Chapitre 5

Quelqu'un frappa à la porte et un homme, ou devrais-je dire, un vampire apparut en ouvrant la porte. Il avait les cheveux courts, blond vénitien et arborait ce qui me semblait être la caractéristique de tout vampire : la peau blafarde et les yeux sombres où la lumière se reflétait en rouge.

« Tamsyn et Emelyne, c'est bien ça ? Demanda-t-il.

Emelyne hocha la tête tandis que je restai pétrifiée.

« Vous allez... nous, euh, boire ?

Son rire cristallin éclata dans la pièce tandis que deux fossettes apparurent de chaque côté de ses lèvres.

« Non, s'amusa-t-il. Nous ne sommes pas des monstres.

Je plissai les yeux. J'avais vu ce que j'avais vu.

« Bon, j'avoue, j'ai entendu la fin de votre conversation, se moqua-t-il. Mais non, nous ''buvons'', comme tu dis, des humains que lorsque cela est nécessaire à notre survie. Une fois par mois, seulement.

« Seulement ? Fis-je, amère.

« Quoiqu'il en soit, je dois vous amener en salle des repas.

Ma respiration se coupa immédiatement.

« Pour votre repas, précisa-t-il devant notre air apeuré.

Il nous envoya un grand sourire, ce qui voulait dire qu'il avait prévu que nous comprenions sa phrase de travers. Nous le suivîmes à travers les couloirs, je tentai de mémoriser les lieux, nous étions passées devant des escaliers qui descendaient, nous étions donc à un des étages du château. Il nous fit entrer dans une salle qui disposait d'une cuisine visiblement récemment installée dans laquelle se trouvait deux tables de quatre.

« Vous mangez ? Demanda Emy au vampire.

« Non, c'est pour les humains qui travailleront pour nous... pour les apparences. Au fait, je m'appelle Demetri, au cas où vous auriez besoin de m'appeler un jour.

« Ça n'arrivera pas, fis-je sèchement.

Il se contenta de me sourire et s'adossa contre le mur.

« Tout est dans le frigo et les placards, indiqua-t-il.

Je n'avais pas faim, aussi refusai-je quand Emy me proposa de manger des pâtes. Elle se fit donc à manger pour elle, ajoutant un steak à son repas. Je m'assis à une table, mes jambes me tenant difficilement. Je passai mes mains sur mes poches et réalisai que mon portable et ma carte bancaire avaient disparu. J'essayai d'imaginer comment j'allais pouvoir m'échapper avec des vampires qui se téléportaient. Emelyne ne semblait pas désespérée par la situation et je supposai que c'était à cause de la manipulation d'Hayden.

Emelyne fit passer les pâtes dans un égouttoir et les versa ensuite dans une assiette où se trouvait déjà son steak. Elle s'installa face à moi tandis que je repensais à Tyler. Il devait être au chevet de sa mère sans se douter un seul instant que j'allais mourir bien plus tôt que prévu. J'aurais voulu pouvoir m'échapper avant de me faire manger et avant que ma tumeur aie ma peau parce que je ne lui avais pas fait mes adieux et je devais l'embrasser au moins une dernière fois. Emelyne mangea un bout de steak ce qui me fit penser à ce que Demetri avait dit, les vampires ne mangeaient pas. Serait-ce son dernier repas ? Comment pouvait-elle accepter de devenir un monstre tueur en série ?

« Pourquoi acceptes-tu de te faire transformer ? Lui demandai-je dans une totale incompréhension.

Emy avala sa bouchée de pâtes avant de me répondre.

« Entre l'immortalité et la mort, tu choisirais la mort, toi ?

« Sans hésiter, répondis-je fermement.

Ma réponse la surprit. Elle ne devrait pas, ça faisait des mois que je me préparais à l'idée de mourir, la tumeur ou les vampires, ça ne changeait pas grand chose, au fond.

« Mais je ne veux pas que tu meurs, s'attrista-t-elle.

Ses yeux devinrent rapidement brillants mais elle retint ses larmes.

« Je ne suis pas prête à te perdre, je ne le supporterai pas.

« Tu demanderas à Hayden de manipuler ton esprit, lui envoyai-je.

Elle ferma la bouche et me lança un regard courroucé. Je ne regrettai pas mes paroles. Je n'arrivais pas à accuser le coup. Mallory était notre plus proche amie, à toutes les deux, même si nous avions perdu contact ces deux dernières années, Mallory était restée Mallory et Emelyne avait choisi de ne pas la pleurer, de ne pas souffrir pour sa perte. Ça me révoltait, Mallory ne méritait pas ça, elle méritait qu'on la pleure, qu'on lui rende hommage, qu'on lui montre qu'elle avait compté.

Demetri m'avait ramenée à ma chambre alors que j'étais sur le point de craquer émotionnellement, Emelyne était partie avec lui, pour qu'il l'emmène dans sa chambre, j'imagine. Ma chambre était d'une taille modeste avec un lit simple collé au mur de droite, une armoire se tenait près de la porte d'entrée à ma droite et une commode était collée contre le mur de gauche où il y avait également une porte. Je l'ouvris et découvris une salle de bain. Aucune porte ne possédant de verrou, je me refusai à utiliser la douche même si j'en avais bien besoin, cependant, je dus me résoudre à utiliser les toilettes en priant pour que personne n'entre.

Après m'être lavé les mains, je m'installai sur le lit, dans l'angle du mur et me mis en position protectrice, mes jambes repliées contre ma poitrine ma tête baissée et mes mains posées sur mes genoux, formant un rempart dans l'espace entre mes genoux et mon front baissé vers eux, je me laissai alors pleurer jusqu'à ne plus avoir de larmes, une fois qu'elles ne coulèrent plus, mon corps ne produisait plus que des sanglots.

Quelques minutes après avoir fini de sangloter, quelqu'un frappa à la porte, elle s'ouvrit sans même que je réponde alors que j'étais toujours dans la même position. J'entendis la porte se refermer et plus aucun bruit ne me parvenait.

« Tamsyn, murmura Hayden à quelques mètres de moi.

Je me tendis, je pensais que la personne était repartie.

« Tu ne veux toujours pas manger ?

Je retirai mes mains et relevai légèrement la tête pour le regarder. Pour un monstre, il avait vraiment l'air inquiet mais je me rappelai qu'il avait été sympathique avant d'apparaître dans la salle des horreurs.

« Tu es un monstre, assénai-je, la voix tremblante.

L'expression de son visage se modifia, il avait l'air... blessé.

« Mallory est morte... ils sont tous morts, murmurai-je.

Je sentais ma tristesse revenir.

« Mallory, couinai-je, les larmes revenant.

Les images revenaient aussi et la panique s'invita de nouveau dans mon esprit. Hayden ne semblait pas savoir quoi faire. Je me pris la tête entre les mains, appuyant dessus pour faire partir la panique, la tristesse et toutes ces choses négatives qui embrumaient mon esprit. Tout ce qui se trouvait dans mon esprit devenait douloureux. Trop douloureux. Et ça ne voulait pas partir alors j'essayai de créer une autre douleur, physique et commençai à me frapper la tête avec les poings mais quelque-chose de glacé s'empara de mes poignets. Je lançai un regard, c'était Hayden qui me maintenait pour m'empêcher de me frapper. La froideur de sa peau était désagréable contre la mienne. Je secouai les mains mais ça ne semblait pas le gêner pour me maintenir.

« Ne lutte pas, m'implora-t-il.

Je n'obéis pas tout de suite mais finis par m'y résoudre. La sensation revint, celle des petits points autour de mon esprit qui tentaient de s'introduire dedans. Je lâchai l'affaire et cessai d'y prêter attention, je les sentis traverser le voile de mon esprit et les mains glacés d'Hayden devinrent chaudes. Il s'assit sur mon lit toujours en maintenant mes poignets.

« Cesse de te frapper, s'il te plaît.

Je hochai la tête et quelques larmes coulèrent. Il lâcha mes poignets et d'une main, essuya les traînées de larmes sur mes joues. Elle était toujours chaude et je réalisai qu'il avait modifié mon esprit pour que je perçoive de lui une température légèrement plus chaude que la mienne. Alors les points minuscules autour de mon esprit était occasionné par son don ? Mais devant le château, il n'était pas là. La guide, compris-je.

« Je suis désolé, murmura-t-il. Vous n'auriez jamais dû vous trouver dans cette salle.

« Et les touristes ? Demandai-je. Ils devaient y être eux ?

Son visage se rembrunit, j'avais ma réponse.

« On est des vampires, Tamsyn, on est obligé de se nourrir de sang.

« Et vous êtes obligé de les tuer ? Grognai-je. Vous pouvez pas juste vous contenter de prendre un peu ?

« Si on ne boit pas tout leur sang, le venin agit sur eux et ils se transforment en vampires. Notre morsure occasionne l'un ou l'autre de ces états, il n'y a pas d'entre-deux.

Je frissonnai, il le remarqua.

« Tu as froid ou tu as peur ?

« J'ai peur.

Il se recula mais resta assis sur le lit.

« Personne ne te fera de mal, m'assura-t-il. Je ne le permettrai pas.

« Pourquoi ? Demandai-je. Je ne suis que votre nourriture, non ? Ou c'est plutôt que je dois être ton repas ?

Il me fusilla du regard, ses mâchoires se contractèrent.

« Finissons-en maintenant, tu n'as qu'à me tuer, là.

Un grondement flippant sortit de sa poitrine mais il ne dit rien et sortit de ma chambre sans se retourner. J'étais volontaire à mourir, il n'avait qu'à se servir, c'était quoi son problème ? C'était pas ce qu'il voulait ? Un repas réservé prêt à se laisser manger ? Je me levai et regardai par la fenêtre. Je ne pourrais pas m'enfuir, pas par là, la chute serait mortelle et bien que ce genre de fuite me paraissait envisageable – j'allais mourir de toute façon – elle n'était pas réalisable, il y avait des barreaux.

Quelqu'un toqua et la porte s'ouvrit sur un Demetri souriant.

« Tu as énervé Hayden, se moqua-t-il avec un sourire narquois. Beaucoup ont failli mourir pour ça, quelques-uns en sont d'ailleurs morts...

Son regard se perdit et il sourit, probablement à un souvenir.

« Pourtant, c'est ce que je lui ai proposé, fis-je avec véhémence. De me tuer.

« Ah, c'est donc pour ça, rit-il. C'est amusant.

« Je ne m'amuse pas beaucoup, lui signalai-je.

« Cesse de t'apitoyer sur ton sort, soupira-t-il. Tu es en vie, non ? Et on ne te maltraite même pas.

Je le fusillai du regard.

« Vous avez tué plein de gens.

« C'est pas notre faute si on est tout en haut de la chaîne alimentaire, se défendit-il. Et puis, un seul humain mange plus d'animaux en deux jours que l'un de nous mange un humain en un mois. Tu ne te sens pas coupable de manger ces petits bœufs ? Et les poulets ? Avec leur petit bec tout mignon ?

« Je suis végétarienne.

Il se figea, réfléchit une seconde puis sourit de nouveau.

« Pareil pour les patates.

Je levai les yeux au ciel.

« En parlant de patates, c'est l'heure de manger.

« J'ai pas faim, refusai-je.

« Et bien, il faudra que tu te forces, j'ai des ordres.

« Des ordres ? Répétai-je.

« Je dois te faire avaler quelques trucs, alors tant pis si tu n'as pas faim, tu vas quand même manger.

Il fit un geste du bras vers la porte, m'invitant à m'y diriger. Je le fusillai du regard et croisai les bras devant moi, lui lançant un regard de défi. Je ne bougerai pas.

« Vraiment, Tamsyn ? S'amusa-t-il en arquant un sourcil. Bien, tu ne me laisses pas le choix. Tu n'oublieras pas ce fait, dans six secondes, mh ?

Avant que j'aie le temps de comprendre, je fus déplacée à vitesse incompréhensible et quand je réalisai que le flou que je voyais était le sol des couloirs et qu'il venait de me déplacer sur son épaule comme un sac à patates, il me lâchait déjà dans la cuisine. Je me retins au plan de travail, le poing devant la bouche et tentai de me retenir de vomir. Ne rien avoir dans le ventre aida bien. Il était debout devant moi, les bras croisé, la tête baissée sur son épaule droite, un sourire goguenard affiché sur le visage.

Je n'avais plus envie de vomir mais un affreux mal de tête venait de se pointer et je grimaçai en collant ma paume contre ma tempe. Il perdit aussitôt son sourire et posa sa main sur mon épaule.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Merde, je suis désolé, j'ai été trop vite ? Ou c'est parce que t'avais la tête à l'envers ? Que dois-je faire ? S'affola-t-il.

Je levai la paume vers lui mais il avait disparu et un gros boom retentit contre le mur opposé d'où j'étais. Le mur s'était fendillé derrière Demetri tandis qu'Hayden le maintenait par le cou en grondant.

« J'avais dit de ne pas lui faire de mal, grogna-t-il.

« T'étais fâché contre elle, y a cinq minutes, répondit simplement Demetri.

Hayden gronda de nouveau.

« Ça va, tu perds toujours ton sens de l'humour quand tu t'énerves. La petite voulait pas bouger de sa chambre, j'ai dû la déplacer moi-même. Ça a eu un effet secondaire sur son visage, il est devenu tout moche. Genre grimace, tu vois ? Non, plus sérieusement, elle a mal à la tête, je crois.

Hayden le relâcha et il se trouva devant moi la seconde suivant, me scrutant, inquiet.

« Ça va passer, c'est pas à cause de lui, c'est pas la première fois.

« Tu as souvent mal à la tête ?

« Ça arrive, éludai-je en haussant les épaules, je ne suis qu'une humaine.

« Tu n'aurais plus de maux de tête si tu devenais un vampire, indiqua-t-il.

Il paraissait désinvolte mais il me fixait attendant mes prochaines paroles.

« Oui, je pense que sacrifier toutes les vies humaines qui me permettront de survivre n'est pas un très lourd tribu de la société face à mon immortalité. Ça vaut le coup ! Et si on leur demandait leur avis ?

« Oh, non, elle va encore plus l'énerver, se lamenta Demetri au bout de la pièce.