Avancer, toujours
Loki avait déjà mené de nombreuses batailles par le passé et il en aurait encore à supporter dans l'avenir, mais celle qui était en train de se jouer dans son esprit lui importait bien plus que tout le reste. Il avait lutté depuis trop longtemps contre ses sentiments, s'enfermant dans une forteresse de glace qu'il ne pouvait plus faire tenir debout. Tout ce temps à être quelqu'un d'autre l'avait rendu fragile, il n'avait eu de cesse d'être à l'image de ce que voulait Odin, un jeune prince qui taisait certains de ses talents pour ne pas entendre plus de murmures à son sujet. Il s'était fait homme pour ne pas laisser son apparence de femme prendre le dessus, il avait appris à manier les armes pour éviter d'utiliser la magie, il était devenu un Ase alors-même qu'il n'était qu'un Jötun. Tous ses défauts lui avaient sauté aux yeux à l'instant où il était tombé du Bifröst, lorsqu'il avait fini entre les mains de Thanos et de ses sbires, lorsque ses souvenirs avaient été extirpés de son crâne pour revenir en force et le faire souffrir. Rien chez lui n'avait été apprécié à sa juste valeur, jusqu'à sa rencontre avec Mobius.
Depuis qu'ils se connaissaient, l'analyste avait toujours fait preuve de gentillesse et l'avait regardé sans exprimer de dégoût. L'ancien agent du TVA avait eu l'opportunité de voir sa vie, sous toutes ses coutures, et malgré cela, il l'acceptait tout entier. Loki avait eu peur tant de fois de le perdre, que ce fût au TVA, à cause des bâtons de désintégration, ou lorsqu'Alioth était apparu pour les dévorer. Le retrouver dans le ventre de la créature lui avait semblé être un miracle et, maintenant qu'ils étaient enfin là, à s'observer avec une même douceur, il n'avait plus envie de reculer ou d'attendre. Il devait être franc avec Mobius, lui exprimer ses sentiments, et ne plus craindre d'être blessé. Le dieu avait déjà vécu pire qu'une déception amoureuse, il avait supporté la torture des hordes du Titan fou, l'emprise du sceptre, alors il n'allait pas baisser les bras et se comporter comme un gamin capricieux ou trop effrayé par le monde qui l'entourait.
« Mobius, souffla le frère de Thor en croisant son regard. »
Il n'ajouta rien, espérant que ses yeux parlaient suffisamment pour lui. Jamais il n'avait été si peu sûr de lui, comme si ce nouveau combat risquait de l'anéantir, mais en même temps, il était prêt à mener la bataille jusqu'au bout. L'autre homme lui sourit, d'un air si tendre que Loki se sentit idiot d'avoir cru que Mobius le repousserait. Leur baiser fut spontané et naturel, leur faisant oublier l'endroit où ils étaient et tous les dangers qui les menaçaient. Les doigts du dieu s'agrippèrent à la chemise de l'analyste, les rapprochant l'un de l'autre tandis que Mobius l'enlaçait.
« Il était temps. »
Les deux hommes se séparèrent, comme pris en faute, et ils se tournèrent d'un même mouvement vers Sylvie. La déesse était décoiffée, une arme ensanglantée à la main, son costume marqué par des griffures étranges. Elle les informa avoir découvert des créatures sauvages qu'elle ne pensait pas trouver dans le ventre d'Alioth, d'où le liquide sur sa dague et son état échevelé. Loki fronça les sourcils, surpris par la tournure des événements, alors que Mobius parût avoir une illumination.
« Ce sont des gardiens, déclara l'analyste avec un soupçon de compréhension. J'ai vu leur existence dans des dossiers du TVA.
— Comment s'en débarrasse-t-on ? s'enquit Sylvie sur un ton un peu moqueur. En claquant des doigts ?
— Tu as bien réussi à te défendre, remarqua Loki en désignant son arme.
— Je les ai repoussés, précisa la déesse. Ils sont simplement blessés, leur carapace est résistante.
— Je ne sais pas ce qu'il faut faire, avoua Mobius en se frottant la nuque. Je n'ai jamais pu remettre la main sur les feuilles de Ravonna, j'imagine que cela faisait partie des secrets du Tribunal. »
Un grognement vint s'ajouter à leur conversation, suivi rapidement par un second puis un troisième. Le trio choisit la fuite, se dirigeant vers les recoins les plus obscurs du lieu dans lequel ils erraient depuis trop longtemps. Loki et Mobius eurent l'occasion de détailler les bêtes, leur trouvant un air semblable à Alioth, en versions plus petites et plus agressives. À force de courir, ils finirent par faire face à une immense forteresse qui n'était pas sans familiarité.
« C'est le palais d'Asgard, murmura le dieu en arrêtant sa course. »
Il ne comprenait pas ce qu'il se passait, il avait l'impression d'être manipulé sur tous les tableaux. Il ne savait plus où il était, il considérait impossible l'apparition du palais de son enfance dans le tube digestif d'une créature brumeuse. Il se reprit lorsque la main de Mobius saisit la sienne, serrant ses doigts pour lui transmettre son soutien et un peu d'apaisement. Ils échangèrent un long regard complice avant de s'avancer, Sylvie les précédant de sa démarche déterminée. L'extérieur du bâtiment était exactement tel que s'en rappelait le frère de Thor, le plongeant une fois de plus dans la confusion. Il avait été projeté dans ses souvenirs, un peu plus tôt, mais ce n'était pas la même chose, il le sentait.
« Loki ? Est-ce que tout va bien ? »
L'inquiétude de Mobius perçait dans sa voix et son regard. Le dieu ne s'était pas rendu compte qu'il avait cessé d'avancer, le corps secoué de tremblements incontrôlables. Il marmonna qu'ils allaient droit dans un piège, s'attirant un hochement de tête affirmatif de la part de Sylvie. Ils le savaient tous les trois, la présence du palais d'Asgard dans un univers d'ombres n'était pas normale, ni anodine. Il y avait quelqu'un derrière tout cela, un être un peu trop mesquin qui jouait avec eux de la pire des façons en utilisant leurs peurs, en s'infiltrant dans leur passé, et en essayant de les briser par tous les moyens. Loki pouvait presque jurer que les créatures qui avaient attaqué la déesse n'étaient pas réelles et que les blessures qu'elle avait reçues provenaient d'une illusion. Ils n'étaient que des pantins, des poupées manipulées par une personne, mais ils ne se laisseraient plus surprendre.
D'un commun accord, Loki, Mobius et Sylvie passèrent les portes du palais. Les lourds battants se refermèrent derrière eux alors que les braséros s'allumaient, révélant la splendeur de l'édifice. Si les décors étaient ceux du palais d'Asgard, l'ambiance qui y régnait n'était en rien chaleureuse, elle reflétait la froideur obscure d'Alioth, comme si un souffle de vent noir s'était glissé avec eux. Faire demi-tour n'était plus une option, alors ils rejoignirent la salle du trône où les attendait une surprise de taille.
