Chapitre 15
Je réalisai que j'avais changé de lieu qu'en y arrivant. Hayden me reposa sur mes pieds et continua de me tenir jusqu'à être sûr que je tienne debout. J'avais envie de vomir tout mon petit-déjeuner et j'essayai de me contenir, ne voulant pas gâcher ce repas. La migraine courrait toujours mais était moins intense, je la calmai en posant ma main contre ma tête tout en fermant les yeux.
« Prends ça, me dit Hayden.
J'ouvris les yeux et réalisai qu'il ne m'avait pas amenée dans ma chambre. La pièce était vide de tout meuble et il n'y avait pas de fenêtre contre le mur. Je pris les comprimés qu'il me tendait et la bouteille et les avalai tout en me demandant quand est-ce qu'il avait eu le temps de les récupérer. Je fis un pas vers lui prête à me justifier mais il recula alors je me stoppai et le regardai en face pour la première fois depuis qu'il m'avait amenée ici. Il était en colère, les muscles de son visage faisaient des soubresauts, il se contenait pour ne pas exploser.
« Je suis désolée, m'excusai-je.
« Tu comptais me le dire ?
Je fermai la bouche.
« Tu comptais me le dire ou pas ? Répéta-t-il d'une voix plus ferme.
« Oui, répondis-je, peu à l'aise.
« Quand exactement ? Gronda-t-il.
« Les derniers jours, je t'en prie, ne sois pas en colère.
« Comment veux-tu que je ne le sois pas ? Tu es mourante !
« Je ne voulais pas que tu prennes pitié de moi, j'ai accepté le fait que j'allais mourir, ça ne me fait pas peur, je ne voulais pas que le temps qu'il me restait soit rempli d'apitoiements de ta part ou de celle de Demetri.
« Tu n'as aucune idée de comment je me sens, maintenant, ragea-t-il.
Je baissai le regard et me tournai légèrement quand je remarquai les grilles derrière moi. Je n'étais pas dans une pièce vide, j'étais dans un cachot. La porte était cependant restée ouverte. Je me tournai vers lui, emportée par une colère froide.
« Et tu me punis en me mettant au cachot ? Tu n'as aucun droit de faire ça, fulminai-je.
Je me tournai pour sortir de là mais il apparut aussitôt sous l'ouverture de la grille, toujours en colère et absolument pas désolé de vouloir m'enfermer.
« Ce n'est pas une punition, je regrette ce que je vais faire mais crois-moi, je n'ai pas le choix.
Il me laissa le temps d'appréhender sa phrase et avant même que je ne réalise ce que ça impliquait, ses crocs étaient dans mon cou. Plantés dans ma peau. Il se recula alors qu'une brûlure atroce partait de sa morsure, je posai ma main contre mon cou, où il avait mordu, je sentis le sang en couler. Son air colérique s'était changé en quelque-chose de douloureux tandis que je hurlai, mon visage était probablement modifié à tout jamais par une horrible grimace. Je m'écroulai au sol tandis que la brûlure se répandait dans mon système nerveux. Ça faisait si mal que je ne ressentis pas le choc de ma chute. Tout mon corps n'était que souffrances. Je me demandais s'il ne m'avait pas simplement tuée de lui-même parce que j'étais en enfer, actuellement.
Rien n'était égal à ce que je ressentais, à la douleur qui me vrillait l'esprit. Je pensais réellement être morte et en enfer, ma fin était arrivée plus tôt que je l'avais prévue.
« Tiens le coup, ma belle.
Quelqu'un parlait, quelque-part.
« Je n'avais pas le choix.
La phrase me rappela la dernière qu'Hayden avait prononcé. Et alors je réalisai, je me transformai en vampire. Combien de temps ça durait déjà ? Impossible de me rappeler. J'avais du mal à penser avec cette douleur atroce. Je regrettai presque les migraines de la tumeur.
« Focalises-toi sur autre chose que la douleur, entendis-je comme si la personne était loin. Quelque-chose que tu aimes. Penses... à Emelyne, à ta mère.
J'étais persuadée que j'étais en train de crier mais je n'entendais pas mes cris. J'essayai de m'accrocher à quelque-chose. N'importe quoi qui me permettrait de supporter la douleur atroce. Tyler. L'image de Tyler s'était faufilée quelque-part au milieu de la souffrance. Je m'accrochai à lui, à mon amour pour lui, à son amour pour moi, parce qu'il m'aimait toujours, je n'avais pas de doute la dessus. Tyler, Tyler, Tyler. J'essayai de me rappeler nos moments ensemble. Tyler. Je l'aime. Notre rencontre, son sourire quand il m'avait demandé son chemin à l'université. Il m'aime. Plus tard, il m'avait avoué que c'était une excuse pour me parler. Tyler, Tyler, Tyler.
J'ignorai combien de temps s'était passé, la douleur n'avait pas changé d'un pouce, elle n'avait aucunement faibli et je doutai qu'elle puisse s'intensifier davantage, c'était impossible que quelque-chose de plus douloureux existe. Mon cœur battait à tout rompre dans ma cage thoracique, j'avais l'impression qu'il pouvait lâcher à tout moment. Tyler. Il m'aime.
Je ne supportai plus, je n'en pouvais plus. Tyler. Je l'aime. M'accrocher à Tyler n'allait pas être suffisant, n'était pas suffisant. J'ouvris les yeux et ne voyais qu'une forme floue au-dessus de moi mais pas tout à fait. Une autre forme floue attira mon attention, elle venait d'arriver ou peut-être était-elle là depuis longtemps ?
Puis soudain, tout s'arrêta. Tout. Je ne ressentais plus aucune douleur. Je rouvris les yeux mais cela ne changea rien, le noir était total. Je n'entendais toujours rien et rien ne me parvenait de mon corps. Alec, réalisai-je. Je me rendis alors compte des points qui envahissaient alors mon esprit, je ne les avais pas senti arriver. Je profitai de ne plus être qu'un esprit au milieu de rien, redoutant le moment où la douleur reviendrait. C'était ce qui m'effrayait le plus, bien plus que de devenir un vampire. Je tuerai n'importe qui si ça me permettait de ne plus jamais la ressentir.
Hayden m'avait transformée, il m'avait menti, il m'avait trahie. Je ne pourrais jamais lui pardonner ça. Comment le pourrais-je ? Je n'allais pas mourir, réalisai-je. J'essayai d'appréhender l'idée de ne pas mourir, de ne jamais mourir et cela m'effraya. Avoir une vie éternelle m'effrayait plus que mourir. J'avais accepté ma mort, je n'avais pas accepté d'être en vie éternellement.
Je pensais à Tyler, c'était l'amour de ma vie. Le seul, mon grand amour. Je n'allais pas mourir, il pouvait toujours me récupérer. J'aviserai pour trouver une solution pour expliquer mes changements physiques. Je mis un temps avant de trouver la réponse idéale. Un nouveau traitement thérapeutique, encore en essai. Peu de gens auraient la possibilité d'y avoir recourt. Et voilà, une Tamsyn toute neuve. Tueuse en série... mais neuve.
J'allais devoir me nourrir de sang, l'idée me révulsa mais je n'avais plus le choix. Hayden m'avait volé ce choix. Il me l'avait offert puis me l'avait repris. Je me laissai transporter dans ce rien, essayant de penser à rien, surtout pas à la douleur qui pourrait revenir.
J'ignorai combien de temps était passé quand je sentis progressivement mon corps revenir à mon esprit. J'entendis de l'air s'expulser de quelque-chose et s'infiltrer ensuite puis encore. Dehors, dedans, dehors, dedans... la ventilation ? La clim ? Peut-être une respiration ? Des tam-tams aussi, badaboom, badaboom, badaboom, c'était régulier et ça se rapprochait.
« Tyler ? Chuchotai-je.
Un bruit métallique, bien plus fort, comme deux barres métalliques qui se cognaient. Clip-clap. Je ne savais pas ce que c'était. Quelque-chose était perturbant. Quelque-chose n'était pas là. Quelque-chose que je ne remarquai jamais vraiment. Mon cœur, l'absence de battement cardiaque se faisait ressentir bien plus que leur présence quand j'étais une humaine. Ma cage thoracique ne se soulevait pas, j'étais morte, alors ? Badaboom, badaboom, badaboom, l'air qui sort et rentre mais cette fois, il y avait deux systèmes de ventilations, les deux n'étaient pas simultanés et n'étaient pas au même rythme. L'un était régulier et calme, l'autre était frénétique et tressautait.
« Réparez-ça, marmonnai-je.
Le tam-tam rapide sauta une note avant de continuer sa cadence expéditive. Comme s'il fallait vite en arriver à la fin de la musique. J'ouvris les yeux d'un coup et réalisai que j'étais toujours là. Pas vraiment morte, pas vraiment en vie. Dans un équilibre entre les deux. Quelque-chose me gênait hormis les ventilations opposées et le tam-tam qui allait bien trop vite. Le plafond était bien trop détaillé pour être naturel mais ce n'était pas ça. Je tournai les yeux et la première chose que je vis fut le visage inquiet d'Hayden au-dessus de moi. Mon dieu, sa peau était parfaite. Je voulus la toucher pour voir si elle serait aussi douce qu'elle était lisse. Ma main fut à mi-chemin bien trop vite mais je l'avais stoppée à mi-parcours. Elle était blafarde, je la tournai pour l'admirer en entier. Le mot ''vampire'' parcourut mon esprit tandis qu'Hayden me regardait silencieux. Hayden était un vampire, était-ce ce que mon esprit voulait que je comprenne ? Je le savais déjà. ''Je suis un vampire'' traversa cette fois. Oh dieu, j'étais un vampire.
« Tamsyn ? Hésita Hayden.
Sa voix grave avait une mélodie que je ne lui connaissais pas mais elle fut un électrochoc. La seconde d'après, mon dos se cogna avec force contre le mur en pierre derrière moi et un bruit sourd fit vibrer ma cage thoracique alors que je me tenais debout face à Hayden. J'étais un monstre. Un vampire. Je ne voulais pas être ça. Le bruit sourd et les vibrations continuaient et je réalisai que ce n'était pas le bruit du choc mais moi qui produisait cela. J'avais le regard fixé sur le corps d'Hayden, me préparant à une autre attaque de sa part. ''Traître'' passa dans mon esprit. Traître ? Pourquoi ? Puis je me rappelai, sa trahison, il m'avait transformée en vampire. C'était pourquoi je m'attendais à une autre attaque. Le bruit sourd devint un grondement, ce qui me surprit et le bruit s'arrêta à ce moment. Je fronçai les sourcils regardant mon corps.
J'essayai de repérer les aérations gênantes mais il n'y avait pas de conduit pour la ventilation ou la clim je jetai un œil à Hayden, sa cage thoracique bougeait au rythme de l'une des deux aérations. Une respiration, donc. Mais où était l'autre ? Et qui jouait du tam-tam ? N'était-il pas fatigué à force ? Hayden se décala et m'offrit la source de cette autre aération et... des battements cardiaques, réalisai-je. Un humain était paniqué dans le coin du cachot, la respiration frénétique et le tam-tam empressé. Les cheveux courts, il avait un tatouage de larme sur le visage, ce que je trouvais curieux. Était-il dépressif et voulait que tout le monde le sache ? Il me manquait quelque-chose de plus gênant que l'absence de mon rythme cardiaque. J'essayai de penser à autre chose parce que j'étais perdue. Tyler. Bien sûr, Tyler. C'était lui qui me manquait le plus. Plus que la chose sur laquelle je n'arrivais pas à mettre le doigt.
« Où est Tyler ? Demandai-je.
Ma voix avait changée, je n'avais pas l'impression que c'était moi qui avait parlé et pourtant, la même intonation, le même timbre mais une mélodie en plus, rendant ma voix parfaite à l'oreille.
« Tyler n'est pas là, répondit Hayden.
Je tournai mon visage pour le mettre sur son torse. Je ne voulais pas le regarder dans les yeux, j'ignorai pourquoi mais je ne voulais pas. Le bruit sourd de ma poitrine revint au moment où je sentis la colère m'envahir bien avant que je comprenne pourquoi j'étais en colère.
« Tamsyn, regarde-moi, m'implora Hayden.
« Je suis en colère, le prévins-je.
Je me sentais prête à l'attaquer, ça me soulagerait.
« Regarde-moi, répéta-t-il.
« Tu m'as trahie, grognai-je.
« Je n'avais pas le choix, répondit-il d'un ton calme.
Ce qui me gênait devint insupportable désormais. C'était quoi bordel ?
« J'avais...
Je ne pus terminer ma phrase, la deuxième syllabe n'avait été que de l'air. Ma voix avait disparue. Je compris ce qui me gênait depuis le début, je ne respirai pas et cela provoquait cette sensation de manque. J'inspirai et mon esprit vrilla totalement obsédée par l'odeur qui se trouvait autour de moi et par ma gorge en feu. Je ne mis pas longtemps avant d'en déceler la provenance. Badaboom, badaboom, le tam-tam propulsait le sang dans le corps de l'humain dans le coin du cachot. Je posai une main sur ma gorge. Le sang, son sang, je le voulais. Je grondai et repris une inspiration, ça allait me rendre folle. Je voulais son sang, bordel. Il n'en avait pas besoin, pas autant que moi.
''Monstre''. Non, non, je ne voulais pas, je n'étais pas un monstre, pas moi. Non. Tyler, où était Tyler ? Le sang, je voulais le sang.
« Je veux le sang, clamai-je.
« Prends-le, m'autorisa Hayden.
''Oui''... non ! Je me laissai glisser contre le mur jusqu'à ce que mes fesses touchent le sol. Je m'attendais à ce que le sol soit froid mais il ne l'était pas. Je grattai la peau de mon cou pour enlever la brûlure. Dans ma bouche, la salive s'accumulait et je l'avalai, cela apaisa la brûlure mais juste le temps de son passage, celle-ci se raviva ensuite. Le sang, je le voulais, il était à moi. Il me le fallait. Quelque-chose m'empêchait de l'avoir, quelque-chose m'empêchait de me jeter dessus. ''Monstre''. Je ne voulais pas être un monstre mais je voulais le sang, c'était pas grave, ce n'était pas important, il pouvait me donner son sang, il était à moi de toute façon. Le sang, je le voulais. Je réfléchis, j'essayai de réfléchir tout du moins mais cette odeur autour de moi... qu'est-ce ce que ça ferait ? Qu'est-ce que ça ferait si je prenais le sang ? ''Mort''... ''mort''.. ''la mort''. Sa mort. Mais je voulais le sang.
« Prends le, répéta Hayden.
Je me jetai sur l'humain mais fut bloquée juste avant de l'atteindre. Ça ne me fit pas mal, comme si j'étais bloquée par une paroi invisible mais moelleuse comme un nuage. Un nuage invisible que je ne pouvais pas traverser. Je tapais contre, enragée. J'étais en colère, je voulais le sang.
« Je veux le sang, donne-le moi, ordonnai-je à l'humain. Donne-le moi, il est à moi !
« Putain ! Lâcha Hayden. Elle a bien choisi son jour...
« Donne-moi le sang, grondai-je. Tu vas me le donner ? Ça te fera rien, je le veux, donne.
Je tapai contre la paroi de toute mes forces et à une vitesse qui m'aurait étonnée si je n'étais pas obnubilée par l'odeur qui transperçai sa peau. L'odeur de son sang, je voulais le sang.
« Garde le reste, je veux que le sang, négociai-je. Donne putain, tu vas le donner.
Il regarda à côté de moi et, je ne savais pourquoi, commença à se déplacer contre les barreaux, je me décalai pour l'empêcher de me fuir. La sueur dégoulinait de son visage et il ouvrit la bouche. Allait-il accepter ?
« Je vous en prie, me faites pas de mal, glapit-il.
« Je veux pas te faire de mal, je veux ton sang, arguai-je. Tu sentiras rien, laisse-toi faire. Fais-moi passer.
Je tapai sur la paroi. Deux silhouettes apparurent dans le coin de ma vision, je grondai à leur attention.
« Le sang est à moi, grognai-je.
« On ne veut pas te le prendre, dit Hayden.
« Arrête ça tout de suite, Emy, ordonna-t-il ensuite.
« Je ne suis pas Emy, contrai-je. Je veux le sang, laisse-moi casser le nuage invisible.
« Je ne parlais pas à toi, dit-il. Emy, cesse ton don, maintenant.
« Mais je ne fais rien, je ne comprends pas, je ne le maîtrise pas.
« C'est quoi ce bordel ? Fulmina Hayden. Tamsyn ?
« Pourquoi je ne peux pas l'avoir ? Désespérai-je.
« Tu veux boire son sang ?
« Oui, je veux le sang, clamai-je, de la salive s'échappa de ma bouche mais je n'y prêtai pas attention.
« Prends-le, il est à toi.
« Je sais mais il ne veut pas me le donner, grognai-je. Je suis en colère maintenant.
« Ça n'a pas changé depuis tout à l'heure, ça, me fit-il remarquer.
Je sautai à nouveau sur l'humain mais fut encore arrêtée par le nuage invisible. Réfléchis, réfléchis... je fixai l'humain, c'était un humain, pas comme moi... plus comme moi ? Je n'étais pas humaine. J'étais autre chose. Un vampire. Et je voulais le sang.
