La douche lui avait fait du bien, même si elle n'avait pas chassé la fatigue ni l'impression désagréable que sa vie lui échappait totalement, elle se sentait quand même un peu revigorée. Un peu de maquillage pour couvrir ses cernes, de blush sur les joues et du rouge à lèvre pour habiller le tout, et Abby retrouvait un peu de sa superbe. Elle se dirigea vers le salon, maintenant vêtue d'un pantalon noir slim et d'un chandail noir assez ample dans les manches étaient resserrées au niveau des poignets. Ses blessures maintenant invisibles, elle pouvait définitivement faire illusion, mais elle ne pouvait pas en dire autant de son penthouse qui ressemblait toujours à un champ de bataille. Mel avait nettoyé une partie de la cuisine et dégager assez d'espace pour qu'elles puissent s'installer sur l'ilot centrale. Les stores et les fenêtres maintenant grandes ouvertes inondaient l'endroit d'un soleil éclatant. Il y avait une bonne odeur d'œuf au plat et de bacon qui fit gargouiller son estomac, Mel esquissa un sourire.

« Installe-toi. »

Abby observait la scène, c'était tellement surréaliste, tellement étrange de partager un moment comme celui-là avec la sorcière, un simple repas dans le chaos de son appartement. L'hybride se demanda si elle n'était pas encore en train de rêver. Elle déposa deux verres sur le comptoir et les remplit de scotch. Mel lui jeta bien un regard mais ne fit aucun commentaire tandis qu'elle poussa une assiette fumant devant-elle.

« Abby, il faut que tu manges.

-Oui madame. »

L'hybride esquissa un sourire provocateur, même si, en vérité, elle n'en menait pas large. Elle commença à manger avec appétit, savourant le goût salé du bacon sur sa langue. Mel prit place à ses côtés, elle sentit la chaleur de sa proximité, les fragrances de son parfum. L'hybride secoua la tête, en plus d'être inutile, ce n'était vraiment pas le moment. Mais par où commencer ? La sorcière le fit pour elle.

« J'ai trouvé ça. »

Elle poussa un téléphone sur le comptoir, son téléphone bien sûr.

« Tu pourras peut-être trouver quelques informations dedans. Tu sais sur…

-Sur les 3 jours qu'il me manque. »

Abby acquiesça, elle le ramassa d'une main et continuait à manger de l'autre, Mel poursuivit son récit, elle poussa le verre de scotch et opta plutôt pour la tasse de café qu'elle avait préparé.

« Macy a trouvé le moyen de vaincre l'allergie, peu de temps après avoir vaincu les Perfecti.

-Je me souviens de la défaite des Perfecti oui, Maggie se faisait passer pour moi et tu étais en danger. »

L'hybride secoua la tête, elle se souvenait parfaitement de cet appel, de l'angoisse qui lui avait serré le cœur. Mais plus que tout, le sentiment d'impuissance, elle était dans l'incapacité de venir aider les sœurs alors que Mel était en danger de mort.

« J'ai détesté cette situation, ne pas pouvoir te venir en aide, que tes sœurs ne me fassent pas suffisamment confiance pour me contacter. »

L'aveu était sorti malgré elle. Elle fixa son assiette, perplexe.

« Mel, as-tu mis du sérum de vérité dans mon plat ? »

L'intéressée leva les yeux au ciel, elle entoura son mug de café de ses deux mains.

« Non, Abby, cette révélation venait bien de toi. La fatigue sans doute ? »

L'hybride prit une nouvelle bouchée d'œuf pour s'épargner d'avoir à répondre. Elle naviguait dans son téléphone, à la recherche de ce qu'elle avait manqué pendant ces 3 jours d'amnésie.

« Et en ce qui concerne notre enfant ?

-C'est une longue histoire mais il est reparti sain et sauf dans le futur. »

Abby releva la tête de son téléphone, elle sourit doucement. Le fait que Mel n'est jamais tenté de la corriger chaque fois qu'elle disait « notre enfant » faisait battre son cœur un peu plus vite. C'était complètement dingue et l'anglaise refusait de se laisser aller à trop d'espoir. Elle était suffisamment honnête et lucide pour comprendre qu'une histoire avec Mel ne pouvait pas fonctionner. Mais personne ne pouvait lui interdire d'en rêver.

« Et c'est tout ? Il est reparti dans le futur ?

-Je te l'ai dit, Abby, longue histoire. Actuellement nous avons quelque chose de plus urgent à gérer. Alors on s'occupe de ton problème et ensuite je te raconte tout autour d'une tasse de thé.

-De scotch plutôt. Mais j'accepte. »

L'hybride soupira.

« La dernière chose dont je me souvienne, c'est de t'avoir envoyé un message juste avant de me préparer pour une tentative de nuit de sommeil. Et après…

-J'ai répondu à ton message, plusieurs fois, j'ai essayé de t'appeler et comme tu ne répondais à rien, j'ai fini par venir.

-3 jours plus tard. »

Ca sonnait comme un reproche et s'en était sûrement un mais Mel ne lui devait rien, même pas sûre qu'elle la considère comme une amie. Elle était là, c'était déjà bien.

« C'était le temps nécessaire pour régler ma situation de femme enceinte, tu sais, avoir un bébé.

-Evidemment. Je ne voulais pas dire ça. »

Abby termina son assiette et se concentra pleinement sur le téléphone mais il n'y avait rien. Les messages alarmés de la sorcière, des mails non lus sans importance, des messages de démons bref… la réalité était triste, la seule personne à s'être inquiétée était justement à ses côtés et elle n'avait aucune nouvelle de sa sœur depuis leur dernière rencontre. L'hybride reposa le téléphone.

« Il n'y a rien que je ne sache déjà. »

Elle vida son verre d'une traite, cherchant tout le courage possible dans la dose d'alcool. Trois jours, trois jours dont elle ne gardait aucun souvenir, mais qu'avait-elle pu faire ? Qu'est-ce que sa forme démoniaque avait fait ? Elle sentit le contact de Mel sur sa main et baissa le regard sur ce simple geste. La chaleur tangible et le réconfort qu'il représentait était important mais surtout, il n'y avait effectivement plus aucune trace d'allergie.

« Ma mère m'a piégée. »

La sorcière observait un silence tranquille, Abby avait besoin d'aller à son rythme et elle le comprenait. De son pouce, elle caressa doucement le haut de la main de l'anglaise. La cheffe des démons avait un charme magnétique, presque animal. Ce petit sourire arrogant lorsqu'elle vous lançait un regard hautain, son rire ironique et surtout… cette voix, douce, soyeuse. Mel relâcha la main d'Abby brusquement, elle dissimula sa gêne en se saisissant de sa tasse de café vide et prétexta s'en faire un autre. Ruby, elle était amoureuse de Ruby et rien d'autre ne comptait, surtout pas cet accent british qu'elle trouvait terriblement sexy.

« J'avais envoyé Jordan récupérer un colis, un totem plus exactement dans lequel ma mère avait soi-disant enfermé ma forme démoniaque. »

Abby souffla doucement, elle prit le verre d'alcool que Mel avait délaissé pour en prendre une gorgée.

« J'ai découvert qu'en fait, ma mère n'a jamais réussi à séparer ma forme démoniaque. Mais elle a continué d'entretenir ce mensonge, de me convaincre de mon inaptitude, de ma médiocrité. »

Une autre gorgée, elle reposa le verre, un peu sèchement compte tenu du claquement contre la surface. Mel se réinstalla à ses côtés, une nouvelle tasse de café chaud dans les mains.

« Bref, j'étais convaincue que récupérer ma forme démoniaque me permettrait de combler ce vide que je ressentais. Mais j'étais finalement aussi stupide et aussi naïve que ma mère le décrivait puisque c'était un autre démon qu'elle avait enfermé dans ce totem. Et quand Jordan me l'a ramené… »

Abby eut un rire ironique, sans joie.

« Je lui ai ouvert la porte de mon âme et il y a pris ses quartiers. »

Tout le monde pensait qu'elle n'était animée que par la soif de pouvoir, en réalité c'était davantage la soif de reconnaissance qui l'avait poussé à se montrer aussi imprudente. Mel l'avait maintenant compris depuis le faux procès des Perfecti. Elle avait, depuis toujours, cette sensibilité envers Abby qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer. Malgré les manipulations et les mensonges, la cheffe des démons s'était toujours montrée loyale, d'une façon étrange et bizarre. Le procès lui avait enfin permis de comprendre pourquoi. L'hybride était si désespérée de faire partie de quelque chose, d'une famille, d'une équipe où tout le monde s'entraide et se soutient, elle cherchait tellement la reconnaissance et l'affection dont elle avait toujours manqué par tous les moyens, qu'elle prenait souvent les mauvaises décisions. Devenir la cheffe suprême des démons lui avait permis d'accéder à un titre, elle avait gagné le respect par la terreur, mais en réalité elle était constamment sur le qui-vive, à l'affut de la prochaine trahison à venir. Se rapprocher des Charmed Ones lui avait ouvert de nouvelles perspectives sur ce qu'était réellement une famille, mais n'avait fait que fragiliser sa position dans le monde démoniaque, sans compter tout le chemin qui restait à parcourir pour oser faire réellement confiance. La sorcière prit de nouveau la main de son interlocutrice dans la sienne pour l'encourager à poursuivre.

« Et maintenant, il cherche à te tuer ?

-Non, il cherche à m'affaiblir afin de prendre totalement le contrôle. Les blessures, la privation de sommeil, ce sont des méthodes de torture qui ont déjà fait leur preuve, j'en sais quelque chose. »

Abby soupira, elle observa le fond de son verre maintenant vide.

« Les trois jours manquants sont un bon indicateur. »

La sorcière n'était pas du tout prête à se résigner.

« Tu as trouvé comment t'en débarrasser ? »

L'hybride hocha la tête. Elle croisa le regard de Mel, l'angoisse rendait sa gorge sèche et sa langue pâteuse.

« Oui mais ça ne va pas être facile. J'ai besoin du nom du démon et seule ma mère pourra me le donner. »

Mel pinça les lèvres, Francesca risquait effectivement de ne pas se montrer très coopérative. Le souvenir du procès et des atrocités qu'elle avait fait subir à sa fille fit surgir une boule de colère.

« Et Waverly ? Elle s'est proposée de t'aider à récupérer l'épée de je ne sais quoi, elle peut sans doute faire quelque chose pour ça aussi. »

L'hybride secoua la tête.

« Elle ne répond plus. Ni à mes appels, ni à mes messages. Je me suis assurée que plus aucun démon n'était à ses trousses mais je suppose qu'elle doit être occupée à protéger sa propre fille. Je ne peux pas l'en blâmer. Je ferai pareil à sa place. »

Abby reposa son verre vide.

« Et pour le rituel, j'ai malheureusement besoin du pouvoir des trois. »

La question latente qu'elle ne se risquerait pas à poser était : « vont-elles accepter ? ». La cadette la devança, bien évidemment.

« Nous allons t'aider, je m'occupe d'en parler à mes sœurs. »

Le ton était déterminé, tellement que la sorcière releva le menton, presque par bravade, comme si on la mettait au défi de réussir à convaincre Maggie et Macy.