L'homme qui tire les ficelles


Plusieurs fois, Loki avait réfléchi à l'identité de l'être qui se dissimulait derrière tous leurs problèmes. Il avait songé à un variant de lui-même, un Loki plus sournois que les autres qui profiterait de ses connaissances sur le multivers afin de faire payer aux autres lui leur existence. Mais il avait abandonné cette idée, peu convaincu par ses propres pensées – et aussi parce qu'il se considérait toujours comme étant le variant supérieur, ce qui excluait l'hypothèse d'un autre variant aux commandes. Il s'était demandé s'il ne s'agissait pas de Ravonna ou de l'un de ces fameux Gardiens du Temps, sachant que tout ce qu'il avait traversé depuis sa fuite avec le Tesseract était lié de près ou de loin au Tribunal des Variations Anachroniques. Sa dernière supposition était plus ou moins avérée, le lien avec le TVA était bien établi, mais l'individu qui leur faisait face n'était pas celui auquel il s'attendait.

Assis sur le trône d'Odin, une réplique de la lance du roi d'Asgard entre les mains, Mobius les toisait d'un air hautain. Dans ses yeux, Loki ne lisait ni douceur ni gentillesse, uniquement un profond mépris qu'il n'avait jamais imaginé découvrir dans le regard de l'homme qu'il aimait. Un hoquet de stupeur s'échappa des lèvres de son Mobius, et un reniflement de dédain lui parvint du côté de Sylvie. Pour sa part, le dieu ignorait de quelle manière réagir, hésitant sur la marche à suivre. L'autre était bien trop semblable à l'agent qu'il connaissait, il avait le même visage, les mêmes yeux, la même chevelure grisonnante, mais il lui manquait toute cette affection qui faisait de lui un être unique. Le frère de Thor aurait préféré revoir Odin lui-même ou l'un ou l'autre de ses tortionnaires plutôt qu'un variant de son partenaire.

« Vous voilà enfin, les railla l'autre Mobius. Tant de temps pour traverser Alioth, je suis déçu, je m'attendais à mieux, surtout de la part de deux dieux et d'un variant de moi-même.

— Vous n'allez pas nous faire croire que vous êtes derrière tout ce qui nous arrive, riposta Sylvie avec hargne sans se préoccuper de l'insulte qu'il venait de proférer.

— Sylvie, très chère Sylvie, je sais tout de toi, répliqua l'homme en se levant. Tu voulais rester femme dans un royaume où tous te voyaient homme, tu t'imaginais Valkyrie là où tu aurais dû être prince. Je devais mettre un terme à toutes tes envies si ridicules. Je ne pensais pas que mes minuteurs seraient aussi maladroits avec toi, je regrette qu'ils n'aient pas réussi à te détruire lorsque tu n'étais qu'une enfant.

— Qui êtes-vous au juste ? lança Loki.

— Quelqu'un qui allait avoir une vie tout à fait normale et qui aurait pu diriger les mondes si tu n'étais pas intervenu. À l'instant où tu as tenu le Tesseract entre tes mains, la première fois, tu as amorcé la venue d'un étrange phénomène. Je n'avais jamais eu de variant jusqu'à présent mais lui est apparu. »

Tous les regards convergèrent vers Mobius qui n'avait pas encore pris la parole. L'ancien agent du TVA était bouleversé par cette nouvelle révélation qui s'ajoutait à toutes celles qu'il avait apprises de la bouche de Sylvie. Il avait beau savoir qu'il était un variant, il ignorait qu'il tenait son origine d'un homme qui lui paraissait bien trop fou pour être autorisé à avoir des droits sur les autres êtres vivants. À ses côtés, le dieu se sentit envahi par une nouvelle colère, comprenant à quel point ils avaient été manipulés par cet individu. Il avait tenu le dossier de Mobius, il avait lu des rapports sur ses vies mais tout cela n'était qu'un mensonge tissé de toutes parts par l'homme qui les observait avec un sourire sans chaleur.

Si Loki avait déjà croisé de nombreux ennemis pendant ses siècles d'existence, il se sentait relégué au rôle d'un enfant face à cet étranger. Il avait l'impression que l'autre Mobius était comme ces monstres qui se cachaient sous les lits des petits afin de leur faire peur et de dévorer leur bonheur pour ne laisser derrière eux que des ombres aux grimaces terrifiantes. Mais le prince d'Asgard n'était plus un jeune homme craintif, il avait dépassé ce stade, il ne se terrait plus sous ses couvertures. Un halo vert entoura ses mains lorsqu'il prit l'initiative d'attaquer, puis sa magie fusa vers l'individu qui les toisait, illuminant brièvement les dorures de la salle du trône avant de se dissiper.

« Voyons Loki, penses-tu sincèrement que je me serais présenté à vous sans prendre de précautions ? »

La pointe de la lance brillait d'un éclat pourpre inhabituel mais le dieu ne s'interrogea pas plus sur ce phénomène, avisant le regard de l'homme qui s'était brièvement posé sur Mobius.

« J'imagine que tu te dis que tu aurais mieux fait de ne jamais quitter ton lit ? s'enquit l'autre Mobius avec un rire froid. Le TVA t'avait offert un toit, et un travail. Traquer les variants puis te reposer et recommencer, encore et encore, sans jamais connaître la vérité. Tu aurais survécu si tu n'avais pas décidé de sauver ce Loki, en as-tu conscience ?

— Je serais prêt à refaire les mêmes choix, rétorqua l'ancien agent du Tribunal en intervenant pour la première fois depuis qu'ils étaient arrivés. Il mérite cette seconde chance.

— Vraiment ? le railla son autre. Faisons les calculs ensemble : Laufey, Frigga, Odin, de nombreux terriens, certains des habitants d'Asgard. Combien d'autres vies encore ont péri entre les mains de ce criminel ?

— Et vous ? remarqua Loki. Si vous êtes bien à l'origine du TVA, alors vous avez le sang de milliers de variant sur les mains. »

Une fois de plus, il fit appel à sa magie, secondé par Sylvie qui lui transmit une partie de son énergie. La réplique de la lance d'Odin explosa en plusieurs morceaux avant de disparaître. L'individu n'en perdit pas son mépris pour autant, il sortit de sa poche un objet qui ressemblait aux time-pad du Tribunal des Variations Anachroniques et il se volatilisa sous leurs yeux. Loki poussa un juron avant de rejoindre le trône, sentant vibrer les effets de ses pouvoirs, sans percevoir la présence de l'autre. Il soupira avant de revenir sur ses pas et, dans un geste d'affection qu'il ne pouvait retenir, il enlaça son Mobius. L'analyste murmura qu'il aurait en effet dû rester au lit au lieu de parcourir l'espace et le temps, conscient qu'ils étaient en train de perdre le contrôle sur tout ce qui les entourait. Ils étaient toujours prisonniers du ventre d'Alioth et ils n'avaient plus aucune porte de sortie maintenant que l'étranger avait disparu. La déesse fut cependant moins pessimiste que lui et elle les mena vers l'un des piliers de la salle du trône, passant sa main à travers l'une des dorures.

Tout ceci n'était qu'une gigantesque illusion destinée à les piéger mais ils avaient peut-être la possibilité de la retourner contre leur adversaire.


Note : J'ai choisi de faire apparaître un autre Mobius et je crois bien que cette idée me plaît pour un projet plus long, sans contrainte de thèmes ou de mots.