Chapitre 6

J'étais de nouveau dans la galerie, avec mes deux amies et les touristes. J'essayai en vain de les faire réagir mais elles s'efforçaient de rester planter devant ''Le cri'' d'Edvard Munch. L'ironie me frappa alors. La créature dessinée sur ce tableau semblait crier comme pour nous prévenir de notre destin funeste mais nous ne l'avions pas entendue, nous ne l'entendions pas. Tout comme mes amies qui ne m'entendaient pas quand je leur criai de s'enfuir. Cette fois, un seul vampire entra dans la salle et s'occupa de mordre les touristes un par un sans prêter attention à mes cris, s'approchant inexorablement de nous au fur et à mesure qu'il faisait tomber ses cadavres. Puis il planta ses crocs dans le cou de Mallory.

De nouveau dans la réalité, je m'étais vivement redressée avec une respiration saccadée, les yeux écarquillés et un mal de gorge persistant. Je remarquai alors Hayden debout dans ma chambre, la porte arrachée gisait au sol, arrachée du mur. Hayden avait une posture hostile et fronçait les sourcils ne comprenant pas ce qu'il se passait.

« Qui t'a attaquée ? Gronda-t-il. Décris-le moi, je vais le tuer.

Quoi ? À mon tour, je fronçai les sourcil. Qu'est-ce qu'il se passe ?

« Je dormais, l'informai-je.

« Tu as crié, plusieurs fois, le temps que j'arrive.

« C'était un cauchemar, expliquai-je. J'ai dû crier à cause de ça.

Il lâcha son air furieux pour un air inquiet.

« Je voudrais bien t'aider mais je suppose que tu ne vas pas me laisser faire, n'est-ce pas ?

« Tu parles de manipuler mon esprit ?

Il hocha la tête.

« Hors de question, Mallory mérite qu'au moins l'une de ses amies se soucie encore d'elle.

« Mais elle est morte, argumenta-t-il.

Je lui lançai un regard assassin, j'étais furieuse.

« Fais au moins semblant d'avoir des sentiments.

« J'en ai ! Contra-t-il en me regardant furieusement.

Il ramassa la porte, essaya de la remettre sur ses gonds mais réalisa que ceux-ci avaient aussi été arrachés, il relâcha la porte, la laissant tomber avec fracas. Le bruit me fit sursauter, il s'en excusa.

Quelque-chose clochait dans ce château. Quelque-chose clochait chez Hayden et Demetri. Ils étaient gentils, réalisai-je, même si Demetri était un brin provocateur. Pourquoi étaient-ils gentils ? Qu'est-ce qu'ils préparaient ? Et où était Emelyne ?

« Où est Emelyne ? Demandai-je.

Il me lança un regard incertain. Je me demandai si leur gentillesse n'était pas à cause d'Emelyne, de ce qu'ils lui auraient fait.

« Vous l'avez transformée ? C'est ça ? C'est ce que vous avez fait ? Elle est un monstre maintenant ?

« Arrête de nous traiter de monstres, fulmina-t-il.

« Si tu n'en étais pas un, tu aurais plus de considération pour la mort de Mallory.

« Je ne la connaissais pas, contra-t-il, je ne lui ai jamais parlé, je ne l'ai même jamais vue vivante.

« C'était mon amie et moi, tu m'as parlé et tu me connais vivante.

« Oui et je me soucie de toi, pas de Mallory.

« Pourquoi ? Demandai-je.

Il ne répondit pas, se contentant de fixer son regard sur la porte comme s'il essayait de manipuler son esprit pour qu'elle se replace toute seule...

« J'aimerai te revoir sourire, m'avoua-t-il d'une voix faible.

« Je ne pense pas que ça arrivera, soupirai-je. Mais on n'a pas toujours ce qu'on veux. J'aurais aimé que rien de tout ça n'arrive, que tout ce que je sache de toi était notre discussion au Chaudron.

Je réalisai alors que je lui avais servi un Bloody Mary et lui avais proposé la balade sur les fantômes et... les vampires. Je comprenais alors pourquoi ça l'avait fait rire. Et peut-être que j'aurais fini par en rire, si j'avais assez de temps devant moi pour me remettre de la mort de Mallory et de la scène affreuse à laquelle j'avais assistée.

« Le deuil ne se fait pas en peu de temps et j'ai peur que le traumatisme de ce jour-là ne devienne pas qu'un vague souvenir mais laisse-toi quelques mois pour t'en remettre.

« Quelques mois, répétai-je. Je n'ai peut-être même pas quelques mois.

« Que veux-tu dire ? S'enquit-il.

Mh, je n'avais pas prévu de parler de ça avec lui. Devais-je lui dire ou me taire ? Non, sûrement pas mais j'avais une autre raison de ma mort prochaine.

« Je vis au milieu de vampires, fis-je en écartant les bras comme si c'était une évidence. Encore heureux que je n'ai affaire qu'à Demetri et toi.

« J'ai formellement interdit aux autres de venir dans cette partie du château, bien sûr, les rois pourraient venir si ça leur chantaient, Alec et Jane aussi mais pour les autres, ils n'ont pas le droit, sauf Demetri, je lui fais une confiance aveugle.

« Jane ? Répétai-je. J'ai entendu son nom, une fois.

Et il n'y avait eu qu'une fille dans cette salle, quand ce nom a été prononcé.

« Ne t'approche pas d'elle, me prévint-il.

« Pourquoi, t'as peur que je lui fasses du mal ? Me moquai-je.

Son regard se fixa sur moi un instant et je crus voir ses lèvres remontées un instant mais si c'était vraiment ce que j'avais vu, il se reprit vite.

« Jane pourrait te faire du mal, juste par pur plaisir. Son don est douloureusement intenable pour un vampire, alors une humaine...

« Je vois... tu n'as toujours pas répondu, pour Emelyne.

Il soupira.

« Non, elle n'est pas encore transformée mais ça ne saurait tarder, Aro s'impatiente.

« Je ne l'ai pas revue depuis hier midi, fis-je déconcertée.

« Elle refuse de te voir, elle ne veut pas me dire pourquoi.

J'accusai le coup. L'option de facilité, toujours, c'était plus simple, moins de souffrances. Je comprenais qu'elle ne veuille pas me voir dépérir au fur et à mesure que la tumeur prenait son emprise sur moi mais ça me faisait mal. Pour se protéger et s'éviter de souffrir, elle me laissais seule dans cette épreuve. C'était d'autant plus douloureux qu'elle était ma meilleure amie. J'avais besoin d'elle, surtout dans ce contexte mais je réalisai qu'elle, elle n'avait peut-être pas autant besoin de moi.

« Je dois aller chercher tes affaires, m'informa Hayden. Et faire croire à ta mère que tu abandonnes tes études pour travailler ici, au château.

J'écarquillai les yeux.

« Quoi ? Pourquoi ?

« On ne s'en prend jamais aux habitants des alentours pour éviter la panique générale mais comme vous vous êtes retrouvées dans ce groupe de touristes, on doit sauver les apparences. Ton amie va bientôt devenir un vampire et tu ne peux pas sortir de ce château vivante.

Je baissai les yeux, mes poings se serrèrent instinctivement, de colère ou pour m'empêcher de pleurer, je ne savais pas vraiment. Il s'approcha et s'assit sur mon lit près de mes pieds, il posa sa main sur mon genou plié, je sentis la légère chaleur de sa paume irradier à travers mon jean.

« Je suis désolé pour Mallory et mon insensibilité à son propos, je n'ai jamais perdu quelqu'un que j'appréciais assez pour pleurer sa mort, pour ainsi dire puisque les vampires ne peuvent plus pleurer.

Je tournai ma tête vers lui et le regardais chercher ses mots.

« Je ne connais le deuil qu'à travers quelques humains que j'ai côtoyé au cours de ma vie mais je ne l'ai jamais vécu, moi-même et je ne sais pas à quoi vous pensez ni ce que vous traversez émotionnellement en dehors de ce que j'ai lu à ce propos. Je sais juste que vous souffrez.

« Tu ne lis pas les pensées ? Vu que tu manipules l'esprit...

« Non, rit-il, je ne suis pas télépathe comme Aro.

« Aro lit mes pensées ? M'effarai-je effrayée.

« Non, me rassura-t-il. Il doit prendre ta main dans les siennes mais il est capable d'avoir accès à tous tes souvenirs, pas uniquement tes pensées présentes.

Réjouissant... mais au moins, personne ne pénétrait l'intimité de mon esprit.

« Mais merci, pour ce que tu as dit juste avant, je comprends mieux pourquoi tu sembles... insensible à propos de Mallory.

Il serra un peu mon genou en réponse.

« Pour ce qui est de tes affaires et de ta mère, je peux aller les chercher seul ou tu peux venir avec moi, pour la voir une dernière fois mais il y a une condition et je ne sais pas si elle te plaira.

« Laquelle ? Demandai-je avec espoir.

Sortir du château, voir ma mère... une dernière fois.

« Il faut que tu me laisses manipuler ton esprit, m'informa-t-il.

Il vit mon regard devenir furieux et ajouta :

« Rien de définitif ni aucune altération fâcheuse, je dois juste faire en sorte que tu ne tentes rien, ni pour fuir ni pour prévenir qui que ce soit de qui nous sommes et du fait que nous te retenons contre ta volonté, ce que je regrette.

« Tu as vraiment l'air de te soucier de moi, remarquai-je.

« Tu en doutes ?

« Tu me retiens prisonnière, lui fis-je remarquer.

Il baissa son regard sur sa main posée sur mon genou et resta un instant silencieux.

« Je te sortirai de là, si je le pouvais, m'avoua-t-il.

« Pourquoi tu ne peux pas ?

« On a des lois, les humains ne doivent pas connaître notre existence, tu es humaine, tu ne peux rester vivante que si tu restes sous notre coupe. C'est la seule solution que j'ai pour te maintenir en vie.

« Me maintenir en vie ? Tu ne veux pas me tuer ?

Il soupira.

« J'aimerai pouvoir te transformer, avoua-t-il, mais tu refuses l'idée même d'y réfléchir alors je te laisse en vie parce qu'en dehors d'être ma prisonnière à vie, tes seuls choix sont la mort ou la transformation.

Je frissonnai. Je n'avais de toute façon aucune perspective d'avenir mais j'avais imaginé seulement vivre une vie normale jusqu'à la fin mais la fin de ma vie sera seulement entre ses quatre murs. Il m'était difficile d'oublier leur existence et encore moins ce à quoi j'avais assisté. À moins que... à moins que j'aie un manipulateur d'esprit sous la main.

« Tu ne peux pas... manipuler mon esprit pour que j'oublie tout ça ?

Il secoua la tête d'un air désolé.

« Je ne peux pas effacer qu'une partie de tes souvenirs, je ne les lis pas, ça me serait difficile d'effacer les bons.

« Que peux-tu faire, alors en dehors d'effacer la totalité des souvenirs ?

« Je peux manipuler ton esprit pour te faire accepter une situation, comme je l'ai fait pour Emelyne, ou la rejeter. Je peux modifier l'information que ton cerveau reçoit, par exemple, je t'ai manipulée pour que tu ne ressentes pas la froideur de ma peau. Je peux t'enlever toute envie de faire quoi que ce soit ou au contraire, te donner envie de quelque-chose ou de faire quelque-chose.

« Tu m'as fait dormir, fis-je en me souvenant de ce moment.

Il hocha la tête.

« Je n'arrive pas toujours à te manipuler, m'avoua-t-il. Je n'y arrive qu'en te touchant, c'est la première fois que quelqu'un m'en empêche.

Je me rappelai que j'avais ressenti la sensation des points contre mon esprit, au Chaudron quand il y était.

« Que voulais-tu faire à mon esprit dans le bar ?

Il me regarda avec surprise.

« Comment sais-tu que j'avais cherché à faire quelque-chose ? S'enquit-il au lieu de répondre.

« Je le sens quand tu utilises ton don sur moi, du moins, c'est ce que j'ai compris quand tu m'as fait sentir ta peau plus chaude. Et je suppose que la guide avait un don mais je savais pas ce qu'elle faisait.

« Je vois, dit-il doucement.

Il sembla réfléchir.

« Tu as peut-être un don toi aussi, alors. Le don de Heidi est l'attraction physique, elle peut rendre n'importe qui amoureux d'elle et les gens peuvent suivre n'importe qui par amour.

Je réfléchis à ce qu'il s'était passé ce jour-là et fut envahie par la peine immense, je la refoulai et gardai dans un coin qu'il ne m'avait pas répondu. Je lui reposerai cette question plus tard.

« Je ne me suis pas sentie amoureuse d'elle, lui appris-je. Je l'ai trouvé extrêmement belle, oui, mais intimidante.

« C'est notre nature qui veut ça, le charme vampirique mais votre instinct de survie se met en route et nous rend intimidant dans le même temps mais votre instinct ne fonctionne pas quand Heidi utilise son pouvoir. Enfin, c'est le cas pour tout humain en dehors de toi.

Ouais, je me souvenais, d'ailleurs mon instinct de survie s'était affolé quand tous ces vampires sont entrés dans la salle. Je les avais tous trouvé intimidants... ainsi qu'Heidi, mais pas Hayden quand il est venu au Chaudron.

« Mon instinct de survie ne marche pas contre toi, avouai-je.

Je regrettai aussitôt ma révélation. Ce n'était peut-être pas très intelligent de lui révéler cette faiblesse.

« Parce qu'il sait que tu n'as rien à craindre de moi, même si tu ne le sais pas, toi-même. Pas encore, tout du moins.

« Tu as dit que tu ne me ferais pas de mal...

Il hocha la tête pour confirmer ses dires.

« Je te crois, soufflai-je.

Il me sourit suite à ça.

« Ne parle à personne de ce que tu sens quand on utilise nos dons sur toi, Aro voudrait te transformer, il n'est pas soucieux de ce que tu penses ni de ce que tu ressens. Il aime s'entourer de pouvoirs, surtout depuis que nous avons dû déménager sur ce continent.

Qu'il veuille m'éviter la transformation alors qu'il m'avait dit avoir voulu me transformer alimenta cette confiance naissante que j'avais pour lui. Il savait que je ne voulais pas devenir comme lui et respectait mon choix en me trouvant une solution qui ne me ferait pas mourir prématurément. Je lui étais reconnaissante, au moins pour ça.