Abby ouvrit lentement les yeux, encore confuse. Le sol sous sa joue était froid, son corps engourdi lui semblait terriblement lourd. Elle se redressa, lentement, les sourcils froncés, le front plissé. Les derniers événements mirent un peu de temps à franchir le brouillard du sommeil artificiel dans lequel la magie l'avait plongé. Sa vue encore brouillée avait bien du mal à s'adapter à l'environnement très lumineux dans lequel elle se trouvait. Elle n'était pas seule et le souvenir la frappa instantanément, envoyant un shot d'adrénaline parcourir son corps.
« Mel ! »
Elle s'approcha de la forme endormie, son cœur battant d'inquiétude. L'hybride se souvenait de tout maintenant, le retour chaotique des sœurs et Mel qui s'accroche à elle de toutes ses forces, assez pour la faire basculer de l'autre côté du portail. L'hybride repousse doucement une mèche de cheveux du visage de la sorcière endormie pour y découvrir une marque de coup qui commençait à bleuir légèrement. Quelques coupures et autres griffures, à l'évidence, la rencontre avec Francesca ne s'est pas passée autour d'une tasse de thé.
« Mel… »
La demi-démon se sentait tellement désolée, tout était de sa faute. Chaque fois qu'elle demandait de l'aide, elle ne faisait que précipiter plus de personnes dans des situations impossibles. Un rire plein d'ironie lui fit relever la tête. Il était temps de prendre conscience de l'endroit où elles se trouvaient et de ce qui s'y déroulait. La salle était ronde, avec plusieurs étages sous forme de balcon, tout était d'un blanc immaculé, le sol, le plafond, les murs, les meubles, tous reflétaient une lumière assez crue qui lui faisait mal aux yeux. Les deux prisonnières se trouvaient en plein centre, dans une cage dont Abby reconnaissait facilement l'utilisation puisqu'elle permettait de restreindre les pouvoirs de ses occupants. A quelques mètres d'elles, Francesca l'observait, assise sur ce qui semblait être un trône : un dossier immense, une assise large agrémentée de deux accoudoirs finement ouvragés. Le tout était réhaussé de coussins moelleux et blancs bien sûr, comme tout le reste.
« Maman. »
Malgré les années et la pleine conscience de ce que sa mère lui avait fait subir, Abby se sentit instantanément sous pression. Elle avait cherché à plaire à cette femme si désespérément, contenir ses pouvoirs démoniaques sans même réussir à comprendre comment ils fonctionnaient, accepter les heures, les jours de punitions en promettant l'impossible simplement pour avoir le droit de voir la lumière du jour, mais sans jamais un mot gentil. Sa bouche s'assécha, une partie d'elle cherchait toujours son approbation et elle se détestait pour ça.
« Tu es toujours aussi décevante. »
Francesca cracha son venin avec dégoût. Abby jeta un coup d'œil à Mel, après s'être assurée qu'elle allait aussi bien que possible, elle se redressa en s'aidant des barreaux. L'aversion de sa mère avait au moins un effet bénéfique, son égo n'était pas du genre à tolérer cette situation. Sa mère secoua la tête avec dédain. Elle leva les yeux au ciel, comme pour prier une entité silencieuse de comprendre son désarroi.
« Je ne t'ai demandé qu'une seule chose, depuis toujours, d'être une bonne sorcière, tout simplement. Rien d'autre que ça, mais tu en es incapable. Cette chose ignoble que tu es a pris le pouvoir et s'est installée durablement malgré tous mes efforts pour la contenir. »
Abby serra les dents, les larmes lui montèrent aux yeux malgré elle. Ses mains serrèrent les barreaux jusqu'à blanchir.
« J'ai tout fait pour te plaire mais ça n'était jamais assez. J'ai fini par comprendre que je n'étais qu'une réminiscence de ta propre culpabilité. J'étais la preuve vivante de tes mœurs légères et je venais jeter l'opprobre sur ta réputation immaculée. »
Francesca la fusilla du regard.
« Tu ne sais pas de quoi tu parles. »
Abby s'écarte des barreaux et croisa les bras.
« Vraiment ? Alors explique-moi, pourquoi t'en prendre aux Charmed Ones ?
-Parce que tu les manipules ! Comme tu l'as toujours fait, avec moi, avec ta sœur ! Il n'y a pas une once de bienveillance en toi ! »
Les paroles de sa mère atteignaient toujours leur cible, malgré l'armure qu'elle s'était construire patiemment au cours des années, Francesca savait toujours exactement comment lui faire mal. Abby retenait ses larmes comme elle pouvait, elle s'agenouilla aux côtés de Mel qui ne s'était toujours pas réveillée. Francesca eut un rire ironique.
« Cesse donc de prétendre t'inquiéter pour elle. Elle va bien, le sort se dissipera d'ici quelques minutes.
-Pourquoi est-elle prisonnière si je suis la seule responsable ? »
La matriarche décroisa les jambes et se leva. Le bruit de ses talons raisonna désagréablement dans la salle.
« Tant que tu souilles son esprit avec tes paroles nuisibles, elle représente un danger. Je sors à l'instant d'un combat avec les trois sœurs qui a été initié par tes soins. Récupérer le nom de ce démon, vraiment, tu me pensais si naïve ? »
Abby déglutit, la culpabilité tomba lourdement sur ses épaules.
« Maman, Mel n'est pas responsable, inutile de la garder ici.
-Il est évident que je ne lui ferai aucun mal. Jamais je ne m'en prendrais à d'autres sorcières. »
Un sourire ironique se dessina au milieu des larmes de l'hybride.
« Mais je suis aussi une sorcière !
-Impure, imparfaite, salie, répugnante. »
Francesca chassa l'air de la main, elle fit le tour de la cage, son regard rivé sur sa fille.
« Mélanie verra qui tu es vraiment et les choses rentreront dans l'ordre.
-Qui je suis vraiment ? Mel sait déjà qui je suis. »
Et de loin en fait, la cadette était probablement la personne sur Terre qui en savait le plus sur elle, qui connaissait une partie de son passé, des démons contre lesquels elle se battait. Bien sûr, elle était loin de tout savoir, Abby ne laissait pas tomber ses barrières si facilement. Mais malgré tout, elle en savait plus que n'importe qui. Francesca eut un rire moqueur.
« Ne dit pas n'importe quoi Abigael, si c'était vraiment le cas, jamais elle ne te serait venue en aide.
-Vous vous trompez. »
Bien réveillée, la sorcière était toujours allongée à même le sol. Elle tendit la main pour essuyer délicatement quelques larmes sur les joues d'Abby.
« Il n'y a qu'un seul monstre dans cette pièce, et c'est vous Francesca. »
Elle se redressa en position assise avec l'aide de l'hybride qui semblait très concernée par son bien-être.
« Votre fille ne m'a pas empoisonné l'esprit. Elle est pénible, je vous l'accorde, arrogante et suffisante aussi ! »
Abby commençait sérieusement à se demander si Mel était de son côté, mais ses doutes furent rapidement dissipés.
« Mais c'est aussi la personne la plus courageuse que je connaisse. Elle est intelligente, magnifique et elle a su se construire seule avec pour unique modèle le monstre que vous êtes et l'enfance terrible que vous lui avez donné. »
Maintenant debout, la sorcière faisait face à Francesca, les yeux dans les yeux. Elle parlait avec détermination, chaque mot claquait avec force.
« Elle a su prendre la tête du monde des démons et renverser un système patriarcale ancestrale.
-Ma pauvre enfant, si vous pensez que ça c'est une réussite, elle vous a vraiment lavé le cerveau.
-Oui je pense que c'est une réussite, parce qu'elle a instauré une paix durable entre les sorcières et les démons, qui avant elle avait réussi à faire ça ? Qui ? Un seul nom ! Elle a mis fin à des siècles de guerre inutile, ce n'est pas parfait, mais à ma connaissance personne n'a su faire mieux ! »
Francesca pinça les lèvres, elle dardait sur Mélanie un regard plein de colère.
« Tu peux être fière de toi, Abigael. Cette jeune femme est clairement sous ton emprise, mais ça ne va pas durer. »
La sorcière soupira avec exaspération.
« Je ne suis pas sous son emprise ! »
Mais c'était peine perdu, Francesca avait déjà tourné les talons et quitta la pièce. Abby était encore sous le choc de la scène à laquelle elle venait d'assister. Jamais personne ne s'était dressée en son nom pour prendre sa défense avec tant de férocité. Elle pouvait sentir les battements furieux de son cœur alors qu'elle avait encore tant de mal à réaliser ce qui venait de se passer.
« Tu… Mel… »
Elle voulait l'embrasser, ici, maintenant, au beau milieu de cette situation infernale. Elle voulait goûter ses lèvres dont elle avait rêvé si souvent. Mais qui continuerai de n'être qu'un rêve, Abby le savait. A la place, elle se laissa gagner par l'élan qu'elle ressentait et serra la sorcière dans ses bras.
« Merci. »
Un mot si simple et si petit, bien loin d'être suffisant pour traduire toutes les émotions qui la traversaient en cet instant. Mel lui rendit son étreinte, avec beaucoup de tendresse, achevant de la faire complètement fondre.
« Je pensais chaque mot, Abby. »
L'hybride essuya ses larmes d'un revers de la main, elle ne s'était jamais montrée aussi émotive.
« Oh, alors je suis magnifique. »
La cheffe des démons s'écarta, gênée, mais avec un sourire plein de suffisance et un haussement de sourcil amusé. Mel pouffa de rire et secoua la tête.
« C'est vraiment tout ce que tu as retenu ? »
Mais à la rougeur qui colorait ses joues, Abby pouvait dire que ce compliment-là lui avait peut-être échappé au milieu de la tirade. L'hybride choisit de dissiper le malaise en changeant de sujet de conversation.
« En tout cas, cela ne nous dit pas ce que Monstriarche prépare, ni même ce qu'est cet endroit.
-Elle cherche à recrée les Fondatrices.
-Pardon ? »
La britannique haussa les sourcils aussi haut que possible sous l'effet de la surprise. Mel haussa légèrement les épaules.
« Lorsque nous sommes arrivées ici toutes les trois pour lui demander le nom du démon qui t'a… envahie. Ta mère… Comment l'as-tu appelé ?
-Monstriarche. »
La sorcière esquissa un sourire satisfait.
« Pertinent. Quoiqu'il en soit, ta… Monstriarche nous a expliqué qu'elle était ravie de notre visite puisqu'elle voulait reconstruire le groupe des Fondatrices afin de reprendre la main sur le monde magique. Pour contrebalancer ton pouvoir, bien sûr mais je crois que c'était surtout pour compenser le nôtre. Elle nous a fait une très longue liste des désastres que nous avions soi-disant causés, occultant carrément tout le reste. »
Mel testa la solidité des barreaux tout en poursuivant son récit.
« Comme tu t'en doutes, nous n'étions pas particulièrement enchantées par la proposition alors les choses ont dégénéré. Vite. Et avant qu'on comprenne ce qui se passe, il y avait plus d'une vingtaine de sorcières contre nous. »
Abby secoua la tête.
« Ironique pour quelqu'un qui vient juste de me dire qu'elle ne s'en prendrait jamais à des sorcières. »
La cadette glissa un regard en direction de sa codétenue. Sans réfléchir, elle tendit la main pour prendre celle d'Abby dans la sienne. La chaleur de sa peau l'envahit délicatement, comme une vague légère et douce. C'était pour apporter du réconfort à sa compagne d'infortune, pas du tout parce qu'elle cherchait son contact, pas du tout parce qu'elle s'était complètement perdue dans l'étreinte quelques minutes auparavant.
« Qu'est-ce que tu penses que ta Monstriarche voulait dire par « qui tu es vraiment » ? »
Abby haussa les épaules.
« Je n'en ai pas la plus petite idée.
-Elle prépare un sortilège pour éradiquer complètement ton côté sorcière. »
Les deux captives sursautèrent au son de la voix qui venait tout à coup se répandre en écho dans la pièce. Toute de blanc vêtu, dans une longue robe élégante, Waverly se précipita aux abords de la cage, ses cheveux blonds cascadant sur ses épaules. Son regard bleu croisa les yeux noisette de sa sœur ainée.
« Quoi ? Wave ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Ne me dis pas que tu aides notre mère ? »
L'intéressée lui jeta un regard noir.
« Je suis ici pour toi, l'épée de la clarté, tu te souviens ? »
Abby cligna des yeux.
« Oui mais, je n'avais plus aucune nouvelle, j'étais persuadée que tu avais… Je ne sais pas, renoncé à m'aider.
-Merci pour ta confiance, sœurette. »
L'hybride s'apprêtait à répondre mais elle fut interrompue par une sorcière pas très patiente dont les priorités étaient tout autre.
« Vous n'allez pas recommencer à vous disputer ! Ce n'est vraiment pas le moment ! »
Les deux sœurs partagèrent un regard gêné, Mel ne s'arrêta pas pour autant.
« Waverly, tu peux nous faire sortir d'ici ?
-Je ne peux pas déverrouiller la cage, mais je vais trouver un moyen. »
La blonde jetait des coups d'œil nerveux par-dessus son épaule et autour d'elle. Abby pouvait ressentir son angoisse.
« Tu n'aurais jamais dû te lancer là-dedans Wave, si j'avais su ce que notre mère préparait, jamais je ne t'aurais impliquée.
-Hé, je suis contente d'avoir renoué avec toi, d'une certaine façon. Et puis tu n'es pas la seule raison de ma présence ici, je te rappelle qu'elle s'en prend aussi à mes enfants. »
Elles se sourirent mutuellement, un instant fugace au milieu de l'inquiétude. Mais la réalité reprit bien vite ses droits. Waverly sursauta en entendant un claquement lointain.
« Je reviens aussi vite que possible pour vous faire sortir d'ici, d'accord ? Tenez le coup.
-Fais attention à toi, s'il te plait. Je n'ai pas envie de perdre une sœur que je viens à peine de retrouver, d'accord ? »
La blonde acquiesça d'un léger signe de tête avant de disparaitre. Mel esquissa un tendre sourire.
« Tu deviens sentimentale. Attention à toi Abby, bientôt tu voudras offrir des cadeaux aux orphelins pour Noël. »
L'hybride roula des yeux.
« Ne compte pas trop là-dessus, Princesse Potions. Et puis qui sait, si ma mère anéantit ma partie sorcière, peut-être qu'elle éliminera définitivement le peu de bon qui existe en moi. »
Elle haussa les épaules avec désinvolture et croisa les bras. Mel secoua la tête.
« Tes pouvoirs ne te définissent pas, ils n'ont rien à voir avec qui tu es. Ta mère en est un exemple flagrant. »
L'argument se tenait, Abby pouvait difficilement le nier. Mel soupira et s'adossa contre les barreaux.
« Que fait-on maintenant ? Je déteste attendre et ne rien pouvoir faire. »
L'hybride lui offrit un sourire concupiscent.
« J'ai bien quelques idées mais nous manquons d'accessoires et je ne pense pas que tu sois du genre à aimer te donner en spectacle. »
La sorcière roula des yeux.
« Sérieusement ? Abby ?
-Quoi ? Le sexe offre une distraction très efficace. »
L'hybride prit beaucoup de plaisir à voir la coloration rouge qui envahissait les joues de son interlocutrice.