22. Bataille
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Allongé sur leur lit, bien à l'abri dans leur camping-car, Keigo n'arrivait pas à dormir. Ses yeux grands ouverts restaient obstinément rivés sur le plafond, alors que son attention voguait entre les quelques crissements d'insecte ou les cris de chauve-souris au-dehors, la respiration profonde de Dabi à ses côtés, et ses pensées qui tournaient en boucle. Infâme tourbillon qui faisait fumer ses méninges et créait cet espèce de poids constant, au fond de son estomac.
Ce poids, il l'avait depuis qu'ils étaient montés dans l'avion les emmenant en Amérique. Depuis qu'il avait pris cette décision aussi libératrice que pesante de partir avec Dabi. Depuis qu'il avait cru qu'ainsi, la liberté lui tendait les bras.
Drôle de liberté lorsqu'une féroce chaîne de culpabilité nous tirait toujours en arrière.
Évidemment, malgré tous ses discours rassurant à Dabi, il n'arrivait pas à rester serein. Il n'arrivait pas à se débarrasser de toutes ces pensées parasites qui maintenaient une partie de son âme au Japon, aux côtés d'Endeavor, de Mirko et de Best Jeanist. Une partie de lui n'arrivait pas à ne pas s'en vouloir à propos de toutes les décisions ridicules qu'il avait prises depuis la bataille contre le Front de libération du paranormal : aider Dabi à s'enfuir, adandonner à moitié les combats pour rendre crédible un affrontement entre eux deux, mentir, continuer à le voir en cachette, mentir, encore, toujours plus...
Puis fuir. Comme un lâche.
Dabi n'aimait pas ce terme et il le lui avait reproché la seule fois où il avait eu le malheur de l'utiliser. Keigo savait pertinemment qu'aux yeux de l'ancien vilain, toute cette culpabilité ne faisait pas de sens. Lui qui n'avait pas d'attache, ne connaissait pas la loyauté et n'avait que peu de morale sur tant de choses, il ne pouvait pas comprendre la culpabilité qu'il ressentait. Il le trouverait juste ridicule, avec ses adorables états d'âme. Avec ses relents de petit héros, de sauveur de l'humanité.
Il réprima un énième soupir, pour ne pas réveiller son vilain endormi. Il eut envie de le regarder soudainement, juste pour s'assurer que tout cela n'était pas qu'un coup de tête idiot. Que l'homme couché à sa droite valait véritablement tous les sacrifices qu'il avait fait pour lui...
Il eut un léger sursaut en tombant sur les deux yeux bleus de Dabi qui le fixaient en silence. Depuis combien de temps au juste, il l'ignorait.
Mais il ne put ignorer cette culpabilité qui fit se resserrer un peu plus la boule dans son estomac. Culpabilité d'avoir tout abandonner pour lui, mais également culpabilité d'oser remettre tout cela en question.
Encore.
- ... Tu doutes toujours... Pas vrai ? murmura le brun, sans expression lisible sur le visage.
- ... Je suis désolé...
- 'Le sois pas, Birdy. Si tu doutais pas un peu, ça serait pas vraiment toi.
Keigo eut une ombre de sourire qui traversa son visage, mais le cœur n'y était pas.
- ... Je veux pas que tu penses que je regrette de t'avoir choisi...
- Et moi, je t'en voudrais pas si c'est le cas, lui répondit Dabi en se redressant pour mieux le regarder. Parce que c'est comme ça que t'es, Hawks.
Keigo haussa un sourcil face à son nom héroïque, inentendu depuis ce qui lui paraissait être une éternité, aujourd'hui.
- ... Un foutu héros dans l'âme, précisa le brun avec un petit sourire en coin. Et tous les beaux sentiments que tu peux avoir pour une pourriture comme moi ne changera jamais le fait que tu feras toujours passer les autres avant ta jolie gueule.
Keigo pouffa de rire, avant de prendre son homme dans ses bras, le faisant basculer de nouveau sur le matelas pour réfugier son visage dans son cou.
Ça ne changeait rien au problème... Mais bon sang, qu'est-ce que cela faisait du bien de savoir que Dabi le soutenait, à sa manière.
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