[Les scènes suivantes ne servent aucune intrigue, elles ne font pas avancer une histoire quelconque… Encore que… Mais disons que j'avais simplement envie d'écrire des scènes de vie qui me trottaient dans la tête après avoir terminé l'intrigue principale.]

De manière inattendue, Abby avait passé quasiment tout le week-end au manoir Vera. Ou plus exactement, elle avait passé tout son week-end dans la chambre de Mel et elle s'était délectée de chaque moment. Tout était vraiment nouveau et elle avait encore un peu de mal à faire le tri dans ses émotions, mais le sexe en revanche… Elle découvrait avec stupéfaction à quel point tout était meilleur lorsque ça impliquait des sentiments. Quoiqu'il en soit, lundi matin était arrivé et avec lui, la nécessité pour tout le monde de retrouver quelques obligations, en particulier pour les trois sœurs qui avaient un travail, des horaires réguliers. Une contrainte qu'en qualité de cheffe suprême des démons, Abby ne connaissait pas du tout.

Malgré tout, il y avait quelques affaires qui réclamaient son attention, elle était donc installée sur le comptoir, surprise de constater qu'elle relisait pour la troisième fois le même compte rendu sans réussir à se concentrer sur le sujet. Son esprit indiscipliné n'avait de cesse de revenir sur les moments partagés avec Mel, et les très nombreuses réjouissances du week-end qu'elles avaient passé ensemble. Ca aussi c'était complètement nouveau et très déstabilisant. Elle consulta son téléphone, surprise de constater que la matinée était passé en un éclair et qu'elle n'avait absolument rien fait. L'anglaise s'écarta du comptoir et sortit deux verres à pied, elle en remplit un de vin, attendant que son invitée du jour se montre pour remplir le second. Elle fit tourner le liquide contre la paroi et savoura le parfum de fruits rouges et noirs qui s'en dégageait. Le bruit caractéristique du portail magique se fit entendre et Macy le franchit. Elle portait un chemisier blanc sur un jean qu'elle avait réhaussé d'une épaisse ceinture marron. Abby s'appuya contre la crédence du meuble derrière elle et salua l'arrivée de l'ainée des Charmed Ones en levant son verre. Même si le brunch s'était déroulé de manière fort plaisante, Abby n'avait pas la moindre idée de l'opinion de Macy à son égard. Elle amenait avec elle l'épée de la clarté enroulée dans un épais tissu, comme elles en avaient convenu ce matin. Mais en dehors de ça, la sorcière maintenait une distance froide et courtoise. Abby se repoussa d'un coup de hanche.

« Un verre de vin avant que l'on commence ? »

Macy s'installa sur une des chaises de bar, le front barré d'un pli soucieux.

« Pourquoi pas. »

Elle déposa le paquet tandis qu'Abby lui remplissait son verre.

« Un problème, Mace ? »

L'hybride redoutait la réponse. Peut-être que la sorcière allait lui dire qu'il fallait qu'elle reste loin de sa sœur. Que leur relation était vouée à l'échec, que jamais elle n'accepterait cette situation et qu'elle avait fait bonne figure ce week-end pour ne pas blesser Mel. Bref, lui dire qu'il fallait qu'elle s'éloigne de Mel, d'une manière ou d'une autre. Un scénario auquel l'anglaise s'était préparée, sans savoir quelle réponse elle y apporterait. La lenteur de Macy à boire une gorgée avant de lui répondre mettait ses nerfs à rude épreuve.

« Je ne suis pas sûre de vouloir faire ça. »

La réponse laconique ne l'aidait pas beaucoup, ses sourcils se froncèrent d'incompréhension.

« Pas sûre de vouloir faire quoi ? »

Macy releva un regard surpris sur elle, elle reposa son verre de vin.

« De vouloir récupérer mon pouvoir, Abby, de quoi penses-tu que je sois en train de parler ? »

Elle marqua une pause tout en observant son interlocutrice, comprenant petit à petit ce que l'hybride avait pu s'imaginer.

« Le monde ne tourne pas toujours autour de toi, Abby, il serait temps de t'en rendre compte. »

L'anglaise tiqua et la sorcière regretta instantanément ses paroles, c'était sorti plus durement qu'elle ne l'avait voulu. Elle reprit aussitôt pour éviter de tomber dans un échange passif-agressif comme les deux femmes en avaient l'habitude.

« Quand je suis venue te voir pour que tu me débarrasses de mon pouvoir, j'étais convaincue qu'il s'agissait du problème à la restauration du pouvoir des trois. Mais ce n'était pas que ça. Je ne savais pas quoi faire de cette noirceur en moi, accepter que j'avais quelque chose de démoniaque… Je pensais que je serai mieux sans et pendant longtemps je me suis convaincue que c'était mieux comme ça. Mais… »

Macy se perdit dans la contemplation de son verre de vin. Abby comprenait très bien, probablement même un peu trop à son goût.

« Tu ressens comme un vide en toi ? Comme si on t'avait arraché quelque chose et que tu étais incomplète ?

-Quelque chose comme ça oui. Mais en moins brutal peut être. »

La sorcière l'observa avec surprise. L'anglaise se resservit un verre de vin.

« C'est ce que j'ai ressenti lorsque ma mère a tenté de me priver de mes pouvoirs. Comme si on essayait de m'arracher une partie de moi-même.

-Je pense que le rituel de Francesca était un peu plus violent que celui avec lequel tu m'as retiré mon pouvoir démoniaque. »

Abby acquiesça d'un signe de tête.

« Probablement plus définitif oui. » Elle soupira avant de reprendre. « Quoiqu'il en soit, comme quelqu'un me l'a dit récemment, ce ne sont pas tes pouvoirs qui te définissent.

-Mel ?

-Qui d'autre ? »

Le regard de Macy se posa sur le morceau de tissu qui dissimulait l'épée.

« Est-ce que ce sera douloureux ?

-Pour toi, non. Pour moi… Probablement autant que ça l'était pour toi. »

Les deux femmes partagèrent un regard qu'Abby fut incapable d'interpréter.

« Et si retrouver mes pouvoirs me rend plus sombre. »

L'hybride cligna des yeux tant la déclaration lui semblait complètement incongrue. Elle remplit le verre de son interlocutrice.

« Je connais la noirceur, Mace. Je la connais même très bien, je me suis noyée dedans. Ma mère, mon père, ma vie toute entière… Et aujourd'hui encore, chaque jour me demande un effort pour garder la tête hors de l'eau. Mais s'il y a bien une chose dont je suis absolument certaine c'est qu'il n'y a pas une once de malveillance chez les Charmed Ones.

-Et pourtant je suis la plus désagréable des trois avec toi. »

Abby esquissa un sourire, elles étaient pourtant en train d'avoir une discussion très civilisée.

« Probablement parce que tu es celle qui a le plus de raisons de ne pas me faire confiance. »

Macy observa son interlocutrice pendant quelques instants, en silence. Elle devait le reconnaitre, l'hybride avait changé, mais une partie d'elle-même ne pouvait s'empêcher de se demander si elle n'était pas en train de se faire manipuler. Et puis surtout, il y avait une autre inquiétude latente, le futur. Même si le pouvoir des trois était venu à bout du démon chuchoteur, Macy n'arrivait pas à se sortir de la tête l'aperçu qu'elle avait eu de son avenir. Elle se revoyait, livide et démoniaque, chassant la moindre forme de vie, jusqu'à tuer Abby avec son pouvoir de pyrokinésie, celui-là même qu'elle était venue récupérer aujourd'hui. Elle secoua la tête et se releva, récupérant le paquet au passage.

« Je ne peux pas faire ça, pas maintenant, pas aujourd'hui. »

L'anglaise haussa les sourcils de surprise.

« Mace…

-Désolée Abby, tu vas devoir gérer ta culpabilité encore quelques temps. »

Et avant qu'elle ait pu rajouter quoique ce soit, la sorcière avait repris le portail. L'hybride reposa son verre, déconcertée.

Abby reposa son téléphone avec un sourire idiot dont elle n'avait même pas conscience. Depuis le début de la journée, elle échangeait des messages futiles avec Mel, mêlant habilement les sous-entendus sexuels et l'humour un peu idiot. C'était étonnant de constater comment quelque chose d'aussi banal et d'aussi simple la rendait bêtement joyeuse. Sa surprise fut donc totale lorsqu'elle reçut un appel du concierge en bas de son immeuble.

« Oui ?

-Mélanie Vera, madame.

-Faites la monter, bien sûr. »

Abby repoussa les documents qui encombraient la table basse et se releva pour rejoindre l'ascenseur dont les portes s'ouvraient déjà.

« Mel ! »

Son sourire s'agrandit lorsqu'elle aperçut la silhouette de la sorcière, en jeans, avec un perfecto en cuir noir sur un haut rouge sombre au décolleté avantageux. Peut-être que la matinée à faire des sous-entendus ne l'avait pas laissé indifférente parce qu'Abby sentit presque immédiatement une pointe de désir au creux de ses reins. Et elle ne devait pas être la seule : la sorcière l'embrassa fougueusement tout en la plaquant contre le mur. L'anglaise répondit au baiser en gémissant, leurs langues entamèrent une danse enfiévrée qui fit instantanément monter la température. La sorcière glissa ses lèvres dans son cou, mordillant la peau tout du long, laissant une trace enflammée dans son sillage, ses mains plongèrent sous le haut de l'hybride, déjà elle frissonnait de désir.

« Mel… »

La sorcière la fit taire avec un autre baiser passionné, elle gémit contre ses lèvres avec envie. Lorsqu'elle voulut débarrasser son amante de son perfecto, Mel lui attrapa les poignets et les remonta au-dessus de sa tête. Jamais la sorcière ne s'était montrée aussi autoritaire, son excitation monta d'un cran encore. Lorsque son amante utilisa ses pouvoirs pour immobiliser ses mains contre le mur, Abby crut défaillir d'envie. En quelques secondes à peine, Mel lui avait faite totalement perdre le contrôle d'elle-même. Elle voulait ses mains partout sur son corps, ses lèvres sur sa peau et moins de vêtements, beaucoup moins de vêtements. La sorcière dût lire dans ses pensées parce qu'elle dégrafa son soutient gorge pour caresser ses seins et agacer ses tétons. Prisonnière, Abby gémit de nouveau, fortement. Les mains de Mel descendirent sur son ventre et ouvrirent sa ceinture avant de déboutonner son pantalon avec des gestes précis et enfiévrés. Lorsqu'elle se glissa dans ses sous-vêtements, entre ses cuisses, l'hybride était déjà au bord de l'orgasme. Elle enroula une jambe autour du corps de son amante, les mouvements de leurs hanches s'accordèrent en rythme. Abby plongea le nez dans le cou de sa compagne, s'imprégnant de son odeur alors que les vagues de plaisir lui faisait complètement perdre la tête, elle gémissait au creux de son oreille jusqu'à crier son nom lorsqu'un orgasme puissant la délivra enfin. Le souffle court, le corps tremblant, Abby s'effondra pratiquement dans les bras de Mel lorsqu'elle la libéra. Elle se réfugia dans son étreinte, pantelante, encore secouée par des frissons de plaisir. La sorcière la berça contre elle, tendrement, jusqu'à ce que sa respiration se calme un peu. Elles partagèrent un long baiser beaucoup plus doux. Puis Mel s'écarta pour appuyer sur le bouton de l'ascenseur, les portes se rouvrirent aussitôt, elle s'engouffra à l'intérieur sous le regard déboussolé d'Abby. Lorsqu'elle se retourna, la sorcière arborait le sourire en coin le plus satisfait que l'hybride lui avait jamais vu. Un clin d'œil arrogant et les portes se refermèrent sur une anglaise qui se tenait toujours au mur.

Macy et Harry remontaient la rue sous l'éclairage nocturne des lampadaires. La nuit était claire et le fond de l'air assez doux. Bras dessus bras dessous, ils partageaient une conversation agréable tout en échangeant parfois quelques baisers fugaces. Ils étaient sortis pour une soirée romantique, restaurant, théâtre et rentraient maintenant à leur rythme. La silhouette du manoir Vera se dessina dans l'ombre de la nuit, les fenêtres éclairés du salon indiquaient que quelqu'un était encore debout, ce qui n'avait rien de surprenant en soit. Harry déverrouilla porte et la tint ouverte pour sa compagne. Il l'aida à se débarrasser de son manteau léger tout en riant de leur dernier échange. Macy posa une main sur son torse.

« Shhh Shhh Shhh… »

L'ancien être de lumière haussa un sourcil surprit, sa compagne lui sourit affectueusement et parla d'une voix basse.

« Regarde, elles se sont endormies… »

Macy lui prit la main et l'entraina à pas de loups dans le salon. Et effectivement, sur le canapé se trouvaient Abby et Mel que le sommeil avait surprises en pleine séance de visionnage. L'hybride était allongée sur le dos en pantalon noir et t-shirt gris clair, servant de matelas à une sorcière qui semblait incroyablement paisible, installée sur le ventre dans une robe aux motifs à carreaux. L'anglaise avait une main dans ses cheveux, une autre accrochée à son bras dans une étreinte qui clamait haut et fort que Mel était sa petite amie. Macy se sentit fondre devant cette image pleine de tendresse, elle récupéra le plaid qui trainait sur le dossier et l'installa sur les deux formes endormies. Le plus surprenant était de voir une Abby aussi détendue, loin de la méfiance habituelle et des conflits internes qui façonnaient ses expressions, l'hybride semblait terriblement innocente et fragile.

Harry sourit doucement, il prit la main de sa compagne et ils éteignirent les lumières en quittant la pièce.

En une seconde la cuisine du manoir Vera s'était vidée de l'effervescence du petit déjeuner. Les conversations bruyantes au milieu des gestes empressés pour essayer de compenser le retard avaient soudain laissé place à un silence presque déstabilisant. L'odeur de toast n'était même pas encore totalement dissipée. L'anglaise fixa le fond de sa tasse de café d'un regard absent, pour une fois, elle n'avait pas rajouté d'alcool dedans.

« Tout va bien Abby ? »

Maggie l'observait depuis sa place assise, elles étaient restées en tête à tête après le départ de tout le monde et la benjamine trainait encore en pyjama.

« Abby ?

-Hmm ? »

L'hybride releva la tête avec surprise.

« Oui ? Tu me parlais ? »

Maggie se redressa légèrement sur sa chaise, elle était intriguée. Elle repoussa l'assiette dans laquelle se trouvait les restes de son petit déjeuner et posa les coudes sur la table.

« Heu oui, je te demandais si tout allait bien.

-Oui ça va, je crois…

-Tu crois ? »

L'hybride l'observa par-dessus sa tasse, pesant visiblement le pour et le contre de la conversation à venir. La benjamine renchérit.

« Tu peux me parler, si tu veux. »

Le silence qui suivit lui fit dire que l'anglaise n'allait pas se confier et pourtant, contre toute attente… Abby reposa sa tasse et prit la parole.

« Je ne sais pas trop ce qui m'arrive en ce moment, je me sens… à côté de la plaque.

-C'est-à-dire ? »

Maggie se releva pour leur resservir un peu de café chaud, elle déposa son assiette dans l'évier en même temps. L'anglaise fronça les sourcils alors qu'elle cherchait à s'expliquer.

« Je n'arrive pas à me concentrer. Par exemple, il m'arrive régulièrement de devoir relire un même document 3 ou 4 fois. Ca ne me ressemble pas du tout. »

La benjamine se réinstalla à table.

« Depuis longtemps ?

-Non, c'est très récent. »

Maggie prit une gorgée de café chaud, elle s'enfonça sur sa chaise et remonta son genou qu'elle entoura de son bras.

« Et tu penses à quelque chose en particulier dans ces cas-là ? »

Abby lui lança un regard en coin et un sourire suffisant.

« Je pense à ta sœur tout le temps en ce moment. »

La benjamine agita la main.

« Wow wow wow ! Ne me donne pas trop de détails !

-C'est toi qui demandes. »

Maggie secoua la tête face à l'assurance satisfaite de son interlocutrice.

« Et quoi d'autre ?

-Une sensation bizarre dans le ventre par moment.

-Comme des papillons ? »

Abby haussa les sourcils de surprise.

« Oui, c'est exactement ça, tu sais ce que c'est ? »

La benjamine faisait face à une évidence fracassante. L'anglaise avait des sentiments profonds pour sa sœur mais elle avait grandi dans un environnement tellement toxique et négatif qu'elle était incapable de le comprendre par elle-même.

« Oui Abby, je sais ce que c'est, tu es amoureuse de Mel. »

L'hybride la fixa pendant un long moment, une expression parfaitement neutre sur le visage. Maggie lui laissa tout le temps dont elle avait besoin pour digérer l'information. L'anglaise finit par secouer la tête, incrédule.

« Non Maggie, tu te trompes. Je tiens beaucoup à Mel et j'ai des sentiments pour elle mais je ne suis pas… amoureuse.

-Tu n'arrives pas à te concentrer parce que tu penses à elle, tu as des papillons dans le ventre, et laisse-moi deviner, ton cœur s'emballe chaque fois que tu la vois et quand elle n'est pas là, le manque te rend nerveuse, tu vérifies ton téléphone toutes les 5 secondes ? »

Abby s'affala sur sa chaise, l'œil rond. Elle releva un regard choqué sur la benjamine qui lui faisait face.

« Je suis amoureuse de Mélanie Vera. »

Maggie lui sourit franchement. La conversation avait quelque chose de surréaliste mais elle lui permettait de mieux comprendre l'anglaise.

« Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire. »

L'expression de pure panique qu'elle vit sur le visage de l'hybride lui fit lever les mains pour calmer le jeu.

« Wow ! Mais tu as le temps pour ça, tu n'es pas obligée de te précipiter. Laisse les choses venir. »

Abby prit une gorgée de café.

« C'est facile à dire pour toi, tu n'as pas besoin de quelqu'un d'autre pour comprendre la nature de tes sentiments.

-Non, mais c'est de Mel dont on parle et je pense qu'elle te comprend mieux que personne. »

Et c'était tellement vrai que la panique reflua quasi instantanément. L'anglaise termina son café et se leva. Elle avait besoin d'un peu de temps pour réfléchir à tout ce qu'elle venait de réaliser et pour savoir ce qu'elle pouvait bien en faire. Elle nettoya sa tasse, toujours perdue dans ses pensées sous le regard bienveillant de la benjamine. Elle se retourna pour lui faire face et récupéra sa veste sur le dossier de la chaise.

« Merci pour la conversation Mags, je vais y aller.

-Quand tu veux Abby. »

Elles se sourirent mutuellement avant que l'hybride ne se dissipe en fumée noire.

[A lire en écoutant « All I Want Is Love » de A Great Big World : track/2crnSJP5BCKAeRBsCLX9Zb?si=de043cbc17c94e0e ]

Elle n'était pas sujette aux insomnies d'ordinaire, pas même quand un démon colonisateur cherchait à la tuer durant son sommeil. Et pourtant, Abby s'était relevée au milieu de la nuit pour s'installer dans le salon. Les lumières tamisées et les rideaux tirés contribuaient au calme de la pièce mais il y avait quelques nouveautés depuis qu'elle était en couple avec Mel. Des documents qui trainaient sur la table basse et le comptoir de la cuisine, une veste oubliée sur le dossier d'un fauteuil, quelques babioles ici ou là qui avaient fait leur apparition et qui témoignaient de la présence d'une autre personne dans sa vie. D'habitude, elle passait le plus clair de son temps au manoir Vera en compagnie de Mel. Mais ce soir, elles étaient restées à l'appartement de l'hybride, sans raison particulière, simplement parce que, parfois, avoir un grand espace pour elles seules, un endroit où il n'y avait pas à partager la salle de bain ou à s'inquiéter que quelqu'un ouvre la porte de la chambre, c'était aussi une bonne chose. Etonnamment, Abby s'était vite habituée à l'effervescence du manoir, pourtant coutumière de la solitude, elle avait découvert que faire partie de quelque chose de plus grand que sa seule personne avait quelque chose d'incroyable. Elle appréciait les petits déjeuners bruyants, les joutes verbales avec Macy, les analyses si pertinentes de Maggie et son inépuisable énergie et par-dessus tout, elle adorait voir Mel en compagnie de ses sœurs. L'affection qu'elles partageaient toutes les trois, leur soutient toujours inconditionnel, en toutes circonstances. La manière dont elles prenaient toujours soin les unes des autres. La plupart du temps, ce n'était que des petites attentions disséminées tout au long de la journée, un sourire, une parole gentille, une caresse sur l'épaule en passant. Abby ne s'en lassait pas et le naturel des échanges continuait de l'émerveiller chaque jour. Plus surprenant encore, elle avait trouvé sa place. Depuis que Maggie avait déclaré lui rajouter une assiette pour le brunch, Abby était là, à part entière. Oh bien sûr, c'était loin d'être parfait, en particulier avec Macy mais peu lui importait, c'était plus que tout ce qu'elle avait eu jusque-là.

Elle récupéra sa tasse et inspira l'odeur de citron qui s'en dégageait. Abby s'était installée dans l'angle de son canapé, un plaid sur ses genoux et un livre qu'elle avait pris pour se donner un peu de consistance parce que bien sûr, elle était trop profondément perdue dans ses pensées pour lire.

« Abby ? »

L'anglaise releva la tête pour jeter un œil en direction du couloir qui menait à la chambre. Mel marchait dans sa direction, les cheveux ébouriffés, les yeux à demi-clos pour se protéger de la lumière pourtant très douce, elle portait un simple t-shirt un peu ample qui lui tombait d'une épaule. Abby sentit la chaleur qui s'installait au creux de ses reins, elle se mordit doucement la lèvre. Etait-il possible d'être à la fois adorable et terriblement sexy ? Mel y arrivait très bien en tout cas.

« Qu'est ce que tu fais là ? Tu as fait un cauchemar ? »

Les palpitations, les papillons dans le ventre, Maggie avait raison, tout y était. Tout comme la joie toujours incrédule de savoir qu'il y avait quelqu'un qui veillait sur elle, jusqu'à s'inquiéter de la qualité de son sommeil. Abby tendit la main pour inviter la sorcière à s'installer contre elle. Elle écarta le plaid et réajusta sa position tandis que sa compagne se blottissait dans ses bras.

« Non, pas de cauchemar. »

Elle câlina tendrement son amante, repoussant quelques mèches de cheveux indisciplinées alors qu'elle savourait les sensations. Tout comme le reste, les câlins n'avaient pas vraiment fait partie de sa vie jusqu'à maintenant et c'était aussi un sentiment dont elle ne se lassait pas.

« Je n'arrivais pas à dormir et j'avais peur de te réveiller à force de bouger.

-Hmm… »

Le soupir grognon qu'elle reçut en réponse la fit sourire, non vraiment, Abby ne s'en lassait pas.

« Mais je note que c'est un échec.

-J'aime pas quand t'es pas là.

-Je suis toujours là. »

Et c'était vrai, depuis le baiser qu'elles avaient partagé dans la chambre de Mel, les deux femmes ne s'étaient plus quittées, pas même pour une nuit. La sorcière s'éclaircit la voix, signe qu'elle commençait à sortir des dernières volutes de sommeil.

« On peut savoir ce qui te tient éveillée ? »

Abby serra doucement son amante contre elle alors que son cœur se mettait à battre encore plus vite et encore plus fort, elle avait peur, un peu, mais il y avait une autre force, beaucoup plus puissante.

« Toi. »

Mel releva un regard bien plus réveillé mais surtout beaucoup plus concerné sur elle.

« Moi ? J'ai fait quelque chose de mal ? »

La sorcière se redressa légèrement. Abby caressa sa joue tendrement, elle secoua la tête alors que les larmes montaient pour border ses yeux noisette.

« Non… »

Mais les tremblements qu'elle pouvait entendre dans sa voix ne devaient pas être très rassurant. Et effectivement, Mel était maintenant alarmée.

« Abby ? Qu'est ce qu'il y a ? Tu sais que tu peux tout me dire. »

Abby eut un sourire débordant d'affection, elle essuya une larme qui avait fini par perler de ses cils.

« Je sais. C'était déjà vrai avant que l'on soit ensemble. »

Mel n'était pas plus rassurée mais elle savait qu'il ne fallait pas pousser l'hybride, qu'elle devait se montrer patiente et attendre que les mots viennent d'eux même. Et en la matière, Abby mettait souvent sa patience à rude épreuve. L'anglaise prit une inspiration tremblante.

« C'est juste que… »

Elle essuya une autre larme sous le regard inquiet de son amante qui était à deux doigts de paniquer. Abby ressentit le besoin de la rassurer aussi vite que possible.

« Ce sont des larmes de joie, Sweetheart. »

Abby haussa légèrement les épaules et prit une nouvelle longue inspiration. Mel se pencha pour l'embrasser tendrement, tout doucement et c'était peut-être exactement tout ce dont elle avait besoin. Elle se noya dans le regard chocolat lorsqu'elles se séparèrent. Son émotion était contagieuse parce qu'elle pouvait voir quelques larmes dans les yeux de la sorcière.

« Toute ma vie, on m'a dit que je n'étais pas digne d'être aimée. Que personne ne voudrait de moi, jamais. Que j'étais… une monstruosité qui n'avait même pas sa place sur Terre. Et j'y ai cru, pendant longtemps, une partie de moi y croit toujours. Je m'étais persuadée que l'amour n'était qu'un mensonge pour manipuler les foules. Que des valeurs comme l'amitié, la bienveillance, la générosité n'étaient destinés qu'à asservir les plus faibles. »

La sorcière avait très envie de protester, mais elle laissait Abby poursuivre sans l'interrompre. C'était bien plus qu'une larme ou deux qui roulaient maintenant sur ses joues, mais l'anglaise arborait cet étrange sourire.

« Je pensais que je n'étais pas capable d'aimer. »

Une autre respiration tremblante alors qu'Abby faisait de son mieux pour contrôler ses émotions.

« Et puis je t'ai rencontrée. »

Elle sourit à sa compagne par-dessus ses larmes.

« Et pas seulement toi mais, tes sœurs et le lien que vous partagez, tout ce qui fait que vous êtes-vous. Et tout ce dont je me suis toujours moquée parce que j'étais si désespérée d'avoir la même chose. »

Abby secoua la tête, elle se rendait compte que son discours était un peu décousu. Son regard se posa sur leurs mains jointes et la légère caresse du pouce de Mel sur sa peau comme soutient silencieux alors qu'elle lui laissait le temps de s'exprimer à son rythme.

« Et Maggie a sorti une assiette pour moi au brunch et sans son aide, je n'aurais pas réalisé. »

L'hybride buttait sur les derniers mots, comme si elle avait couru un marathon et qu'elle était maintenant incapable de franchir la ligne d'arrivée. Elle sentit le doux contact de la main de son amante sur sa joue.

« Pas réalisé quoi, Abby ? »

L'anglaise releva un regard plein d'incertitude sur sa compagne. Son cœur battait comme un sourd.

« Que je t'aime, Mel. »

La sorcière prit une brève inspiration et retint son souffle alors qu'elles se noyaient dans le regard l'une de l'autre. A son tour, les larmes se mirent à dévaler ses joues. Et puis ses poumons se souvinrent comment respirer et Mel franchit la courte distance qui les séparait pour embrasser longuement Abby. Un baiser qui voulait tout dire et duquel irradiait toute la force de leurs sentiments, un baiser qui avait le goût du sel de leurs larmes. Lorsqu'elles se séparèrent à bout de souffle, l'hybride encadra le visage de la sorcière de ses mains.

« Avant que tu ne dises quoique ce soit, je n'ai pas besoin que tu répondes. Ma déclaration n'appelle aucune réponse, vraiment. C'est déjà…

-Je t'aime, Abby. »

Mais la réponse était là, elle était solide, concrète. Et l'anglaise avait bien du mal à réaliser ce que sa compagne venait de lui dire. Mel déposa un baiser aussi léger qu'une plume sur ses lèvres.

« Je t'aime. »

Un sourire, un autre baiser.

« Je t'aime. »

Les mots, leurs sens, le pouvoir dont ils disposaient, Mel mettait un point d'honneur à ce qu'ils s'imprègnent correctement dans l'esprit de sa compagne, à ce qu'ils franchissent toutes ses insécurités pour mieux la toucher. Lorsqu'Abby l'enlaça pour la serrer contre elle, la sorcière sut qu'elle avait réussi. Elles firent l'amour cette nuit-là, longuement, différemment, parce que la révélation de leurs sentiments respectifs offrait un éclairage tout autre sur leur intimité.

Elles étaient toujours dans le salon au petit matin, alors qu'un soleil timide filtrait au travers des rideaux. Lovées l'une contre l'autre sous le plaid, dans la chaleur de leurs corps, leurs doigts s'emmêlaient et se démêlaient dans un ballet paresseux. Abby se sentait glisser doucement vers un sommeil bienvenu lorsque la voix de Mel lui fit rouvrir les yeux.

« Donc… C'est grâce à ma sœur que tu as compris que tu étais amoureuse de moi ?

-C'est vraiment tout ce que tu as retenu ? »

La sorcière rit doucement, elle déposa un baiser sur l'épaule de l'hybride.

« Je suis juste contente que Maggie prenne soin de toi aussi, et que tu te sois un peu confiée à elle. »

Abby esquissa un sourire.

« Très bien, très bien, Madame Parfaite, je lui ferai livrer un cadeau pour la remercier.

-Tsss… Ce n'est pas ce que je voulais dire.

-Tu connais ses préférences en matière de sextoys ?

-Abby !

-Trop personnel ? Un équipement BDSM alors ? Sauf si elle est déjà équipée bien sûr…

-Abby… »

L'hybride rit doucement, elle adorait ce genre de petit jeu et malgré sa propre insécurité, elle était maintenant convaincue qu'il y aurait encore beaucoup de matinée comme celle-ci. Elle resserra son étreinte et se blottit davantage encore contre le corps de Mel. Doucement, le sommeil vint la cueillir, la laissant avec ce léger sourire incrédule.