Chapitre 4
Nous arrivâmes devant le grand portail ouvragé qui donnait accès au jardin du château, devant ce portail, resté ouvert, avait été planté un panneau marqué ''Propriété privée, défense d'entrer''. Nous fûmes déçues de ne pas pouvoir visiter les jardins, on avait supposé que le château prendrait un rôle touristique comme c'était souvent le cas. J'avais appris par les documents historiques de la ville que ce château avait été occupé il y avait de ça une centaine d'années par deux frères Roumains qui avaient subitement disparus. On ne savait pas s'ils étaient partis ou s'ils avaient été tués ou enlevés mais aujourd'hui, cela n'avait plus d'importance car ça faisait plusieurs décennie que la vieillesse les avait rattrapés.
« Faisons le tour pour voir s'il y a une autre entrée, décida Mallory.
Je jetai quand même un coup d'œil à ce que je pouvais apercevoir depuis le seuil du jardin. Une grande allée de fines pierres traversait un gazon désormais parfaitement entretenu. Des parterres de fleurs colorées avaient été disposés de manière symétrique autour de l'allée. Face à l'entrée principale du château, se tenait une fontaine agrémentée d'une statue féminine dont je ne pouvais apercevoir tous les détails d'où je me tenais.
Pendant mon examen, les filles étaient déjà parties de leur côté, je courus pour les rejoindre. Nous fîmes toute la moitié de la largeur du domaine et alors que nous atteignîmes l'angle du terrain, le mur géant qui entourait le domaine se perdit au lointain devant nous.
« Le domaine est immense, réalisai-je. Le jardin principal se trouve derrière le château et nous en auront pour au moins deux heures pour faire tout le tour, je doute qu'il y aie une autre entrée.
« Retournons au portail, décida Mallory.
Nous fîmes donc demi-tour et alors que nous étions à mi-chemin, nous vîmes un car arriver. Mallory se mit à courir sans nous en donner la raison, nous la suivîmes dans sa course. Je me demandai alors ce qu'elle mijotait. Avoir Mallory comme amie était une aventure en soi. Le car avait déjà traversé le portail quand nous y arrivâmes. Mallory s'était arrêtée et scrutait l'avancée du car qui s'immobilisa devant le château.
« C'est un car touristique, s'extasia Mallory. Faisons-nous passer pour unes des leurs...ou trois des leurs ?... Peu importe, allons-y !
« Mais, Mallory... tentai-je.
Trop tard, elle était déjà partie. Emy et moi nous nous regardâmes puis, d'un regard, nous nous mîmes d'accord pour la suivre. Nous avions rejoint le groupe qui était descendu du car flanqué du logo de Chicago sans encombre, sans avoir été repérées et bien que réticente au départ, j'avouai que c'était plutôt amusant de se faufiler parmi eux telles des espionnes.
« Bien, nous allons commencer la visite, lança une voix enchanteresse que je supposai appartenir à la guide.
Puis soudain, la situation ne me paraissait plus tout à fait amusante. J'avais l'impression que quelque-chose pressait mon cerveau ou mon esprit. Je pressai ma tempe de ma paume pour faire disparaître la sensation mais cela ne marcha pas, je dus recourir à l'autre main et cela fit effet. Ce n'était pas comme mes maux de tête habituels et je me demandai si ma tumeur ne gagnait pas du terrain bien que cette sensation n'était pas douloureuse. Quelques touristes bougèrent ce qui me permis de voir la guide entre deux épaules, c'était une blonde au physique élancé, elle sourit au groupe avant de se tourner et commença à marcher. Elle avait la peau pâle et les yeux sombres, bruns ou noirs, j'étais trop loin pour le déterminer. Par contre, ce que je déterminai avec précision, c'était ce côté intimidant qu'elle dégageait bien qu'elle était incroyablement belle.
« Hâtons-nous, fit la guide, il va peut-être pleuvoir.
Je levai les yeux vers le ciel pour voir qu'effectivement, les nuages gris menaçaient. Cependant, ce n'était pas ma préoccupation, les minuscules points bourdonnaient contre mon cerveau et je m'inquiétais de la tournure que ma maladie prenait. J'agrippai Emy par le bras et la forçai à ralentir.
« On devrait rentrer, murmurai-je.
« Pourquoi ? On va visiter le château et gratuitement en plus.
« Je ne me sens pas bien, avouai-je.
« Oh, merde, souffla-t-elle.
Elle jeta un œil devant, sans doute à la recherche de Mallory mais je ne la voyais pas, elle était perdue au milieu du groupe.
« Qu'est-ce qu'on fait ? Mallory doit être dans le peloton de tête.
« Tant pis, allons-y, on ne peut pas la laisser seule avec des inconnus.
La guide nous fit passer par une porte latérale du château et je me demandais pourquoi nous n'étions pas passé par l'entrée principale. Après un couloir, nous descendîmes au sous-sol pendant que la guide nous contait l'histoire du château, la sensation dans ma tête était toujours présente, m'empêchant d'écouter, et je réalisai que c'était comme si des petits points minuscules voulaient entrer dans mon esprit.
« Voici la première galerie où sont entreposées certaines œuvres peintes par des artistes reconnus.
La guide nous laissa tous entrer, souriante. La galerie était une unique et immense pièce dont les murs étaient recouverts de tableaux mis sous verre pour les protéger. Les touristes s'étaient répartis autour de la pièce, certains restèrent au centre pour avoir une vue d'ensemble de la salle. Bien que ma curiosité me piquait à vif, je restai auprès d'Emelyne et nous avançâmes sans trop de problème pour rejoindre Mallory dans le coin supérieur gauche de la salle, elle admirait une peinture d'Edvard Munch appelé ''le cri''. Je fixai la toile également, un être humanoïde semblait crier, les deux mains autour de sa tête. Son visage et son corps ondulé rendaient l'œuvre dérangeante. Des murmures de stupéfaction attirèrent notre attention et nous nous retournâmes pour apercevoir d'autres gens entrer dans la salle avec nous. Un autre groupe de touristes, probablement. Ce qui était curieux, cependant, c'était la pâleur de leur peau et la même teinte sombre de leurs yeux chez tous ces hommes et femmes qui venaient d'entrer. Noir profond, semblant absorber la lumière sans la refléter. L'ambiance lourde qui régnait depuis leur entrée était une autre curiosité. Ces personnes dégageaient quelque-chose d'intimidant voire peut-être même d'effrayant tandis que d'autres entrèrent encore. Quelques-uns arboraient la même cape noire que portait Hayden et je supposai donc qu'il ne s'agissait pas de touristes mais des résidents du château. D'une dizaine de résidents initialement, le compte passa rapidement à vingt et l'ambiance devenait carrément mortelle.
Leurs regards étaient voraces et leurs sourires carnassiers, aucun touriste n'osait bouger un seul doigt. Un grondement apparut de quelque-part, ce n'était pas humain, c'était animal, mais ça venait de devant moi, à l'intérieur même de la salle et il n'y avait aucun animal dans la pièce. D'autres grondements suivirent le premier et certains résidents s'étaient comme téléportés contre certains touristes, les autres restés immobiles, commencèrent à avancer comme des chasseurs sachant très bien que leurs proies ne pouvaient pas fuir. Ils jouaient avec nous. Ceux qui s'étaient, pour ainsi dire, téléportés avaient le visage enfoui dans le cou des touristes qui hurlaient de douleur. Me prouvant par la même que ça n'avait rien de sexuel. Ils étaient probablement en train de les mordre sous mon regard ahuri. Une adolescente blonde s'avança près de Mallory et quand elle fut à un mètre, elle lui bondit dessus.
Incapable de bouger tant la scène était horrifique, j'étais également incapable de crier, submergée par la peur parce que ce qui se passait sous mes yeux allait m'arriver. J'étais mourante mais finalement, ce n'était pas ma tumeur qui allait me tuer. Alors que je réalisai que j'étais sur le point de perdre ma vie, mes pensées se focalisèrent sur Tyler, que j'aimais et qui ne saurait peut-être jamais les vraies circonstances de ma mort. Je balayai la salle, repérai deux hommes qui regardaient dans ma direction, dans notre direction à Emy et moi. Un regard à ma gauche, Mallory hurlait de douleur tandis que la petite blonde la mordait à l'épaule, une traînée de sang s'échappait de la morsure et je compris alors ce qu'il se passait. Ils buvaient leur sang. Ces hommes et ses femmes se prenaient pour des vampires. Mon cerveau ne voulait pas admettre qu'ils étaient ça malgré la téléportation que certains avaient utilisée. C'était impossible.
Les deux hommes qui en avaient après Emy et moi s'arrêtèrent à un mètre de distance. Emy cria ''non'' en levant les mains et ce fut leur signal pour nous sauter dessus... et être stoppé par une vitre invisible. Leur choc n'avait fait aucun bruit. Emy et moi étions passées par là tout à l'heure et n'avions rien heurté. Ils pressèrent leurs mains devant eux d'abord avec stupeur en voyant leurs mains se faire arrêter par quelque-chose qui n'était pas là puis avec curiosité et enfin, quand leurs regards tombèrent sur Emelyne, toujours les mains devant elle, paume vers eux, ils furent pris d'une rage et commencèrent à frapper la paroi invisible. Ce fut à ce moment que je le vis. Hayden venait d'entrer dans la pièce, il fronça les sourcils et son nez se plissa deux-trois fois, il balaya la salle du regard et l'arrêta sur moi, comme s'il me cherchait. Sauf que vu son air, il ne s'attendait pas à ce que je sois là et cela sembla l'effrayé. Probablement parce que je venais de découvrir son petit secret. Il n'était pas entré au Chaudron à la recherche d'un verre mais plutôt à celle de sa prochaine victime. Une seconde il était devant la porte, l'autre seconde, il se heurta au mur invisible qu'Emelyne semblait, je ne sais comment, avoir créé.
« Je ne sais pas ce que tu fais, fis-je la voix tremblante, mais continue.
« Je ne sais pas non plus mais je ne vais sûrement pas arrêté, approuva-t-elle.
En regardant Emelyne, mon regard fut attiré par le binôme à quelques pas d'elle. La petite blonde relâcha Mallory qui tomba lourdement au sol. Mon regard suivit le corps, elle ne bougeait plus, ce fut là que je me rendis compte que c'était l'état général de tous les touristes. Mallory sembla avoir été la dernière en vie, hormis Emy et moi. Et la seule chose qui nous protégeait toutes les deux était ce mur invisible que les deux hommes continuaient de frapper. Hayden me fixait, une main posée à plat contre la paroi, semblant rester figer dans un geste de salutations. Il fronçait les sourcils et tentait probablement de savoir ce qu'il se passait.
Les résidents du château étaient repartis pour la plupart, seuls restaient Hayden, les deux hommes en colère, la blonde d'à peine 18 ans qui avait tué mon amie et qui nous regardait avec suffisance et trois autres personnes portant des capes noires, nous regardant avec curiosité pour le brun du milieu et hostilité pour le blond à droite, le brun aux cheveux frisés de gauche sembla nous regarder sans grand intérêt, il regardait simplement pour voir ce qu'il se passait, sans rien de plus.
« Dis à ton amie de me laisser entrer, fit doucement Hayden à mon encontre.
Je secouai la tête et reculai d'un pas, apeurée. Je lançai un nouveau regard à la salle et aux nombreux cadavres qui juchaient le sol, je remarquai que les deux hommes avaient cessé de frapper mais quand mon regard se posa sur Mallory, morte, ce fut là que toute la terreur ressentie jusqu'à présent reflua en moi dans une vague tortueuse, comme si les vannes avaient été ouvertes, comme si je ne réalisai vraiment que maintenant l'horreur à laquelle je venais d'assister. Je reculai, secouant la tête, deux torrents de larmes s'échappaient de mes yeux, je plaçai mes mains contre ma tête, mes doigts s'emmêlant dans mes cheveux et quand je me cognai contre le mur derrière moi, je me laissai glisser au sol et me tournai contre lui comme si je voulais fusionner avec lui afin qu'il me cache. Le mur en pierre lança une vague de froid contre mon bras et ma jambe gauche collée contre lui, mes jambes étaient pliées contre moi, mon visage enfoui dans mes poings que je serrai avec hargne.
J'avais promis à Tyler d'être là à son retour, c'était désormais impossible. Il ne saura jamais que la tumeur n'aurait rien à voir avec ma mort. Je pensai à ma mère, qui ne savait rien de mon mal et la pensée que j'avais bien fait de ne pas le lui dire me traversa.
« Jane, fit Aro finalement.
Emelyne se mit à hurler, je supposai qu'ils avaient réussi à transpercer notre protection et qu'elle venait d'être mordue, je ne relevai pas la tête pour vérifier, je ne voulais plus rien voir. Une main glaciale empoigna ma nuque et je ressenti à nouveau les points vouloir entrer dans mon esprit.
« Dors, souffla la voix d'Hayden.
Les points trouvèrent un passage et ma vision s'obscurcit.
J'étais de nouveau dans la salle, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Les touristes étaient de nouveau en vie et je me demandai si tout cela n'avait été qu'un sinistre rêve. Un regard à mes côtés me fit pousser un soupir de soulagement, Emy et Mallory étaient en vie mais quand je regardais en arrière, je vis la guide faire entrer les derniers touristes. À mes côtés, Emelyne et Mallory regardaient toujours la peinture de Munch avec attention. Il fallait s'en aller, maintenant !
« Il faut partir ! Leur hurlai-je.
Elles ne bougèrent pas. Je me plaçai devant Mallory puisqu'elle était la seule de nous trois à avoir succombé aux monstres, dans ce rêve prémonitoire que j'avais eu, je la secouai par les épaules.
« Il faut partir Mallory.
Elle ne me répondit pas, elle continuait de regarder les peintures par dessus mon épaule. Je secouai Emelyne qui n'eut pas plus de réactions. Les monstres arrivèrent et la blonde se jeta sur Mallory, la tuant sur le champ. Je criai et me retrouvai projetée dans une chambre. J'étais dans un lit, en sueur, assise sous une couverture, j'avais du mal à respirer, je serrai mes bras contre ma poitrine en paniquant. Ma respiration était erratique et mon rythme cardiaque était si rapide que je le sentais battre contre ma cage thoracique. Ma vue devenait sombre parce que je n'arrivais pas à prendre suffisamment d'oxygène. J'entendis plus que je ne vis la porte s'ouvrir et quelqu'un s'assit sur mon lit.
« Tamsyn, calme-toi, me supplia Emelyne. Calme-toi.
Elle fit passer ses mains contre mes bras nus puisque je ne portais qu'un t-shirt et les frotta de haut en bas pour me rassurer.
« Respire, prends une inspiration à fond.
Je lui lançai un regard apeuré, je la voyais flou à cause des larmes qui affluaient sans discontinuer. Emy me força à décoller mes bras de ma poitrine et ma cage thoracique put prendre plus d'ampleur. J'essayai de rendre ma respiration moins saccadée et ne réussis qu'après quelques minutes. J'examinai mon amie, cherchant une blessure ou la moindre trace d'une morsure, ne voyant rien, je fixai mes yeux aux siens.
« Il faut partir, il faut partir, réussis-je à sortir de ma bouche. Où est Mallory ?
« Tamsyn... souffla-t-elle.
« Il faut partir de cette salle, tout le monde doit sortir, paniquai-je. Ils vont nous tuer. Il faut faire sortir Mallory. Sauve-la, sauve-la elle plutôt que moi.
Elle m'obligea à poser ma tête contre son épaule.
« Je suis désolée Tammy, ce n'est pas possible.
« Ça va bientôt arriver, m'affolai-je, tendant tous mes muscles.
« Non, c'est déjà arrivé, Tammy.
Je suffoquai et m'éloignai de mon amie, le regard effaré tandis qu'elle aussi, pleurait.
« Tu mens, lâchai-je d'une voix faible.
Mais au fond de moi, je savais, je comprenais qu'elle avait dit vrai parce que nous n'étions plus dans cette salle.
« Je suis désolée, je n'ai rien pu faire, je ne sais pas comment j'ai créé ce truc là, qui les empêchait de nous atteindre.
« Tu es peut-être une sorcière, avançai-je. On est à Salem.
« Je pensais que tu ne croyais pas aux contes de fées.
« Comment fais-tu pour ne pas t'effondrer ? Lui demandai-je. J'ai l'impression que je vais mourir et pas parce que je suis effectivement mourante.
« Hayden m'a offert un choix, m'expliqua-t-elle.
« Hayden est un monstre, réalisai-je.
« C'est un vampire, me révéla-t-elle, ainsi que tous les Volturi.
J'enregistrai l'information avec une certaine difficulté, mon cerveau ne voulait pas l'admettre scientifiquement mais ce que j'avais vu... tout ça le prouvait. Il me fallait me rendre à l'évidence, les vampires existaient... les monstres existaient.
« Ils ont tué Mallory... et tous ces gens.
« Je sais, murmura-t-elle.
« Quel choix t'a-t-il offert ?
« Me laisser ressentir le deuil durant tout le processus, aussi long et pénible que ce soit ou manipuler mon esprit pour que j'en arrive directement à la phase d'acceptation, pour que ce soit moins douloureux. J'ai choisi l'option de facilité, avoua-t-elle, coupable. Je sais, je suis lâche.
« Manipuler ton esprit ? M'effarai-je. Comment ça ? Comment pourrait-il seulement faire ça ?
« Certains vampires ont des dons qu'ils ont eu ou pas avant leur transformation, quand ils étaient humains. Et d'après ce que j'ai pu faire et ce qu'Aro a dit, j'en possède un aussi.
Des dons... Hayden m'avait parlé de ça. ''Ce qu'Aro a dit'', elle avait parlé à un autre vampire qu'Hayden.
« Qui est Aro ?
« L'un des rois des vampires, il veut me transformer.
J'écarquillai les yeux.
« Quoi ? Tu... non !
« Lui aussi, m'a laissé un choix, dit-elle en haussant les épaules. La transformation ou la mort et comme il ne sait pas si tu posséderas un don ou non, si je meurs, tu meurs aussi.
« Je meurs dans tous les cas, Emy.
Elle secoua la tête.
« J'ai accepté qu'ils me transforment, s'ils te transforment aussi.
« Non ! Criai-je. Je ne veux pas devenir un monstre.
