Chapitre 11

Une migraine s'était invitée, j'avais attendu que les cachets fassent leur effet en priant pour que mon téléphone ne se mette pas à sonner. Il ne l'avait pas fait et à présent, la migraine avait été repoussée. J'en profitai donc pour aller dîner.

J'étais en train de remuer les pâtes dans la casserole quand je sentis une présence derrière moi, venue tout d'un coup. Je me retournai vivement, effrayée et découvris Alec, un sourire amusé collé au visage.

« Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur.

Son ton railleur et son sourire indiquaient tout le contraire. Je lui lançai donc le plus suspicieux de mes regards.

« Quelque-chose me dit que tu avais prévu cet effet, rétorquai-je.

Son sourire se fit plus grand, j'avais ma réponse, non pas que j'en doutais. Il pencha la tête en plissant les yeux, comme s'il m'évaluait.

« Ma sœur m'a rapporter votre petite confrontation, m'informa-t-il.

« Pour quelqu'un qui ne voulait pas perdre son temps pour un insecte, fis-je, sardonique. Elle m'accorde trop d'importances, là.

« Elle t'a comparée à un insecte ? S'amusa-t-il. Ma sœur n'aime pas les humains.

« Toi non plus, il paraît.

« Exact, confirma-t-il. Mais toi, ça va, tu es... passable.

Il avait mis un temps pour trouver le terme qui me définissait pour lui.

« Merci pour le compliment, ironisai-je. Très touchant.

Il pouffa et se décala pour voir ce qui se tramait dans ma casserole. Il grimaça à la vue des pâtes submergées par l'eau chaude. Je les mélangeai et les sortis de la casserole pour les égoutter dans l'évier à l'aide de l'ustensile en inox. J'avais préparé l'assiette à côté, Alec se trouvait devant et regardait mes gestes. J'hésitai à lui dire de se pousser puis finalement, décidai de faire comme si de rien n'était et me penchai un peu pour verser les pâtes dans l'assiette. Me rapprochant de lui, je me rendis compte qu'il lui suffisait d'un simple geste pour croquer dans mon cou mais j'étais confiante sur le fait qu'il ne le ferait pas.

Je reposai l'égouttoir dans l'évier et quand je tournai la tête vers mon assiette, je réalisai qu'Alec avait changé de place pour se remettre derrière moi. Je lui fis face et agrippai le rebord du plan de travail à l'endroit où était encastré l'évier et fronçai les sourcils, me demandant ce qu'il préparait. Il dû sentir que je n'étais pas rassurée puisqu'il afficha un sourire sans raison.

« Ma sœur m'a dit que son don n'avait pas fonctionné sur toi, m'apprit-il.

C'était donc là où il voulait en venir.

« Je suis pleine de surprises, confirmai-je.

« Un bouclier ?

« J'en sais rien, dis-je en haussant les épaules. Les rois le pensent. Je détecte quand on utilise un don sur moi et si je pense à autre chose, il peut entrer.

Un pli apparut sur son front pendant qu'il réfléchissait.

« Curieux, admit-il. Puis-je essayer ? Peux-tu me bloquer puis me laisser passer ?

Je lui lançai une grimace, guère envieuse qu'il parte à l'assaut de mon esprit et y fasse quoi que ce soit qu'il soit capable de faire.

« Mon pouvoir n'est pas comme celui de Jane, me rassura-t-il. Il n'est pas douloureux.

« Quels sont vos pouvoirs ? Demandai-je, curieuse.

« Jane provoque une douleur psychique qui fait croire à ton esprit que tout ton corps revit la transformation, ce qui est la pire douleur qui existe dans le monde. Je peux priver les autres de leurs sens.

Ok, ça m'avait pas l'air bien méchant.

« Pas longtemps, promit-il, je suis simplement curieux de comment ton don fonctionne, j'ai croisé un autre bouclier mais... elle ne me laisserait jamais faire. Il ne t'arrivera aucun mal.

« Si c'est pour la science, acceptai-je.

Je sentis des petits points se coller à mon esprit, tout autour, tous les points se mettaient dans les espaces vides pour le recouvrir entièrement, cela se fit rapidement.

« Tu n'as pas l'air affectée, effectivement, dit-il en me scrutant. Attends avant de laisser mon don entrer ou s'activer ou peu importe ce qu'il se passe dans ta petite tête. Ne sous-estime pas l'impact que mon don aura, tout le monde panique sous son emprise, tu sais qu'il ne t'arrivera rien puisque je l'ai promis mais attends-toi à ressentir une certaine peur, tout de même. Pense à lever ton bras pour que je le fasse cesser si tu paniques trop.

Je hochai la tête.

« Quand tu veux, me dit-il.

J'essayai de penser à autre chose que la paroi formée par les millions ou les milliards de petits points mais c'était difficile maintenant qu'il m'avait prévenu que je n'allais pas passer un si bon moment. J'entendis le son, qui ne dura que deux secondes, provenant de mon portable ce qui attira mon attention sur lui en me demandant qui venait de m'envoyer un sms. Les points envahirent alors mon esprit dans son entièreté et je fus coupée de toute la réalité d'un coup. Tous les petits points embrumaient mon esprit et je m'étonnai d'avoir de la place pour penser. Je ne voyais rien, n'entendais rien, je n'avais aucune sensation et réalisai à quel point le cerveau retenait des informations comme la sensation des vêtements sur le corps, la température ambiante, l'air qui nous entourait, le goût de la salive, la sensation qu'elle provoquait dans la bouche, il n'y avait plus rien. Je tentai de passer ma langue contre mon palais mais ne ressentis ni ma langue sur mon palais ni mon palais sur ma langue je ne savais même pas si je l'avais bougée ou non, je tentai de la passer entre mes dents, plus solide mais rien non plus. Je mordis un peu pour voir si la douleur pouvait réveiller quelque-chose mais non. Je n'avais plus l'impression d'avoir un corps et même si j'étais restée calme jusqu'à présent, je me sentais de moins en moins sereine. Et s'il avait menti ? Et s'il était en train de me déplacer pour me torturer dans un endroit où Hayden ne me retrouverait jamais ? Je ne saurais jamais ce qu'il était en train de faire, aussi bien je pouvais avoir un couteau enfoncé dans l'abdomen actuellement... ou des dents acérés dans ma peau.

Les points s'enfuirent de mon esprit et tous mes sens réapparurent progressivement. J'avais la main glacée d'Alec contre mon menton et son index entre mes dents, à la commissure de mes lèvres. Il retira sa main rapidement d'un air contrit.

« Tu allais te mordre la langue, s'expliqua-t-il. Comme tu ne sentais rien, tu aurais pu te la couper en serrant trop fort.

Je hochai la tête et lui souris pour le remercier de m'avoir épargné cet incident.

« Pas trop paniquée ?

« C'était perturbant au départ et un peu flippant ensuite, racontai-je. J'avoue avoir eu peur que tu m'aies menti en me disant que tu n'allais pas me faire de mal, à la fin.

Ce qui entraîna son rire.

« Je n'ai toujours aucune idée de comment ton truc fonctionne, fit-il, dépité. Comment tu sens qu'on utilise nos dons sur toi et comment tu les laisses entrer ?

« Des petits points, minuscules qui agissent autour de mon esprit ou de mon cerveau mais ça me donne l'impression qu'il s'agit de mon esprit. Leur façon d'agir n'est pas toujours la même en fonction du don en question et le don n'agit que quand les points arrivent à entrer dedans, il suffit que je pense à autre chose qu'à eux pour qu'ils entrent.

Alec hocha la tête d'un air satisfait.

« L'autre bouclier ne sentait rien quand on utilisait nos dons sur elle, quand elle était humaine, du moins. Je crois que vampire, elle sentait quelque-chose, difficile à dire. Rien ne s'est passé comme prévu.

Je me détournai pour récupérer des couverts puis mon assiette et m'installai à table pour manger. Alec tira la chaise devant moi et s'y installa, me regardant manger avec un air dégoûté.

« Tu veux dire quoi par ''rien ne s'est passé comme prévu'' ? Lui demandai-je.

« On aurait dû se battre contre un autre clan, dont faisait partie la vampire qui avait un bouclier mais ils avaient une voyante qui a montré ce qui allait se passer à Aro et... il a décidé de laisser tomber.

Donc les clans de vampires se faisaient la guerre ? Comment pouvait-on ne pas se rendre compte qu'ils existaient ? Cela dit, c'était peut-être plus exceptionnel que je le pensais.

« Tu es toujours décidée à ne pas être transformée ? S'enquit-il.

« Toujours, répondis-je. Imagine ! Moi en vampire ? Tu devrais me supporter pour l'éternité, affreux.

Je lui souris avec moquerie.

« Tu serais plus sympa en vampire, contra-t-il en haussant les épaules. Pas grave mais je ferai annuler le chiot, tout de même.

Je lui souris de façon narquoise.

« Juste à cause des tapis, rajouta-t-il devant mon air.

« Alec ? Fit la voix mécontente d'Hayden derrière moi.

Je me tournai et vit Emelyne se tenir derrière lui, lançant un regard apeuré vers Alec avant de me fixer d'un air perdu. Quelque-chose était perturbant. Ses yeux, remarquai-je. Ils avaient perdu leur belle couleur bleue pour un noir intense et leurs reflets étaient rouges, sa peau était également blafarde, faisant davantage ressortir ses tâches de rousseur.

« Son entraînement est terminé ? Demanda Alec.

« Elle contrôle sa soif et maîtrise ses gestes mais elle ne sait pas utiliser son don.

Alec hocha la tête puis se leva, il traversa la distance qui le séparait de la sortie à vitesse humaine en passant à côté d'Hayden, Emelyne se déplaça pour avoir constamment Hayden entre Alec et elle. Quand Alec dépassa l'encadrement de la porte, il se tourna pour lancer un sourire sardonique à Emelyne puis disparut.

Hayden s'adossa contre le plan de travail, à ma droite et me scruta.

« Tu vas bien ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Ou dit ?

« Ça va, il voulait utiliser son don sur moi.

« Quoi ? Réagit-il avec colère.

Il se décolla du plan de travail dans le même temps.

« Hé, calme, je vais bien, non ?

J'écartai les mains, ma fourchette dans l'une d'elle pour lui montrer l'évidence. Il souffla avec force l'air de ses poumons et se tourna vers Emelyne à qui il fit un geste accueillant vers la chaise laissée libre par Alec. Emelyne s'y avança et s'y assit, elle me sourit. Sourire que je lui rendis.

« Tu es bien pâle, tu dois couver quelque-chose, plaisantai-je.

Un rire lui échappa et elle se détendit voyant que je ne la détestais pas.

« Alors, être un vampire te plaît toujours ou tu avais trop idéalisé la chose ? Lui demandai-je.

Emy me sourit. Son côté rêveur et idéaliste la rendait souvent déçue au bout du compte, ça pouvait être le cas ici, aussi.

« Tous mes sens sont accrues, c'est agréable. Par contre, je ne dors plus, je ne savais que je ne dormirai plus, c'est ce qui me manque le plus, ça et la nourriture.

Un frisson me parcourut en l'imaginant mordre un humain, ce qu'elle avait probablement déjà fait.

« J'espère que je pourrais bientôt m'amuser avec mon don, reprit-elle plus enthousiaste.

Je lui souris puis me tournai vers Hayden qui tenait mon téléphone dans les mains, il fixait mon fond d'écran, une photo de Tyler et moi en dessous des icônes d'application.

« Ils te l'ont rendu ? Tu as vu les rois ?

« Ouais, Alec est venu me chercher tout à l'heure pour m'y mener.

« J'aurais voulu être là, se désola-t-il. Je ne voulais pas qu'ils te voient seule.

« Ça n'a pas été si terrible, le rassurai-je.

« Raconte-moi.

Je lui déroulai donc toute la scène avec les rois.

« Aro était toujours trop joyeux, Caïus toujours renfrogné et Marcus avait l'air très triste, conclus-je. Pourquoi Marcus est si maussade ?

« Il a perdu sa compagne, son âme-sœur, me répondit-il.

« C'est récent ?

« Non, ça fait un peu plus de mille ans.

J'écarquillai les yeux. Wow, je savais les vampires immortels mais je n'avais pas réalisé que ça impliquait des vampires millénaires.

« Et il ne s'en est toujours pas remis ? Fis-je avec étonnement.

« On ne se remet jamais de la perte de notre âme-sœur, dit-il gravement, son regard dans le mien.

Je réfléchis à cela en ingurgitant les dernières pâtes qu'il me restait à manger. Je m'imaginai perdre Tyler et cela me serra le cœur de chagrin. Je ne voudrais jamais vivre ça et culpabilisai de devoir le lui faire vivre.

« Ouais, je pense pas que je m'en remettrai si Tyler mourrait.

Ce qui ne parut pas l'enchanter non plus.

« Ils deviennent indéfiniment dépressifs, du coup ?

« Je ne connais que Marcus dans ce cas. J'ai eu vent d'une vampire qui s'est enfoncé dans la vengeance suite à la perte de son compagnon et d'un qui est venu demander à mon clan de le tuer parce qu'il croyait avoir perdu sa compagne, celui-là même qui avait tué le compagnon de la vampire vengeresse. Ce sont des bruits de couloir que j'ai entendus.

« Je n'ai rien manqué ! S'exclama Demetri qui me fit sursauter.

Je me tournai pour lui montrer mon mécontentement, il me sourit.

« Je ne voulais pas rater le moment tant attendu où Emelyne se jettent sur Tamsyn, sauvée in-extremis par ses chevaliers servants.

Il fit un geste vers Hayden et lui-même tandis qu'un grondement surgit, je jetai un œil à Hayden qui se tenait simplement l'arête du nez, en plein désespoir. Je me tournai alors vers Emy qui regardait Demetri furieusement avant de se calmer.

« Pardon, s'excusa-t-elle. J'ai les émotions à fleur de peau mais ta blague n'était pas drôle.

« C'est normal, la rassura-t-il. Ça devrait bientôt se calmer. Mais... qui te dit que c'était une blague ?

Il affichait un air tout à fait sérieux mais finit par lâcher un sourire amusé. Il vola le portable qu'Hayden tenait toujours dans les mains et regarda le fond d'écran.

« Tamsyn, qui est cet homme collé à toi ? S'effara-t-il.

Ce qui lui valut un regard furieux d'Hayden.

« Tyler, lui appris-je. Mais je suppose que tu le sais parfaitement, arrête d'asticoter Hayden, c'est toi qui l'énerve, là.

Demetri me sourit et posa mon téléphone à côté de mon assiette. Je vérifiai le dernier sms reçu puisque j'en avais reçu un tout à l'heure, c'était Audric qui avait répondu à un message que je lui avais envoyé plus tôt. J'avais dû lui expliquer pourquoi ce n'était pas moi qui lui avait déposé ma démission.

« C'était pas trop flippant, d'être face aux rois ?

« Si, avouai-je. Aro est le plus flippant, je trouve.

« Pas Caïus ? S'étonna Demetri.

Je haussai les épaules.

« Non, Aro était trop joyeux pour être honnête, expliquai-je. Puis Caïus ne m'a jamais adressé la parole.

« Oh, tu ne l'as donc pas suffisamment agacé, une première.

« Marcus est trop triste pour paraître dangereux, continuai-je, quelqu'un devrait lui faire un câlin.

L'idée amusa les deux Volturi.

« Je me dévouerai bien mais je préfère que mon sang reste dans mes veines.

Demetri rit ouvertement face à ce que je venais de dire.

« Je comprends, assura-t-il une fois son rire calmé. Qui t'a menée aux rois ?

« Alec.

Il grimaça en inspirant l'air comme s'il craignait que ça aie été épouvantable.

« Il n'a pas été méchant, le défendis-je.

Demetri parut surpris par cette révélation.

« Pas d'intimidation ? S'enquit-il

« Nope, souris-je.

« Il y a toujours cette histoire de chiot ? J'ai entendu ça en arrivant, avança Hayden, c'est devenu une blague entre vous ?

« Ouais, ris-je.

« Je préfère ça, admit-il, plutôt qu'il soit... lui.

Je me tournai vers Emy, trop longtemps laissée de côté mais ravalai ma question en la voyant me regarder comme si j'avais fait quelque-chose de mal. Elle m'en voulait, visiblement.