S'en mêler


Jamais encore Loki n'avait eu le sentiment d'être déchiré dans tous les sens. Ses membres étaient comme tirés dans des directions opposées, son esprit s'effilochait avant de se reconstituer, sa gorge le brûlait tant il hurlait depuis un temps qui lui paraissait une éternité. L'explosion qui avait anéanti le Tribunal des Variations Anachroniques ne l'avait pas tué mais il avait été happé dans une spirale infernale où chaque partie de son corps était emportée ailleurs avant de se rattacher à son être pour ensuite se fractionner encore et encore. Contre lui, il sentait la présence de Mobius qui luttait lui-aussi contre cet écartèlement imprévu, tout en se cramponnant à sa chemise pour ne pas sombrer dans le flot des univers.

Autour d'eux, des éclats de voix, de rires, de cris, et de lumières leur parvenaient par intermittence. Le multivers était en train de converger vers un seul point, provoquant une violente rupture au niveau de tous les flux temporels. Le dieu percevait les changements, les magies venues d'autres univers, les autres Loki qui vivaient encore dans des chronologies que le TVA n'avait pas explorées. Il n'était qu'un spectateur indésirable du déchirement de la toile du temps, il voyait s'effondrer tous les murs, observait les lignes blanches qui se rejoignaient pour en créer une autre, plus grande, plus instable, une ligne complète qui contenait tous les univers mais qui n'était plus le Flux Temporel Sacré que les minuteurs avaient désespérément essayé de préserver.

Enfin, la sensation de chute s'affaiblit puis disparut. Les deux hommes atterrirent sans douceur sur une surface dure en produisant un bruit qui se répercuta en écho. Loki se releva le premier et tendit une main secourable à Mobius qui avait l'air bien plus secoué que lui. Le prince pressa ses doigts entre les siens pour faire passer son soutien puis il le relâcha en avisant la décoration familière qui le cernait. Une fois de plus, il se retrouvait à Asgard mais elle n'était pas comme dans ses souvenirs. Il ne s'agissait pas du monde qu'il avait quitté après le fiasco du couronnement de Thor ni l'illusion que l'autre Mobius avait créée pour les tromper. Cette Asgard était différente, plus éblouissante. Peu importait où se posait son regard, Loki ne distinguait que de l'or, à perte de vue. Le Bifröst lui-même, qui resplendissait habituellement de ses lueurs arc-en-ciel, était devenu un long pont doré.

« Encore un coup de Sylvie ? demanda Mobius avec une légère hésitation.

— Je ne sais plus quoi en penser, soupira le dieu de la malice. Peut-être que je la connais mal mais ce ne serait pas son genre de tout transformer en or, elle n'est pas aussi superficielle.

— Ce n'est pas être superficielle, Loki, je te l'ai déjà dit. Je vois seulement le monde comme une source infinie de richesse, intervint une voix féminine qui n'était pas celle de la déesse des mensonges. »

Le prince dévisagea l'inconnue qui lui faisait face, détaillant sa tenue qui soulignait chaque forme de sa silhouette, sa chevelure ébène qui coulait sur ses épaules et la lueur verte qui l'entourait. Il se souvenait de l'avoir vue dans les vidéos que Mobius lui avait montrées. Si ce qu'il en avait retenu était vrai, alors il avait devant lui Hela, la première née d'Odin, la déesse de la mort, à la différence qu'elle ne portait pas de noir mais bien de l'or, ce qui était une nouveauté.

« Comment me connais-tu ? s'enquit le dieu en plissant les paupières.

— Que t'est-il arrivé pour que tu en oublies ta sœur ? »

Il lut de la surprise dans son regard, ainsi qu'un doute soudain. Il comprit que cette Hela était un variant elle-aussi et qu'elle avait dû grandir avec Thor et un autre Loki. Une explosion verte surgit non loin d'eux, faisant apparaître d'autres dieux et déesses qui semblaient étonnés de se rencontrer. Une cacophonie se fit entendre lorsqu'ils décidèrent tous de parler en même temps, jusqu'au moment où ils remarquèrent tous Mobius qui devint sans le vouloir le centre de l'attention. Loki perçut aussitôt leurs expressions haineuses et il s'interposa entre eux et l'analyste, sa magie naissant au bout de ses doigts dans un geste de défense. Il refusait de mettre en danger l'homme qu'il aimait à cause d'un problème d'univers entremêlés et de variant un peu trop ambitieux. Il ne doutait pas que tous ces individus avaient rencontré l'autre Mobius et il craignait une discussion compliquée dans laquelle il lui faudrait expliquer que son Mobius n'était pas le même homme.

L'un des Thor brandit fièrement Mjöllnir et invoqua la foudre avant de la diriger vers l'analyste. Les éclairs se heurtèrent au bouclier que Loki déploya pour protéger son compagnon, habitué à la puissance du dieu du tonnerre. Il avait souvent eu à éviter la magie qui provenait du marteau de son frère lorsqu'ils s'amusaient encore à une époque où l'amertume n'avait pas pris place dans le cœur du plus jeune. Il s'empressa d'annoncer à l'ensemble des variants qu'ils s'en prenaient à la mauvaise personne, bien que les regards ironiques des autres Loki fussent suffisamment explicites pour lui montrer qu'il n'arriverait pas à les convaincre.

« Je sais que je suis le dieu des mensonges, comme vous, mais je dis la vérité. Ce Mobius n'est pas votre ennemi, il … il est comme vous et moi, le variant de quelqu'un d'autre. »

Il prit le temps de leur narrer à tous l'existence du Tribunal des Variations Anachroniques, de l'autre Mobius, de Sylvie et de tout ce qu'il s'était passé depuis que lui-même avait été arrêté parce qu'il avait dérobé le Tesseract. Le souffle lui manqua lorsqu'il eut fini mais il était satisfait de voir qu'il était écouté. Il termina en déclarant qu'ils avaient besoin de s'unir pour trouver une solution et rendre aux chronologies leurs lignes respectives afin de ne pas s'emmêler. Il allait ajouter qu'ils couraient tous un risque en étant dans le même flux temporal lorsqu'une porte orangée apparut. Sylvie en sortit, échevelée, avant de s'effondrer aux pieds de Loki qui ne sut de quelle manière réagir. Était-elle la vraie responsable ou Mobius et lui faisaient-ils fausse route en l'accusant ? L'autre Mobius pouvait-il être le seul coupable dans cette affaire ?