2 ans plus tôt, Moscou, Fédération de patinage artistique de Russie.
« -Vitya, sors ! Si tu n'es pas capable de te concentrer, je ne veux pas te voir sur la glace ! Hurla Yakov sur la touche. »
Victor ne se fît pas prier et sortit. On aurait presque dit qu'il n'avait attendu que ça. Son air et son regard fantomatiques ne trompait personne. D'importantes cernes avaient fait leur apparition puisque cela faisait une semaine qu'il ne dormait plus. Le sommeil l'avait quitté pour mieux le plonger dans la culpabilité qui le rongeait. Les images de sa dispute avec Yuuri ne cessaient de le hanter. Dans sa tête, il essaya de rejouer tous les scénarios possibles mais rien de positif ne ressortait. Toutes les solutions n'étaient qu'une seule et même réponse, il finissait toujours par briser le cœur de Yuuri d'une manière ou d'une autre.
Il se laissa tomber sur un des sièges sans même prendre le temps de remettre ses protèges-gardes ni d'enlever ses patins. Tête en arrière, il ferma les yeux et écoutait distraitement, le bruit des autres patineurs. Il essaya de se vider l'esprit mais c'était peine perdue puisqu'il reconnût la démarche de Yakov qui venait vers lui.
Feltsman était un excellent entraîneur et il ne supportait pas de voir ses poulains se laisser aller, surtout quand il s'agissait de son favori, Victor Nikiforov. Depuis toutes ses années où il entraînait le jeune Russe pas une seule fois, il ne l'avait vu dans un état pareil. Victor n'avait qu'une seule passion dans la vie patiner et il n'avait été concentré que sur ça tout le long de sa carrière.
Rien ni personne n'était venu le perturbait dans sa vie de quintuplé d'or. Victor ne vivait que pour le patinage et en était fière. Rien à l'horizon ne le prédestinait à rencontrer Yuuri et à finir dans cet état. Il sentit Yakov s'assoir sur les escaliers à côté de lui.
« -Combien de temps ? demanda son coach abruptement.
-Une semaine.
-Tu mérites une mise à pied.
-Fais-le.
-Je ne te fais pas confiance.
-Tu m'as déjà confisqué mon passeport, je suis coincé ici, déclara le patineur en ouvrant difficilement ses yeux.
-Je doute que ce soit ça qui puisse t'arrêter.
-C'est vrai…
-…
-Je peux te poser une question ? demanda Victor.
-Hum.
-Pourquoi, tu m'empêches autant de le voir ?
-Vous vous faîtes du mal.
-La vrai raison ?
-Ta fin de carrière. Je veux que tout se passe pour le mieux, annonça Yakov en le regardant droit dans les yeux. Tu sais comment les choses peuvent mal se terminer Vitya et tous tes efforts pendant plus de 10 ans partiront en fumées du jour au lendemain.
-Ce n'est pas important…
-Si ça l'est ! Fais les choses bien jusqu'au bout, il ne te reste que 2 ans. Et après…tu feras ce que tu voudras.
-Permets-moi de le voir une dernière fois alors, supplia-t-il.
-Non.
-Dans ce cas, j'arrête tout.
-…
-Alors ? demanda Victor cyniquement. »
Yakov grogna et sortit d'une de ses poches de sa veste un petit carnet rouge qu'il lui lança.
« -Je te laisse une semaine ou tu es viré ! menaça-t-il en retournant voir les autres patineurs. »
Victor laissa échapper un petit rire et partit aussi vite. Il héla un taxi direction l'aéroport, ne pouvant attendre une minute de plus maintenant qu'il avait eu le feu vert de son entraîneur. Ses quelques affaires sur lui, il ne prît même pas le temps de repasser à son appartement pour se changer ou autre. Arrivé sur place, il prit le premier vol direction Détroit. Chanceux, il ne dût pas attendre longtemps avant d'embarquer et il s'endormit presque instantanément à partir du moment où sa tête se posa sur le siège dur et rugueux de l'avion. Savoir qu'il allait revoir Yuuri, l'avait en quelque sorte soulagé et détendu. Il n'entendit même pas l'avion atterrir et il ne se réveilla que lorsqu' il sentit une petite main qui lui tirait le bras.
« -M'sieur, M'sieur…faut vous réveillez…j'aimerai passer s'vous plaît… »
Victor ouvrit les yeux et il mit un certain temps avant de retrouver une vue correcte, sa vision encore embuée par le sommeil. Une jolie petite tête brune, le dévisageait patiemment. C'était un petit garçon aux yeux bridés qui lui faisait une moue tout à fait adorable. Victor eût l'impression que c'était Yuuri quand il était enfant qui le fixait. Non pas qu'il trouvait que tous les asiatiques se ressemblaient bien au contraire, mais les deux avaient les mêmes lunettes, la même coupe de cheveux et cette même expression de timidité. Attendri, Victor le laissa passer en caressant légèrement ses cheveux.
« -Désolé mon grand de t'avoir fait attendre, souri-t-il. »
Le jeune garçon courba légèrement sa petite tête pour le remercier comme le ferai son Japonais et sa mère s'excusa pour la gêne qu'ils avaient pu lui causer. Laissant ses pensées divaguaient, il pensa pendant un bref instant aux enfants qu'il pourrait avoir avec…Yuuri. Il pouffa. Entre deux hommes c'était impossible, mais sa rêverie lui mît du baume au cœur. Victor ne savait pas si c'était un signe du destin mais il était un peu plus confiant. Il appréhendait tout de même la réaction de Yuuri mais ce fût avec le cœur léger qu'il se rendait tout droit vers le club de patinage dont faisait partie le Japonais.
Etendu sur son lit après une bonne douche, Victor se sentait vidé d'énergie. Cela faisait déjà trois jours qu'il était ici et qu'il n'avait pas réussi à voir Yuuri. Son nouvel entraîneur Celestino Cialdini, lui avait refusé l'entrée prétextant qu'il était louche et que sans motif officiel il ne pouvait le faire rentrer et qu'en plus de ça Yuuri n'était pas présent. Victor n'y croyant pas, il avait suivi discrètement les quelques patineurs du club lors de la fin de leur entraînement. Et même s'ils dormaient quasiment tous dans un dortoir commun, il n'y avait eu aucune trace du Japonais.
Au bout du sixième jour, il réussit enfin à s'introduire dans le club. Pour ne pas se faire remarquer, sur conseil de Celestino qui avait finalement cédé face aux demandes incessantes du Russe, il avait caché ses cheveux sous un bonnet et portait des lunettes. L'entraîneur Italien, lui avait répété que Yuuri n'était pas là mais il voulait le voir de ses propres yeux et par malheur il avait dit vrai. Pas de signe de vie parmi toutes les têtes présentes sur la glace.
Une ombre noire était calée au fin fond des gradins qui se confondait avec le peu de lumière qui éclairait les sièges à cette hauteur. A moins d'avoir de bons yeux, il était impossible de voir quelque chose. En réalité, le jour où Victor avait réussi à pénétrer le club, Yuuri était présent. Cela avait été d'ailleurs la première fois, qu'il avait remis les pieds au sein de la patinoire et c'était juste parce que Phichit -non au courant de la présence de Victor- avait insisté pour que Yuuri vienne se changer les idées. Epuisé, certainement du peu de sommeil qu'il avait eu lui aussi ces derniers temps, il s'était profondément endormi et avait raté la scène qu'avait fait Victor à son arrivé.
Le Russe avait dévoilé son identité, et avait demandé à tous les patineurs qu'ils croisaient s'ils avaient vu Yuuri. Mis en garde par Celestino, tous répondirent qu'ils n'en savaient rien, mais Victor n'était pas dupe et même si ses recherches n'avaient rien donné, il n'allait pas abandonner si près du but.
Phichit était le seul au courant de la présence de Yuuri et il ne dévoila rien malgré l'insistance du Russe.
Victor allait abandonner et partir, mais ce fût avant que ses yeux virent au loin dans la demi-pénombre une silhouette bougée. Cette dernière semblait juste changer de position pour dormir plus confortablement. Pousser par son instinct, il s'approcha à pas de loup. Caché sous un masque noire, et une capuche, Yuuri semblait dormir à poing fermé. Victor s'arrêta à quelques mètres de lui comme interdit d'approcher plus. Phichit ayant suivi toute la scène l'avait arrêté par le bras.
« -Laisse-le, souffla-t-il sur un ton glacial. »
Le Russe ne lui répondit pas et farfouilla dans ses poches. Sur le dos, d'un vieux ticket de caisse, il nota quelque chose qu'il remit au Philippin.
« -Je pars ce soir, je compte sur toi pour lui donner, avait-il lancé. »
Phichit lût la note et hésita. Il voulait à tout prix protéger son ami mais il ne voulait pas être égoïste non plus. Il n'eût pas le temps d'hésiter bien longtemps puisque Celestino l'avait rejoint une fois que Victor fût parti et lui avait pris le papier des mains. Il lut lui aussi la note, regarda Yuuri et lança un regard au patineur Philippin.
« - Autant tuer directement Yuuri, ça ira plus vite, pesta-t-il en écrasant le papier dans sa main. »
Quand il rentra en Russie, Victor semblait avoir meilleure mine et il pût reprendre son entraînement mais en réalité, il souffrait le martyre. Le doute l'assaillait de toute part et il regrettait presque la note qu'il avait laissé à l'intention du Japonais. Cela faisait plus de deux mois qu'il était rentré et toujours aucune nouvelle de Yuuri.
« Je t'aime, appelle-moi. 0X XXX XXX. Victor. » Voilà les quelques mots qu'avaient griffonnés Victor et il réalisa que soit le mot ne lui était pas parvenu soit que simplement, Yuuri ne ressentait pas la même chose pour lui, comme il le pressentait depuis le début de leur relation.
Le baiser qu'il lui avait volé, leurs câlins et enfin ces fameuses bagues, il avait cru jusqu'au bout à une chance, un infime espoir. Sa dernière tentative avait été ce « mariage » qu'il avait proposé lorsque tous leurs amis avaient remarqué leurs alliances mais Yuuri avait totalement nié la chose et cela l'avait anéanti. Quoi qu'il fasse, le Japonais ne le prenait jamais au sérieux et son cœur ne le supportait pas.
Victor n'était peut-être pas doué pour tout ce qui était amour, mais il savait que la distance entre eux pouvait permettre de faire avancer certaines choses. Alors il avait pris une décision sans même consulter le Japonais. Il ne voulait plus être son entraîneur parce que Yuuri l'idolâtrait et ne le voyait pas comme une simple personne qui pouvait se tenir à ses côtés dans un cadre romantique. Non, Yuuri ne le voyait pas comme un homme et n'avait certainement jamais pensé à Victor de cette manière-là.
Le Russe n'aurait jamais imaginé tombé amoureux de sa vie. Il pensait qu'il avait été condamné à n'aimer que le patin et il s'en était contenté. La glace avait été tout pour lui et il n'avait jamais imaginé sa vie sans elle. Les quelques relations avec certaines filles qu'il avait pût avoir, n'avait jamais été de l'amour et il n'avait jamais rien ressenti pour elles comme ce qu'il ressentait pour Yuuri.
Ce fût donc avec une boule au ventre, qu'il joua le rôle de l'homme froid et détaché croyant que cela allait provoquer Yuuri lors de leur dispute, mais il regretta sa décision instantanément en entendant les pleurs de ce dernier et l'incompréhension dans sa voix.
Ce fût trop tard, le mal était fait et ses mots étaient sortis plus vite que ses pensées. Si le seul moyen pour que Yuuri comprenne ses sentiments étaient de le blesser, égoïstement, il fît ce choix totalement insensé. A aucun moment, les choses n'auraient dû tourner de cette façon.
Ce soir-là, il avait planifié de tout lui expliquer et surtout lui expliquer qu'il l'aimait non pas comme un ami ou comme un entraîneur, mais comme un homme. Trop difficile à faire, il explosa de colère, voyant que Yuuri ne comprenait toujours pas où il voulait en venir. Il l'aimait et il avait envie de le crier au monde entier, et il avait été à deux doigts de le faire mais la culpabilité qui commençait déjà à le ronger ce soir-là, l'en empêcha.
Victor n'avait clairement pas su s'y prendre et eût du mal à réaliser ce qu'il venait de se passer. Il fût écorcher à vif par ses propres mots et n'arrivait pas à comprendre lui-même pourquoi avait-il fallu qu'il blesse autant Yuuri. Victor n'avait jamais été du genre à pleurer mais cette nuit-là, il noya son chagrin dans l'alcool et laissa ses larmes sortirent.
Retenu par son entraîneur qui le menaçait à tout bout de champ d'arrêter d'envoyer des messages à Celestino pour qu'il les transmette au Japonais, Victor avait vécu un véritable enfer. De plus, il avait contacté Phichit sur les réseaux, qui ne lui avait donné aucune réponse, voyant que Yuuri n'avait pas participé à la saison suivante. Ce dernier avait tout simplement disparu des tableaux et tout le monde semblait déjà l'avoir oublié tellement il se faisait discret.
Au bout d'un moment, Victor décida de lâcher un peu de lest, commençant à être occupé avec sa propre saison sur laquelle il se concentra corps et âme pour fuir la réalité. Comme à l'habitué, sa saison fût couronnée d'or malgré sa pause d'un an. Patiner le rendait amnésique de douleur. Ne pas avoir de nouvelles de Yuuri le plongeait dans une démence certaine. Il le voyait, l'entendait partout et à chaque fois que son téléphone vibrait, il espérait que c'était lui. Seul le temps pouvait lui apporter la guérison dont il avait besoin mais même ce dernier semblait être contre lui.
Peu à peu, il commençait à redevenir le Victor uniquement passionné et obsédé par le patinage. Il voulait se perdre et ne devenir plus qu'un avec celle qu'il aimait depuis toujours la glace.
Fâcheuse coïncidence ou destin acharné, il vît ce qu'il n'aurait jamais pensé revoir un jour. Le replay des championnats du Japon avec un certain Katsuki Yuuri en tête d'affiche. Le fin athlète qui se tenait sur la glace et ne semblait plus faire qu'un aussi avec elle, n'était autre que le Japonais de ses tourments. Sa transformation le sidéra et la façon de patiner de Yuuri le laissa bouche bée. Il allait vraiment tout abandonner, il s'en était fait le serment, mais le voir ainsi sur la glace ne lui donnait plus du tout cette envie.
L'espoir était destructeur et allait le tenir par les chaînes du désespoir. Yuuri était de retour pour son plus grand plaisir ou son plus grand désespoir. Il ne pouvait laisser passer cette deuxième chance. Pas aujourd'hui, pas maintenant, il n'en avait plus l'occasion. C'était la quinzième fois, qu'il regardait les passages de Yuuri et il n'arrivait pas à s'en lasser. L'amour qu'il croyait parti, s'était juste endormi pendant tout ce temps. Sa carrière bientôt terminer, il n'avait plus rien à perdre.
Les traits d'un Yuuri angélique qui s'était dessiné, lui avait donné envie de capturer ses lèvres qui semblaient si fragiles et pâles. Victor avait hâte de les goûter et c'est ainsi que dès la première occasion qui se présenta, il captura les lèvres du brun dans sa loge, conscient des risques qu'il pouvait encourir. En plus de vouloir y goûter, il voulait surtout vérifier les sentiments de Yuuri à son égard. Savoir, si le mot qu'il lui avait laissé, lui était parvenu ou non. Malgré le changement, qui s'était opéré en Yuuri, Victor devina aisément qu'il ne savait toujours pas mentir, ou en tout cas pas lui mentir à lui parce qu'il le connaissait suffisamment pour voir ce que pouvait cacher le Japonais.
Dès que ses lèvres se posèrent sur celles de Yuuri, il sût. La réponse à sa question était claire comme de l'eau de roche. Yuuri n'avait jamais reçu le mot qu'il lui avait laissé ce jour-là, sinon, jamais il lui aurait dit de telles paroles et jamais il n'aurait eu une telle réaction à son contact. Yuuri ne savait pas qu'il était venu le voir et cela rassura Victor, mais cela voulait dire que le Japonais ne ressentait toujours pas la même chose pour lui. Il avait même l'impression que pendant tout ce temps Yuuri avait cultivé à son égard une certaine haine et même s'il en comprenait la raison, il avait dû mal à réaliser qu'elle était aussi forte à son égard.
Pour l'éloigner de son ami le Japonais, Phichit lui avait donné le dernier morceau du puzzle. A présent, il avait toutes les pièces en mains et tout s'étaient rassemblés dans son esprit. Surpris de ne pas avoir compris les sentiments de Yuuri à son égard plus tôt, il expérimenta une certaine joie mais un goût d'amertume ne le quitta pas quand il comprit que le Japonais venait de tourner la page.
Ses propres bruits de patins sur la glace le ramenèrent à la dure réalité. Il croisa le regard saphir de la jeune femme blonde qui se tenait en face de lui. Il avait déjà hâte de ne plus avoir Anastasia dans sa vie, mais surtout il ne voulait plus se cacher derrière leur faux couple. Le cœur lourd, Victor prît sur lui. Après cette fichue danse de couple, il irait parler à Yuuri coûte que coûte même si cela devait lui brûler une nouvelle fois les ailes.
