Solaris a très mal dormi. Quand ce n'était pas le froid, qui la réveillait, s'était le mal du pays ou les ronflements d'Alix. Réveillée toutes les deux heures, elle se tourne et se retourne dans le lit qui lui a été aménagé. Lorsqu'Alix finit par se lever, le soleil filtre à travers les rideaux et Sol se redresse pour s'assoir quand son hôte quitte la pièce. Elle attrape son téléphone et l'allume. Il est neuf heures et demi seulement. Sol frotte ses yeux en baillant. Elle se redresse et finit par sortir timidement de la chambre. Elle n'a pas encore fait le tour de l'appartement mais se contente de suivre les éclats de voix pour rejoindre la spacieuse cuisine de l'appartement. Une table, juste devant la fenêtre, est baignée de lumière. Alix est assis sur une chaise, ses deux jambes rassemblées près de son torse. Face à elle, Anton, son père, boit un café en lisant le journal. Le père d'Alix est entrain de faire des pancakes en chantonnant.

« Bonjour, mon soleil. » les yeux d'Anton ne quitte pas le journal mais il sourit avec tendresse et Sola lui sourit elle aussi.

« Bonjour ! » elle est fatiguée mais, malgré tout, enjouée.

« b'jour » marmonne Alix en bayant et son père lui fait écho, avec plus d'entrain.

« Tu as bien dormi ? » demande Anton et Sol hoche la tête, alors qu'il reprend « assieds-toi, n'hésite pas, j'ai bientôt fini les pancakes, j'espère que tu as faim ! »

« Merci, oui. » répond-t-elle en s'asseyant entre son père et Alix. La jeune adolescente daigne finalement la regarder et pousse vers elle une bouteille de jus d'orange sans un mot. Solaris la remercie.

Très vite, ils se retrouvent tous les quatre autour de la table de la cuisine, dégustant un délicieux petit déjeuner, très différent de ceux qu'elle prenait en Egypte malgré tout.

« J'ai appelé le directeur de Françoise Dupont, tu es inscrite dans la même classe qu'Alix. On a fait des photocopies de ses cours et je t'ai mis des cahiers et un classeur de côté. Ton père m'a dit que tu avais déjà une trousse. »

Sol hoche la tête.

« Oui, merci beaucoup. »

« On commence par français, demain. » la voix trainante d'Alix est à l'opposé de celle de son père.

« J'adore le français. » dit-elle en souriant, hochant la tête. Solaris est plutôt scolaire, elle s'est toujours plongée dans ses études. Alix lui ressemble, sur ce point, même si la jeune adolescente cache cette facette d'elle à ses amis, faisant semblant de ne pas faire ses devoirs tout en révisant, tard le soir.

« Je vais travailler aux archives avec Alim, cet après-midi, il va les faire ouvrir pour moi, n'est-ce pas excitant, mon soleil ? » le père de Solaris ressemble à un petit garçon a qui on a promis une fête d'anniversaire démentiel. Elle le trouve touchant.

« Alix va t'emmener faire une tour dans le musée, cette après-midi, n'est-ce pas ma fille ? » Alim tourne son regard polaire vers la jeune fille. Solaris, qui observe Alix avec attention, voit la mâchoire de l'adolescente se contracter. Elle finit par hocher la tête en détournant le regard, buvant une gorgée de café.

Après le petit déjeuner, Solaris profite du moment qu'Alix passe dans la salle de bain pour faire son lit, ouvrir la fenêtre pour aérer et, finalement, ranger ses affaires dans le dressing. C'est un placard suffisamment profond pour accueillir de nombreuses étagères. Sol peut voir qu'Alix a fait de la place, les propres affaires de la jeune femme, très colorées, sont entassées dans un coin. Les maigres possessions de Sola font pâles figures, à côté. Si ce n'est une robe et un débardeur jaune, il n'y a que du noir, du blanc et du beige. Et elle n'avait certainement pas besoin de toute cette place. Alix finit par sortir de la salle de bain, ses mèches mouillées tombent en cascade sur ses épaules, Sola ne pensait pas qu'elle avait les cheveux aussi longs.

C'est au tour de la blonde d'utiliser la salle de bain. Ayant pris sa douche la veille au soir, elle se contente de se préparer, enfiler un jean noir et un tee-shirt blanc avant de passer une bonne vingtaine de minutes à essayer de se coiffer. Depuis qu'elle s'est coupée les cheveux, sur un coup de tête, elle a toute la peine du monde à les dresser. Elle finit par les plaquer derrière ses oreilles grâce à une bonne dizaine de pinces. Elle se lave ensuite le visage et les dents, applique de la crème, du mascara et du baume à lèvres avant de sortir de la salle de bain. Alix est assise à son bureau, pencher sur ce dernier et Solaris ne souhaite pas la déranger. Elle attrape donc simplement son sac avant de se diriger vers la cuisine. Elle a particulièrement bien aimé la vue qu'offre cette dernière sur la cour du Louvres et après s'être assise à la table, elle sort son carnet à dessin, un crayon à papier, et elle se met à dessiner cette pyramide qui n'a rien à voir avec celles qu'elle connaît si bien. Kookas est assis dans son sac, près d'elle, il l'observe dessiner en silence.

Alim choisit cet instant pour entrer dans la cuisine en sifflant joyeusement et Kookas se fond parmi les coutures noirs du sac.

« Oh, Solaris, je ne t'avais pas vu. Tu dessines ? Je peux voir ? »

Les joues de la jeune fille rougissent. Elle n'aime pas montrer ses dessins et Alim semble le comprendre car il se recule en souriant, gêné.

« Je vais faire la cuisine, j'espère que m'entendre siffler ou jurer parce que je me coupe ou me brûle ne te dérange pas ! »

« Je vais vous aider. » dit-elle immédiatement en se redressant, refermant le carnet au passage. Avant même que Mr Kubdel n'ait le temps de dire quoi que ce soit, elle est à ses côtés, tout sourire, et Alim finit par sourire à son tour en acceptant son aide avec plaisir. Ses enfants n'ont jamais été très enclin à l'aider, à la maison, et cuisiner avec quelqu'un lui rappelle l'époque où sa femme ne cessait d'expérimenter, proposant des plats toujours plus fous les uns que les autres.

Ensemble, ils préparent une quiche, pour le déjeuner. Solaris n'est pas habituée à ce genre de cuisine. La quiche est au four, Alim prépare la cuisine et Solaris met la table lorsque son père émerge de la chambre de Kalil, suivi de près par Alix. Sol sourit en se disant qu'ils ont probablement été attiré par l'odeur alléchante.

Le repas est rythmé par la conversation des deux hommes qui semblent plus bavard l'un que l'autre. Alix reste silencieuse. Solaris peut la voir utiliser son téléphone, sous la table, mais elle ne dit rien, se contentant de picorer son assiette.

Le repas terminé, c'est Anton qui se désigne pour faire la vaisselle. Cette dernière est très rapidement expédiée et les deux hommes quittent l'appartement en parlant histoire. Alix s'enferme dans sa chambre un instant avant d'en ressortir un casque sur la tête et des rollers noirs et verts néons sous le bras.

« Je ne peux pas venir avec toi au musée, j'ai une compétition avec Kim. Je dois le battre si je veux qu'il arrête enfin de défier tout le monde avec ses paris débiles. Toi, tu as juste à entrer par la pyramide. C'est gratuit pour les jeunes, tu verras. »

Submergée par le flot de paroles de la jeune fille et ne comprenant pas la moitié de ce qu'elle vient de dire, Sol se contente d'hocher la tête. Elle ne sait pas qui est ce Kim et encore moins ce qu'elle entend par paris débiles, mais elle ne veut surtout pas être une gêne pour elle. Solaris est une grande fille, elle peut très bien aller faire un tour toute seule, et ce n'est pas comme si on l'envoyait à l'autre bout de la ville.

« Ça marche, pas de soucis, je vais me débrouiller, merci pour les indications, passe une bonne après-midi ! » Solaris sourit et Alix est troublée par la blonde qui lui fait face. Elle vient littéralement de lui faire un faux plan mais elle ne dit rien et se contente non seulement de sourire mais de lui souhaiter une bonne journée également. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez cette fille ? Alix, elle aurait été furieuse, à sa place. Elle se contente d'hausser les épaules en se dirigeant vers la porte.

« Ah ! Je te laisse le double des clés, c'était celle de Kal. » et voilà Alix partie, laissant Sol seule au milieu du salon.

Cette dernière ne sait quoi faire, pendant un instant, mais elle décide finalement de suivre le plan d'Alim et de visiter le Louvres. Elle enfile donc sa paire de basket, attrape son sac et sort. Une fois à l'extérieur du bâtiment, le vent froid de l'hiver vient lui mordre les bras, malgré le soleil qui perce dans le ciel. Elle presse donc le pas vers l'entrée de la pyramide et s'engouffre dans les salles chauffées. Elle patiente un instant dans la file d'attente avant que son tour arrive.

« Bonjour et bienvenue au musée… » une voix morne la salue et Solaris sourit.

« Bonjour ! Un billet s'il vous plait ! » elle est, quant à elle, si enjouée que la personne derrière le comptoir se redresse et étire ses lèvres légèrement.

« Tu as quel âge ? » demande l'agent d'accueil.

« Quatorze ans. »

« Alors c'est gratuit…voici ton billet, et bonne visite ! »

Solaris observe son ticket un instant puis remercie l'agent. Elle attrape un plan, sur le comptoir et quitte l'accueil en cherchant à se repérer. Naturellement, la petite blonde se dirige vers le département des antiquités égyptiennes, comme attirée par ces dernières. Il y a peu de monde, dans les couloirs et Kookas en profite pour sortir du sac de Solaris pour se dégourdir les ailes.

« J'ai hâte de voir ce qui est exposé ici. Il me semble que le département de reliques égyptiennes est relié à celui du Caire, où travaillait ton père, peut-être allons-nous trouver certains miraculous perdus ici ! »

Solaris sourit, elle n'a jamais vu Kookas si excité et ne l'a jamais entendu parlé pendant aussi longtemps, lui qui, d'ordinaire, aime économiser ses mots.

« Ce serait chouette ! Mais je doute qu'on puisse faire quoi que ce soit si c'est le cas… » dit-elle en haussant les épaules.

Ensemble, ils s'arrêtent devant chaque relique, chaque amulette et chaque bijou, les yeux brillants d'espoirs. Assis sur son épaule, Kookas lui murmure à l'oreille l'histoire de ces objets d'un ancien temps. Solaris ne sait pas combien de temps ils passent, ici, mais il y a de moins en moins de monde.

Elle finit cependant par se diriger vers les ailes dédiées à la peinture. Elle se retrouve très vite dans la galerie Médicis, bien décidée à voir, pour la première fois, la Joconde. Elle ne peut cacher sa déception face à ce minuscule tableau qui n'a rien à envier à ses voisins, bien plus spectaculaires. Elle se désintéresse donc très vite de ce tableau si populaire et ses yeux se perdent parmi les immenses œuvres. Les yeux brillants, elle ne sait où regarder tant elle est impressionnée par la technique de Rubens. Ses personnages, ses coups de pinceaux et les couleurs, tout lui donne la chair de poule. Elle a parfois l'impression de regarder des photographies. Elle aime tout particulièrement la façon dont il représente le corps des femmes.

Kookas boude, sur l'épaule de Solaris, caché dans ses cheveux, depuis qu'ils ont quittés les sarcophages antiques. Ensemble, ils continuent de parcourir les salles, les departements et les ailes. Solaris est subjuguée et bouleversée par la beauté des pièces et des œuvres. Elle a toujours été particulièrement touché par l'art, ce dernier coule dans ses veines, comme ils coulaient, jadis, dans celles de sa mère. Elle pourrait passer sa vie entière à apprécier les heures de travail qu'on fournit tous ces artistes.

x.x

Anton et Alim sont assis dans le canapé du salon, un verre de vieux whisky à la main. Ils discutent avec attention des trouvailles qu'ils ont faites durant l'après-midi. Interrompu par la porte d'entrée, Alim se tourne vers le couloir et lève le ton, pour être entendu des nouvelles arrivantes.

« On commençait à s'inquiéter ! Tu as emmené Solaris visiter les jardins, après la fermeture du musée ? » suppose Alim en voyant sa fille apparaître dans l'encadrement de la porte. Il lui suffit de croiser le regard coupable d'Alix pour comprendre que quelque chose ne va pas.

« Hm…Solaris n'est pas avec moi…en fait, on avait prévu de se voir, avec les copains, alors je lui ai dis d'aller toute seule au Louvre, puisque c'est à côté, en plus je le connais par cœur alors… » Elle se donne un air détaché mais sa voix laisse transparaitre malgré toute la culpabilité qui pèse sur son cœur.

« Alix ! » elle baisse les yeux en entendant la déception dans la voix de son père. Anton, lui, a posé son verre et sorti son téléphone de sa poche d'un air préoccupé. Il a beau essayé, le téléphone de Sol ne répond pas.

« Il est dix-neuf heures tout de même. Si elle est allée au musée, elle devrait être de retour, c'est fermé depuis une bonne heure… » Alim réfléchit à haute voix.

Anton se redresse subitement.

« Je vais aller voir si elle n'est pas dehors. Elle a un sens de l'orientation épouvantable et est vite submergée par la nouveauté, surtout lorsqu'il y a beaucoup de bruit…je m'inquiète… »

« Je viens avec toi, si on ne la retrouve pas, j'appellerais le Roger, sa fille est dans la classe d'Alix, et il est dans la police. »

« Je… » Alix tente mais le regard de son père la fait taire immédiatement.

« Reste ici, elle peut revenir d'un instant à l'autre, on s'inquiète sans doute pour rien. »

Alix acquiesce en baissant la tête, coupable. Lorsque son père et Mr Reiss sortent de l'appartement, Alix n'attend pas dix minutes avant de désobéir. Elle ne peut pas rester seule dans l'appartement alors que c'est de sa faute si Solaris s'est probablement perdue. Elle enfile ses rollers, quitte le foyer et s'engouffre dans une aile du musée interdite au public, qi donne directement sur le hall d'entrée. Si Anton Reiss dit que sa fille ne sait pas s'orienter, elle est possiblement entrain de tourner dans le musée depuis des heures. Elle le connaît comme sa poche, elle. Et elle sait également que les agents de sécurités préfèrent bacler leur travail pour rentrer le plus vite possible, surtout le week-end.

La voilà donc qui file dans les salles, slalomant entre les sculptures et dévalant les escaliers. De fines gouttes de sueurs perlent sur son front. Elle n'est pas allée aussi vite lorsqu'elle cherchait à battre Kim.

Elle se retrouve dans l'aile Denon, au premier niveau et ses jambes glissent le long des salles. Elle finit par s'arrêter brusquement en apercevant, assise contre un mur…Solaris, qui ne semble absolument pas s'inquiéter. Posée sur ses genoux, un carnet, elle y dessine avec attention, tout en levant parfois les yeux vers l'œuvre devant elle. Elle a, en arrivant, pu lire Madame Vigée-Le Brun et sa fille, Jeanne-Lucie-Louise, dite Julie. C'est un autoportrait. La tendresse et le naturel qui se dégage du tableau l'ont profondément touchée. La façon dont cette mère sert sa fille contre elle, la douceur des traits de l'enfant, vu à travers le coup de pinceau de sa mère, elle n'a pas pu s'empêcher de vouloir reproduire ce tableau si simple et si puissant à la fois.

Et comme à chaque fois qu'elle dessine, comme à chaque fois qu'elle se laisse totalement allé à son art, Solaris perd la notion du temps. Elle n'a pas remarqué que les salles se vidaient et n'a même pas vu que les lumières s'étaient éteintes, pour la plupart.

Alix s'approche d'elle et regarde par-dessus son épaule, intriguée. Elle reconnait le tableau de Vigée-Le brun, devant lequel elle s'arrête souvent. Il lui rappelle sa mère. Le coup de crayon de solaris lui donne une ambiance différente, bien plus mélancolique.

« Sol ! » Alix finit par appeler la jeune femme qui n'a toujours par remarquer sa présence. La blonde finit par sursauter violement. Ses yeux se posent sur Alix avant de regarder autour d'elle.

« Ton père t'a appelé au moins vingt fois ! Il a peur que tu te sois perdue ou je sais pas. Et toi, t'es juste là entrain de dessiner ! Ça fait une heure et demi que le musée est fermé ! Moi je me suis fait engueuler par mon père à cause de toi ! » La voix d'Alix est dure et saccadée. La jeune adolescente a les bras croisés sur sa poitrine et l'air boudeur, mais en croisant l'air perdue de solaris, elle se radoucit et soupire.

« Heureusement que je suis passée par ici, sinon, tu restais bloquée jusqu'à demain. »

« Merci d'être venue me chercher, Alix… » Solaris murmure, confuse, en laissant tomber son carnet. Alix se penche pour le ramasser.

« Je ne sais pas depuis combien de temps tu es sur ce dessin, mais j'adore. Bon, c'est un peu trop réaliste à mon goût, mais l'expression de la mère, j'adore ! Je t'emmènerais en salle d'art plastique demain, au collège, le prof va t'adorer. »

Solaris rougit, elle n'a jamais vraiment montrer ses dessins à qui que ce soit, et elle n'était pas prête à le faire aujourd'hui, encore moins à une parfaite inconnue. Elle se redresse avec maladresse et Alix attrape sa main, serrant les doigts chauds de solaris contre les siens.

« Allez, on rentre avant que mon père appelle la police, sinon, tu vas avoir le droit à l'officier Roger et à son insupportable fille. Elle est dans notre classe, Sabrina. Horrible, tu verras. »

C'est ensemble qu'elle rentre. Alix skate lentement, pour que Sol puisse la suivre. Une fois à l'appartement, elles se font toutes deux passées un savon mais partage malgré tout un sourire complice. Finalement, peut-être qu'elle arrivera à se faire accepter par sa nouvelle colocataire, se dit Solaris en allant, cette nuit-là, se coucher.

« Mon reveil est à sept heure. D'habitude, je mets dix minutes pour aller au collège, en roller, là, il nous en faudra bien vingt, donc j'espère que tu te presses le matin, parce qu'hors de question que je me lève plus tôt. » Alix annonce avant d'enfiler ses airs pods. Solaris n'a pas le temps de lui souhaiter une bonne nuit…Ce sera peut-être plus compliqué qu'elle le pensait. C'est anxieuse, qu'elle s'endort.