Acceptation


Allongé sur le lit qui lui avait été attribué par le TVA, Loki essayait de supporter la migraine qui l'assaillait depuis sa dernière expédition à l'aube d'une apocalypse. Il avait cru que la douleur partirait au bout d'un moment à ne rien faire, somnolant dans l'obscurité en espérant que ce serait passager. Mais son mal de tête ne le quittait pas, augmentant à chaque heure comme une mauvaise punition visant à l'empêcher de réfléchir ou d'agir. Il n'avait jamais connu ce genre de sensation, y compris lorsqu'il était tombé entre les mains des sbires de Thanos – il avait été torturé, ce qui était bien pire, mais il avait alors une conscience aigüe de la raison pour laquelle il souffrait. Il n'en avait parlé à personne pour ne pas recevoir de pitié en retour, et il regrettait désormais de devoir supporter ce sentiment d'avoir le crâne en train de fondre à petit feu.

La porte de sa chambre s'ouvrit, révélant une légère lumière qui s'effaça dès que son visiteur referma derrière lui. Il sentit le matelas s'affaisser doucement à côté de lui alors qu'une main se posait entre ses omoplates avec une délicatesse qui ne laissait aucun doute sur l'identité de la personne qui venait d'entrer. Il n'y avait que Mobius, au sein du TVA, pour ne pas le traiter avec mépris ou condescendance et pour le voir autrement que comme le chaos personnifié.

« Je me demandais où vous étiez.

— J'imagine que vous vous lassiez de trier les dossiers seul, ironisa le dieu sans pouvoir retenir son ton plaintif.

— Loki, je m'inquiète pour vous ! Vous avez du mal à l'admettre, n'est-ce pas ?

— Frigga était la seule à se faire du souci lorsque je n'allais pas bien, murmura le frère de Thor.

— Je sais, répliqua Mobius avec gentillesse. »

La tête enfouie dans ses oreillers, Loki parvint à dissimuler les larmes qui lui montaient aux yeux. Il ne méritait pas cette attention de la part de l'analyste, il n'était qu'un monstre de haine et de violence, une créature qui n'avait jamais trouvé sa place dans un royaume qui n'était pas le sien. L'incertitude, le doute, et toutes ces émotions négatives dont il ne se défaisait jamais vinrent enserrer son cœur. Il ignorait si cela provenait de son sentiment de mal-être ou s'il était seulement encore en train d'essayer de repousser une main tendue dont il estimait ne pas être digne mais il se redressa dans son lit, repoussant le bras de Mobius. Il distinguait les traits de l'agent dans l'obscurité de la chambre, remarquant qu'il avait le regard un peu hagard, sans doute troublé par le noir intense de la pièce.

« Vous ne savez rien, rétorqua le dieu avec du venin dans la voix. Vous pensez me connaître parce que vous avez analysé ma vie, vous croyez que m'observer est suffisant pour dresser la liste de mes faiblesses ou de mes défauts mais vous avez tort. J'ai souffert de ma différence, avant même d'apprendre que je suis un géant des glaces, et j'ai dû m'adapter à un monde qui ne voulait pas de moi. Vous avez vu Sylvie, son apparence, sa féminité. J'aurais pu être comme elle mais j'avais peur des autres. Qu'aurait dit Odin en découvrant que son fils était capable de devenir une fille ? Et vous, Mobius, que ressentez-vous ? Du dégoût ?

— Je sais tout cela, Loki, répondit l'agent sans se départir de son calme. Je sais que vous auriez pu avoir la peau bleue, être une femme ou avoir un autre aspect mais ce n'est pas le plus important. Que vous soyez un homme ou une femme ne change rien pour moi, votre esprit est le même. »

Ses gestes rendus maladroits en raison du manque de lumière, Mobius tendit sa main vers celle de Loki, glissant ses doigts entre les siens. Le dieu remercia les Nornes pour l'obscurité, ses joues rougies par la spontanéité de l'analyste et par l'acceptation dont il faisait preuve. Jamais encore il n'avait rencontré quelqu'un à qui avouer toutes ses différences, son genre trop changeant, sa nature monstrueuse, sa magie qui n'était pas la bienvenue aux yeux d'Asgard. Frigga en avait eu connaissance mais elle était sa mère et elle l'aimait d'un amour inconditionnel. Mobius n'était qu'un inconnu qu'il avait rencontré par le plus grand des hasards, projeté dans un lieu où sa magie n'existait pas et où les pierres de l'infini servaient de presse-papiers. Rien n'obligeait l'agent à se soucier de lui et à l'emmener dans les endroits qu'il appréciait. Loki avait si souvent été manipulé qu'il craignait une nouvelle fois de souffrir à cause d'une relation qui n'en était pas une. Mais avec l'analyste, il commençait à être lui-même, sans restriction.

« Vous allez enfin me dire ce qui ne va pas ? demanda Mobius en serrant ses phalanges.

— Ce n'est qu'un banal mal de tête, marmonna le dieu du chaos. J'imagine que vous n'avez rien sous la main pour le faire partir ?

— Je pense savoir d'où vient votre problème, répondit l'analyste. Le TVA n'est pas un lieu magique, et vous perdez votre énergie. Inconsciemment, je crois que vous essayez de garder votre apparence d'Ase, ce qui vous draine complètement.

— Je ne peux pas m'afficher au TVA sous ma forme de Jötun ! Je vais faire fuir tout le monde !

— Loki, nous avons accès à des milliers de planètes, avec toutes les créatures qui y vivent. Vous avez une peau bleue et des yeux rouges ? Et alors ? Vous n'êtes pas l'être le plus étrange. »

Toute cette conviction dans la voix de Mobius suffit à toucher le cœur du dieu. Il ne pouvait plus user de sa magie au sein du TVA mais le sort qui lui permettait d'être normal se nourrissait de ses forces, sans paraître dérangé par le fait qu'il n'était plus qu'un simple combattant. Prenant une grande inspiration, Loki mit fin aux rouages développés par Odin, sentant un courant parcourir ses membres avant d'avoir le sentiment d'être délivré d'une charge immense. La douleur dans sa tête reflua et il poussa un soupir de soulagement. Mobius avait raison, une fois encore, et le dieu le remercia, gardant sa main dans la sienne. Il était temps d'admettre qu'il n'était pas seul.