suppose.
—Entre autres choses oui. Mais même après cela, tu n'avais déjà plus de Palais ou de trésor à dérober.
—Vraiment ? dit-elle, visiblement surprise de ma réponse.
—Cela te surprend tant que ça ?
—Je pensais que ce n'était pas possible. Qu'un maître de Palais ne pouvait changer de lui-même, ses désirs étant trop… pervertis, hésite-t-elle en tentant de comprendre.
—C'est la vérité, ce n'est pas possible. Mais tu n'as pas changé par toi-même. Cela a commencé lorsque nous nous somme introduits dans ton Palais et que nous avons combattu ton Ombre. J'ai réussi à t'atteindre après ta défaite, te faisant comprendre que tu n'étais plus toi-même. Que la sœur que je connaissais avait des principes et qu'elle ne laisserait jamais tomber sa justice uniquement pour obtenir une promotion.
Je serre doucement l'une de ses mains posées sur mon avant-bras à ces mots que je pense très fort. Aujourd'hui comme à l'époque. Elle m'offre un petit sourire avant que je ne poursuive ma réponse.
—C'est ensuite ton interrogatoire avec Akira, puis ce que nous avons vécu par la suite avec Yaldabaoth et la fusion du Metavers avec le monde réel, qui a achevé de te faire changer.
—Mais c'est toi qui a amorcé la première étincelle, conclue-t-elle en me regardant avec un air que je ne parviens pas à déchiffrer.
Je m'interroge une brève seconde sur ce qu'elle peut bien penser en cet instant avant de me laisser happer par sa beauté à la détailler d'aussi près. Ce n'est pas la première fois pourtant que je le constate, mais ce n'est pas quelque chose que je peux si facilement oublier. Reparler de tout ceci fait d'ailleurs revenir à ma mémoire l'apparence qu'arborait son Ombre du Casino. Une version d'elle bien plus sombre, et particulièrement sexy avec son maquillage en plus de cette robe qui laissait alors très peu de place à l'imagination. Malgré qu'elle fût notre ennemie à ce moment-là, même Ruyji s'est retrouvé à baver devant elle, attisant mon agacement plus encore que d'habitude avec son attitude.
Aujourd'hui cependant, ce n'est pas avec cette version dénaturée que je veux être, mais bien avec celle qui est devant moi en ce moment même. Je n'échangerais pour rien au monde ses yeux vermeils qui me détaillent en cet instant pour ceux jaunâtres de son double, brillants de la lueur sombre de ses désirs avilis. Sa beauté simple et sans fard est ce qui fait vraiment battre mon cœur. La vraie personne qu'elle est au quotidien. Celle que j'aime.
Captant mon regard qui s'anime sûrement des tendres pensées qui me traversent à son sujet, elle me lâche avant de passer devant moi et d'enjamber mes cuisses pour attraper doucement mon visage entre ses mains et m'embrasser. Un baiser dans lequel elle fait passer beaucoup de choses suite à cette histoire que je viens de lui raconter. Prise dans l'instant, mes mains retrouvent ses hanches, son contact déclenchant une envie de plus.
Ce que je viens de lui confier, notre discussion précédente sur notre relation et le fait qu'elle m'ait vraiment manqué ces derniers jours me pousse à approfondir notre baiser. Resserrant ma prise sur elle dans le même temps, j'ai l'impression d'être submergée par une vague qui a besoin de sortir si je ne veux pas finir noyée. J'en veux plus, bien plus, car il n'y rien de meilleur comme sensation pour me sentir en vie après cette opération relativement dangereuse que de pouvoir la sentir au plus proche de moi. De sentir que nous sommes ensemble, depuis toujours et pour longtemps encore, je l'espère sincèrement.
Elle doit sentir mon envie, et très certainement la partager, puisque qu'elle approfondit notre échange avant même que je ne le fasse. Une caresse sur mes lèvres, et je lui donne l'autorisation de ce plus que je ne demande qu'à obtenir également. A cet instant, peu importe qu'à présent je sois aussi grande qu'elle, c'est elle qui me surplombe et prend le contrôle de la situation. Ca a beau ne pas être la première fois, loin de là, mais ses mains qui s'aventurent sous le t-shirt que je porte m'embrasent immédiatement. Tout en remontant délicieusement, elles emmènent dans le mouvement peu à peu l'étoffe de coton pour finir par me l'enlever entièrement.
Je la laisse faire, totalement soumise à ses désirs, presque comme si je me retrouvais de nouveau à être la moins expérimentée de nous deux. Mais je n'ai pas envie de lutter ce soir et mon corps réclame de toute façon son contrôle de toutes nos actions. Elle finit par me repousser pour que je m'allonge sur le dos et qu'elle achève de me mettre totalement à nue. Ainsi exposée à sa vue, elle nous met à égalité en se délestant de son déshabillé de soie qui glisse sur son corps en un mouvement fluide. J'apprécie la vision qu'elle m'offre, mon regard où couvent des braises la caressant sans la moindre arrière-pensée ou culpabilité. Il n'y a pas lieu d'être, ce n'est qu'un moment de partage intime de deux personnes qui expriment leurs sentiments. Au diable tous ceux qui nous y vouent déjà pour cela, leur jugement ne compte pas.
Alors qu'elle s'apprêtait à se coucher sur moi pour poursuivre ses attentions, je la précède en me redressant pour la serrer fort contre moi. Cette fois se sont mes mains qui partent à la découverte de ses courbes, tandis qu'elle referme ses bras et se penche sur moi, sa respiration attisant mon propre désir. Mon monde devient cendre quand cascade sa chevelure et que c'est à mon tour d'allumer en elle un brasier. Brasier prenant des allures d'incendie quand après avoir exacerbé son besoin, j'explore finalement son lieu le plus secret, où nul autre que moi ne la touchera plus jamais.
Aussi présomptueux que cela soit, je suis certaine que même les flammes des Enfers ne brûlent pas autant que nous en cet instant. Et dans les volutes demeurant après l'apogée de cette ardente étreinte, mon murmure soufflé en apaise la douce brûlure.
—Je t'aime, Sae…
